Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150310


Dossier : T‑1012‑12

Référence : 2015 CF 304

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2015

En présence de monsieur le juge Manson

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ CONTRE LE REMORQUEUR « SEASPAN COMMODORE » ET LE CHALAND « SEASPAN SURVIVOR » ET PERSONNELLE

ENTRE :

SNOW VALLEY MARINE SERVICES LTD.

demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE REMORQUEUR « SEASPAN COMMODORE » ET LE CHALAND « SEASPAN SURVIVOR », LE « SEASPAN COMMODORE », LE « SEASPAN SURVIVOR », SEASPAN MARINE CORPORATION, RAY NICOL ET JOE ZIZIC

défendeurs

et

MIKE HANSEN ET MIKE COLLINS

mis en cause

JUGEMENT ET MOTIFS

I.       Contexte. 2

II.     Les questions en litige. 6

III.       Analyse. 7

A.         La responsabilité. 7

IV.       Les témoins et les éléments de preuve documentaire. 11

A.         Les témoins de la demanderesse. 11

(1)        Ronald Michael Hansen. 11

(2)        M. James Archibald. 16

(3)        Le capitaine Donald Rose, expert de la demanderesse. 23

B.         Les témoins des défendeurs. 29

(1)        Joe Zizic. 29

(2)        Le capitaine Don Westmoreland. 35

(3)        Le capitaine Richard Dodds. 37

(4)        M. James Allen Decker 40

(5)        Christopher Small, le premier témoin expert des défendeurs. 44

(6)        Gary Harlow, le deuxième témoin expert des défendeurs. 48

V.     Analyse. 51

A.         Objections préliminaires fondées sur des allégations de ouï‑dire. 52

B.         Les compétences des membres de l’équipage du Warnoc. 53

C.         Qui était responsable de la sécurité du câble de remorque reliant la bitte de remorquage du Warnoc à l’ancre et la chaîne du chaland le Survivor?. 54

D.         Qui était responsable du câble de sécurité reliant la grue de remorqueur de billes du chaland le Survivor et l’ancre et la chaîne d’ancrage du Survivor?. 55

E.          La question des dommages découlant de la perte du Warnoc. 56

F.     Les intérêts. 60

ANNEXE « A ». 62

I.                   Contexte

[1]               La présente action concerne les événements malheureux qui ont mené au naufrage et à la perte du navire de la demanderesse, l’aide‑remorqueur « Warnoc » (autrefois appelé le « Night Shift »), le 5 octobre 2011.

[2]               Les deux principales questions que la Cour doit trancher sont la responsabilité des parties et le quantum ou la valeur des dommages relativement à la valeur du Warnoc, au moment de la perte en octobre 2011.

[3]               L’exposé conjoint des faits des parties est repris aux paragraphes [4] à [20], ci‑dessous.

[4]               Le Warnoc était un remorqueur appartenant à la demanderesse, Snow Valley Marine Services Ltd. (Snow Valley), et il était utilisé pour constituer des trains de billes à Minette Bay, remorquer des estacades entrant et sortant de Minette Bay et aider au chargement de chalands de billes à Clio Bay, en Colombie‑Britannique.

[5]               Des propriétaires de billes engageaient Snow Valley de temps à autre pour aider la Seaspan Marine Corporation (Seaspan) à charger des chalands de billes à Clio Bay, près de Kitimat, en Colombie‑Britannique. Ce sont les propriétaires de billes, et non Seaspan, qui payaient les services de Snow Valley.

[6]               Avant le 4 octobre 2011, Snow Valley avait reçu instruction du propriétaire d’un lot de billes de lui prêter assistance en livrant ses billes au chaland de billes le « Seaspan Survivor » (le Survivor). Le Warnoc s’est rendu à Clio Bay le 4 octobre 2011 pour prêter cette assistance.

[7]               Snow Valley et l’équipage du Warnoc n’ont pas mouillé initialement l’ancre du Survivor ni tenté de la lever, des tâches dont l’équipage du remorqueur de Seaspan, le « Seaspan Commodore » (le Commodore), s’est chargé.

[8]               Lorsque l’officier de pont, Ray Nicol, et le matelot de pont, Nestor McCreery, du Survivor ont levé l’ancre de poupe après qu’il eut été chargé, l’ancre s’est enchevêtrée dans sa chaîne.

[9]               M. Nicol, aujourd’hui décédé, était titulaire d’un certificat de compétence de capitaine, voyage intermédiaire, et il était âgé de 66 ans au moment de l’accident.

[10]           Les employés de Snow Valley à bord du Warnoc ont prêté main‑forte dans le cadre des efforts déployés en vue de démêler la chaîne de l’ancre. Ces employés étaient Mike Collins et Mike Hansen – tous deux des navigateurs expérimentés de navires comme le Warnoc.

[11]           M. Collins était à la barre du remorqueur lors de toute la période pertinente. Il travaillait à bord de navires depuis dix‑huit ans, et il connaissait très bien le Warnoc après que Snow Valley l’avait acheté.

[12]           M. Nicol est monté à bord du Warnoc pendant que des efforts étaient déployés pour démêler la chaîne de l’ancre.

[13]           Joe Zizic, le responsable du chargement à l’emploi de Seaspan, a donné instruction à M. Decker d’abaisser un câble de sécurité de la grue de remorqueur de billes située à la partie arrière du Survivor. Une photocopie d’un schéma de la poupe du Survivor « tel que construit » est jointe à l’annexe A.

[14]           M. Nicol a attaché un câble du Warnoc soit à l’ancre ou à la chaîne de l’ancre, mais il y a désaccord quant à savoir comment et où ce câble a été attaché.

[15]           M. Hansen a attaché à la bitte de remorquage située à la poupe du remorqueur l’autre extrémité du câble que M. Nicol avait attaché à l’ancre.

[16]           C’est M. Hansen qui a décidé comment attacher le câble de remorque à la bitte de remorquage.

[17]           Lorsque l’ancre s’est libérée, elle est tombée rapidement, et le poids de l’ancre et de la chaîne ont fait couler le Warnoc en eau profonde, jetant M. Collins, M. Hansen et M. Nicol à l’eau.

[18]           La demanderesse avait acheté le Warnoc, avec une nouvelle tuyère Kort, un nouvel arbre de transmission et une nouvelle hélice, au prix de 57 000,00 $ plus taxes le 6 juin 2008.

[19]           Le Warnoc était assuré pour 180 000,00 $ lors de toute la période pertinente.

[20]           La demanderesse a acheté l’Inlet Prowler au prix de 218 000,00 $ pour remplacer le Warnoc.

[21]           Le livre conjoint de documents et l’exposé conjoint des faits des avocats ont beaucoup aidé à simplifier la présente instance.

II.                Les questions en litige

A.    Quelle est la responsabilité attribuable à la négligence de chacune des parties ou de l’une d’entre elles?

B.     Si je conclus que les défendeurs ont engagé leur responsabilité, quelle est l’étendue des dommages‑intérêts dus à la demanderesse?

[22]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que :

a.       Le naufrage et la perte accidentels du navire de la demanderesse, le Warnoc, sont attribuables à la seule négligence de l’officier de pont du Seaspan Commodore et du Seaspan Survivor, Ray Nicol, et de son équipage, lorsqu’ils ont omis d’attacher convenablement et de manière sûre un câble de sécurité reliant la grue de remorqueur de billes du Survivor et son ancre et sa chaîne de cinq tonnes ou plus. Le fait que ni l’un ni l’autre des membres de l’équipage du Warnoc, M. Hansen et M. Collins, n’était capitaine de long cours et le fait qu’il leur incombait d’attacher correctement le câble de remorque à la bitte de remorquage située à la poupe du Warnoc et à l’ancre et la chaîne d’ancrage du Survivor, n’ont pas contribué au naufrage et à la perte du Warnoc qui en a découlé;

b.      Les dommages subis par la demanderesse par suite de la perte du Warnoc s’élèvent à 257 000 $, taxés conformément aux principes exposés ci‑dessous.

III.             Analyse

A.                La responsabilité

[23]           La demanderesse soutient que la négligence qui a causé le naufrage du Warnoc était exclusivement celle des employés de Seaspan qui géraient le Seaspan Survivor, lorsqu’ils ont omis d’attacher convenablement un câble de sécurité à l’ancre à partir de la grue de remorqueur de billes du Survivor. Le capitaine Dodds a admis que la garde et la gestion du Survivor et du remorqueur le Commodore relevaient de sa responsabilité. Il a admis qu’il avait délégué cette responsabilité à son officier de pont, M. Nicol, qu’il avait laissé responsable de la gestion du Survivor. M. Nicol avait déjà eu à dégager des ancres prises dans leur chaîne dans le passé, contrairement au capitaine Dodds.

[24]           En outre, la demanderesse soutient que l’erreur déterminante dans le plan élaboré pour dégager l’ancre prise dans sa chaîne concernait le câble de sécurité. C’étaient M. Nicol et M. Zizic qui avaient élaboré puis mis à exécution le plan consistant à utiliser le câble de sécurité pour rendre sécuritaire la manœuvre visant à dégager l’ancre enchevêtrée. L’équipage du Warnoc n’avait aucune connaissance des dispositifs d’ancrage à bord du Survivor, et il n’a joué aucun rôle dans la décision de déployer et d’utiliser le câble de sécurité. M. Zizic et M. Decker ont admis que M. Nicol avait donné instruction d’abaisser le câble de la grue du chaland pour qu’il soit utilisé comme câble de sécurité, et que M. Nicol avait dit aux débardeurs à quel moment ils devaient arrêter d’abaisser le câble de sécurité et à quel moment ils devaient le remonter. M. Hansen a affirmé dans son témoignage qu’il était présent à la poupe du Survivor pour s’assurer que M. Nicol ne tombe pas à l’eau pendant qu’il attachait le câble, et que M. Nicol avait attaché le câble de sécurité entièrement par lui‑même. M. Nicol a ordonné à MM. Zizic et Decker d’arrêter de remonter le câble de sécurité lorsque celui‑ci a semblé lever l’ancre et la chaîne. Aucun des débardeurs n’a vu où le câble de sécurité avait été attaché à l’ancre ou à la chaîne, mais ils ont senti de la tension dans le câble. M. Decker a admis qu’au cours de sa carrière comme débardeur et comme manutentionnaire de billes, il n’avait jamais auparavant soulevé un objet [traduction] « à l’aveugle », c’est‑à‑dire sans voir où était attaché l’objet qu’il soulevait.

[25]           La demanderesse souligne également que le rapport d’incident, pièce 1(41), a été rédigé par le capitaine Dodds le matin de l’incident. Le capitaine Dodds a rédigé ce rapport du mieux qu’il pouvait à partir de renseignements recueillis auprès de tous les témoins oculaires, comme il l’a noté dans le rapport en question. Ces témoins oculaires comprenaient M. Nicol, M. Zizic, certains des autres débardeurs, et M. Collins et M. Hansen, qui étaient sur le remorqueur. Dans ce rapport, le capitaine Dodds note que le câble de sécurité avait été attaché [traduction« à l’endroit où la chaîne de l’ancre est rattachée au câble de l’ancre ». Selon les éléments de preuve, notamment la pièce 1(35), ce point se trouve à 90 pieds de chaîne de l’ancre. Le rapport d’incident constituant la pièce 1(42) rédigé par le capitaine Westmoreland après des discussions avec M. Nicol indique qu’il y avait un double de chaîne de 60 pieds qui était tombé avec l’ancre lorsque celle‑ci avait été dégagée. Qu’il s’agisse de 60 ou de 90 pieds, après que l’ancre eût tombé, le câble de sécurité était attaché à une distance considérable au‑dessus de l’ancre.

[26]           Les défendeurs soutiennent que la cause de la demanderesse contre eux est fondée sur la position selon laquelle M. Nicol a supervisé et dirigé la manœuvre visant à dégager l’ancre et qu’il en était par ailleurs [traduction] « en charge », ce que les défendeurs nient et qui, selon eux, n’a pas été prouvé par la preuve produite lors du procès

[27]           Les défendeurs affirment que l’accident était le résultat des actes des employés de la demanderesse, M. Collins et M. Hansen, en ce que ceux‑ci n’ont pas veillé à la sécurité de leur navire et, plus particulièrement, ont attaché le câble de l’ancre à la bitte de remorquage située à l’arrière du Warnoc de telle manière que ce câble ne pouvait pas être détaché advenant que l’ancre tombe en chute libre.

[28]           Les défendeurs soutiennent que l’accident a été causé par le défaut du capitaine et de l’officier de pont du Warnoc, désignés ainsi au paragraphe 11 de la déclaration, de prendre des mesures utiles pour assurer la sécurité du navire. Ce sont eux qui ont attaché le câble de remorque d’une manière qui ne permettait pas qu’il soit détaché advenant un danger pour le navire, et ce sont eux qui naviguent le navire, le tout ayant causé son naufrage.

