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Date : 20150320


Dossier : IMM-820-13

Référence : 2015 CF 361

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le  20 mars 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

VINKO DJAK

MAGDALENA DJAK

DAVOR DJAK

LUKA DJAK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 15 mai 2012 (la décision), par laquelle la demande présentée par les demandeurs en vue de se faire reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi a été rejetée.

II.                CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, des citoyens de la Croatie et de la Bosnie, sont un mari (demandeur principal) et son épouse, leur fils de neuf ans et leur fils de onze ans. Ils sont arrivés au Canada le 27 mai 2011 et ont présenté leur demande d’asile le 8 juin 2011.

[3]               Les demandeurs affirment avoir été victimes de persécution en Bosnie parce qu’ils sont de religion catholique. Ils ajoutent qu’ils ont été victimes de persécution en Croatie en raison de leur nationalité bosniaque.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[4]               Le 15 mai 2012, la Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[5]               La Commission a conclu que la crainte des demandeurs d’être persécutés en Croatie, en lien à l’un des motifs prévus à la Convention, était non fondée. La Commission a également conclu qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger, puisque leur renvoi vers la Croatie ne les exposerait pas personnellement au risque de subir un préjudice.

[6]               La Commission a souligné que le demandeur principal a servi dans l’armée bosniaque en 1991-1992, mais elle a déclaré que la preuve était insuffisante pour justifier un examen plus poussé de la question de l’exclusion. Le ministre a refusé d’intervenir au motif qu’« il est peu probable que le demandeur d’asile se soit rendu complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ». Le demandeur principal a témoigné par ailleurs qu’il a été recruté alors qu’il avait seize ans et n’a pas pris part aux combats. Il a servi pendant moins d’un an en qualité de garde des quartiers de son commandant.

[7]               La Commission a conclu que la question déterminante était d’établir si les demandeurs craignaient la persécution à titre de membres d’un groupe social (Bosniaques vivant en Croatie) ou parce qu’ils sont de religion catholique. Elle a dit qu’une crainte fondée de persécution comporte deux volets : une crainte subjective de persécution et une justification objective de cette crainte. Les demandeurs devaient démontrer davantage qu’une simple possibilité de persécution en Croatie.

[8]               La Commission a jugé que le demandeur principal avait témoigné avec franchise, mais elle a souligné que, dans son témoignage, il avait fait mention d’incidents qui ne figuraient pas dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP).

[9]               La Commission a conclu que les demandeurs ont pu être victimes de discrimination en Croatie, mais que cela n’équivalait pas à de la persécution, et que le pire incident dont les demandeurs se sont plaints a été d’avoir fait l’objet d’injures fondées sur leur nationalité. La Commission a reconnu que la preuve documentaire fait état de tensions ethniques dont les minorités en Croatie, à savoir les Roms et les Serbes, sont victimes, mais les demandeurs n’appartiennent à ni l’une ni l’autre de ces minorités. La Commission a également reconnu que la Croatie connaît des problèmes de chômage et de restitution de biens, mais le demandeur principal avait un emploi et les demandeurs possédaient une maison avant leur départ pour le Canada. Les demandeurs ont témoigné qu’ils pouvaient fréquenter régulièrement l’église en Croatie, et le demandeur principal a également témoigné que sa famille vit et travaille en Croatie.

[10]           La Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour démontrer que les demandeurs seraient persécutés. La Commission n’a pas analysé la demande d’asile du demandeur sous l’angle d’un retour en Bosnie, parce qu’elle était convaincue que les demandeurs pouvaient retourner en Croatie.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions dans la présente instance. Elles se résument comme suit :

1.      Y a-t-il eu manquement au droit des demandeurs à l’équité procédurale et à l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.-U.) (la Charte) en raison de la qualité de la traduction lors de l’audience?

2.      Les demandeurs ont-ils renoncé à leur droit de se plaindre quant à la traduction en omettant d’invoquer la question à l’audience?

3.      La décision est-elle déraisonnable pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

a.       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

b.      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

c.       La Commission a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents dont elle était saisie?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour de révision est saisie est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48 (Agraira).

[13]           La question de la qualité de la traduction soulève une question d’équité procédurale et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Licao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 89, au paragraphe 18; Francis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 636, au paragraphe 2. La question de savoir si les demandeurs ont renoncé à leur droit de se plaindre de la qualité de la traduction est une question de fait que la Cour doit analyser au cas par cas : Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 371, aux paragraphes 27-29, 185 FTR 144, conf. par 2001 CAF 191, aux paragraphes 13 à 19 (Mohammadian).

