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Date : 20150317


Dossier : T-904-14

Référence : 2015 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

FILO SIGLOY

demandeur

et

DHL EXPRESS (CANADA), LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Le demandeur souhaite l’annulation de la décision de l’arbitre Joseph B. Rose qui a rejeté sa plainte pour congédiement injustifié en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC (1985), ch L-2 (le Code). Pour les motifs exposés ci-après, la demande est accueillie.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur, M. Filo Sigloy, a travaillé pour DHL Express (Canada) Ltd. du 20 septembre 2010 au 9 octobre 2012, date de son congédiement, qu’il estime injustifié. Le demandeur a d’abord été embauché au sein d’une unité de négociation. Cependant, le 1er mai 2012, il a été promu au poste de spécialiste bilingue de comptes importants, fonctions dans lesquelles il a cessé d’appartenir à un syndicat. À la suite de son congédiement, le demandeur a déposé une plainte en vertu de l’article 240 du Code.

[3]               Le poste de spécialiste bilingue de comptes importants était régi par un contrat de travail, conclu et signé par le demandeur. L’article 8 du contrat de travail stipule que la défenderesse peut mettre fin à l’emploi du demandeur en tout temps :

[traduction]

Ce contrat et votre emploi qui en découle peut être résilié selon les modalités suivantes :

a) Vous pouvez résilier ce contrat pour tout motif au moyen d’un avis écrit de quatorze (14) jours à l’entreprise.

b) Par l’entreprise, en tout temps et sans préavis :

Pour toute cause juste, ce qui mettrait fin à votre emploi immédiatement après la réception d’un avis écrit de congédiement qui en explique le motif. L’expression « cause juste » comprend notamment un manquement important au présent contrat.

c) L’entreprise peut mettre fin à votre emploi en tout temps, en vous donnant le bénéfice le plus important entre un préavis écrit de deux (2) semaines ou l’indemnité de départ expresse ou implicite qui s’applique. Au moment de la cessation d’emploi, vous devrez remettre à DHL l’ensemble des biens, des matériaux, des rapports, des clés, des cartes, etc., qui lui appartiennent et dont vous avez la garde ou qui sont en votre possession.

[Non souligné dans l’original.]

[4]               Le 9 octobre 2012, la défenderesse a avisé le demandeur par écrit qu’elle mettait fin à son emploi immédiatement. La lettre de fin d’emploi ne stipulait pas que le demandeur était congédié sans motif, mais elle le sous-entendait, puisqu'on pouvait y lire que le demandeur recevrait toutes les indemnités auxquelles il avait droit en vertu de la clause du contrat relative au congédiement sans motif. Ces indemnités se composaient d’une indemnité de préavis équivalant à deux semaines de salaire, plus une indemnité de départ équivalant à cinq jours de salaire, moins les retenues applicables.

[5]               Le demandeur a déposé une plainte pour congédiement injustifié auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) (maintenant Emploi et Développement social Canada). Dans sa plainte, le demandeur a prétendu qu’il n’y avait aucun motif raisonnable pour justifier son congédiement, que ce dernier ne découlait pas d’un manque de travail ou de l’abolition d’un poste, que toute mention d’une cause juste était non fondée, et qu’une telle cause juste n’avait pas encore été soulevée à cette date.

[6]               Par la suite, conformément aux procédures prévues dans le Code, RHDCC a écrit à la défenderesse afin qu’elle lui transmette une déclaration écrite expliquant les motifs du congédiement. Un représentant du service des Ressources humaines de la défenderesse a répondu à cette demande en expliquant les motifs du congédiement du demandeur. Ces motifs faisaient notamment état du rendement médiocre du demandeur, d’un problème d’assiduité et d’attitude au travail, d’une multitude de plaintes de clients internes et externes concernant la qualité de son travail, de son manque de professionnalisme, de la lenteur des suivis et d’une incapacité manifeste de se montrer à la hauteur des exigences de son poste. La lettre ne mentionnait pas que le congédiement était fondé sur une cause juste.

