Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150218

Dossier : IMM‑4313‑13

Référence : 2015 CF 209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LYUDMYLA KOTELENETS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse (ou Mme Kotelenets) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI), le 23 mai 2013, a rejeté son appel du refus par un agent des visas d’accorder un visa de résidence permanente à sa mère et à son beau‑père qui vivent en Ukraine et dont la demanderesse avait parrainé les demandes de visa au titre de la catégorie du regroupement familial.

[2]               Les demandes de visa ont été refusées parce que la mère de la demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) à titre de personne dont l’état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé du Canada.

[3]               La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion de l’agent de visa devant la SAI, mais a demandé la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi qui attribue à la SAI le pouvoir de faire droit à l’appel lorsqu’elle est convaincue qu’au moment où il en est disposé, il y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision de l’agent des visas,– des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la pris de mesures spéciales

[4]               La demanderesse soutient qu’il y a lieu d’annuler la décision de la SAI parce que la SAI a violé les règles de l’équité procédurale en ne lui permettant pas de présenter l’intégralité de sa cause. Elle soutient également que la décision est déraisonnable parce que lorsqu’elle a examiné les motifs d’ordre humanitaire sur lesquels était fondé son appel, la SAI n’a pas tenu compte de l’état de santé actuel de sa mère.

[5]               Pour les motifs qui suivent, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

II.                Les faits

[6]               Mme Kotelenets est une citoyenne canadienne qui a immigré au Canada en 2001 avec ce qui est maintenant son ex‑mari et deux enfants, âgés de 27 et 25 ans au moment de la décision de la SAI. Elle a demandé pour la première fois de parrainer sa mère et son beau‑père, âgés de 77 et 78 ans respectivement, au moment de la décision de la SAI, en 2003. La première demande a été rejetée parce que les revenus de Mme Kotelenets étaient inférieurs au seuil prévu pour pouvoir être répondant. Cette décision a fait l’objet d’un appel devant la SAI pour des motifs d’ordre humanitaire. Il a été fait droit à l’appel en 2009, ce qui a donné lieu à la poursuite du traitement des demandes de visa de résident permanent présentées par les parents de Mme Kotelenets.

[7]               Au cours du traitement de ces demandes, la mère de Mme Kotelenets a subi des examens médicaux. Ces examens ont révélé que la mère de Mme Kotelenets souffrait d’une sténose aortique grave nécessitant le remplacement d’une valve, des soins spécialisés et une surveillance médicale, tant avant qu’après la chirurgie.

[8]               Le 14 avril 2011, un agent de visa a conclu que l’état de santé de la mère de Mme Kotelenets risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé au Canada et a déclaré qu’elle était interdite de territoire au Canada. À titre de membre de la famille l’accompagnant, le beau‑père de Mme Kotelenets, a également été déclaré interdit de territoire au Canada, compte tenu de l’état de santé de la mère.

[9]               Mme Kotelenets a interjeté appel de cette décision devant la SAI et a demandé, comme cela est mentionné ci‑dessus, la prise de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Cet appel devait être entendu de novo, ce qui a été fait.

[10]           Comme l’autorise l’article 37 des Règles de la Section d’appel de l’immigration (DORS/2002‑230) (les Règles), la demanderesse a officiellement communiqué à la SAI son intention de convoquer quatre témoins à l’audience. Ces témoins étaient ses deux fils, un ami, membre de son église, ainsi que sa mère. Dans le cas de sa mère, elle a mentionné dans son avis de renseignements sur les témoins transmis à la SAI qu’elle souhaitait que celle-ci témoigne par téléphone et qu’il faudrait avoir recours à un interprète en langue russe ou ukrainienne. Mme Kotelenets a également déposé, à l’appui de son appel, un rapport médical à jour, indiquant que l’état de santé de sa mère était dans l’ensemble asymptomatique et qu’elle n’avait pas besoin de subir une opération.

[11]           À l’audience relative à l’appel, la demanderesse a été avisée qu’il n’avait pas été possible de retenir les services d’un interprète pour sa mère et que, de toute façon, elle devrait pouvoir fournir elle‑même la version de sa mère. La mère de la demanderesse n’a donc pas témoigné. Pour ce qui est des trois autres témoins de la demanderesse, la SAI leur a dit qu’ils devaient quitter la salle d’audience et qu’ils seraient appelés plus tard. Cependant, aucun d’entre eux n’a témoigné parce que la SAI a décidé par la suite qu’il n’était pas nécessaire de les entendre parce qu’ils n’ajouteraient rien au témoignage de la demanderesse.

[12]           Il est important d’ajouter que Mme Kotelenets se représentait elle‑même à l’audience relative à l’appel.