[29]           En outre, les défendeurs invoquent l’article 109 de la Loi sur la marine marchande au Canada, LC 2001, c 26, qui énonce les exigences suivantes :

Sécurité des personnes

109. (1) Le capitaine d’un bâtiment prend toutes les mesures utiles pour assurer la sécurité du bâtiment et des personnes qui sont à son bord ou qui le chargent ou déchargent lorsqu’elles utilisent l’équipement à bord.

Protection contre un danger

(2) Lorsqu’on lui signale un danger pour la sécurité, le capitaine doit, sauf s’il est d’avis que celui‑ci n’existe pas, prendre les mesures indiquées pour protéger le bâtiment et les personnes à bord contre le danger, notamment en l’éliminant si cela est possible. S’il ne peut l’éliminer, le capitaine d’un bâtiment canadien en avise le représentant autorisé.

Safety of persons

109. (1) The master of a vessel shall take all reasonable steps to ensure the safety of the vessel and of persons who are on board or are loading or unloading it while using equipment on it.

Protection from hazards

(2) If the master of a vessel is informed of a safety hazard, the master shall, unless the master determines that the hazard does not exist, take reasonable measures to protect the vessel and persons on board from the hazard, including eliminating it if feasible. If it is not feasible to eliminate it, the master of a Canadian vessel shall notify the authorized representative.

[30]           Les défendeurs affirment que ni M. Collins ni M. Hansen n’avaient les compétences requises pour naviguer le remorqueur puisqu’ils n’avaient pas de brevet de capitaine, avec restrictions, comme l’exige le Règlement sur le personnel maritime, DORS/2007‑115, aux paragraphes 212(2) et (4), tableau 1 (le Règlement). Le tableau 1 exige que le capitaine d’un navire comme le Warnoc détienne un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60. Ni M. Collins ni M. Hansen ne satisfaisaient à cette exigence, et ils ne détenaient aucun brevet. De plus, M. Archibald savait qu’ils ne détenaient aucun brevet, et il leur a néanmoins permis de naviguer le Warnoc, en contravention au Règlement.

[31]           En outre, le capitaine Rose, le capitaine Dodds, le capitaine Westmoreland et M. Archibald ont tous convenu au procès que la personne qui commande un navire est responsable de sa navigation sécuritaire.

[32]           Les défendeurs soutiennent que la demanderesse a établi l’existence d’aucune directive ou instruction émanant de M. Nicol qui aurait causé l’accident en l’espèce. La seule chose que M. Nicol a pu faire qui aurait contribuée à l’accident était la manière dont il avait attaché le câble du Warnoc à la configuration de l’ancre enchevêtrée, qui n’a pas causé la perte. La perte a été causée par la méthode employée pour attacher le câble à la bitte de remorquage en particulier et par l’absence générale de diligence de M. Collins et M. Hansen à l’égard du navire.

[33]           Afin d’analyser les questions soulevées pour en arriver à ma décision, il est utile de passer en revue les témoignages des témoins et les éléments de preuve documentaire des parties.

IV.             Les témoins et les éléments de preuve documentaire

A.                Les témoins de la demanderesse

[34]           Mike Collins, un des deux membres de l’équipage du navire de la demanderesse le Warnoc, n’a pas pu être localisé, et il n’a pas témoigné au procès.

(1)               Ronald Michael Hansen

[35]           M. Hansen a été ouvrier aux estacades pendant environ seize ans avant de quitter l’industrie. Il a travaillé pour Snow Valley pendant environ huit ans, et il était un des deux membres de l’équipage de deux hommes à bord du Warnoc la nuit de l’incident qui a mené au naufrage du navire. Il a estimé avoir passé environ le tiers de son temps au service de Snow Valley à travailler à bord du Warnoc.

[36]           M. Hansen ne détient aucun certificat de compétence comme marin. Sa connaissance de l’industrie est fondée entièrement sur son expérience sur le terrain à travailler à bord de « bateaux à remontoir latéral », de remorqueurs de billes et d’autres remorqueurs. Il a participé à de nombreux chargements de chalands de billes, dont de nombreux chargements du Survivor.

[37]           M. Hansen a témoigné au sujet de certaines des caractéristiques du Warnoc, en confirmant qu’il comportait deux postes de commande : un dans la timonerie et l’autre à la poupe. La bitte de remorquage de la poupe, située à égale distance des deux côtés du navire, était visible depuis les deux postes de commande.

[38]           M. Hansen a confirmé en outre que, lors d’opérations de chargement de chalands, le Warnoc était souvent conduit par une équipe de deux personnes, dont ni l’une ni l’autre n’était en charge, et qui se partageaient les responsabilités. Généralement, le nœud que M. Hansen utilisait dans le cadre de ces opérations lorsqu’il fixait un câble de remorque à une bitte de remorquage s’appelle un « nœud d’évadé ». Il est utilisé dans les cas où un câble peut devoir être détaché rapidement; si l’on détend le câble le moindrement, il s’enlève aisément de la bitte, ou si la pression est relâchée et cela détend le câble, il peut se libérer lui‑même. Au moment de l’incident, M. Hansen savait effectivement uniquement utiliser un nœud d’évadé pour ce genre de travail.

[39]           M. Hansen a affirmé dans son témoignage que, jusqu’au moment du naufrage, il n’y avait rien eu d’inhabituel à propos du chargement ou du remorquage lors de la nuit de l’incident. Après qu’il eut été découvert que l’ancre était enchevêtrée, le Warnoc a conduit l’officier de pont du Survivor, Ray Nicol, et le matelot de pont, Nestor McCreery, à la poupe du Survivor pour regarder l’ancre et rencontrer les quatre débardeurs, qui étaient revenus pour aider à réaliser l’opération.

[40]           Tout au long des manœuvres, M. Collins était aux commandes à la poupe du Warnoc. M. Hansen a affirmé dans son témoignage que lui et M. Collins faisaient tout ce que M. Nicol leur disait de faire tout au long du processus consistant à tenter de démêler la chaîne de l’ancre.

[41]           Avant de tenter de dégager l’ancre, il y a eu une réunion tenue à la poupe du chaland. M. Nicol était à bord du Warnoc, muni d’un radio, et M. Zizic, le chef des débardeurs, était à bord du chaland avec les autres débardeurs, lui aussi muni d’un radio. Ils ont discuté de stratégies et ont évoqué le souci d’attacher l’ancre de manière sécuritaire au moyen d’un câble. Lorsque M. Nicol et M. Zizic ont semblé à l’aise avec l’idée d’attacher le câble de sécurité de la grue de remorqueur de billes à l’ancre et à la chaîne enchevêtrées, tout le monde s’est mis en place pour entreprendre les manœuvres. M. Hansen a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas pris part à la discussion et que, dans une large mesure, il n’avait pas entendu ce qui se disait, mis à part les préoccupations de M. Zizic concernant la sécurité.

[42]           Après que M. Nicol eut attaché le câble de la grue de remorqueur de billes à une certaine partie de l’ancre et la chaîne enchevêtrées, le personnel de Seaspan a d’abord tenté de lever et d’abaisser l’ancre quelques fois avec son propre treuil (sans câble attaché au Warnoc), mais ces efforts se sont révélés infructueux.

[43]           M. Hansen affirme qu’à un certain moment, M. Nicol a attaché un câble à une certaine partie de l’ancre et la chaîne enchevêtrées. M. Hansen lui donnait la corde et se tenait généralement tout près, au cas où il tomberait à l’eau. M. Hansen a ensuite attaché le câble à la bitte de remorquage du Warnoc au moyen d’un nœud d’évadé. Par la suite, M. Hansen a entendu une partie d’une conversation par radio entre M. Nicol et M. Zizic, confirmant que le câble de la grue de remorqueur de billes était attaché de manière sécuritaire à l’ancre. Le câble de remorque utilisé était typique de ce que l’on trouve à bord du Warnoc, avec une petite épissure à un bout, assez grande pour que l’on puisse y attacher une manille, mais pas assez grande pour pouvoir être glissée autour de la bitte de remorquage. La pièce 5 est un exemple d’un câble de remorque comme celui qui aurait été utilisé la nuit de l’incident.

[44]           Après que le câble eut été attaché soit à l’ancre ou à la chaîne du Survivor et à la bitte de remorquage du Warnoc, M. Collins a donné un peu de gaz pour tendre le câble, puis il a accéléré rapidement. Après quelques tentatives, M. Hansen s’est souvenu que le navire avait sombré soudainement, à la verticale, poupe la première. Il a été le dernier à se jeter à l’eau, et il a nagé jusqu’au Survivor. Il a confirmé qu’il n’avait soulevé aucune préoccupation ni n’avait fait aucune suggestion à M. Nicol et M. Zizic tout au long des manœuvres.

[45]           M. Hansen a travaillé à bord de l’Inlet Prowler, le navire que Snow Valley a acheté pour remplacer le Warnoc après que ce dernier eut sombré. Il a confirmé que ce navire faisait [traduction] « à peu près » le même travail, mais qu’il était plus difficile à naviguer et qu’à de nombreux égards, il faisait du moins bon travail que le Warnoc.

(a)                Contre‑interrogatoire

[46]           M. Hansen a confirmé qu’il avait été ouvrier aux estacades pendant environ seize ans, mais qu’il n’avait jamais détenu de certificat de compétence comme marin.

[47]           M. Hansen a travaillé à bord de plusieurs des navires de Snow Valley, dont le Warnoc, le Gulf Prince, le Jack Point et l’Inlet Prowler.

[48]           Pour expliquer les nombreuses corrections apportées au témoignage qu’il avait livré lors de son interrogatoire préalable, M. Hansen a affirmé que, bien que son interrogatoire préalable ait été plus contemporain de l’incident, il prenait à l’époque des médicaments pour une blessure à la cheville et que ces médicaments faisaient en sorte qu’il avait les idées moins claires. Bien qu’il ait dit à l’origine que c’était un câble et la chaîne enroulés autour de l’ancre qui encombraient l’ancre de poupe du Survivor la nuit en question, il en était moins certain au procès. Toutefois, il s’est souvenu que le panneau d’écoutille à bord du Warnoc était fermé cette nuit‑là, et il a insisté pour dire que ce panneau n’était jamais ouvert durant de telles opérations. Il a admis qu’il était possible que M. Collins ait suggéré d’utiliser le Warnoc pour tenter de dégager l’ancre, mais il ne pouvait pas l’affirmer avec certitude.

[49]           Lorsqu’il a examiné le dessin de M. Nicol représentant l’incident, il a affirmé qu’il n’était pas d’accord quant à la façon dont le câble de remorque était attaché à l’ancre et à la chaîne enchevêtrées : le dessin montrait un câble faisant une boucle autour de l’ancre ou la chaîne puis rattaché à la bitte de remorquage du Warnoc, alors que M. Hansen se souvenait plutôt d’un seul câble reliant la bitte de remorquage à l’ancre et la chaîne.

[50]           M. Hansen ne se souvenait d’aucune discussion sur le chemin du retour vers la marina à Kitimat avec M. Nicol et les débardeurs quant à savoir qui avait été responsable du naufrage du Warnoc. Il a admis que lui et M. Collins n’étaient pas tenus contractuellement de rester et d’aider à dégager l’ancre, mais qu’ils avaient pour pratique habituelle de rester jusqu’à ce que le chaland soit parti.

(b)               Réinterrogatoire

[51]           M. Hansen a affirmé que, la nuit de l’accident, M. Collins avait seulement agi suivant les ordres de M. Nicol tout au long des tentatives de dégager l’ancre enchevêtrée. À un certain moment durant ce processus, un des débardeurs avait demandé si tout était sécuritaire, et M. Nicol avait confirmé que oui.

(2)               M. James Archibald

[52]           M. Archibald est président et copropriétaire de Snow Valley depuis sa constitution en personne morale il y a environ neuf ans. À l’époque du naufrage du Warnoc le 5 octobre 2011, Snow Valley possédait plusieurs navires, dont trois (le Gulf Prince, le Jack Point et le Warnoc) étaient des remorqueurs.

[53]           Des sociétés forestières engagent régulièrement les services de Snow Valley à forfait pour les aider à charger des chalands de billes. Le Warnoc était utilisé le plus souvent pour amener des estacades de Minette Bay à Clio Bay, puis pour agir comme aide‑remorqueur pour des chalands pendant leur chargement. M. Archibald a pris part à plus de 1200 chargements de chalands au cours de sa carrière, mais il ne le faisait pas souvent en 2011.