[7]               Le ministre du Travail a nommé un arbitre pour instruire la plainte du demandeur et l'audience a été fixée au 17 octobre 2013. Au début de l’audience, la défenderesse a soulevé une objection préliminaire à savoir si l’arbitre avait compétence pour instruire la plainte du demandeur. Plus précisément, la défenderesse soutenait que le congédiement sans cause juste était prévu dans le contrat de travail, et que, par conséquent, l’arbitre n’avait pas compétence pour mener une audience sur la base d’une plainte liée à un congédiement injustifié. Les parties ont remis leurs observations écrites à l’arbitre concernant cette objection, et l’arbitre a ultimement conclu, le 20 mars 2014, qu’il n’avait pas compétence pour instruire la plainte du demandeur.

III.             La décision

[8]               Le 20 mars 2014, l’arbitre a rendu sa décision, dans laquelle il a rejeté la plainte du demandeur sur la base d’un manque de compétence.

[9]               L’arbitre a déterminé que la question principale de l’affaire était de [traduction] « savoir si un arbitre a compétence dans le cas où un employeur congédie un employé sans cause juste en s’appuyant sur le Code et sur un contrat de travail valide ayant force de loi ».

[10]           L’arbitre a commenté la déclaration du demandeur selon laquelle il s’agissait d’un « faux » congédiement sans cause juste. L’arbitre a conclu que même si un employeur avait des motifs de congédier l’employé, cela ne signifiait pas qu’il devait nécessairement avoir recours à l’option du congédiement pour une « cause juste » prévue dans le contrat, le cas échéant. L’arbitre a également soulevé que la question relative aux congédiements pour cause juste déguisés l'obligeait à [traduction] « scruter soigneusement les contrats de travail ». Il a aussi fait remarquer que [traduction] « dans même la mesure où chaque affaire doit être tranchée en fonctions de ses faits particuliers, chaque contrat de travail possède ses propres caractéristiques ».

[11]           L’arbitre a conclu qu'il ne semblait y avoir aucune irrégularité entourant le congédiement de l’employé. Selon lui, il existait un [traduction] « contrat de travail consensuel prévoyant les droits prévus par le Code ». Étant donné que le demandeur n’a pas soulevé d’autres allégations de traitement injuste, l’arbitre a conclu que [traduction] « lorsque des ententes consensuelles répondent aux exigences ci-dessus, elles n’entrent pas en conflit avec la disposition concernant les contrats de l’article 168 du Code ».

[12]           L’arbitre a aussi tenu compte de l’argument du demandeur selon lequel la défenderesse ne pouvait pas [traduction] « revenir sur les motifs écrits » qu’elle avait transmis à RHDCC. Selon l’arbitre, lorsque RHDCC a demandé à la défenderesse de lui fournir les raisons du congédiement, la réponse de DHL ne signifiait pas qu'elle visait à établir une cause juste. En concluant, l’arbitre a ajouté que, malgré les raisons du congédiement invoquées par DHL, celle‑ci ne prétendait pas qu’elles constituaient une « cause juste et suffisante » : [traduction] « en effet, l’employeur prétend depuis le début qu’il a congédié [le demandeur] sans cause, en s’appuyant sur un contrat de travail valide ayant force de loi ».

[13]           Finalement, l’arbitre a déclaré qu’il n’y avait pas de fondement à la revendication par le demandeur d’un privilège de règlement concernant la lettre de fin d’emploi. Cette lettre était donc admissible.

[14]           L’arbitre a également conclu que le demandeur [traduction] « a conclu un contrat de travail valide ayant force de loi, dont les dispositions respectent le Code. De plus, la plainte initiale [du demandeur] ne fait pas état de discrimination, de mesures de représailles ou de mauvaise foi en lien avec le congédiement ». Ainsi, l’arbitre n’avait pas compétence et il a accueilli l’objection préliminaire de la défenderesse.

