Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150318


Dossier : T-1044-12

Référence : 2015 CF 344

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

DOUGLAS ROSS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur est un détenu de l’Établissement de Beaver Creek (ÉBC). Le 29 juillet, le directeur par intérim a haussé la cote de sécurité du demandeur de minimale à moyenne et a transféré celui-ci de l’ÉBC, qui est un établissement à sécurité minimale, à l’Établissement Fenbrook (ÉF), qui est un établissement à sécurité moyenne. Le 3 janvier 2012, le sous‑commissaire principal du Service correctionnel du Canada (SCC) a rejeté le grief au troisième palier du demandeur, qui sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Les questions à trancher en l’espèce se résument à celles de savoir si le SCC s’est acquitté de son obligation, tant selon la loi que selon la common law, de divulguer les faits et les motifs qui sous-tendent la décision relative à la modification de la cote de sécurité et au transfèrement.

[2]               La teneur de l’obligation d’équité procédurale en l’espèce est régie par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), et par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement). L’alinéa 12b) du Règlement accorde aux détenus faisant l’objet d’un transfèrement involontaire le droit de présenter des observations. Selon le paragraphe 27(1) de la Loi, lorsqu’un détenu a le droit, en vertu du Règlement, de présenter des observations, « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans [la prise de décision], ou un sommaire de ceux‑ci », doivent lui être communiqués, sous réserve uniquement de l’exception énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi. 

[3]               Le paragraphe 27(3) de la Loi permet au SCC de refuser de communiquer, « dans la mesure jugée strictement nécessaire », des renseignements s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite. Afin de pouvoir se fonder sur le paragraphe 27(3), le SCC doit invoquer la disposition et, si les renseignements dont la communication est refusée proviennent de sources ou d’informateurs anonymes et que la décision découlant du refus est contestée, le SCC doit expliquer les raisons pour lesquelles il juge ces sources fiables : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 88.

[4]               L’article 27 de la Loi « impose au SCC une lourde obligation de communication » : May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, au paragraphe 95. Les obligations de communication garantissent « l’équité du processus de prise de décision qui mène au transfèrement en exigeant que « l’administré connaisse les faits qu’on entend lui opposer » : Khela, au paragraphe 82; May, au paragraphe 92. Dans le contexte des modifications de la cote de sécurité et des transfèrements involontaires, la communication doit être suffisante pour permettre [TRADUCTION] « au prisonnier de participer de manière significative » à la contestation du transfèrement et [TRADUCTION] « de vérifier si le transfèrement est fondé sur une préoccupation raisonnable et sérieuse » : Caouette c Mission Institution, 2010 BCSC 769, au paragraphe 75, citant Boucher c Canada (Procureur général), 2005 CAF 77.

[5]               Cependant, la communication exigée dans le contexte des procédures administratives des prisons n’est pas aussi lourde que la communication requise dans le contexte du droit pénal : arrêt R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326 : Khela, au paragraphe 83; May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82. Les exigences de l’équité procédurale doivent plutôt être examinées en contexte : Khela, au paragraphe 83. Cela signifie que, même si la question clé à trancher en l’espèce – soit la question de savoir si le SCC s’est acquitté de ses obligations de communication envers le demandeur – nécessite un examen de la portée des droits du demandeur en matière d’équité procédurale, c’est la preuve qui est au cœur de l’analyse, laquelle consiste à évaluer le contexte factuel précis dans lequel la décision attaquée a été prise.

II.                Faits

[6]               Le demandeur, Douglas Ross, est un détenu âgé de 49 ans qui purge une peine de 10 ans d’emprisonnement pour homicide involontaire coupable. Sa date de libération d’office était le 5 mai 2014 et sa peine prend fin le 3 septembre 2017. Tel qu’il est mentionné plus haut, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le directeur a haussé sa cote de sécurité et l’a transféré de l’ÉBC à l’ÉF. Cette décision était fondée sur une enquête de sécurité menée par le SCC, plus précisément par l’agente de renseignements de sécurité (ARS) Bobbie McMullin.