[54]           Le Warnoc était immatriculé en tant que navire de moins de cinq tonnes, et M. Archibald soutient qu’aucun brevet de marin n’était requis pour le naviguer. Il a été acheté au prix de 57 000 $ en juin 2008 sous le nom de Night Shift alors qu’il n’était pas en état de naviguer. Il avait deux postes de commande : un dans la timonerie et l’autre à la poupe; la bitte de remorquage est entièrement visible depuis ces deux postes de commande. Après avoir été acheté, le Warnoc avait dû faire l’objet d’un carénage « mineur‑majeur » afin d’être remis en état de fonctionner, après quoi Blue Wave Marine Surveyors l’avait évalué à des fins d’assurance et avait estimé que sa valeur se situait entre 170 000 $ et 180 000 $. Le Warnoc a été assuré pour 180 000 $, et il est demeuré assuré à cette valeur jusqu’au naufrage.

[55]           En janvier 2011, le Warnoc a fait l’objet d’un carénage complet qui a pris quatre mois, de sorte qu’il a été hors de l’eau de janvier à avril 2011, les préparatifs en vue de ce carénage ayant commencé encore plus tôt. M. Archibald a affirmé qu’il avait discuté avec le capitaine Rose de la possibilité de faire procéder à une deuxième évaluation du Warnoc en vue de l’assurer éventuellement à une valeur supérieure après son carénage, mais il n’avait pas pu planifier cette évaluation avant l’incident.

[56]           Le capitaine Rose a vu le Warnoc en personne à de multiples occasions pendant et après le carénage, et il est monté à son bord au moins une fois. Il n’a pas effectué d’évaluation officielle, mais il a inspecté visuellement le navire pour donner des conseils verbalement au sujet du travail en cours d’exécution. M. Archibald a affirmé qu’il ne savait pas où le capitaine Rose avait obtenu le montant de 300 000 $ comme valeur des travaux qui avaient été réalisés sur le Warnoc lorsqu’il avait rédigé son rapport estimant la valeur du navire.

[57]           Après avoir examiné plusieurs factures relatives à des travaux réalisés, M. Archibald a admis que son commis‑comptable avait peut‑être commis des erreurs en attribuant des parties de factures à des travaux effectués sur le Warnoc alors que ceux‑ci avaient plutôt été réalisés sur d’autres navires appartenant à Snow Valley. Dans de nombreux cas, les vendeurs n’avaient pas précisé sur leurs factures quels travaux ils avaient réalisés sur quel navire, compliquant ainsi cette tâche.

[58]           La liste ambigüe et non concluante de factures rend difficile la quantification de la valeur du carénage. Toutefois, le grand carénage du Warnoc réalisé en 2011 comprenait notamment les modifications suivantes :

         changement du style de la timonerie;

         reconstruction du moteur;

         sablage au jet de l’intérieur du bateau (l’extérieur ayant été sablé au jet et repeint en 2008);

         nouvelles défenses en caoutchouc;

         nouveaux pavois;

         modifications apportées au système électrique.

[59]           Le soir du 4 octobre et jusqu’aux petites heures du matin le 5 octobre 2011, le Warnoc naviguait comme aide‑remorqueur dans le cadre du chargement du Survivor, au service de deux sociétés clientes de Snow Valley, soit All‑West Trading et North Coast Log Handling. Le Warnoc était navigué par deux ouvriers aux estacades, Mike Hansen et Mike Collins. M. Archibald a affirmé dans son témoignage qu’il était de pratique courante chez Snow Valley que deux ouvriers aux estacades manœuvrent un remorqueur ensemble, en se partageant les responsabilités à parts égales. En outre, après que le chargement d’un chaland est terminé, il est de pratique courante que l’aide‑remorqueur, dans ce cas‑ci le Warnoc, reste sur place pour faire passer des gens du chaland au remorqueur et inversement. M. Archibald a également affirmé dans son témoignage qu’il était de pratique courante d’utiliser un « nœud d’évadé » pour attacher quelque chose à remorquer à la bitte de remorquage lorsqu’on a besoin de manœuvrabilité ou s’il y a un risque d’accident. Le nœud est conçu pour se détacher si le bateau coule ou chavire, et ce, sans intervention humaine.

[60]           M. Archibald a appris la nouvelle de l’accident du 5 octobre 2011 lorsque M. Dodds, le capitaine du Commodore, l’a appelé au téléphone pour l’informer qu’il y avait eu un accident lors d’une tentative de dégagement d’une ancre enchevêtrée. M. Archibald s’est souvenu que le capitaine Dodds lui avait dit : [traduction« Votre bateau a coulé. Tout le monde est sain et sauf, on les a fait monter à bord, ils se sont séchés, et ils sont en route pour la ville. » M. Archibald est ensuite allé à la marina pour rencontrer les membres de son équipage et leur offrir de les conduire à l’hôpital, une offre qu’ils ont déclinée.

[61]           Le chef des débardeurs, Joe Zizic, arrivé à bord du même bateau‑taxi, a abordé M. Archibald, et il est allégué qu’il lui aurait présenté des excuses, en affirmant que Ray Nicol avait donné l’ordre de procéder malgré les préoccupations de M. Zizic concernant la sécurité.

[62]           M. Archibald a compris que le câble de remorque du Warnoc avait été utilisé pour tenter de dégager l’ancre du Survivor.

[63]           Après l’incident, M. Archibald a tenté d’acheter un autre remorqueur pour faire le travail du Warnoc, mais il a été incapable de trouver un autre navire à coque à nacelles de taille comparable disponible. Il a donc plutôt acheté l’Inlet Prowler, qui est un remorqueur à coque conventionnelle ayant un tirant d’eau d’environ deux pieds de plus que le Warnoc. Le prix d’achat était de 195 000 $, plus taxe.

[64]           Certaines pièces d’équipement de l’Inlet Prowler ont dû être améliorées et le navire a dû subir certaines réparations avant de pouvoir être amené à Kitimat et être mis en service. L’Inlet Prowler fait le même travail que le Warnoc, mais avec plus de difficulté et davantage de limitations. À cause de son plus fort tirant d’eau, et étant donné le risque qu’un navire à coque conventionnelle s’échoue, les périodes durant lesquelles l’Inlet Prowler peut naviguer entre Minette Bay et Clio Bay sont beaucoup plus courtes que dans le cas du Warnoc. L’Inlet Prowler s’est échoué deux fois depuis qu’il a été acheté; une fois, il a causé des dommages à un second bateau positionné pour le maintenir droit, et l’autre fois, il a lui‑même subi des dommages.

(a)                Contre‑interrogatoire

[65]           Au moment de l’achat du Warnoc, M. Archibald a clarifié que la nouvelle tuyère Kort, la nouvelle hélice et le nouvel arbre de transmission qui étaient inclus dans l’achat avaient été installés au moment où il avait acheté le Warnoc ou peu de temps après, et non avant son achat. Ces nouvelles pièces avaient été installées avant l’inspection d’assurance de 2008, effectuée deux semaines après que M. Archibald eut acheté le Warnoc.

[66]           En ce qui concerne le grand carénage du Warnoc, M. Archibald est d’avis que les travaux effectués sur un navire peuvent y ajouter une valeur égale au coût des travaux, voire même une valeur supérieure dans certains cas. En outre, M. Archibald croit que les réparations et les carénages plus modestes peuvent parfois augmenter la valeur d’un navire.

[67]           En ce qui concerne une deuxième inspection du Warnoc, M. Archibald a admis que, bien que le capitaine Rose ait été à Kitimat et qu’il ait inspecté d’autres navires de Snow Valley deux fois depuis le grand carénage du Warnoc, il n’avait pas été possible de planifier une inspection du Warnoc à ces occasions.

[68]           M. Archibald a confirmé que M. Collins et M. Hansen se partageaient les tâches lorsqu’ils naviguaient le Warnoc. Il a admis que quiconque est aux commandes du navire est responsable de la sécurité du navire, et si on lui demande de faire quelque chose de dangereux, il devrait refuser de le faire.

[69]           M. Archibald a également clarifié qu’il est de pratique courante qu’un aide‑remorqueur transporte l’équipage de Seaspan du chaland au remorqueur et vice‑versa durant les chargements, et puisque cela ne fait pas partie des travaux visés par le contrat, ce service est offert gratuitement, pour éviter aux membres de l’équipage de devoir appeler un bateau de service chaque fois qu’ils ont besoin d’être transportés.

[70]           Après le naufrage du Warnoc, M. Archibald a communiqué avec M. Harlow, avec qui il avait déjà fait affaire dans le passé, pour que M. Harlow l’aide à trouver un navire de remplacement. M. Archibald a insisté pour dire qu’il avait seulement demandé à M. Harlow de trouver des comparables. Les autres recherches ont été menées par lui‑même et le capitaine Rose, et ces démarches ont mené à l’achat de l’Inlet Prowler.

[71]           En tant que navire de remplacement, bien que l’Inlet Prowler fasse le même travail que le Warnoc dans une certaine mesure, il est plus difficile à naviguer et sa capacité de travailler est plus limitée étant donné qu’il est plus gros et qu’il a un plus fort tirant d’eau. En conséquence, M. Archibald a dû utiliser d’autres navires de la flotte de Snow Valley, qui deviennent de ce fait non disponibles pour d’autres travaux.

[72]           M. Archibald a admis que la durée de vie utile d’un moteur de bateau dépend de nombreux facteurs, mais, malgré qu’il ait dit que l’Inlet Prowler avait eu besoin d’un moteur complètement refait peu après son achat, le navire navigue depuis maintenant près de quatre ans et son moteur n’a toujours pas été refait.

(b)               Réinterrogatoire

[73]           M. Archibald a confirmé que le tirant d’eau de l’Inlet Prowler, lorsque le navire est chargé, est d’environ neuf pieds. En raison de son plus fort tirant d’eau, M. Archibald doit parfois utiliser deux navires pour faire le travail que le Warnoc pouvait faire seul, et lorsqu’un navire de plus est ainsi mobilisé, cela réduit d’autant le volume de travail que M. Archibald peut accepter par contrat.

(3)               Le capitaine Donald Rose, expert de la demanderesse

[74]           Le capitaine Rose a plus de quarante‑huit ans d’expérience dans l’industrie maritime, et il a témoigné en cour en qualité de témoin expert et de consultant en matière maritime. Il a également inspecté des navires pour les évaluer et en vérifier l’état et produit des rapports à ces sujets qui ont été admis par des assureurs maritimes et par les tribunaux. De plus, il a navigué des remorqueurs à coque à nacelle de 16 à 30 pieds de long, ayant une puissance de 110 BHP à 335 BHP, et il a été à bord du Warnoc trois fois avant le naufrage. Il a également navigué un bateau jumeau du Warnoc. Les défenderesses ont admis ses qualifications de capitaine au long cours et d’expert maritime.

[75]           Le capitaine Rose est actuellement le capitaine de la division de Vancouver de la Company of Master Mariners, entre autres titres. L’avocat de la demanderesse lui a demandé d’estimer la juste valeur marchande du Warnoc au 4 octobre 2011, de même que sa valeur particulière pour son propriétaire. Le capitaine Rose a donné cet avis dans un rapport daté du 11 septembre 2013. Le capitaine James Archibald lui a également demandé de fournir une estimation de la valeur marchande du Warnoc en 2011, et il a donné cet avis dans un rapport daté du 16 décembre 2011.

[76]           Le capitaine Rose a fondé son estimation sur sa connaissance personnelle du navire, des reçus relatifs à du nouvel équipement installé, des factures relatives à des travaux réalisés, des recherches relatives à des navires comparables, sa connaissance personnelle de l’industrie navale et sa connaissance personnelle de RSL Shipyards, où le Warnoc a été construit.

[77]           Le capitaine Rose a expliqué que le Warnoc avait servi principalement à remorquer des trains de bois de Minette Bay à Clio Bay et à prêter assistance à des chalands de billes à Clio Bay. Le chenal navigable de Minette Bay au chenal Douglas est peu profond et est formé de barres de sable et de boue qui bougent et modifient de temps à autre les profondeurs régulières de certaines parties du chenal, augmentant ainsi les probabilités de contact avec le fond.