[14]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur dans ses conclusions de fait, y compris son appréciation de la preuve et toute conclusion quant à la crédibilité, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Aguebor c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1993), 160 NR 315 (CAF); Mercado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 289, au paragraphe 22; De Jesus Aleman Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 809, au paragraphe 19.

[15]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

CDéfinition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          ARGUMENT

A.                Demandeurs

[17]           Les demandeurs affirment que la question de savoir si la traduction de leur témoignage était juste est une question d’équité procédurale. Le droit à une traduction juste à l’audience est également enchâssé dans la Charte. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur d’asile a le droit, lors de l’audience relative à sa demande d’asile, à une traduction qui satisfasse à la norme de « continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance » : Mohammadian, précité, au paragraphe 4.

[18]           Les demandeurs affirment qu’ils ont relevé plusieurs problèmes quant à la traduction dans la transcription de l’audience. À titre d’exemple, les demandeurs disent que le commissaire s’adressait parfois directement au demandeur principal. Les demandeurs affirment que les erreurs dans la transcription révèlent que la décision n’était pas fondée sur leur témoignage réel.

[19]           Les demandeurs prétendent que la question de savoir s’ils ont renoncé à leur droit de se plaindre quant à la traduction en ne manifestant pas leur opposition à l’audience est une question de fait qui doit être tranchée au cas par cas. Ils ajoutent que la question pertinente est de déterminer si les circonstances de l’espèce sont telles qu’il était raisonnable de ne manifester aucune opposition à l’audience : Mohammadian, précité, aux paragraphes 12 à 17; Faiva c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1983] 2 CF 3, 145 DLR (3d) 755 (CA). Les demandeurs prétendent qu’il était manifeste que le commissaire et leur avocat avaient remarqué qu’il y avait des divergences entre ce que disait l’interprète et ce que disaient les demandeurs. Les demandeurs déclarent que le commissaire aurait dû ajourner la procédure afin que soient prises les mesures nécessaires pour que le droit des demandeurs à un interprète soit respecté.

[20]           Les demandeurs affirment aussi qu’il était déraisonnable que la Commission les juge non crédibles en l’absence de motifs permettant de mettre en doute le bien-fondé de leur demande d’asile. Ils disent qu’il n’y avait pas de contradictions entre le témoignage du demandeur principal et son FRP.

[21]           Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a commis une erreur quand elle a conclu que les demandeurs pouvaient obtenir une protection de l’État adéquate en Croatie. Les demandeurs affirment que leur preuve démontre qu’ils se sont adressés à la police, mais qu’elle leur a refusé sa protection. Ils ajoutent que cette preuve n’a pas été prise en compte dans la décision.

[22]           Enfin, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur dans son application du critère relatif à la persécution : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. Ils prétendent que les actes dont ils ont été victimes équivalent à une violation soutenue et systémique de leurs droits fondamentaux. Les demandeurs affirment que la Commission, quand elle a conclu qu’ils n’avaient pas établi l’existence de la persécution, n’a pas tenu compte de parties pertinentes de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur principal : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 13 à 15. La Cour fédérale a conclu que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” » : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17, citant Bains c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1993), 63 FTR 312.

B.                 Défendeur

[23]           Le défendeur affirme que les demandeurs ont renoncé à leur droit de contester la traduction en omettant de le faire à l’audience. Un demandeur qui constate un problème de traduction à l’audience doit faire état du problème à l’audience : Mohammadian, précité, aux paragraphes 12 à 17. Ni les demandeurs, ni leur avocat n’ont fait état de problèmes au cours de leur audience. Les demandeurs affirment qu’ils étaient conscients qu’il y avait des problèmes à l’audience et n’ont pas expliqué pourquoi il leur serait loisible de soulever cette question à cette étape de la procédure. De toute façon, les demandeurs ont également omis de prouver qu’il y avait eu des problèmes importants en ce qui concerne la traduction.

[24]           Le défendeur a également fait remarquer que la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs. La Commission a souligné qu’il y avait des omissions dans le FRP du demandeur principal, mais a finalement conclu que les demandeurs avaient présenté une preuve insuffisante du risque allégué. Les conclusions de la Commission concernant les omissions n’étaient pas déterminantes en ce qui concerne l’issue de la demande d’asile.