[7]               Le 26 juin 2011 – trois mois après l’arrivée du demandeur à l’ÉBC, l’ARS McMullin a appris d’un informateur confidentiel que le demandeur vendait du tabac, de la marihuana et des pilules à la population carcérale. Elle s’est fait dire que le demandeur collaborait avec deux personnes, soit Guiseppe Fazzina (Rocky), son cousin, qui est également détenu au même établissement, et Melissa Gagne, l’amie de M. Fazzina, pour introduire des objets interdits dans l’ÉBC. Le 28 juin 2011, afin de vérifier ces renseignements, l’ARS McMullin a demandé et obtenu du SCC l’autorisation d’intercepter les communications téléphoniques du demandeur.

[8]               Une série d’événements se sont produits rapidement par la suite. Le 11 juillet 2011, l’ARS a appris d’un informateur confidentiel que M. Fazzina avait introduit du tabac dans l’ÉBC par l’entremise de Mme Gagne et l’avait dissimulé dans le réfrigérateur de sa rangée de cellules afin de le vendre à des codétenus. L’ARS a mené une fouille dans le réfrigérateur et y a trouvé 13,5 grammes de tabac. En conséquence, M. Fazzina a été placé en isolement préventif.

[9]               Le même soir, un appel téléphonique entre le demandeur et Mme Gagne a été intercepté et enregistré. Le demandeur informait alors Mme Gagne de l’isolement de M. Fazzina et du fait que le SCC avait [TRADUCTION] « trouvé quelque chose dans le réfrigérateur ». Le demandeur a ajouté qu’il téléphonerait à nouveau à Mme Gagne le lendemain, une fois que celle-ci aurait parlé à M. Fazzina.

[10]           L’ARS McMullin s’est également fait dire par des informateurs confidentiels que M. Ross leur avait fourni le numéro de téléphone de Mme Gagne afin de faciliter l’achat d’objets interdits, y compris du tabac. Selon les informateurs, M. Ross disait aux acheteurs éventuels de payer le coût des objets en demandant à leurs personnes ressources de la collectivité de téléphoner à Mme Gagne et d’effectuer un virement dans le compte bancaire de celle-ci. Les informateurs ont fourni à l’ARS McMullin le numéro de téléphone de Mme Gagne.

[11]           Le lendemain, le 12 juillet 2011, l’ARS McMullin a vérifié ces renseignements en téléphonant à Mme Gagne et en lui demandant l’« info ». Mme Gagne a demandé à l’ARS McMullin de communiquer par texto. L’ARS McMullin a envoyé un texto à Mme Gagne et lui a redemandé « l’info ». Au cours de cette interaction, l’ARS McMullin s’est présentée à Mme Gagne comme [TRADUCTION] « la sœur de Dave ». En réponse, Mme Gagne a envoyé à l’ARS McMullin un texto dans lequel elle a fourni des renseignements concernant son compte bancaire et a demandé quel serait le montant du dépôt. L’ARS McMullin a ensuite répondu en envoyant le texto suivant : [TRADUCTION] « est-ce que j’ai besoin d’un nom ou est-ce que je peux le faire sans nom »? L’ARS McMullin n’a envoyé aucun autre texto à Mme Gagne, mais celle-ci lui a demandé, dans un dernier texto : [TRADUCTION] « achetez-vous le téléviseur ou non »? L’ARS McMullin n’avait jamais parlé d’un téléviseur à Mme Gagne.