IV.             Les questions en litige

[15]           À la lumière des événements jurisprudentiels survenus depuis l’audience concernant la présente demande, la seule question qui me reste à trancher consiste à savoir s'il est permis de déterminer le bien-fondé d’une plainte en vertu de l’article 240 du Code en l’absence d’une audience sur la preuve. La norme de contrôle applicable à cet égard est la norme de la décision correcte.

V.                Analyse

[16]           La question de compétence soulevée devant l’arbitre a déjà fait l'objet d'un examen par le juge O’Reilly dans l’affaire Atomic Energy of Canada Limited c Wilson, 2013 CF 733. Dans Wilson, le juge O'Reilly a déclaré que « [l]e fait qu’un employeur ait versé à l’employé une indemnité de départ n’empêche pas un arbitre d’accorder d’autres mesures de réparation lorsqu’il conclut que le congédiement était injuste ». Par conséquent, afin de déterminer si des mesures de réparation supplémentaires sont appropriées, un tribunal doit avoir compétence pour mener une audience sur le fond. On a interjeté appel de la décision du juge O'Reilly, et la question était toujours en délibéré au moment de l’audition du contrôle judiciaire en l’espèce.

[17]           Le 22 janvier 2015, la Cour d’appel a rejeté l’appel dans Wilson c Atomic Energy of Canada Limited, 2015 CAF 17. La Cour a invité les parties à lui transmettre leurs observations par rapport à cette décision.

[18]           La Cour d’appel a confirmé la décision du juge O’Reilly. Le juge Stratas, au nom de la Cour d'appel fédérale, s’est exprimé ainsi aux paragraphes 93 et 94 :

Enfin, je tiens à revenir sur un dernier argument formulé par l’appelant. L’appelant nous met en garde contre les conséquences graves que comporte la thèse d’EACL. Il évoque le risque que les employeurs soient en mesure de congédier des employés sans motif, de leur verser une somme d’argent qu’ils jugent adéquate, laissant ainsi les employés sans véritable droit de recours en vertu de l’article 240 du Code.

Cela est tout simplement inexact. Il revient toujours à l’arbitre d’évaluer les circonstances et de décider si le congédiement, qu’il soit motivé ou non, était injuste.

[19]           La décision de la Cour d’appel signifie qu’un arbitre commet une erreur lorsqu’il tient pour acquis que le congédiement sans cause juste d’un employé est nécessairement juste si l’employeur paie à l’employé les sommes convenues ou prévues par la loi (arrêt Wilson, au paragraphe 97). Il appartient toujours à l’arbitre de tenir compte des principes de common law qui régissent les congédiements, y compris la contrainte, et à se demander si le dédommagement est conforme aux exigences du Code ou du contrat de travail (voir le paragraphe 98 de l’arrêt Wilson).

[20]           Curieusement, même si l’on pouvait s’y attendre, les deux parties prétendent que la décision de la Cour d’appel vient appuyer leur point de vue respectif.

A.                La question

[21]           La Cour d’appel a indiqué clairement que les arbitres ont compétence pour instruire des plaintes au vu des objections découlant d’allégations que le congédiement était sans cause juste, ou qu’on n’avait pas respecté les exigences de base du Code ou du contrat de travail. Cela n’entraîne pas nécessairement une audience sur le fonds avec un examen de toute la preuve; l'affaire peut plutôt être tranchée sommairement.

[22]           Les circonstances de l’affaire Wilson sont directement analogues aux faits soumis à la Cour. En l’espèce, l’arbitre a déterminé que le paiement de l’indemnité minimale exigée par le Code, ou par le contrat, si elle était supérieure, faisait échec à sa compétence. Il ressort clairement de la décision de la Cour d’appel que c’est la preuve qui permet de déterminer s’il s’agit ou non d’un congédiement injustifié.