[25]           Le défendeur soutient de plus que la Commission a le droit d’accorder plus de poids à la preuve documentaire qu’à la preuve d’un demandeur, même si elle estime que le témoignage du demandeur est digne de foi et crédible : Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1087 (QL)(CAF); Aleshkina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 589. En outre, la Commission a compétence pour conclure à la discrimination plutôt qu’à la persécution : voir Kwiatkowsky c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1982] 2 RCS 856; Sagharichi c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1993), 182 NR 398 (CAF).

C.                 Réponse des demandeurs

[26]           Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas renoncé à leur droit de soulever la question de la qualité de la traduction à l’audience. Ils affirment qu’ils n’ont pas soulevé cette question à l’audience pour deux raisons : premièrement, leur avocat ne parlait pas croate et n’a donc pas pu se rendre compte des problèmes de traduction; deuxièmement, ils ne parlaient pas anglais à l’époque et n’ont donc pas compris ce qui était traduit pour la Commission. Les demandeurs prétendent, par exemple, que la famille du demandeur principal ne vit pas en sécurité en Croatie. Elle y subit plutôt de fortes pressions et sera bientôt expulsée de sa communauté. De plus, le demandeur principal n’occupait pas un emploi stable en Croatie.

[27]           Les demandeurs soutiennent également que, dans sa décision, la Commission a omis d’analyser la prétention du demandeur principal selon laquelle il était également persécuté parce que son père est rom et sa mère est serbe. Enfin, les demandeurs soulèvent la question de la partialité de la Commission.

D.                Mémoire supplémentaire du défendeur

[28]           Le défendeur conteste l’affidavit présenté par la demanderesse le 6 novembre 2014. L’ordonnance accordant l’autorisation stipulait que les affidavits devaient être produits au plus tard le 20 octobre 2014. Or l’affidavit est daté du 23 octobre 2014, et les demandeurs n’ont donné aucune explication quant à ce retard par les demandeurs. Le défendeur déclare que la Cour ne devrait pas tenir compte de cet affidavit et de l’affidavit du demandeur principal du 18 octobre 2014, parce qu’ils ne font que réitérer leurs allégations quant au risque. À titre subsidiaire, le défendeur demande que l’affidavit de la demanderesse du 23 octobre 2014 soit rejeté parce qu’il n’a pas été déposé en temps opportun.

[29]           Enfin, le défendeur soutient que rien ne prouve que l’interprète ne comprenait pas les demandeurs. La transcription montre que lorsque certains mots étaient peu clairs, l’interprète donnait à chaque fois une explication. Ces explications n’ont eu aucune incidence sur l’audience ou sur la décision définitive qui a été rendue relativement à la demande d’asile.

VIII.       ANALYSE

[30]           Les demandeurs soulèvent un éventail de questions, dont certaines (la crédibilité et la protection de l’État) ne font pas partie de la décision, tandis que d’autres (la partialité et la mauvaise application du critère applicable au titre de l’article 97) sont soulevées pour la première fois en réponse. La Cour n’est pas officiellement saisie de ces questions et celles-ci ne seront donc pas examinées dans le cadre du présent contrôle.

A.                Problèmes de traduction

[31]           Le principal motif de contrôle concerne des allégations de problèmes de traduction. Dans son affidavit, M. Vinko Djak fait valoir que [traduction] « la Commission a fondé sa décision sur une traduction incorrecte, de la part de l’interprète, de la langue croate » (dossier des demandeurs, à la page 14), mais il ne fait aucun effort pour dire à la Cour quelles erreurs de traduction ont pu être commises.

[32]           C’est là une simple allégation. Les demandeurs n’ont fourni à la Cour aucune preuve démontrant qu’il y a eu des erreurs d’interprétation ou, le cas échéant, démontrant l’incidence qu’elles ont eu sur la décision. De telles allégations non étayées ne permettent pas à la Cour de savoir ce qu’elle doit savoir pour trancher la question. En conséquence, aucune possibilité n’a été offerte au défendeur de répondre à ces allégations concernant la traduction. Pour autant que la Cour sache, elles peuvent avoir été absolument sans pertinence. Un deuxième affidavit de M. Vinko Djak, daté du 18 octobre 2014, ne fait aucune mention de problèmes de traduction.