[12]           Le 12 juillet 2011, à 19 h 04, M. Ross a rappelé Mme Gagne, qui lui a dit qu’elle avait reçu un appel de [TRADUCTION] « la sœur de Dave » et qu’elle avait fourni des renseignements bancaires, mais qu’elle n’avait pas reçu de réponse. Mme Gagne a expliqué que, lorsqu’elle a constaté qu’elle n’avait aucune nouvelle de [TRADUCTION] « la sœur de Dave », elle a envoyé un dernier texto dans lequel elle lui a demandé [TRADUCTION] « achetez-vous le téléviseur ou non »? Mme Gagne a demandé à M. Ross de [TRADUCTION] « trouver qui est ce Dave et de chercher à savoir s’il a une sœur ou quoi que ce soit et si c’est réglo. Si ça ne l’est pas, cela signifie que la police essaie d’épingler Rocky ». Le demandeur a répondu en disant qu’il chercherait [TRADUCTION] « à savoir ce qui se passait », mais qu’il était [TRADUCTION] « presque certain qu’il n’y a pas de problème. D’accord? ». Le demandeur a ensuite rassuré Mme Gagne en ces termes : [TRADUCTION] « Je vais le découvrir pour toi ».

[13]           Plus tard ce soir-là, vers 19 h 54, M. Ross a téléphoné une troisième fois à Mme Gagne afin de lui demander le numéro de téléphone de la personne qui l’avait appelée ce jour-là. Le demandeur a expliqué qu’à son avis, la personne qui avait appelé [TRADUCTION] « était probablement l’agente de sécurité ici » et qu’il [TRADUCTION] « avait déjà entendu dire qu’elle faisait ce genre de choses ». Lorsque Mme Gagne lui a demandé s’il s’était renseigné, le demandeur a répondu qu’il l’avait fait et ajouté ce qui suit : [TRADUCTION] « Je ne sais pas, c’est peut-être Rocky qui essaie de vendre […] je sais qu’il essaie de vendre l’écran géant qu’il a eu, mais je ne sais pas s’ils ont écouté ses appels téléphoniques ou ce qu’ils ont fait; tu sais ce que je veux dire? ». Mme Gagne a ensuite donné la réponse suivante : [TRADUCTION] « [c]’est forcément un policier, parce que si la personne était réglo, ils auraient […] s’ils avaient voulu le téléviseur, ils auraient dit oui ou non et ils auraient déposé l’argent dans mon compte, ou ils auraient retourné mes appels ». M. Ross a répondu [TRADUCTION] « [t]u n’as pas été un peu surprise du fait qu’ils n’avaient pas cherché à voir le téléviseur d’abord? » et Mme Gagne a donné l’explication suivante : [TRADUCTION] « [e]n fait, je ne savais pas de quoi [Rocky] avait parlé exactement ».

[14]           Le 13 juillet 2011, M. Ross a dit à son agent de libération conditionnelle, Alan Chow, que Mme Gagne avait introduit du tabac dans l’ÉBC pour M. Fazzina, mais que c’était à des fins personnelles. M. Chow a transmis ces renseignements au moyen d’un Rapport d’observation acheminé à l’ARS McMullin.

[15]           En se fondant sur ces événements et sur d’autres renseignements obtenus d’informateurs confidentiels, l’ARS McMullin a conclu que le demandeur avait également participé au stratagème visant à introduire des objets interdits dans l’ÉBC.

[16]           Après en être arrivée à cette conclusion, l’ARS a interrogé le demandeur le 13 juillet 2011. Elle l’a informé qu’il était placé en isolement, en raison de l’existence de [TRADUCTION] « renseignements secrets et de communications interceptées » qui incitaient le SCC à croire que le demandeur [TRADUCTION] « participait à un complot et introduisait des objets interdits/non autorisés dans l’ÉBC ». L’ARS McMullin a consigné de brèves notes manuscrites au sujet de la rencontre. Il appert des notes que le demandeur a été informé du fait que ses communications téléphoniques avaient été interceptées. Selon les notes de l’ARS, M. Ross a dit à l’agent McMullin que son cousin, M. Fazzina, avait du tabac qui provenait de Mme Gagne, mais il a ensuite changé sa version pour dire qu’il ignorait si Mme Gagne avait participé au stratagème. Il a ajouté qu’il soupçonnait l’ARS McMullin d’être la personne qui s’est présentée comme [TRADUCTION] « la sœur de Dave ».