[13]           Le 23 mai 2013, la SAI a rejeté l’appel de Mme Kotelenets pour les motifs suivants : les mesures spéciales prévues à l’alinéa 67(1)c) de la Loi ne pouvaient être prises uniquement parce que la famille était séparée, les éléments de preuve relatifs aux difficultés pouvant découler du rejet des demandes de visa de résidence permanente présentées par les parents de Mme Kotelenets n’étaient pas vraiment convaincantes et que, après avoir apprécié la le tout au regard du fardeau qui risquerait d’être imposé aux services de santé du Canada, elle ne pouvait que conclure que la demanderesse n’avait pas démontré que la prise de mesures spéciales était justifiée.

III.             Le dépôt tardif de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse

[14]           La demanderesse a déposé sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 25 juin 2013, soit 25 jours après la réception de la décision de la SAI. Comme ses parents vivent à l’étranger, elle a cru, à tort, que le délai accordé pour déposer ladite demande auprès de la cour était de 30 jours. Ce délai était en fait de 15 jours, comme le prévoit l’alinéa 72(2)b) de la Loi, étant donné que l’affaire avait pris naissance au Canada. Elle a donc demandé la prorogation du délai prévu pour déposer sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[15]           Le défendeur prétend qu’il y a lieu de refuser cette demande et, donc, de rejeter la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Je ne souscris pas à sa prétention.

[16]           Le critère applicable en matière de prorogation de délai a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, 244 NR 399; 167 FTR 158. Le critère est le suivant : la partie qui demande la prorogation doit démontrer i) une intention constante de poursuivre sa demande; ii) que la demande est bien fondée; iii) que l’autre partie ne subit pas de préjudice en raison du délai et iv) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai (Hennelly, précité, au paragraphe 3). Pour ce qui est du quatrième critère, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour décider s’il existe une explication raisonnable, il faut se fonder sur les faits de chaque affaire (Hennelly, au paragraphe 4).

[17]           Premièrement, il est incontestable que Mme Kotelenets a manifesté l’intention constante de poursuivre sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elle a déclaré, dans les documents relatifs à sa demande, qu’il lui a fallu du temps pour trouver un avocat qui la représenterait et que, lorsqu’elle a rencontré son avocate actuelle, le 25 juin 2013, elle lui a immédiatement demandé de contester la décision de la SAI. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le même jour. Deuxièmement, étant donné que l’autorisation a été accordée, il est évident que la demande en question est bien fondée. Troisièmement, il n’existe aucun élément de preuve démontrant que le défendeur a subi un préjudice en raison de la demande de prorogation.

[18]           Il existe, à mon avis, une explication raisonnable quant à ce retard. Mme Kotelenets qui, à l’époque se représentait elle‑même, a fait une erreur de bonne foi lorsqu’elle a cru que le délai prescrit pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI était de 30 jours parce qu’elle croyait que, étant donné que ses parents vivaient en Ukraine, la décision en cause avait été rendue à l’extérieur du Canada, comme l’envisage l’alinéa 72(2)b) de la Loi. Dans ces circonstances, je lui accorde le bénéfice du doute et j’accepte l’explication qu’elle a fournie quant au retard.

[19]           De toute façon, il ressort clairement de la jurisprudence que le principe sous‑jacent à l’appréciation des facteurs exposés dans Hennelly, précité, est que justice doit être faite entre les parties, ce qui veut dire que, dans certaines circonstances, une prorogation de délai sera accordée même si l’un des quatre facteurs n’est pas respecté (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Hogervost, 2007 CAF 41, au paragraphe 32; Strungmann c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1229, au paragraphe 9).

[20]           J’estime que, en l’espèce, il faut que justice soit faite entre les parties et qu’il y a lieu d’accorder la prorogation de délai que sollicite la demanderesse pour pouvoir déposer sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[21]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

a.              La SAI a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale qu’elle avait envers la demanderesse?

b.             La conclusion de la SAI selon laquelle, compte tenu des autres circonstances de l’affaire, il n’est pas justifié d’accorder les mesures spéciales prévues à l’alinéa 67(1)c) de la Loi?

[22]           Compte tenu de la réponse que j’ai donnée quant à la première question, il ne sera pas nécessaire d’examiner la deuxième question en litige.

[23]           Il est bien établi que les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Cela veut dire que la Cour n’a pas à faire preuve de retenue envers la SAI à l’égard de ce type de question (Dunsmuir, précité, au paragraphe 50, Sapru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35, [2012] 4 RCF 3, aux paragraphes 25 et 27; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Martinez‑Brito, 2012 CF 438, [2013] 4 RCF 471, au paragraphe 15; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 515, 409 FTR 58, au paragraphe 38).