[33]           Les demandeurs semblent croire qu’une simple allégation de problèmes de traduction suffit pour établir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Ce n’est pas le cas. En l’absence de preuves et de détails justificatifs, une simple allégation ne constitue pas une preuve suffisante. Il incombe aux demandeurs d’établir le bien-fondé de leurs allégations : voir R c Tran, [1994] 2 RCS 951, à la page 980; Ramos Contreras c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 525, au paragraphe 20. Les demandeurs n’ont aucunement établi le bien-fondé de leurs allégations de problèmes de traduction.

[34]           Les demandeurs n’ont pas prouvé qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison de problèmes de traduction.

B.                 Autres questions

[35]           Exception faite de la question de la crédibilité et de la question de la protection de l’État, lesquelles ne font pas partie de la décision, les demandeurs soulèvent très peu d’autres éléments pouvant étayer une conclusion selon laquelle il y a eu erreur susceptible de contrôle. Leurs observations sont soit des allégations sans fondement (p. ex., la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve), soit un simple désaccord avec les conclusions de la Commission. Un désaccord ne constitue pas en soi un motif d’intervention de la part de la Cour. Il appartient aux demandeurs de démontrer en quoi la décision est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité, ou en quoi elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les demandeurs n’ont pas fait cette démonstration.

[36]           Dans leur réponse, les demandeurs soulèvent un certain nombre de nouvelles questions (p. ex., la partialité et la mauvaise application du critère applicable au titre de l’article 97 de l’article 97) qui ne constituent pas une contre-preuve acceptable. Encore une fois, même si ces questions avaient été soulevées à bon droit, les mêmes problèmes de simples allégations non étayées par la décision et le dossier se posent.

[37]           La conclusion que la preuve ne démontre pas que les demandeurs risqueraient d’être persécutés au sens de l’article 96 ou seraient exposés à l’un des risques mentionnés à l’article 97 se situe au cœur de la décision (DCT, aux pages 7 et 8) :

[14]      Le demandeur d’asile a affirmé qu’ils avaient quitté la Bosnie parce qu’il ne leur restait rien là-bas. Quand ils sont allés en Croatie, a-t-il poursuivi, ils ont été considérés comme des Bosniaques, bien qu’ils soient catholiques et appartiennent à l’ethnie croate. Il s’est dit effrayé à l’idée de devoir y retourner, parce qu’ils sont maintenant installés et heureux au Canada.

[15]      La demandeure d’asile a aussi témoigné et elle a ajouté que, quand les enfants étaient à l’école ou jouaient avec d’autres enfants en Croatie, ils étaient raillés et battus. Elle a raconté que Davor avait été insulté, que le professeur ne voulait pas assumer la responsabilité de cette situation et que l’administration n’avait pas fait grand effort pour intervenir. D’après la demandeure d’asile, ils avaient signalé des incidents au directeur, mais elle ignorait quelle mesure avait été prise. Elle a rapporté que Luka ne pouvait pas jouer dehors sans avoir de graves problèmes avec les autres enfants.

[16]      Le demandeur d’asile a déclaré que les membres de sa famille vivent en Croatie et occupent des emplois lucratifs au service de l’État. Il a aussi déclaré qu’aucun Croate ne vivait dans son quartier. À la question visant à savoir pourquoi la famille n’avait pas déménagé pour se rapprocher de membres de la parenté, le demandeur d’asile a répondu qu’il n’en avait pas les moyens; la demandeure d’asile a précisé qu’ils habitaient près du lieu de travail de son époux.

[17]      J’estime que les demandeurs d’asile ont peut-être été victimes de discrimination quand ils vivaient en Croatie, mais que cette discrimination ne correspond pas à de la persécution. Le pire élément de leur description est le rejet social et les insultes parce qu’ils venaient de Bosnie. Des documents récents font état de tensions ethniques dirigées contre les minorités, surtout les Roms. Pour ce qui est des Serbes, les problèmes semblent concentrés dans l’arrière-pays. Les demandeurs d’asile ne sont ni serbes ni roms. Selon les documents, il y a des problèmes de chômage et de restitution de biens. Le demandeur d’asile a pu trouver du travail et ils ont réussi à trouver un logement où ils ont habité jusqu’à leur départ pour le Canada.

[18]      Il incombe aux demandeurs d’asile de démontrer qu’il existe plus qu’une simple possibilité ou plus qu’une possibilité raisonnable qu’ils soient persécutés en Croatie. La preuve produite ne le démontre pas. Ce sont de fervents catholiques et ils ont pu aller régulièrement à l’église. Les membres de la famille du demandeur d’asile vivent en toute sécurité en Croatie et ils occupent des emplois lucratifs.