[17]           Par suite de l’enquête, l’ARS McMullin a recommandé que le demandeur soit placé en isolement, que sa cote de sécurité soit modifiée et qu’il soit transféré dans un établissement à sécurité moyenne. Le 28 juillet 2011, le demandeur a fourni un enregistrement sur bande magnétique d’observations orales en réfutation visant à contester la modification de la cote de sécurité et le transfèrement qui étaient proposés. Le lendemain, soit le 29 juillet 2011, le directeur a modifié la cote de sécurité du demandeur et a transféré celui-ci. Le 3 janvier 2012, le grief au troisième palier du demandeur a été rejeté.

III.             Questions en litige

[18]           La Cour doit trancher quatre questions en l’espèce : (1) la question de savoir si la demande est théorique; (2) la question de savoir quelle est la norme de contrôle applicable; (3) la question de savoir si le demandeur a été privé ou non du droit à l’équité procédurale et s’il a reçu ou non communication de tous les renseignements; (4) la question de savoir si la décision de modifier la cote de sécurité du demandeur et de le transférer était raisonnable.

IV.             Dispositions législatives pertinentes

[19]           Le paragraphe 27(1) de la Loi énonce les renseignements que le détenu a le droit de recevoir lorsque le SCC s’apprête à prendre une décision à son sujet :

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

[20]           Le paragraphe 27(3) de la Loi permet au SCC de refuser de communiquer certains renseignements dans des contextes précis :

27. (3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

27. (3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

(a) the safety of any person,

(b) the security of a penitentiary, or

(c) the conduct of any lawful investigation,

the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

V.                Analyse

A.                La demande n’est pas théorique

[21]           La question préliminaire qui se pose dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si la demande est théorique ou non. À mon avis, la demande n’est pas théorique, parce qu’elle concerne un litige actuel.

[22]           Bien que le demandeur ait obtenu sa libération d’office le 5 mai 2014, les conséquences découlant de la modification de sa cote de sécurité et de son transfèrement persistent. Ainsi, le rôle que le demandeur a joué dans des incidents d’inconduite en établissement demeurera inscrit dans le dossier du SCC à son sujet et ces renseignements seront utilisés par le SCC et par la Commission des libérations conditionnelles du Canada dans toutes les évaluations de risque ultérieures et seront fournis sur demande aux services de police, y compris la Police provinciale de l’Ontario et la Gendarmerie royale du Canada.

[23]           Dans le cadre de la présente demande, le demandeur sollicite une ordonnance interdisant au SCC de mentionner la modification de la cote de sécurité et le transfèrement en l’absence d’un texte supplémentaire énonçant les conclusions de la Cour fédérale à l’issue du contrôle judiciaire, ce qui constitue une mesure importante.

[24]           Il existe donc un litige actuel qui peut être résolu au moyen d’une décision dans la présente instance, de sorte que la demande n’est pas théorique.

B.                 La norme de contrôle judiciaire applicable est la norme de la décision raisonnable

[25]           La norme à appliquer pour savoir si le directeur s’est acquitté de l’obligation d’équité procédurale est la norme de la décision correcte : Khela, au paragraphe 79. Cependant, le paragraphe 27(3) exige une certaine déférence à l’égard des décisions du SCC selon lesquelles la communication de renseignements pourrait mettre en danger la sécurité du pénitencier ou d’une personne ou compromettre la tenue d’une enquête licite. C’est le commissaire et ses représentants, c’est-à-dire les agents de renseignements de sécurité, qui sont les personnes les mieux placées pour décider si ce risque est susceptible de se concrétiser et pour évaluer la fiabilité d’un informateur donné. En conséquence, le SCC a droit à une certaine déférence : Khela, au paragraphe 89.