V.                Analyse

[24]           Comme le demandeur le fait remarquer à juste titre, la SAI a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait et elle est tenue, aux termes de la loi, dans la mesure où les circonstances le permettent, d’agir sans formalisme et avec célérité. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAI d’exercer un contrôle sur sa propre procédure, notamment la décision de ne pas entendre de témoins dans une affaire donnée.

[25]           Cependant, selon le paragraphe 162(2) de la Loi, ces vastes pouvoirs doivent être exercés « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent ». Ils doivent également être exercés conformément aux Règles, adoptées en vertu de l’article 161 de la Loi, qui régissent le fonctionnement de la SAI.

[26]           En l’espèce, la SAI a été trop loin dans le contrôle du déroulement du déroulement de l’audience lorsqu’elle a refusé à la demanderesse qui se représentait elle‑même la possibilité de faire comparaître l’un ou l’autre des quatre témoins qu’elle avait l’intention de faire comparaître, comme elle en avait avisé la SAI conformément aux Règles de la Section d’appel de l’immigration.

[27]           Ce n’était pas exagéré que de demander à faire comparaître quatre témoins, compte tenu de la nature de la mesure demandée en l’espèce. La souplesse de la procédure utilisée devant la SAI vise à renforcer l’efficacité du processus et non pas à porter atteinte au droit à une audience équitable (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 531, 312 FTR 312). En l’espèce, la décision de la SAI de ne pas entendre les témoins de Mme Kotelenets lui a enlevé toute possibilité de renforcer sa demande voulant que des mesures spéciales soient accordées pour motifs d’ordre humanitaire.

[28]           Je conviens avec Mme Kotelenets qu’elle était tout à fait capable de relater sa propre version des faits, mais la SAI n’a pas tenu compte du fait que d’autres témoins auraient pu apporter leurs propres points de vue sur les questions d’ordre humanitaire en cause. Sa mère, par exemple, dont l’état de santé était à l’origine du refus des autorités canadiennes de l’autoriser (ainsi que le beau‑père de Mme Kotelenets) à entrer au Canada, aurait pu expliquer en ses propres termes son état de santé actuel à la lumière du rapport médical à jour déposé par Mme Kotelenets. De plus, elle aurait pu faire part de son propre point de vue quant aux difficultés causées par la séparation d’avec sa fille et d’avec ses petits‑enfants qui vivent au Canada. Quant aux deux fils de Mme Kotelenets, ils auraient pu également apporter au dossier leurs propres points de vue sur l’importance d’avoir leurs grands‑parents au Canada et sur les relations qu’ils entretenaient avec eux depuis leur enfance. Dans le cadre d’une analyse portant sur des motifs d’ordre humanitaire, qui consiste à concilier un certain nombre de facteurs, il est difficile d’imaginer qu’aucun de ces trois témoins n’aurait rien pu ajouter de pertinent quant à cette analyse.

[29]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a insisté sur le fait que la notion d’équité procédurale « est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (Baker, au paragraphe 21). Elle a souligné que, pour déterminer la teneur de l’obligation d’équité dans des circonstances données, il faut tenir compte de l’idée sous‑jacente, à savoir « que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur » (Baker, au paragraphe 22, non souligné dans l’original).

[30]           Comme l’a déclaré mon collègue le juge Robert Barnes dans la décision Wang, précitée, au paragraphe 15, le droit d’exposer sa cause est bien évidemment assujetti à des limites raisonnables, mais ces limites, lorsqu’elles découlent de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, doivent être apportées et appliquées en se fondant sur des principes :

Néanmoins, il est bien établi qu’un décideur doit se fonder sur des principes lorsque, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, il refuse d’entendre un témoignage pour le compte d’une partie intéressée, même si cette partie n’a pas respecté une exigence préalable non obligatoire en matière de procédure. Ces points ont été dûment soulignés par David J. Mullan à la page 291 de son ouvrage intitulé Administrative Law (Toronto, Irwin Law, 2001), où il discute des éléments que doit respecter un processus décisionnel pour être conforme à l’équité procédurale :

[traduction] Les tribunaux et les organismes administratifs ont le contrôle du déroulement de leurs audiences, ce qui inclut la capacité de limiter le droit des parties de présenter une preuve et des observations à l’appui de leur thèse. Sans un tel pouvoir, les décideurs seraient à la merci de quiconque cherche à nuire au bon déroulement du processus administratif. L’exercice de ces pouvoirs dépend cependant de plusieurs considérations. Règle générale, le tribunal administratif devra exercer un jugement approprié avant de décider de ne pas autoriser la présentation d’éléments de preuve ou d’observations supplémentaires du fait qu’ils sont irrecevables, non pertinents ou redondants. Une évaluation erronée à cet égard peut donner lieu à un déni d’équité procédurale susceptible de contrôle.