[19]      J’ai soigneusement analysé le témoignage des demandeurs d’asile et je conclus qu’il n’existe pas de preuve convaincante suffisante pour montrer que les demandeurs d’asile seraient persécutés du fait de leur naissance en Bosnie.

[Renvoi omis]

[38]           Quand j’ai passé en revue ces conclusions avec le demandeur principal à l’audience, il a simplement dit qu’il n’a soumis aucun élément de preuve étayant la conclusion de la Commission. Il a déclaré qu’aucun membre de sa famille en Croatie n’avait un emploi rémunéré, que ce soit au gouvernement ou ailleurs, et qu’il a été contraint de quitter son emploi lorsque [traduction] « les gens ont découvert qu’il avait épousé une Serbe ». Il a déclaré que, en raison de son mariage mixte, des voisins lui avaient dit de s’en aller. Il a affirmé avoir dit à la Commission qu’il se ferait tuer s’il retournait en Croatie. Il a ajouté qu’il a dit à la Commission qu’il était allé à l’église et que le prêtre l’avait agressé. Il a déclaré que sa famille tout entière avait quitté la Croatie avant son arrivée au Canada.

[39]           Malheureusement, les divergences entre ce que le demandeur principal déclare avoir dit à la Commission et le texte de la transcription de l’audience sont très importantes. Une fois de plus, le demandeur principal affirme qu’il n’a jamais tenu ces propos et qu’il doit s’agir d’un problème de traduction. Là encore, malheureusement, il n’a soumis à la Cour aucune preuve réfutant l’exactitude de la transcription de l’audience et de son témoignage à l’audience.

[40]           Comme les demandeurs se représentent eux-mêmes, j’ai soigneusement examiné le dossier afin de voir s’il existe des éléments de preuve démontrant qu’il y a eu des problèmes du type que les demandeurs ont soulevé dans la présente demande :

(1)               Problèmes de traduction

[41]           Mon examen de la transcription m’amène à conclure qu’il n’y a pas eu de problèmes de traduction. À deux ou trois reprises, l’interprète ne connaissait pas le sens d’un mot :

[traduction]

Q : (Inaudible) une chance de tirer sur la cible rien que pour voir si vous savez vous en servir?

R : Non. Non, ils m’ont donné une arme, et la ceinture –

INTERPRÈTE : Et je ne sais pas comment désigner la pièce dans laquelle on range l’arme. Est-ce qu’elle porte un nom?

AVOCAT : La gaine.

[DCT, à la page 290]

Q : Donc, si je comprends bien, vous portiez l’uniforme durant la journée. À quelles heures de la journée est-ce que vous – vous souvenez-vous des heures de la journée où vous étiez en fait de service?

R : Et bien, de sept à sept, et je devais être chez moi à sept heures trente ou au plus tard à huit heures parce qu’ils avaient instauré cette politique selon laquelle nous n’étions pas censés nous déplacer.

INTERPRÈTE : Politique.

COMMISSAIRE : Couvre-feu.

[DCT, à la page 291]

DEMANDEUR : Ouais, il est plein d’entrain, il peut grimper aux arbres.

COMMISSAIRE : Excusez-moi?

INTERPRÈTE : Il est très – comment dites-vous?

COMMISSAIRE : Agile?

INTERPRÈTE : Agile. Agile. Il peut grimper aux arbres.

[DCT, à la page 303]

[42]           Dans chaque cas, la clarification a été immédiate, et je ne pense pas que, dans ces cas, il y a eu des erreurs de traduction, et encore moins des erreurs graves. Ces cas n’ont eu aucune incidence sur la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ont pu être victimes de discrimination, mais ne sont exposés à aucun risque de persécution.

(2)               Preuve de persécution ou de discrimination

[43]           J’ai examiné le dossier et la transcription de l’audience. Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve de persécution. Ils ont soumis deux ou trois articles de presse et un affidavit d’une personne, portant le même nom de famille, qui dit que les enfants lui racontaient des histoires au sujet des injures qu’on leur lançait en Croatie.

[44]           La transcription n’étaye pas ce que le demandeur principal a dit à la Cour à l’audience. Le demandeur principal a déclaré que sa mère, son père et trois frères vivent en Croatie (DCT, à la page 297), et qu’il ne pouvait pas vivre dans leur région parce que [traduction] « la vie est très chère dans cette région » et que la maison de ses parents n’était pas assez grande pour qu.il puisse y loger sa famille (DCT, à la page 316). Il a dit que son père travaillait à son propre compte depuis trente ou quarante ans, que deux de ses frères travaillent pour le gouvernement et que son troisième frère est handicapé et n’a pas d’emploi (DCT, aux pages 298 à 300).