C.                L’obligation de communication  

[26]           Tel qu’il est mentionné plus haut, le nœud de la présente affaire ne réside pas dans la définition des paramètres de l’obligation de communication, mais plutôt dans l’examen de différentes questions relatives à la preuve, dont la première est celle de savoir si l’affidavit confidentiel de l’ARS McMullin est admissible. L’ARS McMullin a fourni deux copies de l’affidavit qu’elle avait signé le 10 mai 2013, soit une version publique et une version confidentielle. Les deux affidavits traitent de renseignements reçus qui sont défavorables au demandeur, de la fiabilité des informateurs, des mesures prises pour évaluer la fiabilité des renseignements, des renseignements communiqués au demandeur, des renseignements dont la communication a été refusée et des raisons de ce refus. L’admissibilité de l’affidavit est fondamentale, parce que la question clé à trancher en l’espèce – soit celle de savoir s’il a été satisfait à l’obligation de communication – dépend des éléments de preuve contenus dans ce document.

[27]           Le demandeur soutient que l’affidavit comporte un témoignage d’opinion inadmissible et soulève des questions de crédibilité. Plus précisément, l’affidavit a été signé près de deux ans après la survenance des événements en litige et est beaucoup plus détaillé que les brèves notes manuscrites que l’ARS McMullin a consignées par suite de sa rencontre du 13 juillet 2011 avec le demandeur. Le contenu de l’affidavit et des notes manuscrites est différent en ce qui concerne les renseignements qui ont été communiqués au demandeur le 13 juillet 2011. En effet, l’affidavit comporte de nombreux détails au sujet des renseignements communiqués au demandeur. Examinées séparément et ensemble, ces observations minent la crédibilité de l’affidavit.

[28]           En l’absence de l’affidavit de l’ARS McMullin, il est évident que, à première vue, les documents et renseignements communiqués au demandeur ne respectaient pas les exigences du paragraphe 27(1). Le demandeur n’a pas obtenu suffisamment de renseignements pour connaître les faits qu’on entendait lui opposer. Cependant, si l’affidavit est admissible, il établit que le demandeur a reçu communication d’un sommaire des renseignements satisfaisant. Il est possible de satisfaire aux exigences du paragraphe 27(1) en fournissant un sommaire des renseignements : Khela, au paragraphe 81.

[29]           Bien que l’affidavit ait été signé près deux ans après la survenance des événements en litige, ses éléments importants sont corroborés par les notes manuscrites de l’ARS McMullin. Curieusement, l’affidavit est également corroboré par l’enregistrement des observations orales que le demandeur a présentées en réfutation le 28 juillet 2011 pour contester la décision.

[30]           Dans ses observations en réfutation, le demandeur a confirmé l’étendue des renseignements dont il avait reçu communication. Plus précisément, il a confirmé qu’il était au courant de certains propos formulés, notamment, au cours des conversations téléphoniques interceptées. Le demandeur a également contesté, dans les mêmes observations, les allégations selon lesquelles il fumait ou vendait ses médicaments sur ordonnance, confirmant par le fait même la déposition de l’ARS McMullin, qui a déclaré avoir informé le demandeur de cette même allégation. Le demandeur a aussi confirmé, dans ces mêmes observations, qu’il savait que du tabac avait été trouvé dans son réfrigérateur et que M. Fazzina avait été placé en isolement, ce qui confirme la déposition de l’ARS McMullin selon laquelle le demandeur a été informé de ces faits.  

[31]           Étant donné que l’affidavit de l’ARS McMullin est corroboré tant par les notes manuscrites de celle-ci que par les observations en réfutation du demandeur, il est admissible. Malheureusement pour le demandeur, s’il n’avait pas présenté d’observations en réfutation, il est probable que l’affidavit n’aurait pas été admis en preuve.

[32]           J’en arrive maintenant aux renseignements communiqués au demandeur et à la question de savoir si cette communication était suffisante pour satisfaire aux lourdes exigences imposées par le paragraphe 27(1) de la Loi.