[78]           Le capitaine Rose est d’avis que le Warnoc convenait bien à ce type de travail à cause de son [traduction« faible tirant d’eau, du fait qu’il tire avec une bonne poussée et son fond plat typique de la configuration d’un navire à la coque munie de pods ». Le capitaine Rose a énuméré différentes raisons pour lesquelles les remorqueurs à coque à nacelle à fond plat, comme le Warnoc, conviennent si bien :

         ils ne se couchent pas sur le côté lorsqu’ils s’échouent, et ils peuvent virer avec passablement d’aisance;

         leur large surface plate fait qu’ils n’ont pas tendance à s’enfoncer dans le fond;

         ils ont une plus grande stabilité que les navires à coque conventionnelle de taille semblable;

         lorsque du travail sur le fond est nécessaire, un fond sablonneux où la marée produira un dégagement est suffisant (ils n’ont pas besoin de supports pour rester droit);

         ils ont une plus grande poussée qu’un remorqueur à coque conventionnelle ayant une puissance similaire parce que : (1) l’arbre de transmission est horizontal et l’hélice est perpendiculaire à l’arbre de transmission, poussant droit derrière (et non à angle vers le bas), (2) la coque permet un bon apport d’eau à l’hélice, ce qui réduit la cavitation et le glissement.

[79]           Selon l’avis du capitaine Rose, le Warnoc avait été complètement modifié en rattrapage, de telle sorte qu’il était dans un état « comme neuf ». Snow Valley a fourni au capitaine Rose des factures et une description détaillée des améliorations apportées. Selon l’avis du capitaine Rose, M. Archibald est généralement très exigeant quant à la qualité des réparations effectuées sur les navires de Snow Valley et des améliorations qui y sont apportées. De 2008 à 2011, voici les améliorations énumérées comme ayant été apportées au Warnoc :

         installation d’une tuyère de direction Kort et remise à neuf du système de commande de gouvernail;

         coque sablée au jet à l’intérieur et à l’extérieur, après quoi le métal a été apprêté puis peint;

         les vieux pavois ont été enlevés et remplacés par des nouveaux;

         remise à neuf du système de refroidissement du moteur principal;

         le métal détérioré sur le rouf a été coupé, enlevé, puis remplacé;

         le bordé de l’arrière‑pont a été coupé, enlevé, puis remplacé;

         nouvelles fenêtres et nouveaux sièges, revêtement de sol et chaufferette installés dans le rouf;

         nouveaux instruments de surveillance du moteur installés dans la timonerie;

         filage complètement refait, et nouveaux luminaires installés;

         nouveaux essuie‑glaces;

         nouvelles batteries avec une nouvelle boîte installées;

         nouveau système d’échappement;

         moteur principal et système de réduction reconstruits;

         nouvelles pompes de cale et nouvelle tuyauterie installées;

         nouveaux projecteurs;

         nouveau radar et deux nouveaux appareils radio VHF marins;

         nouveau réservoir à carburant auxiliaire.

[80]           Le capitaine Rose a comparé les caractéristiques et la performance du Warnoc et de son remplacement, l’Inlet Prowler, qui était le plus convenable des navires disponibles immédiatement après que le Warnoc eut fait naufrage. L’Inlet Prowler a coûté 218 400 $ à acheter (taxes incluses), il a nécessité 36 326,18 $ de réparations et travaux immédiats; et 25 000 $ de travaux restent à faire pour reconstruire le moteur. Ainsi, le coût total de l’Inlet Prowler s’élève à 279 726,18 $. Le capitaine Rose est d’avis que, même avec les réparations et les travaux, l’Inlet Prowler n’est pas aussi efficace que le Warnoc, et ce, pour les raisons suivantes :

         il a un tirant d’eau plus important de deux pieds, ce qui réduit la durée des périodes de marée haute durant lesquelles il peut transiter;

         il a une coque conventionnelle ayant un grand angle de relevé de varangue qui fait qu’il a tendance à rouler sur le côté lorsqu’il est en contact avec le fond, et de la difficulté à tourner lorsqu’il s’échoue;

         lorsqu’il est amarré pour subir des travaux sur le fond du navire, il doit être branché à un système électrique approprié;

         il a tendance à s’enfoncer dans le fond étant donné qu’il est équipé d’une tuyère Kort, ce qui le rend difficile à dégager;

         il ne tire pas avec autant de poussée, et il brûle davantage de carburant à l’heure.

[81]           Dans le rapport du 16 décembre 2011 qu’il a présenté à M. Archibald, le capitaine Rose a estimé que la valeur du Warnoc était de l’ordre de 325 000 $ à 350 000 $, et il maintient toujours cette position. Il a également estimé qu’il en coûterait 600 000 $ pour remplacer le Warnoc par un navire neuf.

[82]           Après que le Warnoc eut fait naufrage, M. Archibald a demandé au capitaine Rose de l’aider dans sa recherche initiale d’un navire de remplacement après avoir reçu certaines suggestions de M. Harlow. Le capitaine Rose a visité plusieurs bateaux pour M. Archibald, et il l’a accompagné lorsqu’il est arrivé à Vancouver. Un de ces navires était un navire à coque à nacelle appelé le North Arm Logger, dont le prix demandé était de 150 000 $. De l’avis du capitaine Rose, ce navire était dans un état lamentable, et il ne valait pas la peine de l’acheter et de le caréner.

(a)                Contre‑interrogatoire

[83]           Le capitaine Rose a commencé à faire des inspections d’assurance en 2009. Il a affirmé que la valeur d’un navire a au moins quelque chose à voir avec le travail pour lequel on en a besoin; toutefois, en règle générale, un navire vaut ce que quelqu’un est prêt à payer pour l’acquérir.

[84]           Le capitaine Rose a fait des inspections régulièrement pour Snow Valley, et il croyait qu’il avait été à bord du Warnoc en juillet et en octobre 2010. Il a ensuite clarifié qu’il avait vu le Warnoc depuis son carénage, alors que le navire était à quai à Kitimat, quelque temps après avril 2011, alors qu’il inspectait un autre navire de Snow Valley. Il n’avait pas pu inspecter le Warnoc à ce moment‑là, en raison de contraintes de temps, et il avait offert de le faire à une date ultérieure.

[85]           Bien que le capitaine Rose soit monté à bord du Warnoc plusieurs fois, il n’a jamais demandé d’être payé pour aucun travail relié au Warnoc. Le capitaine Rose avait fait plus que jeter un simple coup d’œil au Warnoc en passant, mais il ne connaissait pas ce navire comme s’il en avait fait une inspection professionnelle complète.

[86]           Le capitaine Rose a convenu que la demanderesse n’était pas la seule société qui offrait des services de flottage et de remorquage de billes à Minette Bay et Clio Bay, et il a confirmé que d’autres bateaux à coque conventionnelle y naviguent régulièrement.

[87]           Le capitaine Rose était d’avis qu’il aurait fallu que le moteur du Warnoc soit reconstruit tôt ou tard, comme c’est le cas de tout navire. Il a convenu qu’il était raisonnable de considérer qu’en moyenne, un moteur pouvait tourner pendant 21 000 heures avant qu’il soit nécessaire de le réusiner. Le capitaine Rose n’était pas au courant que l’Inlet Prowler allait faire l’objet d’une remise à neuf quatre ans après son achat.

[88]           Pour évaluer la valeur du Warnoc, le capitaine Rose a examiné les travaux énumérés dans son rapport, et il a admis que plusieurs d’entre eux sont peu coûteux et ajoutent peu de valeur. Il insiste toutefois pour dire que, pour en arriver à son estimation, il a notamment communiqué avec des chantiers navals de la région de Vancouver qui l’ont aidé à déterminer combien les travaux coûteraient. Il a également fondé son avis sur la valeur du Warnoc pour son propriétaire.

[89]           Les avocats des défendeurs ont présenté deux annonces de bateaux que le capitaine Rose avait inspectés : le Coast 12 et le Pacific Hawk. Il avait évalué le premier à 225 000 $ après une inspection menée en 2012. Le navire est actuellement offert à la vente au prix de 80 000 $ dans le cadre d’une vente de faillite, bien qu’il ne soit pas certain de l’état actuel du navire. Le deuxième navire avait été évalué à 550 000 $ au terme d’une inspection faite en 2009 et il s’est vendu plus tard pour 250 000 $. Le propriétaire n’avait plus de travail pour le Pacific Hawk, et il était prêt à le vendre au rabais.

[90]           Le capitaine Rose a détenu un brevet de capitaine de 1971 à 2009, et il a convenu qu’un capitaine a le contrôle de son navire et le commande, et qu’il est responsable des manœuvres et de la sécurité du navire. Si quelque chose de dangereux est suggéré, cette suggestion ne devrait pas être suivie.

(b)               Réinterrogatoire

[91]           Le capitaine Rose a affirmé que si un marin expérimenté d’un remorqueur monte à bord d’un plus petit navire, il est tout naturel que le navigateur du plus petit navire présume que le marin expérimenté veillera à ce que les opérations soient sans danger, à tout le moins en partie puisqu’il est lui‑même à risque.

[92]           Le capitaine Rose a affirmé en outre que les factures produites relativement aux travaux effectués sur le Warnoc ne rendent pas pleinement compte de la valeur du navire, puisqu’elles ne rendent pas compte d’une bonne partie de la main‑d’œuvre et du temps consacrés ainsi que du résultat des travaux, qui sont aussi pertinents au regard d’un tel calcul.

B.                 Les témoins des défendeurs

(1)               Joe Zizic

[93]           M. Zizic est le chef débardeur pour le Survivor, et il travaille dans l’industrie forestière depuis plus de vingt ans. Il est devenu grutier en avril 2000.

[94]           Il est allé à Clio Bay au moins cinquante fois à bord du Survivor depuis 1993, et plus souvent encore à bord d’autres chalands, en suivant la même procédure de chargement et avec le même type de navires d’assistance. M. Zizic a confirmé qu’il était de pratique courante qu’un aide‑remorqueur, comme le Warnoc, soit le dernier à quitter les lieux après que le chargement d’un chaland de billes était terminé.

[95]           Il a confirmé que l’ancre de poupe du Survivor était attachée à 90 pieds de chaîne, puis à un long câble. Un rapport du capitaine Westmoreland de Seaspan donnait à entendre que la grue pivotante arrière aurait dû être utilisée lors de la manœuvre au lieu de la grue du remorquer de billes, mais M. Zizic n’était pas d’accord. La grue pivotante arrière à bord du Survivor n’était pas assez longue pour pouvoir être déployée au‑delà de la poupe du bateau devant être utilisé le 5 octobre 2011, contrairement aux grues pivotantes arrière de certains autres chalands de billes.

[96]           La nuit de l’incident, M. Zizic travaillait avec trois autres débardeurs. Ils avaient commencé à quitter Clio Bay à bord du bateau‑taxi, le Northern Lights, après un chargement normal, lorsque le capitaine Dodds les avait rappelés au chaland pour qu’ils aident à dégager l’ancre de poupe enchevêtrée du Survivor. M. Zizic ne prend habituellement pas part à la levée et à la jetée des ancres, mais le capitaine pensait qu’il serait peut‑être en mesure d’aider advenant un problème mécanique.

[97]           Après être arrivés à bord du Commodore et avoir revêtu leurs uniformes, M. Zizic et les autres débardeurs ont entrepris de regagner le Survivor, ils ont vu l’ancre enchevêtrée alors qu’ils étaient à bord du Northern Lights, puis ils sont montés à bord du Survivor. Ils se sont réunis à la poupe du Survivor pour rencontrer l’équipage du Warnoc et M. Nicol (qui était également à bord du Warnoc) et M. McCreery.

[98]           Le capitaine Dodds n’a, à aucun moment, donné quelque instruction que ce soit quant à ce qui devait être fait. M. Zizic a affirmé lors de son interrogatoire préalable que M. Nicol avait été [traduction] « laissé en charge », mais il a précisé par la suite, au procès, que M. Nicol avait été laissé en charge du chaland lui‑même et de M. McCreery, mais non du Warnoc ou de son équipage.

[99]           M. Zizic a affirmé que, lors de la réunion à la poupe du Survivor, ils avaient discuté de la masse maximale que la grue de remorqueur de billes pouvait soulever et de la question de savoir si cette grue pourrait tenir l’ancre avec un câble de sécurité, et ils avaient également discuté de plans d’action. Ils ont estimé que l’ancre pesait cinq tonnes; M. Zizic a ajouté une autre tonne pour la chaîne, ce qui donnait un poids total de six tonnes qu’il pensait que la grue de remorqueur de billes pourrait devoir tenir, et il n’y voyait aucun problème.

[100]       D’après les souvenirs de M. Zizic, M. Collins avait suggéré initialement d’utiliser le Warnoc pour tenter de tirer l’ancre de son enchevêtrement et M. Hansen n’avait rien dit. M. Zizic se souvenait en outre que personne ne s’était opposé aux plans discutés lors de cette réunion.

[101]       Avant toute tentative de dégager l’ancre, un câble de sécurité a été attaché de la grue de remorqueur de billes à une certaine partie de l’ancre et de la chaîne enchevêtrées. M. Zizic n’avait pas pu voir où ni comment le câble avait été attaché, puisqu’il était au‑dessus de l’ancre à bord du Survivor. Il pouvait voir M. Hansen et M. Nicol prendre part à l’opération, mais il ne pouvait pas dire qui avait effectivement attaché le câble.