[45]           Le demandeur principal a déclaré qu’il a travaillé pour le gouvernement pendant cinq ans, qu’il avait probablement un régime de retraite, et qu’il avait quitté son emploi de son plein gré le mois où sa famille est arrivée au Canada (DCT, à la page 300). Il a dit que, au travail, il avait quelques amis, mais qu’il y avait tout de même été victime d’injures (DCT, à la page 301); il n’a pas donné à entendre que c’était la raison pour laquelle il avait quitté son emploi.

[46]           Le demandeur principal et la demanderesse ont fait état dans leur témoignage de deux incidents de persécution en Bosnie, ce qui a eu pour effet de précipiter leur déménagement en Croatie. Selon le demandeur principal, il a été giflé dans un magasin en Bosnie parce qu’il détenait un permis de conduire croate (DCT, aux pages 310 et 311). La demanderesse a déclaré que leur voiture avait été saccagée en Bosnie (DCT, à la page 306). Le FRP ne fait mention d’aucun de ces incidents. Toutefois, la décision avait trait à la Croatie et rien ne prouvait qu’il y avait de la persécution en Croatie.

[47]           Le demandeur principal a déclaré que la famille est venue au Canada parce que les enfants se faisaient battre et injurier (DCT, à la page 302). Le demandeur principal prétend qu’il s’est adressé à la police au sujet de l’intimidation, mais que cela n’a fait qu’empirer les choses (DCT, à la page 303). Dans son FRP, le demandeur principal a mentionné qu’il avait songé à appeler la police, mais qu’il savait que cela ne ferait qu’empirer la situation. Dans la décision, il est écrit que le demandeur principal « a déclaré avoir songé à appeler la police, mais il a compris qu’il ne ferait ainsi qu’empirer les choses » (DCT, à la page 4). Selon moi, cette erreur est sans gravité. Il a fourni une preuve contradictoire quant à savoir s’il avait oui ou non appelé police. Advenant le cas qu’il se soit vraiment adressé à la police, c’était, selon lui, en lien avec de l’intimidation, et la Commission a statué que cela ne constituait pas de la persécution ou un risque. De surcroît, la décision ne porte pas sur la question de la protection de l’État.

[48]           La Commission a demandé à deux reprises au demandeur principal si la famille pouvait aller à l’église. Il a répondu qu’elle allait régulièrement à l’église, et pas seulement les jours de congé (DCT, à la page 281). Il a mentionné que des gens regardaient la famille de travers et faisaient des remarques quant au fait qu’ils étaient bosniaques (DCT, à la page 301). Il n’a fait mention d’aucune agression.

[49]           Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’ils étaient persécutés parce que le père du demandeur principal est rom, que sa mère est serbe, et qu’il [traduction] « a épousé une Serbe ». Je ne vois aucune mention de ce fait dans le dossier. Le commissaire avait en fait demandé au demandeur principal si leurs problèmes découlaient du fait qu’ils sont une famille mixte (DCT, à la page 281) :

[traduction]

COMMISSAIRE : Les problèmes que vous éprouviez ne découlaient donc pas du fait que votre famille est mixte, mais du fait que vous étiez différents des gens où vous viviez. Est-ce exact?

DEMANDEUR : Oui.

[50]           La Commission a explicitement déclaré ne pas avoir de réserve quant à la crédibilité (DCT, à la page 309). Je ne vois rien dans le dossier qui puisse étayer ce que le demandeur principal prétend avoir dit à la Commission. Dans ses arguments, l’avocat tentait de démontrer que la moquerie et la discrimination équivalaient au fil du temps à de la persécution. Selon moi, le dossier étaye largement la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve ne permettait pas d’établir que les demandeurs pourraient être persécutés ou seraient exposés à des risques.

[51]           Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


 COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-820-13

 

INTITULÉ :

VINKO DJAK, MAGDALENA DJAK, DAVOR DJAK, LUKA DJAK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉcembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Vinko Djak, Magdalena Djak, Davor Djak, Luka Djak

 

LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

 

POUr Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vinko Djak, Magdalena Djak, Davor Djak, Luka Djak

 

LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUr Le défendeur

 

 

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