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Date : 20150119


Dossier : IMM-4181-14

Référence : 2015 CF 71

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 19 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ELISA MANGEBELE MABADI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Le contexte factuel

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision du 28 avril 2014 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé de rejeter la demande.

[2]               La demanderesse, une citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC), allègue qu’en 2012, alors qu’elle se trouvait à l’étranger, elle a participé à des manifestations contre le gouvernement actuellement au pouvoir en RDC. Elle allègue que ces manifestations ont été enregistrées sur vidéo et que ces enregistrements sont disponibles sur YouTube. La demanderesse prétend que le gouvernement de la RDC a appris qu’elle avait participé à ces manifestations et l’a pris pour cible. Elle allègue que plus tard en 2012, tandis qu’elle était au Canada, six représentants de l’État ont agressé des membres de sa famille chez sa fille, en RDC. Selon la demanderesse, les représentants de l’État auraient (i) mentionné qu’ils étaient au courant de ses activités politiques; (ii) demandé où elle se trouvait; (iii) violé sa fille et deux de ses filles adoptives; (iv) tué son père; (v) volé de l’argent et des biens à la famille; (vi) kidnappé deux de ses filles adoptives.

[3]               La SPR, qui a relevé un certain nombre d’incohérences et de contradictions, a conclu que les allégations de la demanderesse n’étaient pas crédibles. La décision fait précisément référence à des incohérences entre le témoignage de la demanderesse, son Formulaire de renseignements personnels et un article de journal sur l’incident. La SPR s’est concentrée sur les incohérences concernant les personnes présentes au moment de l’agression, les personnes qui ont été victimes de viol et les personnes habitant le domicile en question.

[4]               Dans la présente demande, le cœur de l’argumentation de la demanderesse concerne la qualité de l’interprétation, au cours de l’audience, quant aux propos tenus par la SPR en anglais et à ceux tenus par la demanderesse en tshiluba. La demanderesse n’était pas en mesure de se prononcer sur la qualité de l’interprétation, car elle ne maîtrise pas l’anglais, mais son cousin (Balex Kabamba) a assisté à l’audience et a témoigné devant la Cour au sujet de différentes erreurs d’interprétation alléguées.

II.                La question en litige et la norme de contrôle

[5]               Selon la demanderesse, en raison de ces erreurs d’interprétation alléguées, elle n'a pas eu droit à l'équité procédurale à l’audience. En réponse, le défendeur affirme qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et que toute erreur d’interprétation ayant pu être commise était mineure.

[6]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable pour une question d’équité procédurale se rapportant à la qualité de l’interprétation est la décision correcte. Je suis aussi de cet avis.

III.             Analyse

[7]               L’affidavit de M. Balex Kabamba présente en détail 22 erreurs d’interprétation alléguées. La demanderesse fait valoir qu’il est impossible de savoir en quoi ses réponses aux questions posées à l’audience devant la SPR auraient été différentes s’il n’y avait pas eu d’erreurs d’interprétation, et que, par conséquent, il est aussi impossible de savoir si la SPR aurait tiré des conclusions différentes. La demanderesse soutient également que la Cour ne devrait pas avancer d’hypothèses à cet égard.

[8]               Le défendeur formule des commentaires sur chacune des erreurs d’interprétation alléguées. Il fait également valoir que la qualité de l’interprétation ne doit pas être jugée en application d’une norme de perfection et que les erreurs, même graves, n’ont pas pour effet de vicier la décision de la SPR, sauf si ces erreurs auraient donné lieu à une issue différente. Le défendeur ajoute qu’il faut considérer la liste des 22 erreurs d’interprétation alléguées comme exhaustive, de sorte que le reste de l’interprétation devrait être présumé juste.

[9]               Après avoir examiné chacune des 22 erreurs d’interprétation alléguées, je conclus qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder à la majorité d’entre elles. Je conclus qu’il n’y a pas d’erreur d’interprétation aux numéros 8, 12, 19 et 22, pour reprendre la numération employée dans l’affidavit de M. Kabamba.

[10]           En ce qui a trait aux erreurs d’interprétation alléguées suivantes, je conclus soit que les échanges n’ont fait ressortir aucun malentendu, soit que les malentendus, le cas échéant, ont été dissipés pendant l’audience : 1, 2, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 13, 14, 15 et 16.

[11]           En ce qui a trait aux erreurs d’interprétation alléguées suivantes, je conclus que tout malentendu, le cas échéant, n’était pas essentiel à la conclusion de la SPR : 17, 20 et 21.

[12]           Ainsi, seules les erreurs d’interprétation alléguées 3 et 18 méritent une analyse approfondie.