[102]       Lors des premières tentatives de dégager l’ancre, M. McCreery a utilisé le treuil de l’ancre pour abaisser et lever l’ancre de vingt à trente pieds. À chaque fois qu’il y avait du mouvement, M. McCreery, M. Nicol et M. Zizic, qui avaient tous des radios, confirmaient que [traduction« tout est arrêté, tout est sûr ». M. Zizic était sur le pont du remorqueur de billes, à environ quatre pieds de M. Decker (un autre débardeur, qui conduisait la grue de remorqueur de billes). M. McCreery était dans la chambre des treuils du Survivor, et M. Nicol était à bord du Warnoc, avec M. Collins et M. Hansen.

[103]       Lorsque cette méthode s’est révélée infructueuse, M. Nicol a attaché un câble unique à partir d’un certain endroit sur l’ancre et la chaîne enchevêtrées. L’autre extrémité du câble a été attachée à la bitte de remorquage par M. Hansen, qui, selon les allégations, aurait glissé un grand œil épissé par‑dessus les oreilles de la bitte. Cette partie du témoignage de M. Zizic est incompatible avec les témoignages de M. Hansen et de M. Archibald, et je ne crois pas en son exactitude, ni en sa fiabilité.

[104]       Après de multiples tentatives de tirer sur l’ancre au moyen du câble, le Warnoc a subitement coulé. M. Zizic a affirmé dans son témoignage qu’après l’échec de la première tentative de tirer l’ancre droit devant, il avait vu le bateau tenter de tirer d’un autre angle, ce qui avait fait rouler le bateau sur le côté dans une certaine mesure avant de couler. M. Zizic pensait que c’était le roulement sur le côté qui avait submergé le Warnoc. Il a confirmé que lorsque l’ancre était supposément tombée, le câble rattaché à la grue de remorqueur de billes n’avait pas bougé et était encore sous tension, et qu’il n’avait rien entendu ni rien senti qui l’amène à croire que l’ancre était tombée.

[105]       Une fois M. Nicol, M. Collins et M. Hansen tirés hors de l’eau et montés à bord du Survivor, ils ont été conduits à la salle de poupe et on leur a donné des vêtements secs et des couvertures d’urgence pour qu’ils puissent se réchauffer. Tous sont ensuite allés à la timonerie du Commodore pour discuter avec le capitaine Dodds de ce qui était arrivé. Il n’a pas été question de blâme.

[106]       M. Zizic a affirmé dans son témoignage qu’en quittant le Commodore, il avait vu l’ancre, alors dégagée, laquelle pendait directement vers le bas à partir de la poupe, et le câble de sécurité du remorqueur de billes encore attaché. Il a confirmé que la grue de remorqueur de billes n’avait subi aucun dommage. Il pensait que le câble de sécurité avait par la suite été détaché par quelqu’un à bord du Northern Lights, puisqu’il s’agissait du seul autre navire disponible pour le faire après que le Warnoc eut fait naufrage.

[107]       Après l’incident, M. Zizic a vu M. Archibald sur le quai à la marina à Kitimat. Il a nié lui avoir présenté des excuses ou avoir affirmé qu’il avait demandé trois fois si tout était sécuritaire. Il se souvenait en revanche de lui avoir mentionné qu’il voulait être certain que le poids de l’ancre était supporté de manière sécuritaire tout au long des opérations.

(a)                Contre‑interrogatoire

[108]       En contre‑interrogatoire, M. Zizic a confirmé qu’il n’est pas un marin, qu’il n’a jamais détenu aucun certificat de compétence comme marin, et qu’il n’a jamais navigué un aide‑remorqueur ni travaillé dans une aire d’estacades. Il a affirmé que, durant la réunion à la poupe du Survivor, M. Nicol était monté à bord du Survivor avec les quatre débardeurs, tandis que M. Collins et M. Hansen étaient restés à bord du Warnoc.

[109]       M. Zizic a affirmé qu’il considérait M. Collins comme le « capitaine » du Warnoc, puisqu’il était aux commandes du navire. Il ne savait pas que Snow Valley avait pour pratique de ne pas assigner de chef de bord à ses remorqueurs. Il a affirmé en outre que, d’après son expérience dans l’industrie, il ne serait pas étrange qu’un membre de l’équipage à bord d’un chaland d’assistance ait une opinion quant à la manière de dégager une ancre, et l’opinion de tous est généralement appréciée. M. Zizic a confirmé qu’il n’a pas coutume de prendre part à la jetée ni à la levée des ancres du Survivor, et M. Collins et M. Hansen non plus.

[110]       M. Zizic a confirmé qu’après que le capitaine Dodds a mis M. Nicol en charge, toutes les instructions additionnelles ont été données par M. Nicol, tout comme tout renseignement concernant le câble de sécurité attaché à la grue de remorqueur de billes.

[111]       Lorsqu’on lui a demandé de confirmer le type d’œil qu’il avait vu être attaché à la bitte de remorquage à bord du Warnoc, et après qu’on lui a présenté le câble de remorque produit comme pièce 5, qui avait un petit œil au bout, M. Zizic a insisté pour dire qu’au cours des années qu’il avait passées à travailler dans l’industrie, il n’avait jamais vu un œil aussi petit, et il a insisté en outre pour dire qu’il avait vu M. Hansen lancer un câble ayant un œil plus grand par‑dessus la bitte de remorquage. Comme je l’ai déjà dit, j’ai du mal à admettre le témoignage de M. Zizic sur ce point.

[112]       M. Zizic a également insisté pour dire qu’il n’avait jamais présenté d’excuses à M. Archibald à Kitimat, bien qu’il se soit souvenu d’avoir dit quelque chose du genre que c’était une bonne chose que personne n’ait été blessé.

(2)               Le capitaine Don Westmoreland

[113]       Le capitaine Westmoreland a travaillé au service de Seaspan comme capitaine d’armement jusqu’à sa retraite en décembre 2014. Il avait commencé sa carrière comme marin en 1970, et il avait obtenu son certificat de compétence comme capitaine en 1976. Il était un des trois capitaines d’armement qui travaillaient au service de Seaspan au moment de l’incident, et il était en disponibilité le 5 octobre 2011.

[114]       Il a pris des notes tout au long de l’incident. Selon ces notes, il a eu connaissance du naufrage du Warnoc à la suite d’un appel du répartiteur, à 3 h 40. Il s’est assuré que tous étaient sains et saufs, puis il a appelé le Commodore pour parler au capitaine Dodds. Il a donné instruction au capitaine Dodds de communiquer avec les autorités compétentes, puis il a appelé son superviseur, M. Eckford, pour l’informer de la situation.

[115]       Pour établir son rapport d’incident, il a consulté le rapport du capitaine Dodds et a interviewé M. Nicol et le capitaine Dodds. La majorité de ses renseignements provenaient de M. Nicol et d’un dessin que M. Nicol avait fourni pour illustrer ce qui s’était passé cette nuit‑là. Il a parlé à M. Nicol une deuxième fois, par téléphone, avant de terminer son rapport. Il n’a, à aucun moment, consulté M. Zizic.

[116]       Le capitaine Westmoreland a confirmé qu’un capitaine commande un navire et est responsable de la sécurité du navire et de son équipage, ainsi que de ses manœuvres. Un capitaine est habituellement aux commandes du navire, et il devrait refuser de faire quelque chose s’il estime que c’est dangereux.

[117]       Le capitaine Westmoreland a examiné le rapport qu’il avait produit, et il a admis qu’il avait commis certaines petites erreurs concernant certains faits. Il a confirmé que M. Nicol avait convenu, à un certain point lors de leur rencontre, qu’il aurait dû y avoir davantage de planification avant que l’on entreprenne de dégager l’ancre.

(a)                Contre‑interrogatoire

[118]       Le capitaine Westmoreland a admis que l’utilisation d’une manille et d’un crochet J avec un petit œil sur un câble de remorque est courante dans le domaine du flottage de billes. Il a affirmé en outre qu’il savait ce qu’était un nœud d’évadé, mais il a insisté pour dire qu’il n’en avait jamais toléré l’utilisation.

[119]       Pour remplir son rapport, le capitaine Westmoreland a seulement rencontré M. Nicol, quelques jours après que le Survivor eut coulé.

[120]       Lorsqu’il lui a été demandé comment attacher une ancre enchevêtrée, il a évoqué plusieurs façons de s’y prendre, dont aucune ne semble avoir été envisagée la nuit de l’incident.

(b)               Réinterrogatoire

[121]       Le capitaine Westmoreland a clarifié que, bien qu’il n’ait pas trouvé M. Nicol facile à interviewé, à aucun moment ne l’avait‑il trouvé évasif ou avait‑il trouvé que M. Nicol tentait de minimiser son implication dans l’incident. En outre, le capitaine Westmoreland a confirmé qu’à son avis, quelqu’un aurait dû être posté à la bitte de remorquage sur le Warnoc, prêt à réagir si quelque chose tournait mal.

(3)               Le capitaine Richard Dodds

[122]       Le capitaine Richard Dodds détient un brevet de capitaine, navire d’au plus 500 tonneaux, depuis le début des années 1990, et il travaille actuellement comme capitaine à bord de navires de haute mer au service de Seaspan. Il n’est pas assigné à un navire en particulier, et il en navigue entre trois et quatre, dont le Commodore. Il avait remorqué le Survivor six à douze fois avant le 5 octobre 2011 et avait été à Clio Bay environ six fois. Il se souvenait d’avoir travaillé avec le Warnoc auparavant à au moins une occasion.

[123]       Lorsque le capitaine Dodds a appris qu’il y avait un problème concernant l’ancre de poupe du Survivor, il a appelé M. Zizic par radio et lui a demandé de revenir. Il a ensuite ordonné que le Survivor soit amené hors de la baie, en eaux plus profondes et plus ouvertes, parce qu’il y a peu d’espace dans la baie, et il craignait de trop dériver par mauvais temps pendant qu’ils tentaient de dégager l’ancre.

[124]       Le capitaine Dodds a confirmé qu’il n’avait pas donné d’instructions à M. Nicol quant à la façon de procéder pour dégager l’ancre. Il savait que M. Nicol avait plus d’expérience à cet égard, et il lui a ordonné de prendre en charge le Survivor, mais il ne l’a pas mis en charge du Warnoc ni de l’équipage de ce navire. Tout au long de l’opération, le capitaine Dodds écoutait les communications radio, mais il entendait seulement des parties de ce qui se disait puisqu’il était occupé par ailleurs à maintenir l’intégrité du Survivor et du Commodore.

[125]       Après que le Warnoc eut coulé, et une fois l’équipage en sécurité et au sec, le capitaine Dodds a convoqué tout le monde dans la timonerie du Commodore pour revoir ce qui s’était passé, et il a pris des notes tout au long de cette rencontre. Ces notes ont constitué le fondement de son rapport, qu’il a rédigé plus tard ce matin‑là. À aucun moment le capitaine Dodds n’a‑t‑il lui‑même vu l’ancre enchevêtrée. Par ailleurs, il n’a pas su qui avait attaché les câbles à l’ancre et la chaîne enchevêtrées ni comment ces câbles avaient été attachés.

[126]       Le capitaine Dodds a confirmé que, selon son interprétation, le capitaine d’un navire commande ce navire, et il est responsable de la sécurité du navire et de toutes les personnes à son bord. En règle générale, les manœuvres sont décidées par la personne qui est aux commandes. Chose importante, si des directives dangereuses sont données, le capitaine devrait les ignorer. Ces principes élémentaires s’appliquent indépendamment de la taille du navire.

(a)                Contre‑interrogatoire

[127]       Le capitaine Dodds a confirmé qu’il avait seulement travaillé avec M. Nicol une ou deux fois avant la nuit de l’incident. Il savait que M. Nicol était un marin averti, et il l’a laissé s’occuper de régler le problème de l’ancre enchevêtrée, puisque lui‑même n’avait jamais pris part à une telle opération. Il ne parvenait pas à se souvenir s’il avait entendu à quelque moment que ce soit une discussion sur les ondes radio à propos d’attacher un câble de sécurité à partir de la grue de remorqueur de billes.

[128]       À la question de savoir si M. Decker était présent lors de la réunion dans la timonerie, le capitaine Dodds a admis qu’il ne parvenait pas à se souvenir précisément; il avait présumé que tous les débardeurs étaient présents. Il avait pris ses notes sommaires lors de cette réunion, dans l’intention de rendre son rapport aussi exact que possible. Il ne savait pas qui avait détaché le câble de sécurité après que l’ancre était tombée et avait été remontée, et il ne savait pas non plus qui avait rangé la grue de remorqueur de billes le 5 octobre 2011.

