Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150317


Dossier : IMM‑41‑14

Référence : 2015 CF 338

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ELHAM FATHY ELSAYED ISMAIL,

TAMER ABDELMAKSOUD ALY MAHMOUD et RODINA TAMER ABDEL‑MAKSOUD ALY MAHMOUD

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 29 novembre 2013, par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté l’appel des demandeurs pour absence de compétence. La SAI a conclu, sur le fondement des renseignements fournis, que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient un droit d’appel dans les circonstances.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse principale, Elham Fathy Elsayed Ismail, est une citoyenne de l’Égypte qui a fait une demande en vue de venir au Canada en vertu du programme des travailleurs qualifiés. Elle a présenté un certificat de tests linguistiques (IELTS) et a obtenu un visa de résident permanent, tout comme ses personnes à charge, qui sont les deux autres demandeurs en l’espèce, à savoir son époux, Tamer Abdelmaksoud Aly Mahmoud, et leur fille, Rodina Tamer Abdel‑Maksoud Aly Mahmoud.

[4]               Les demandeurs sont arrivés à l’aéroport Lester B. Pearson le 30 octobre 2011. Ils ont présenté leurs visas de résident permanent et ont fait l’objet d’un contrôle par une agente d’immigration. Lorsque la demanderesse principale n’a pas été capable de répondre à des questions simples en anglais, l’agente a vérifié la base de données informatique (SSOBL) et a constaté qu’un agent des visas au Caire avait conclu que les résultats de l’IELTS présentés étaient frauduleux. Les visas avaient néanmoins été délivrés. Cela serait apparemment attribuable à l’agitation civile en Égypte à l’époque, qui avait entraîné une interruption du traitement.

[5]               Les demandeurs n’ont pas acquis le droit d’établissement à l’aéroport, mais ils ont été autorisés à entrer au Canada en vertu de l’article 23 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) en vue de se soumettre à un contrôle à une date ultérieure. Avant le contrôle, le 23 novembre 2011, un agent des visas a révoqué les visas de résident permanent des demandeurs. Les demandeurs se sont par la suite soumis à un contrôle le 2 décembre 2011, et des mesures d’exclusion ont été prises contre tous les trois, étant donné qu’ils n’avaient pas de visas valides. Les demandeurs ont cherché à interjeter appel des mesures d’exclusion auprès de la SAI conformément au paragraphe 63(2) de la LIPR.

[6]               Une audience de la SAI a été fixée pour le 17 juillet 2013, afin qu’il soit statué sur la question de savoir si la SAI avait compétence dans des cas semblables, où les appelants ne possèdent plus de visas de résident permanent valide avant leur contrôle. L’audience a été ajournée, et les deux parties ont présenté des observations écrites sur cette seule question. La décision a ensuite été rendue le 29 novembre 2013.

II.                La décision attaquée

[7]               La question déterminante dans le cadre de l’appel était de savoir si la SAI avait compétence pour entendre l’appel, étant donné que les visas des demandeurs avaient été annulés le 23 novembre 2011, avant le contrôle, ce qui avait donné lieu aux mesures d’expulsions prises le 2 décembre 2011. Après avoir examiné les positions des parties, le commissaire de la SAI a affirmé que le facteur déterminant ne tenait pas à la question de savoir si les demandeurs avaient pu arriver à un point d’entrée canadien avec leurs visas, mais plutôt à la question de savoir si, au moment du rapport établi en vertu de l’article 44, ils étaient en possession de visas de résident permanent valides.

[8]               La SAI a reconnu qu’après qu’un visa a été délivré, il est présumé demeurer valide. Se fondant sur la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hundal, [1995] 3 CF 32, [1995] ACF no 918 [Hundal], le SAI a néanmoins fait état de certaines exceptions à cette présomption, notamment lorsqu’un visa est révoqué ou annulé par un agent des visas. Le commissaire de la SAI a souscrit au raisonnement exposé dans la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 593 [Zhang], selon lequel le fait de permettre à un étranger d’interjeter appel en vertu du paragraphe 63(2) lorsqu’il est interdit de territoire parce qu’il n’a pas de visa valide contredirait directement la conclusion d’interdiction de territoire. Le commissaire de la SAI a affirmé que le contrôle au point d’entrée ne constitue pas un point limite après lequel la validité du visa de résident permanent ne peut pas être évaluée pour voir si une exception s’applique. La révocation du visa par l’agent des visas avant une enquête demeure possible, comme dans le cas présent.

[9]               La SAI est arrivée à la conclusion qu’après qu’il a été conclu, aux termes d’un rapport établi en vertu de l’article 44 de la LIPR, que le visa de résident permanent est invalide, l’étranger concerné n’a pas de droit d’appel auprès de la SAI en vertu du paragraphe 63(2). Le recours indiqué pour les demandeurs en l’espèce aurait été une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour. L’appel a donc été rejeté pour défaut de compétence.