[23]           En somme, l’arbitre avait l’obligation de tenir une audience. Les règles, la forme et la durée de cette audience sont à la discrétion de l’arbitre, quoiqu’elles sont encadrées par des principes juridiques. Selon moi, l’essentiel de la décision de la Cour d’appel se trouve au paragraphe 97, qui explique qu’on ne peut tenir pour acquis qu’un congédiement sans cause juste était nécessairement juste du simple fait qu’on a versé à l’employé la rémunération requise. Il doit y avoir examen de la preuve, en surface ou en profondeur, sur les circonstances du congédiement.

[24]           En conclusion « Il revient toujours à l’arbitre d’évaluer les circonstances et de décider si le congédiement, qu’il soit motivé ou non, était injuste » (Wilson, paragraphe 94). Ce résultat concorde avec le jugement de l’affaire National Bank of Canada c Canada (Minister of Labour), [1998] FCJ No 872. On y indique au paragraphe 4 que l’article 168 du Code protège le droit d’un employé de déposer une plainte pour congédiement injustifié, même au vu d’un règlement ou d’un contrat de travail.

B.                 Application de l’arrêt Wilson

[25]           La défenderesse prétend que l’arbitre a suivi précisément les indications de la Cour d’appel dans l’arrêt Wilson. Il a tenu une procédure sommaire au cours de laquelle il a déterminé qu’il existait un contrat de travail valide qui rendait possible un congédiement sans cause juste. Selon la défenderesse, on peut être d'avis que l’audience qui a eu lieu portait avant tout sur la preuve ou sur la compétence, mais que, dans un cas comme dans l’autre, elle a bel et bien couvert les éléments qu’un arbitre se doit d’examiner en conséquence de l’arrêt Wilson. Elle constate que l’arbitre a conclu que la lettre de congédiement ne faisait pas état d’une cause juste et que les raisons qu’elle a données à RHDCC ne constituaient pas non plus une cause juste. L’arbitre a alors tenu compte du fait que le congédiement a eu lieu en vertu d’un contrat de travail valide, que les exigences prévues par la loi en matière d’indemnité de départ et de cessation d’emploi étaient remplies et qu'il n’y avait eu aucune allégation d’injustice, de mesures de représailles ou de discrimination. L’arbitre a conclu qu'il n’existait [traduction] « aucun fondement acceptable ou défendable sur lequel il pourrait conclure que le congédiement était injustifié ».

[26]           Bien que les arguments de la défenderesse soient très sensés, je ne peux les accepter. Toutes ces conclusions peuvent bien être fondées, mais un contrôle judiciaire et l’équité procédurale se soucient du processus de prise de décision, et non de ce qui en ressort. L’arrêt Wilson établit la nécessité d’un examen de l'ensemble de la preuve à l’audience, ce à quoi ni l'arbitre ni les parties n’ont accordé d’attention. La question dont l’arbitre était saisi était, par consensus, une détermination légale préliminaire.

[27]           Il est vrai que certains éléments de preuve ont été soumis à l’arbitre afin de tracer un cadre purement juridique, mais la Cour ne peut tenir pour acquis qu’il s’agissait là de toute la preuve que les parties auraient présentée, ni que les avocats l’ont soumise sous la forme et à la manière de leur choix, sous réserve, bien sûr, du pouvoir discrétionnaire de l’arbitre sur le déroulement de l’audience.

[28]           Même si la défenderesse a raison et que l’instance arbitrale était conforme à l’examen prescrit par Wilson, il s’agit encore là d’un résultat, tandis que l’équité procédurale vise le processus par lequel on arrive à une décision. L’équité procédurale exige à tout le moins que le demandeur ait l’occasion de soumettre des arguments quant à la forme et au contenu de l’audience, et dont l’arbitre, à la lumière de la décision de la Cour d’appel, doit tenir compte.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-904-14

INTITULÉ :

FILO SIGLOY c DHL EXPRESS (CANADA), LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Le juge Rennie

DATE DES MOTIFS :

Le 17 mars 2015

COMPARUTIONS :

Marc A. Munro

pour le demandeur

Gregory J. Power

POUR La défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Graydon Sheppard Professional Corporation

Avocats

Hamilton (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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