[129]       Le capitaine Dodds a fait la démonstration d’une façon d’attacher un câble à une bitte de remorquage d’une manière qui permettrait au câble de se détendre s’il était sous tension. Il a toutefois admis qu’il faudrait une intervention humaine pour détacher le câble, et si le naufrage était immédiat, il n’y aurait pas assez de temps pour le faire.

[130]       Lorsqu’il a été interrogé au sujet du comportement du capitaine d’un navire, le capitaine Dodds a admis qu’il tiendrait vraisemblablement compte de l’opinion d’un marin plus compétent et plus expérimenté si cette opinion était exprimée sur son navire. Il a toutefois maintenu qu’il prendrait tout de même sa propre décision quant à la meilleure façon de procéder dans une situation donnée.

(b)               Réinterrogatoire

[131]       Le capitaine Dodds a confirmé que si l’œil au bout d’un câble de remorque était placé par‑dessus les oreilles, autour du haut d’une bitte de remorquage, le câble pourrait glisser et s’enlever si un bateau coulait. De plus, il a précisé que si la méthode dont il avait fait la démonstration avait été utilisée, une personne aurait peut‑être pu détacher le câble, et ce, même si le naufrage du Warnoc avait été presque immédiat.

(4)               M. James Allen Decker

[132]       M. Decker travaillait comme débardeur au service de Seaspan depuis environ huit ans, quoiqu’il ait récemment travaillé au service d’autres sociétés. Il travaillait à bord du Survivor pour environ la quinzième fois la nuit où le Warnoc a coulé. Il ne se souvenait pas avoir vu le Warnoc auparavant.

[133]       Après avoir été rappelé sur le Survivor, M. Decker se souvient d’avoir pris part à une réunion à la poupe du chaland avec M. Collins, M. Hansen, M. Nicol, M. Zizic et les autres débardeurs pour discuter de sécurité avant de tenter de dégager l’ancre enchevêtrée. Autant qu’il se souvienne, M. Nicol était demeuré à bord du Warnoc tout au long de cette réunion.

[134]       M. Decker s’est souvenu que de nombreux plans avaient été élaborés pour dégager l’ancre. La première étape consistait à utiliser la grue de remorqueur de billes pour attacher un câble de sécurité, puis à tenter de lever et d’abaisser l’ancre sur son propre treuil, et ensuite à tenter de la tirer avec le Warnoc. Au terme de la réunion, M. Zizic et M. Nicol ont décidé qu’il serait mieux que M. Nicol reste à bord du Warnoc pour demeurer en contact radio. Après la discussion, M. Decker et M. Zizic se sont rendus sur la plateforme de la grue de remorqueur de billes à la poupe du Survivor. De cet endroit, M. Decker ne pouvait pas voir l’ancre, qui était sous lui, mais il pouvait voir le Warnoc.

[135]       Tout au long des opérations, M. Decker était à quelques pieds seulement de M. Zizic, qui lui donnait des instructions quant à savoir quand lever l’ancre et quand la baisser. M. Decker n’avait pas sa propre radio, et il recevait ses instructions par l’entremise de M. Zizic. Il ne se souvient pas qui a attaché le câble de sécurité ni comment ce câble a été attaché.

[136]       Lorsque la manœuvre consistant à lever et abaisser l’ancre avec son propre treuil s’est révélée infructueuse, M. Decker a entendu, par le radio de M. Zizic, quelqu’un à bord du Warnoc suggérer de tenter de tirer l’ancre au moyen d’un câble de remorque.

[137]       Après qu’un câble unique a été attaché à l’ancre et la chaîne enchevêtrées, M. Decker a vu le Warnoc s’éloigner du Survivor avec le câble attaché au Warnoc par un membre de l’équipage, et le câble semblait être rattaché par un grand œil par‑dessus la bitte de remorquage. Le Warnoc a tenté trois fois de tirer sur le câble de remorque; au cours de ces manœuvres, la corde a tourné autour de la bitte, en changeant d’angle.

[138]       À la troisième tentative, M. Decker ne pouvait pas voir l’ancre, mais il a senti quelque chose se libérer; le câble rattaché à la grue de remorqueur de billes est demeuré tendu. M. Decker pouvait voir une personne sur le Warnoc qui avait les chevilles dans l’eau, qui lui a rapidement monté jusqu’aux genoux, puis le Warnoc a commencé à couler, proue en haut et poupe en bas, en roulant partiellement vers tribord.

[139]       M. Decker ne se souvient d’aucune discussion au sujet de ce qui était arrivé lorsque les trois passagers du Warnoc ont été ramenés à bord du Survivor après le naufrage du Warnoc. Lorsque le capitaine Dodds a convoqué une réunion dans la timonerie du Commodore, M. Decker était la seule personne impliquée dans l’incident qui n’était pas présente. M. Decker ne se souvient pas des détails de cette réunion, mais il se souvient que quelqu’un a donné à entendre que, si la corde avait été attachée différemment au Warnoc, celui‑ci n’aurait peut‑être pas coulé.

(a)                Contre‑interrogatoire

[140]       Au début de son contre‑interrogatoire, M. Decker a admis qu’il avait eu des discussions avec M. Zizic tout récemment, avant le procès, aux bureaux des avocats des défendeurs, au sujet de ce qu’ils avaient vu.

[141]       M. Decker a confirmé qu’après que le capitaine Dodds eut rappelé les débardeurs sur le chaland le 5 octobre 2011, il se souvenait d’avoir contourné la poupe du chaland et d’avoir vu l’ancre et la chaîne enchevêtrées. Ils avaient ensuite été conduits au Commodore pour revêtir leurs uniformes, puis ils avaient été ramenés au Survivor. Ces uniformes comprennent des protecteurs auditifs, en raison du bruit produit par les génératrices du Survivor et le système d’échappement.

[142]       Lors de la discussion relative à des questions de sécurité à la poupe du chaland, M. Decker ne parvenait pas à se souvenir exactement où le Warnoc était positionné. Il se souvenait en revanche que M. Nicol était à bord du Warnoc à ce moment‑là, et qu’un seul des membres de l’équipage du Warnoc était là, puisque l’autre était aux commandes du Warnoc. M. Decker a confirmé que l’endroit était un peu bruyant à cause des systèmes d’échappement du Survivor et du Warnoc.

[143]       Après la discussion relative à des questions de sécurité, toutes les communications ont été faites par radio. M. Decker était debout près de M. Zizic sur le Survivor, mais ils devaient quand même élever la voix pour se parler. À aucun moment M. Decker n’a‑t‑il entendu le capitaine Dodds mettre M. Nicol en charge de l’opération, mais il s’est dit d’accord avec les réponses données par M. Zizic lors de son interrogatoire préalable, réponses selon lesquelles le capitaine Dodds l’aurait fait, puisqu’il n’était pas là lui‑même pour superviser l’opération. M. Decker avait seulement travaillé avec M. Nicol une fois auparavant, mais il a convenu qu’il serait normal de le laisser en charge en tant qu’officier de pont du Survivor.

[144]       En ce qui concerne l’attache du câble de sécurité, M. Decker a affirmé que M. Zizic avait exprimé ses préoccupations au sujet du poids de l’ancre et de la capacité de la grue de remorqueur de billes à assurer une sécurité adéquate. M. Nicol l’a assuré que c’était sécuritaire, puis ils ont abaissé un câble pour que celui‑ci soit attaché à l’ancre et la chaîne enchevêtrées. M. Decker a admis qu’il était plus courant qu’un grutier voie ce qu’il remorque ou soulève avant de procéder, mais ce n’était pas possible pour M. Zizic et M. Decker à cette occasion. M. Decker n’avait jamais pris part à une manœuvre [traduction] « à l’aveugle » comme celle‑ci.

[145]       Lorsque le câble de remorque a été attaché par la suite au Warnoc, M. Decker a insisté pour dire que ce n’était pas au moyen d’un nœud d’évadé, mais plutôt au moyen d’un grand œil au bout du câble. Il a aussi insisté pour dire que le Warnoc avait fait naufrage presque instantanément qu’après qu’il eut senti l’ancre se dégager.

[146]       M. Decker n’a pas été mis au courant de la question de savoir si le câble de sécurité était resté attaché après que l’ancre eut été relevée. Il ne se souvient pas s’il a rangé la grue de remorqueur de billes et le câble cette nuit‑là, et il ne se souvient pas non plus qui a levé l’ancre.

[147]       M. Decker ne se souvient pas d’avoir parlé à M. Archibald lorsqu’ils sont retournés à Kitimat, mais en revanche, il a vu M. Zizic lui parler, bien qu’il n’ait pas pu entendre ce qui s’était dit.

(5)               Christopher Small, le premier témoin expert des défendeurs

[148]       M. Small est expert maritime à temps plein depuis 1979. Chris Small Marine Surveyors Ltd. a été constituée en personne morale en 1984, et M. Small en est le propriétaire et le principal expert depuis le début. La demanderesse reconnaît la qualité d’expert maritime de M. Small.

[149]       Les avocats des défendeurs ont demandé à M. Small d’estimer la juste valeur marchande du Warnoc avant son naufrage, et M. Small a établi son rapport entre le 2 mai et le 11 septembre 2012. Il a pris en compte ce qui suit pour se faire son opinion :

           le rapport d’expert de Blue Wave Marine Surveyors, daté du 20 juin 2008;

           l’évaluation de Captain Rose Marine Consulting and Surveys, datée du 16 décembre 2011;

           un sommaire des coûts de reconstruction et d’amélioration de 2010‑2011 (non daté);

           différentes factures et feuilles de temps apparemment reliées au « Warnoc »;

           des navires comparables au « Warnoc » disponibles pour la vente.

[150]       M. Small a trouvé très peu de navires usagés ayant des caractéristiques similaires sur le marché à l’époque pertinente, soit en octobre 2011, ce qui, selon lui, pourrait faire en sorte que le Warnoc ait une certaine plus‑value. M. Small a trouvé quatre navires usagés ayant des caractéristiques quelque peu similaires et mesurant entre 19 et 42 pieds; ceux‑ci étaient offerts à la vente à des prix allant de 80 000 $ à 179 000 $, ce qui l’a aidé à conclure que le Warnoc avait une valeur marchande se situant entre 155 000 $ et 185 000 $ à l’époque pertinente.

[151]       M. Small est d’avis qu’il est préférable d’acheter un navire neuf plutôt que d’en faire caréner un vieux, car bien souvent les coûts de carénage d’envergure ne trouvent pas écho dans la valeur marchande. M. Small a parlé à M. Dunagan, de Canadian Alberni Engineering, qui l’a informé au sujet d’un navire neuf similaire que vend sa société, qui comporte une technologie plus récente, de nouveaux matériaux de coque, équipements et systèmes, à un prix allant de 295 000 $ à 315 000 $. L’estimation de M. Small a également été influencée par l’idée qu’un navire usagé caréné n’aurait probablement pas une valeur marchande de plus de 60 p. 100 du coût de remplacement d’un navire neuf. Étant donné l’estimation selon laquelle un nouveau navire comparable coûterait en moyenne 310 000 $, 60 p. 100 de ce prix correspond à 186 000 $.

[152]       Lorsqu’il a examiné les factures relatives à des travaux faits sur le Warnoc, M. Small a noté qu’une bonne part de ces travaux consistait en des travaux de restauration d’équipement et de la structure de la coque, lesquels n’auraient pas d’incidence sur la valeur marchande. En outre, certains coûts reliés au déplacement du bateau, à l’élimination de déchets de construction et à la fabrication d’un toit ont été inclus dans les factures et ne devraient pas être pris en compte. De plus, la facture no 3243 ne comportait aucune ventilation spécifique des coûts totaux de main‑d’œuvre de 12 742,20 $, et elle ne devrait pas être incluse.

(a)                Contre‑interrogatoire

[153]       M. Small a confirmé qu’il n’est pas un capitaine au long cours et qu’il ne détient aucun certificat de compétence comme marin. Il n’a jamais navigué un remorqueur commercial, et il n’est jamais allé à Minette Bay ni à Clio Bay. De plus, il n’a jamais vu le Warnoc en personne, et il a admis que le capitaine Rose connaissait les remorqueurs mieux que lui. Il a confirmé en outre qu’il avait été engagé pour évaluer la valeur marchande théorique du Warnoc, sans prendre en compte son caractère adéquat pour le travail à l’égard duquel il avait été utilisé, ni sa valeur pour la demanderesse en particulier.