III.             Question en litige

[10]           La seule question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle dans son interprétation du paragraphe 63(2) de la LIPR. Autrement dit, est‑ce que la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que sa compétence pour entendre un appel doit être déterminée au moment du rapport établi en vertu de l’article 44, et non au moment où le ressortissant étranger arrive au Canada?

IV.             Analyse

[11]           L’article 18 de la LIPR dispose que quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre à un contrôle visant à déterminer s’il a le droit d’entrer au Canada ou s’il peut être autorisé à y entrer. La procédure de contrôle commence lorsque la personne arrive au Canada et prend fin lorsqu’« une décision est rendue selon laquelle la personne a le droit d’entrer au Canada ou est autorisée à entrer au Canada à titre de résident temporaire ou de résident permanent, la personne est autorisée à quitter le point d’entrée et quitte effectivement le point d’entrée » : Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, alinéa 37a).

[12]           L’alinéa 20(1)a) de la LIPR dispose que l’étranger qui cherche à entrer au Canada en qualité de résident permanent doit prouver « qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires ». L’article 23 de la LIPR permet à un agent d’autoriser une personne à entrer au Canada en vue d’assister à un contrôle complémentaire ou une enquête à une date ultérieure.

[13]           En vertu du paragraphe 63(2) de la LIPR, un étranger en possession d’un visa de résident permanent peut interjeter appel auprès de la SAI à l’encontre de la mesure de renvoi prise contre lui lors d’un contrôle ou d’une enquête :

Droit d’appel : mesure de renvoi

63(2) Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

Right to appeal — visa and removal order

63(2) A foreign national who holds a permanent resident visa may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

[14]           Il ne fait aucun doute qu’un visa peut être révoqué à tout moment après avoir été délivré. Il s’agit d’ailleurs d’une des exceptions à la présomption selon laquelle un visa, une fois délivré, est présumé être valide. Comme le juge Rothstein l’a affirmé dans la décision Hundal, précitée, au paragraphe 19 :

La quatrième exception à la validité d’un visa est sa révocation par un agent des visas. Bien que la Loi sur l’immigration ne prévoie pas expressément la révocation des visas, je crois que le pouvoir de les révoquer s’impose comme inéluctable. Dans l’affaire Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gudino, [1982] 2 C.F. 40 (C.A.), on a soutenu qu’une fois le visa délivré, l’agent des visas n’a plus compétence et ne peut ni annuler ni invalider le visa. Le juge Heald, J.C.A., a dit à la page 43 :

J’estime qu’il découle nécessairement de l’emploi de l’expression « valable et non périmé » qu’un visa peut être révoqué et devenir invalide en raison de faits nouveaux.

Bien que le juge Heald, J.C.A., traitait des mots « valable et non périmé », je crois que la même déduction découle nécessairement de l’adjectif « valable » pris seul puisque les mots « et non périmé » sont employés dans la Loi pour indiquer que la durée ne doit pas être expirée. Donc, lorsque l’agent des visas annule un visa, celui‑ci n’est plus valable. Selon Gudino , la Loi ne prescrit aucun mode particulier d’annulation (voir page 45). Cependant, une telle annulation ou invalidation du visa exige une décision quelconque de la part de l’agent des visas. Pourvu qu’il y ait eu une décision d’annuler, le visa n’est plus valable.

[15]           Les parties conviennent que la décision devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte, puisqu’il s’agit d’une pure question de droit. Je suis toutefois enclin à faire preuve de plus de déférence envers la SAI à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, la majorité a jugé qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard des décisions de tribunaux administratifs qui interprètent leur loi constitutive et que ces décisions devraient être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Voir aussi : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36; Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187; Première nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269. Quoi qu’il en soit, j’estime que la décision de la SAI est à la fois raisonnable et correcte.

[16]           Il est acquis aux débats que si le visa de résident permanent avait été révoqué avant l’arrivée des demandeurs au Canada, la SAI n’aurait clairement pas eu compétence pour entendre leur appel selon la décision de la Cour dans l’affaire Zhang. La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le fait que les demandeurs aient été en possession de visas valides au moment où ils se sont présentés au point d’entrée change quoi que ce soit. S’appuyant sur une autre décision de la SAI (Khan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CanLII 28046 (CA CISR)), l’avocat des demandeurs soutient qu’à partir du moment où une personne se présente à un point d’entrée munie d’un visa valide, rien de ce qui peut arriver par la suite n’est pertinent au regard de son droit d’appel. L’avocat a affirmé qu’autrement, les agents d’immigration et les agents des visas pourraient [traduction« appliquer une politique officieuse d’admission » en privant un individu d’un droit d’appel à la SAI par suite d’une [traduction« révocation rétroactive » par un agent des visas, après que cette personne serait arrivée au Canada. En toute déférence, j’estime que cet argument est sans fondement.