[33]           Selon le paragraphe 27(1) de la Loi, le prisonnier doit être informé de « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans [la prise de décision], ou un sommaire de ceux‑ci », à moins que le paragraphe 27(3) n’exige que les renseignements ne soient pas communiqués. Le paragraphe 27(3) prévoit une exception aux exigences lourdes relatives à la communication lorsque le commissaire a des motifs raisonnables de croire que la communication de renseignements en application du paragraphe 27(1) mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

[34]           Lorsque seul un sommaire des renseignements est fourni, le critère à appliquer pour savoir si la communication était suffisante réside dans la question de savoir si les renseignements ainsi fournis ont permis au demandeur de connaître les faits qu’on entendait lui opposer : May, au paragraphe 82; Athwal c Ferndale Institution, 2006 BCSC 1386.

[35]           Dans la présente affaire, l’ARS McMullin a avisé le demandeur, au cours de la rencontre du 13 juillet 2011, que certains renseignements n’étaient pas communiqués par mesure de protection des informateurs confidentiels. Cependant, bien que le paragraphe 27(3) permette de refuser la communication de renseignements, le SCC demeure tenu de fournir [TRADUCTION] « le plus de détails possible » : Athwal, au paragraphe 23. Pour évaluer cette obligation, il faut se rappeler que les allégations formulées contre le demandeur n’étaient pas complexes; elles étaient même plutôt simples. Fazzina (Rocky) et Ross (Dino), qui étaient cousins, et Gagne (l’amie de Rocky) ont collaboré ensemble afin d’introduire des objets interdits dans l’ÉBC. Le modus operandi était connu, le plan avait été exécuté dans le passé et il y avait participation à un plan en vue de recommencer, même si c’était à l’instigation de l’ARS McMullin.

[36]           Les renseignements fournis au demandeur comprenaient un sommaire concernant les communications téléphoniques interceptées, les allégations de l’ARS McMullin selon lesquelles le demandeur fumait et vendait ses pilules, ainsi que la découverte de tabac dans le réfrigérateur du demandeur et le placement en isolement de M. Fazzina.

[37]           En conséquence, le demandeur a reçu un sommaire satisfaisant conformément au paragraphe 27(1) de la Loi, c’est-à-dire qu’il a reçu suffisamment de renseignements pour connaître les faits qu’on entendait lui opposer et contester les allégations formulées contre lui.

[38]           En résumé, après avoir pris connaissance de l’affidavit confidentiel, je conclus que le demandeur a reçu une communication appropriée des renseignements qui ont servi de fondement quant à la modification de la cote de sécurité et du transfèrement, laquelle communication excluait uniquement les renseignements dans la mesure « strictement nécessaire » pour atténuer les préoccupations liées à la sécurité. Les exigences relatives à l’équité procédurale ont été respectées.

[39]           Les renseignements que le SCC n’a pas fournis au demandeur en l’espèce étaient des renseignements qui auraient révélé l’identité d’informateurs confidentiels. Dans son affidavit confidentiel, l’ARS McMullin explique pourquoi il était impossible de communiquer des renseignements comme le nombre de dénonciateurs, leurs propos et certaines mesures prises pour évaluer la fiabilité sans révéler l’identité des sources. Je suis d’avis que l’allégation de privilège d’intérêt public en ce qui concerne le privilège de l’informateur, suivant les précisions données au paragraphe 27(3) de la Loi, est bien fondée.

VI.             Conclusions

[40]           Pour les motifs exposés ci-dessus, le SCC s’est acquitté de ses obligations de communication et, par conséquent, la décision du directeur était équitable sur le plan procédural. De plus, eu égard aux éléments de preuve présentés dans l’affidavit confidentiel de l’ARS McMullin, la décision de hausser la cote de sécurité du demandeur et de transférer celui-ci appartient aux issues possibles acceptables.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1044-12

INTITULÉ :

DOUGLAS ROSS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 décembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 18 mars 2015

COMPARUTIONS :

Diane K. van de Valk

POUR LE DEMANDEUR

Ayesha Laldin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Diane K. van de Valk

Avocate

Bracebridge (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.