[154]       M. Small a convenu qu’une personne qui avait effectivement inspecté le Warnoc serait mieux placée pour évaluer sa valeur, mais il a fait remarquer que la seule inspection qui avait été faite était vieille de quatre ans, et que certains des travaux de carénage sur le navire étaient déjà en cours d’exécution ou terminés à l’époque.

[155]       M. Small a convenu que l’état d’un navire peut avoir une incidence au moment d’évaluer sa valeur, mais que certains travaux, comme le sablage de l’intérieur et de l’extérieur au jet, auraient seulement ajouté quelques cents du dollar. M. Small était au courant des travaux énumérés comme ayant été faits sur le Warnoc et des factures qu’on lui avait données à examiner, mais il ne savait pas que certains travaux avaient été payés par troc.

[156]       Lorsqu’il a évalué la valeur du Warnoc, M. Small a regardé en ligne seulement les navires qu’il considérait comme des comparables, sans faire de recherches relativement à l’équipement précis installé sur le Warnoc. Il a admis que sa liste de navires comparables était hétéroclite, puisque très peu de navires de taille et de conception de coque similaires étaient disponibles à l’époque pertinente.

[157]       M. Small a également confirmé que l’estimation qu’il avait reçue relativement à un navire de remplacement de Canadian Alberni Engineering était fondée uniquement sur deux conversations téléphoniques, au cours desquelles il avait confiné ses questions principalement aux dimensions du Warnoc, à son style de coque et à la tuyère Kort. Le prix avait été donné [traduction] « à brûle‑pourpoint » et n’incluait pas de proposition de prix formelle.

[158]       Lorsque l’avocat de la demanderesse a demandé si le prix proposé pour un navire neuf était habituellement inférieur au prix réel, M. Small n’était pas d’accord, mais il a admis que c’était souvent le cas. En outre, un navire de construction neuve n’est pas une solution immédiate, puisque la construction d’un navire prend de six mois à un an.

[159]       M. Small a affirmé que malgré que son calcul de 60 p. 100 du coût de remplacement soit approprié pour déterminer la valeur d’un navire, il n’augmenterait pas son estimation globale si la Cour devait conclure qu’une valeur de remplacement plus élevée était appropriée en l’espèce. M. Small a affirmé que le coût de remplacement est un point de référence raisonnable pour une estimation de valeur, mais ce n’est pas la seule considération. À mon avis, cette position manque de transparence et d’intelligibilité.

(6)               Gary Harlow, le deuxième témoin expert des défendeurs

[160]       M. Harlow est un courtier et un consultant dans le secteur maritime qui compte plus de trente ans d’expérience dans le milieu maritime. Il est le directeur et le fondateur de Harlow Marine International Inc., une société de courtage fondée en janvier 1994 qui se spécialise dans l’achat et la vente de remorqueurs, de chalands, de navires de relève, de péniches de débarquement et de remorqueurs de billes au Canada, aux États‑Unis et internationalement. Au cours des dix dernières années, M. Harlow a fourni des services de consultant à des banques, des compagnies d’assurance, des syndics de faillite et des grands cabinets de comptables et d’avocats pour évaluer la juste valeur marchande d’équipement maritime. La demanderesse admet ses qualités de courtier et de consultant dans le secteur maritime.

[161]       Il a été demandé à M. Harlow d’estimer la valeur marchande théorique du Warnoc avant son naufrage le 5 octobre 2011. Pour établir son rapport, M. Harlow a pris en compte ce qui suit :

           un contrat de vente du « Warnoc » daté du 6 juin 2008;

           le rapport d’expert de Blue Wave Marine Surveyors, daté du 20 juin 2008;

           l’évaluation de Captain Rose Marine Consulting and Surveys, datée du 16 décembre 2011;

           des factures relatives à des travaux qui auraient été faits sur le « Warnoc » de 2008 à 2011;

           une comparaison de navires similaires en fait de taille, de chevaux‑vapeur, d’année de construction et de conception de coque (rapportée à l’annexe A de son rapport).

[162]       M. Harlow est d’avis qu’en règle générale, les coûts d’entretien d’un navire n’augmentent pas sa valeur globale, à moins que les modifications soient d’une telle ampleur qu’elles modifient la conception du navire ou améliorent sa performance globale. M. Harlow a également relevé que, dans le cas de la majorité des factures fournies par la demanderesse, il ne pouvait pas être confirmé qu’elles se rapportaient à des travaux faits sur le Warnoc.

[163]       M. Harlow a estimé le coût de remplacement du Warnoc quelque part entre 425 000 $ et 450 000 $, d’après les prix proposés par Sylte’s Shipyard le 12 mars 2012. Compte tenu de cela et des éléments de preuve susmentionnés, M. Harlow a estimé que la juste valeur marchande du Warnoc se situait entre 135 000 $ et 160 000 $ le 5 octobre 2011.

(a)                Contre‑interrogatoire

[164]       M. Harlow a admis qu’il n’est pas un capitaine au long cours et qu’il ne détient aucun certificat de compétence comme marin. Cela fait plus de trente ans qu’il n’a pas travaillé dans le secteur maritime, autrement que comme courtier et expert. Il n’a jamais travaillé à Minette Bay ni à Clio Bay, et il n’a jamais vu le Warnoc en personne. Il a convenu que le capitaine Rose connaissait mieux le fonctionnement et l’utilisation de remorqueurs.

[165]       M. Harlow a convenu que, dans certains cas, un carénage ou une reconstruction peut augmenter la valeur d’un navire, mais il a insisté pour dire que les réparations et l’entretien ne le font pas. Il a examiné les factures qui lui avaient été fournies et qui concernaient des travaux faits sur le Warnoc, et il savait que beaucoup d’argent et d’efforts avaient été consacrés, mais il n’était pas au courant de la dépense considérable engagée pour reconstruire le moteur du navire et qui avait été payée par troc.

[166]       M. Harlow a discuté avec M. Sylte au téléphone de ce qu’il pourrait en coûter de construire un bateau similaire au Warnoc, mais il n’a pas reçu de proposition de prix formelle, et il a admis que M. Sylte avait par la suite présenté une proposition de prix formelle détaillée à M. Archibald et que ce prix était plus élevé.

[167]       En ce qui concerne les comparables, aucun de ceux qu’il a énumérés dans son rapport n’était disponible pour la vente en octobre 2011. Lorsqu’on lui a demandé des navires comparables peu après le naufrage du Warnoc, il a admis avoir parlé au capitaine Rose du North Arm Logger, un autre navire à coque à nacelles, mais il ne se souvenait pas bien de la conversation. Il a affirmé catégoriquement qu’il n’aurait pas commenté son état, parce qu’il savait que le capitaine Rose était un évaluateur et non un acheteur potentiel. M. Harlow avait vu le North Arm Logger en personne à l’été 2011, alors qu’il subissait certains travaux. Il était offert à la vente au prix de 150 000 $.

[168]       Le Crofton Prince est un autre navire à coque à nacelles qui pourrait être considéré comme un navire comparable au Warnoc. Il n’était pas offert à la vente en octobre 2011; en revanche, il était à louer, et il était loué par une autre société.

(b)               Réinterrogatoire

[169]       L’avocat des défendeurs a demandé à M. Harlow de parler du prix demandé pour un autre navire à coque à nacelles de taille similaire, mais doté d’un plus gros moteur, qui avait été annoncé dans les éditions du Western Mariner d’octobre et novembre 2011. Ce navire était offert à la vente au prix de 110 000 $, et il avait finalement été vendu au prix de 90 000 $, autant que M. Harlow se souvienne.

V.                Analyse

[170]       Le tableau est exposé, et les questions à trancher relativement à la responsabilité de Seaspan sont assez claires :

a.       est‑ce que la négligence alléguée des membres de l’équipage du Warnoc (MM. Hansen et Collins), qui étaient responsables du contrôle et de la sécurité du Warnoc, et leur défaut d’assurer une utilisation convenable et sûre du câble de remorque reliant la bitte de remorquage de la poupe du Warnoc et l’ancre et la chaîne du Survivor, ont été la cause du naufrage et de la perte du Warnoc?

b.      est‑ce que la négligence de Ray Nicol, un capitaine au long cours et l’officier de pont du Seaspan Commodore et du Seaspan Survivor, qui était responsable du contrôle et de la sécurité du Survivor, et son défaut d’assurer l’utilisation convenable et sûre du câble de sécurité reliant la grue de remorqueur de billes sur le Survivor et l’ancre et la chaîne du Survivor, ont été la cause du naufrage du Warnoc?

[171]       Pour en arriver à ma décision, j’ai examiné les questions suivantes, en fonction des éléments de preuve dont je disposais :

                    i.               des objections préliminaires fondées sur des allégations de ouï‑dire;

                  ii.               les compétences des membres de l’équipage du Warnoc;

                iii.               la responsabilité à l’égard du câble de remorque attaché à la bitte de remorquage du Warnoc et à l’ancre et la chaîne d’ancrage du chaland le Survivor et la sécurité de ce câble;

                iv.               la responsabilité à l’égard du câble de sécurité attaché à la grue de remorqueur de billes du chaland le Survivor et l’ancre et la chaîne d’ancrage du Survivor;

                  v.               le montant des dommages découlant de la perte du Warnoc et l’attribution de dommages‑intérêts correspondants.

A.                Objections préliminaires fondées sur des allégations de ouï‑dire

[172]       Les onglets 5, 38, 39, 41 et 42 de la pièce 1 sont admissibles au titre d’une exception à la règle du ouï‑dire. M. Nicol est décédé, et la nécessité et la fiabilité justifient l’admission en preuve de ces éléments de preuve. Le rapport établi par le capitaine Westmoreland était relativement contemporain de l’incident concernant le Warnoc, il était fondé dans une large mesure sur des discussions avec M. Nicol, et il était aussi exact que possible à l’époque. Le rapport du capitaine Dodds constitue la meilleure preuve du compte‑rendu de M. Nicol, puisqu’il était fondé sur des discussions avec M. Nicol personnellement, qui se voulaient des plus exactes possible et qui ont eu lieu immédiatement après l’incident.

[173]       Les onglets 45 et 47 de la pièce 1 relatifs à des propositions de prix faites à M. Archibald pour des navires de remplacement nouvellement construits, bien qu’ils ne soient pas nécessaires – étant donné que des témoins auraient pu être appelés –, sont néanmoins fiables. Les détails relatifs aux prix proposés relativement à ces navires figurent dans des documents admis, et les deux experts des défendeurs ont notamment fait mention de ces deux constructeurs de navires dans leurs rapports et ont chacun communiqué avec eux indépendamment pour leur demander des conseils au sujet de la valeur de remplacement de navires comparables nouvellement construits. Le fait qu’ils se soient fiés aux conseils de ces constructeurs de navires et la fiabilité apparente de leurs rapports m’amènent à conclure que ces pièces devraient être admissibles, quoiqu’elles aient peu de poids.

[174]       L’onglet 48 de la pièce 1, une note de Harbour Machining relative à des travaux réalisés sur le Warnoc, est admissible, mais il a peu de poids, voire aucun. Les dossiers de facturation de cette société ont subi des dommages imprévus, de sorte que la facture originale n’était pas disponible pour des besoins de consultation. La société a fait de son mieux pour estimer le coût des travaux qui avaient été réalisés. Étant donné que la facture originale n’était pas disponible et que Harbour Machining était la mieux placée pour estimer le coût des travaux réalisés, la nécessité et la fiabilité sont établies. Toutefois, tout comme dans le cas des autres factures fournies qui se rapportent à des travaux faits sur le Warnoc, j’accorde peu de poids à cette facture dans mon évaluation de la valeur du navire.

B.                 Les compétences des membres de l’équipage du Warnoc

[175]       Ni M. Hansen ni M. Collins n’étaient capitaine avec restrictions ou ne détenaient de certificat d’officier de pont. Le Règlement, aux paragraphes 212(2) et 212(4), exige qu’un navire comme le Warnoc compte parmi les membres de son équipage un capitaine avec restrictions. L’article 207 prévoit le nombre de personnes que doit compter l’équipage d’un navire comme le Warnoc lorsqu’il prend part à des opérations comme celles dont il est question en l’espèce. Un équipage de deux personnes est suffisant.

[176]       Bien que le paragraphe 212(5) du Règlement permette à la personne détenant un certificat indiqué à la colonne 1 du tableau 1 d’exercer des fonctions liées à un poste indiqué à l’une des colonnes 2 à 5 à bord d’un bâtiment qui effectue un des voyages précisés (autrement dit, si l’autre membre de l’équipage détient un des certificats visés aux articles 1 à 6, du rang d’officier de pont, à proximité du littoral, ou d’un rang supérieur), il pourrait également agir comme capitaine et exercer les fonctions de capitaine, ni M. Hansen ni M. Collins ne possédait les compétences ainsi requises.