[17]           Tout d’abord, je ne parviens pas à voir pourquoi le contrôle au point d’entrée constituerait un moment charnière après lequel la validité du visa permanent ne peut pas être évaluée pour déterminer si une des quatre exceptions énoncées dans la décision Hundal s’applique. La procédure de contrôle prend fin seulement lorsqu’il est décidé qu’une personne a le droit d’entrer au Canada ou est autorisée à entrer au Canada à titre de résident temporaire ou de résident permanent, et le visa peut être révoqué jusqu’à ce que cette décision soit rendue. Le fait qu’une personne soit entrée au Canada et ait enclenché la procédure de contrôle n’a aucune incidence sur le pouvoir de révoquer le visa.

[18]           Il ressort clairement d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique du paragraphe 63(2) et de l’ensemble de la LIPR qu’un droit d’appel est accordé uniquement au « titulaire » d’un visa de résident permanent valide au moment où la mesure d’exclusion est prise. Le législateur aurait pu rédiger cette disposition différemment, de manière à inclure, par exemple, les titulaires d’un visa de résident permanent valide et les personnes qui ont déjà détenu un tel visa. Le législateur en a décidé autrement, et les tribunaux doivent donner effet à une intention législative claire. Comme la Cour l’a affirmé dans la décision Zhang, la conclusion selon laquelle le droit d’appel prévu au paragraphe 63(2) de la LIPR s’applique à un visa invalide ou révoqué aurait comme conséquence absurde de conférer à des personnes n’ayant aucun droit d’être au Canada le droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi les privant de la possibilité d’être au Canada. En l’absence d’un libellé contraire clair, on ne peut présumer que le législateur avait cette intention.

[19]           Je conviens donc avec la SAI que les étrangers qui sont déclarés interdits de territoire au point d’entrée ou lors d’un contrôle reporté auront un droit d’appel auprès de ce tribunal uniquement lorsque leur interdiction de territoire n’a pas trait à une absence de visa de résident permanent. Tel sera le cas lorsqu’il y aura eu un changement dans la situation depuis que le visa a été délivré, par exemple, si l’intéressé fait l’objet d’une déclaration de culpabilité ou s’il contracte une nouvelle maladie. Dans ces circonstances, une mesure d’exclusion sera susceptible d’appel auprès de la SAI, et des facteurs d’ordre humanitaire pourront alors être pris en compte. Toutefois, lorsque l’interdiction de territoire a trait à l’absence d’un visa de résident permanent (soit qu’un visa de résident permanent n’a jamais été délivré ou qu’il a été révoqué), le seul recours sera une demande de contrôle judiciaire devant la Cour.

[20]           Il va sans dire que les agents des visas et les agents d’immigration sont présumés agir de bonne foi. Dans l’hypothèse improbable où un visa aurait été révoqué pour contrevenir à l’intention du législateur et pour exclure la possibilité d’un appel légitime en vertu du paragraphe 63(2), il pourrait être demandé à la Cour d’intervenir par voie de contrôle judiciaire, et la Cour pourrait alors annuler la décision de révoquer un visa pour des motifs illégitimes ou illicites.

[21]           L’avocat des demandeurs a invité la Cour à certifier la question suivante : [traduction« Le paragraphe 63(2) s’applique‑t‑il au moment où l’étranger entre au Canada et avant que le contrôle prenne fin? » Le critère auquel il doit être satisfait pour qu’une question soit certifiée a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Liyanagamage c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 176 NR 4 (au paragraphe 4), où il a été jugé qu’une question certifiée doit en être une qui, de l’avis de la Cour, vise des questions ayant des conséquences importantes et qui sont de portée générale, qui transcende les intérêts des parties au litige et qui est déterminante quant à l’issue de l’appel. Je crois que la question proposée satisfait à ce critère. J’en modifierais seulement légèrement la formulation de manière à ce qu’elle soit libellée comme suit :

À la seule fin de statuer sur sa compétence d’entendre un appel en vertu de l’article 63(2) de la LIPR, la SAI devrait‑elle évaluer la validité du visa de résident permanent au moment de l’arrivée au Canada ou au moment de prononcer l’ordre d’exclusion?


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire. La question suivante est certifiée :

À la seule fin de statuer sur sa compétence d’entendre un appel en vertu de l’article 63(2) de la LIPR, la SAI devrait‑elle évaluer la validité du visa de résident permanent au moment de l’arrivée au Canada ou au moment de prononcer l’ordre d’exclusion?

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑41‑14

 

INTITULÉ :

ELHAM FATHY ELSAYED ISMAIL,TAMER ABDELMAKSOUD ALY MAHMOUD ET

RODINA TAMER ABDEL‑MAKSOUD ALY MAHMOUD c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Howard Eisenberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eisenberg & Young LLP

Avocats

Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.