[13]           L’erreur d’interprétation alléguée 3 se rapporte à la déclaration suivante du commissaire de la SPR (à la page 5, ligne 9 de la transcription) : [traduction] « Il est très important que vous arrêtiez de temps à autre pour permettre à [l’interprète] de rapporter vos propos. Si l’interprète vous demande d’arrêter, veuillez le faire afin de lui permettre d’interpréter vos paroles. » Selon la preuve, cette déclaration a été interprétée de la façon suivante : [traduction] « Répondez brièvement aux questions et n’entrez pas dans les détails. » La demanderesse insiste sur le fait que ce conseil l’a peut-être poussée à abréger certaines réponses et à omettre des explications supplémentaires qui auraient pu dissiper les doutes de la SPR quant à certaines incohérences et contradictions. Par conséquent, la SPR aurait pu tirer des conclusions différentes.

[14]           Le défendeur fait valoir que la demanderesse n’a pas mentionné une quelconque explication supplémentaire qui aurait pu pousser la SPR à tirer des conclusions différentes. Il fait valoir que toute explication supplémentaire de la demanderesse n’aurait pas suffi à corriger les incohérences et les contradictions qui préoccupaient la SPR.

[15]           Je souscris à l’avis du défendeur. La demanderesse ne m’a pas convaincu qu’elle aurait pu apporter une quelconque précision qui aurait permis de corriger les incohérences et les contradictions qui préoccupaient la SPR.

[16]           Je me penche maintenant sur l’erreur d’interprétation alléguée 18, qui concerne un échange au cours duquel le commissaire de la SPR demande une explication au sujet d’une apparente incohérence sur la question de savoir si la famille vivait encore dans la maison où l’agression aurait eu lieu. Plus tôt au cours de l’audience, la demanderesse a affirmé que sa fille et son gendre habitaient encore la maison (page 11, ligne 15). Ultérieurement, la demanderesse a indiqué que la famille de sa fille avait quitté cette maison en raison de l’agression (page 17, ligne 33). La demanderesse a précisé qu’elle faisait d’abord référence à l’endroit où sa fille habitait avant l’agression. Elle affirme qu’elle s’est expliquée en ces termes (interprétés correctement) : [traduction] « J’ai répondu à la question portant sur l’incident. La réponse que je donne actuellement se rapporte à la situation actuelle. » Cette explication a été traduite de la façon suivante : [traduction] « Lorsque vous m’avez posé cette question, j’ai d’abord compris que vous me demandiez où ils étaient, puis j’ai compris qu’ils habitent à cet endroit. »

[17]           Les parties conviennent que l’échange manque de clarté, et je suis de leur avis. L’explication de la demanderesse quant à cette incohérence n’a pas été adéquatement communiquée à la SPR. De plus, la décision précisait que la conclusion relative au manque de crédibilité s’appuyait en partie sur l’absence d’explication (voir le paragraphe 20). Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’un motif suffisant pour justifier l’annulation de la décision. Premièrement, à mon avis, l’explication de la demanderesse citée au paragraphe précédent manque de clarté. Même si cette explication avait été interprétée correctement, je ne suis pas convaincu que la SPR l’aurait nécessairement comprise comme le fait valoir la demanderesse devant la Cour. Deuxièmement, je ne suis pas convaincu que la SPR aurait tiré une conclusion différente quant à la crédibilité même si l’explication de la demanderesse avait été communiquée de façon claire. L’incohérence en soi n’était pas attribuable à une erreur d’interprétation. L’explication a tout simplement été mal formulée.

[18]           Enfin, même si je tiens compte de l’effet cumulatif des erreurs d’interprétation alléguées 3 et 18, je ne suis pas convaincu que les questions soulevées par la demanderesse sont suffisantes pour constituer un manquement à l’équité procédurale. La demanderesse n’avait pas droit à une interprétation parfaite, mais bien à une interprétation adéquate. Le principe le plus important est la compréhension linguistique : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161, au paragraphe 3, citant Mohammadian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CAF 191; R c Tran, [1994] 2 RCS 951. Je suis convaincu que l’interprétation, bien qu’imparfaite, était adéquate et que la demanderesse a eu droit à une audience équitable devant la SPR.

IV.             Conclusion

[19]           À mon avis, il y a lieu de rejeter la demande.

[20]           Dans sa plaidoirie, l’avocat de la demanderesse m’a demandé de certifier que cette affaire comporte une question grave de portée générale. La question proposée consiste à savoir si le fait de donner à un demandeur d’asile l’instruction de ne pas entrer dans les détails dans les réponses qu’il donne à l’audience devant la SPR constitue un motif pour annuler une décision de refus du statut de réfugié. Pour sa part, le défendeur soutient que cette question n’a pas la portée générale requise pour justifier la certification. Je suis d’accord avec le défendeur. J’estime que la question proposée se rapporte à des faits trop précis pour mériter d’être certifiée. Par conséquent, je ne certifierai pas de question en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4181-14

 

INTITULÉ :

ELISA MANGEBELE MABADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 2 décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge LOCKE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Dean Szikinger

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexander Menticoglou

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis Immigration Law Office

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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