[177]       Ainsi, les membres de l’équipage du Warnoc n’avaient pas techniquement les compétences requises pour naviguer le Warnoc, en avoir le contrôle et en assurer la sécurité, malgré leurs années d’expérience à le faire. Toutefois, je ne peux pas faire fi de ces années d’expérience, ni de la série particulière d’événements en l’espèce qui ont mené au naufrage du Warnoc, ni de la question de savoir si ce manque de compétences techniques a contribué au naufrage en question.

C.                 Qui était responsable de la sécurité du câble de remorque reliant la bitte de remorquage du Warnoc à l’ancre et la chaîne du chaland le Survivor?

[178]       M. Hansen a admis qu’il avait attaché le câble de remorque à la bitte de remorquage du Warnoc et qu’il en était responsable. Malgré des témoignages contradictoires quant à savoir si M. Nicol avait attaché seul l’autre bout du câble de remorque à l’ancre et la chaîne du Survivor, compte tenu de l’ensemble de la preuve, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que tel a été le cas.

[179]       Néanmoins, les membres de l’équipage du Warnoc étaient responsables de la sécurité de leur navire, et, à ce titre, ils devaient notamment s’assurer que le câble de remorque était attaché de manière convenable et sûre à la bitte de remorquage du Warnoc et à l’ancre et la chaîne du Survivor, même si c’était M. Nicol qui avait attaché l’autre bout du câble de remorque à l’ancre et la chaîne.

[180]       Toutefois, une question demeure : cette utilisation du câble de remorque a‑t‑elle été la cause ou une des causes du naufrage du Warnoc? À mon avis, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la réponse est non.

D.                Qui était responsable du câble de sécurité reliant la grue de remorqueur de billes du chaland le Survivor et l’ancre et la chaîne d’ancrage du Survivor?

[181]       Le capitaine Dodds a délégué à M. Nicol pleins pouvoirs et contrôle pour veiller, tout en assurant la sécurité du Survivor, à ce que le désenchevêtrement de l’ancre et la chaîne d’ancre du Survivor soit réalisé de manière convenable et sûre. M. Nicol et l’équipe de débardeurs avaient la responsabilité d’attacher le câble de sécurité à la grue du Survivor et à l’ancre et la chaîne enchevêtrées, et, à cause de la défaillance de ce câble de sécurité, lorsque l’ancre a été dégagée, le Warnoc a sombré et a été perdu.

[182]       Si ce câble de sécurité avait été attaché convenablement à l’ancre et la chaîne du Survivor, le positionnement du câble de remorque reliant le Warnoc à l’ancre et la chaîne du Survivor n’aurait pas eu d’incidence ou d’effet sur le naufrage du Warnoc.

[183]       Ce sont les compétences particulières de M. Nicol, sa responsabilité à titre d’officier de pont du Survivor et ses instructions, qui ont été suivies par toutes les personnes en cause relativement au câble de sécurité, qui ont entraîné la perte du Warnoc.

E.                 La question des dommages découlant de la perte du Warnoc

[184]       Les experts des défendeurs, M. Small et M. Harlow, sont tous deux d’avis que la juste valeur marchande du Warnoc, en date du 5 octobre 2011, devrait constituer le fondement du calcul de tous dommages‑intérêts accordés à la demanderesse par suite de la perte du Warnoc.

[185]       M. Small et M. Harlow ont tous deux admis lors de leurs observations formulées de vive voix, que le capitaine Rose, l’expert de la demanderesse, en tant que capitaine au long cours d’expérience et ancien navigateur de remorqueurs, en sait davantage qu’eux au sujet des remorqueurs.

[186]       M. Small a procédé à une analyse théorique de la valeur du Warnoc et d’un navire de remplaçement à l’époque pertinente. Lorsque M. Small a examiné des navires comparables, il a centré son analyse sur trois variables : le coût d’une reconstruction, le coût du carénage du Warnoc et le coût d’un navire capable de faire le travail nécessaire.

[187]       M. Small n’a pas pris en compte la valeur du Warnoc pour la demanderesse, Snow Valley, mais il a également reconnu qu’un navire comme le Warnoc pouvait avoir une plus‑value du fait de son caractère relativement unique sur le marché. M. Small et M. Harlow étaient tous d’eux d’avis que l’argent consacré au carénage, à l’entretien et à la réparation d’un navire ne lui ajoutait pas une valeur directement proportionnelle.

[188]       M. Small estime que le dommage est de l’ordre de 155 000 $ à 185 000 $.

[189]       M. Harlow, un courtier dans le secteur maritime, croit lui aussi que la juste valeur marchande d’un navire de remplacement en date du 5 octobre 2011 est le comparateur pertinent pour calculer les dommages. Bien qu’il soit préférable de voir le bateau en question pour en estimer la valeur, il est normal d’utiliser des rapports d’expert et d’examiner les détails relatifs au bateau aux fins de son évaluation lorsqu’il n’est pas possible de le voir.

[190]       Selon M. Harlow, en règle générale, les coûts d’entretien ou les montants dépensés pour maintenir un navire en bon état de fonctionnement n’augmentent pas nécessairement la valeur d’un navire, à moins que les modifications soient d’une telle ampleur qu’elles modifient la conception du navire ou en améliorent la performance globale, ou les deux.

[191]       En comparant le Warnoc à quatre autres navires, dont aucun n’était offert à la vente en octobre 2011, M. Harlow a estimé que la valeur du Warnoc était de l’ordre de 135 000 $ à 160 000 $.

[192]       L’expert de la demanderesse, le capitaine Rose, a estimé que la valeur de remplacement du Warnoc était de l’ordre de 325 000 $ à 350 000 $. Il a jugé que la valeur d’un navire était fondée sur les aspects suivants : les améliorations apportées, le travail que le navire pouvait accomplir et la valeur de sa capacité à l’époque pertinente, son état au moment de son évaluation et la valeur d’un remplacement équivalent. Toutefois, les factures sur lesquelles la demanderesse s’est appuyée étaient vagues et ne traduisaient pas fidèlement les travaux réalisés dans le cadre du carénage du Warnoc.

[193]       À mon avis, le critère approprié pour mesurer les dommages en l’espèce devrait être la valeur du Warnoc pour Snow Valley en tant que navire en exploitation au moment et au lieu de sa perte en octobre 2011. La valeur du Warnoc doit être évaluée en tenant compte des éléments suivants : (1) le prix courant pour un remorqueur de remplacement comparable; (2) le coût du carénage d’un remorqueur pour faire le même travail que le Warnoc; (3) l’indemnisation requise pour replacer Snow Valley dans la même situation que si la perte n’avait pas été infligée, sous réserve des règles de droit relatives au caractère éloigné des dommages (Liesbosch Dredger c SS Edison, [1933] AC 449 aux pages 463 et 468 (HL); Engine and Leasing Co c Atlantic Towing Ltd, [1993] ACF no 741, au paragraphe 61 (CAF)).

[194]       Il est impossible d’évaluer avec une grande certitude la valeur du Warnoc pour Snow Valley en tant que navire en exploitation au moment où il a fait naufrage alors qu’aucun remorqueur comparable n’était disponible et aucune évaluation à jour n’est disponible, et l’évaluation ne peut pas se fonder simplement sur une estimation de la juste valeur marchande (The Harmonides, [1903] P1, aux pages 5 et 6 (Westlaw, R.‑U.)).

[195]       Le jugement du juge Cameron dans l’affaire The Giovanni Amendola c The Teeshoe, [1959] ExCR 1, aux paragraphes 23 et 24, est pertinent en l’espèce :

[traduction]
23  Le principe ainsi énoncé me paraît être directement applicable en l’espèce. Les propriétaires du Teeshoe avaient utilisé ce navire constamment en tant qu’élément nécessaire à leurs activités quotidiennes, et il en faisait partie intégrante. Les propriétaires ne disposaient d’aucun remorqueur substitut, et sans substitut, une partie importante et nécessaire de leurs activités aurait cessé, et une perte aurait été occasionnée. Pour que les activités puissent continuer, il fallait trouver un autre remorqueur immédiatement, et au moins un des témoins de l’appelante a convenu que les propriétaires avaient bien fait dans les circonstances lorsqu’ils avaient tout de suite loué un remorqueur. La conclusion du registraire sur ce point est ainsi formulée :

Pour placer la demanderesse dans la même situation que si la perte n’était pas survenue, il faudrait, en plus de la valeur du navire perdu, que la demanderesse soit indemnisée de la perte d’usage. Cette perte d’usage, à mon avis, est la différence entre le coût des navires affrétés et le coût de l’exploitation du « Teeshoe » pendant la période requise pour construire un autre navire en six mois, puisqu’il n’y avait aucun navire à vendre sur le marché à cette époque.

24    Il est donc clair que le registraire a conclu qu’il n’y avait aucun remorqueur de type convenable à vendre, et, bien qu’il y ait eu des éléments de preuve contradictoires sur ce point aussi, il y avait des éléments de preuve que le registraire pouvait admettre et selon lesquels il n’y avait aucun remorqueur semblable à vendre. Il était donc nécessaire que les propriétaires louent un remorqueur pendant le temps qu’il faudrait normalement pour construire un nouveau remorqueur, et il n’est pas contesté qu’à cet égard il faut compter six mois.

[196]       Compte tenu des faits présentés par les experts, et considérant le caractère particulièrement bien adapté du Warnoc au travail devant être effectué à Clio Bay – un environnement de travail inhabituel – ainsi que des éléments de preuve documentaire fournis au soutien du remplacement du Warnoc par l’Inlet Prowler caréné, je fixe le montant des dommages subis par Snow Valley à 257 000 $, ce qui correspond à environ 60 p. 100 du coût de remplacement estimé par Canadian Alberni Engineering, en prenant notamment en compte des renseignements détaillés concernant l’équipement à bord du Warnoc lorsqu’il a fait naufrage.

F.                  Les intérêts

[197]       Les parties conviennent que les intérêts dans les affaires maritimes sont accordés au taux préférentiel. Le taux préférentiel du 5 octobre 2011 au 28 janvier 2015 était de 3 p. 100. Le 28 janvier 2015, il a été réduit à 2,85 p. 100.

[198]       Là où les parties sont en désaccord, c’est quant à savoir si les intérêts devraient être simples ou composés. La demanderesse soutient que, compte tenu de plusieurs précédents judiciaires, dont l’arrêt Bank of America Canada c Clarica Trust Company, [2002] 2 CSC 601 aux paragraphes 24, 37, 38 et 44, des intérêts composés devraient être accordés, puisqu’ils constituent une mesure plus précise de la valeur de la possession d’argent pendant une période donnée.

[199]       Les défendeurs soutiennent qu’étant donné la nature différente des précédents invoqués par la demanderesse, et puisque la demanderesse a choisi de renoncer à toute réclamation au titre d’une perte commerciale relativement à la période en question, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’octroyer des d’intérêts composés. Je souscris à leur thèse.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La seule négligence qui a causé le naufrage et la perte accidentels du navire de la demanderesse le Warnoc était celle de l’officier de pont du Seaspan Commodore et du Seaspan Survivor, Ray Nicol, et son équipage, lorsqu’ils ont omis d’attacher de manière convenable et sûre un câble de sécurité de la grue de remorqueur de billes du Survivor à son ancre et sa chaîne d’ancre. Ni le fait que ni l’un ni l’autre des deux membres de l’équipage du Warnoc, M. Hansen et M. Collins, n’ait été capitaine au long cours, ni le fait qu’il leur incombait d’attacher convenablement le câble de remorque de la bitte de remorquage de la poupe du Warnoc à l’ancre et la chaîne du Survivor, n’a contribué au naufrage et à la perte du Warnoc;

2.                  Je conclus que les dommages que la demanderesse a subis par suite de la perte du Warnoc s’élèvent à 257 000 $;

3.                  Des intérêts avant et après jugement au taux préférentiel de 3 p. 100 pour la période du 5 octobre 2011 au 28 janvier 2015 et de 2,85 p. 100 du 29 janvier 2015 jusqu’à ce jour sont accordés à la demanderesse;

4.                  Les dépens sont adjugés en faveur de la demanderesse.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


ANNEXE « A »


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1012‑12

 

INTITULÉ :

SNOW VALLEY MARINE SERVICES LTD C SEASPAN COMMODORE ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MARS 2015

COMPARUTIONS :

David McEwen

Steve Carey

POUR LA DEMANDERESSE

John Bromley

Chanelle Wong

Bull Housser Tupper

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander Holburn Beaudin + Lang LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE,

SNOW VALLEY MARINE SERVICES LTD

Bull Housser & Tupper LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.