En revanche, le droit d’un tribunal administratif de limiter la participation en s’appuyant uniquement sur des considérations d’efficacité et sur la nécessité de s’acquitter avec célérité de son mandat légal est beaucoup plus controversé. De fait, même dans le cas où – le législateur précise qu’un tribunal administratif doit rendre sa décision avec célérité, les tribunaux judiciaires ont été réticents à permettre que cette exigence porte atteinte aux droits d’assigner des témoins qui peuvent apporter une opinion pertinente à l’instance. Il est arrivé également qu’il rejette une politique visant à limiter les audiences à une durée déterminée, au moins lorsqu’il peut être établi que l’application stricte de cette politique dans une affaire donnée pourrait brimer le droit normal d’une partie au respect des principes de justice naturelle.

[Souligné dans l’original.]

[31]           En l’espèce, la demanderesse a respecté l’exigence des Règles de la Section d’appel de l’immigration en transmettant à la SAI en temps utile les renseignements concernant ses témoins avec un résumé de l’objet et de la nature de leurs différents témoignages et en demandant qu’un interprète soit présent lors du témoignage de sa mère. D’après les Règles, c’est lorsque l’appelant omet de fournir les renseignements concernant les témoins en temps utile que la SAI se voit expressément attribuer le pouvoir de décider de permettre ou non à un témoin de comparaître.

[32]           Dans ce contexte, Mme Kotelenets avait le droit de s’attendre à ce qu’elle puisse présenter tous ses arguments à la SAI. Ce n’est pas ce qui s’est passé. À titre de partie qui se représentait elle‑même dans le contexte du droit de l’immigration, Mme Kotelenets avait droit à une certaine latitude – voire même à toute la latitude possible – pour présenter ses arguments. Dans ce genre d’affaires, l’obligation d’équité procédurale peut être encore plus stricte parce que les parties qui se représentent elles‑mêmes ne peuvent pas s’en remettre à un avocat pour protéger leurs intérêts (Nemeth c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 590, 233 FTR 301, au paragraphe 13; Law c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1006, aux paragraphes 15‑19; Kamtasingh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 45).

[33]           La demanderesse avait fait tout ce qu’elle était tenue de faire dans cette instance, mais la SAI n’a rien fait pour l’accommoder. La lecture de la transcription de l’audience montre que Mme Kotelenets semblait impuissante devant la SAI lorsque celle‑ci lui a demandé s’il était vraiment nécessaire qu’elle fasse entendre des témoins. On pourrait dire qu’elle a été complètement prise par surprise. À mon avis, cet élément indique que la SAI a franchi la limite qu’elle devait respecter en ce qui concerne l’obligation d’équité procédurale à laquelle elle était tenue envers Mme Kotelenets.

[34]           Enfin, on pourrait soutenir, comme le fait le défendeur, que les éléments de preuve fournis par Mme Kotelenets étaient suffisants pour disposer de son appel, mais le fait que le témoignage des personnes qu’elle voulait faire comparaître n’aurait peut‑être pas aidé sa cause n’est pas une raison valide pour refuser de les entendre (Timpauer c Air Canada, [1986] 1 CF 453). Refuser d’entendre des témoins uniquement parce que la SAI estimait que le témoignage de la demanderesse était crédible est une erreur sur le plan de la qualification de la question fondamentale de l’affaire. La SAI a mentionné, à juste titre, les facteurs qui doivent être pris en compte dans une affaire ayant trait à des mesures spéciales. Ceux-ci comprenaient notamment, en l’espèce, la relation entre la demanderesse et sa mère, les motifs à l’origine du parrainage, la situation de la demanderesse et de sa mère, l’existence d’un lien de dépendance entre les deux et les difficultés que la famille connaîtrait si elle n’était pas réunie. Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’évaluer des motifs d’ordre humanitaire susceptibles de justifier la prise de mesures spéciales, la SAI doit prendre en compte les éléments de preuve soumis quant aux facteurs susmentionnés. Il est clair, à mon avis, que quelques-uns des témoins que Mme Kotelenets voulait faire entendre auraient pu soumettre d’autres éléments de preuve ou faire état de faits ou de préoccupations additionnels utiles quant à l’appréciation que devait faire la SAI.

[35]           En refusant d’entendre l’un ou l’autre des quatre témoins, la SAI a refusé à la demanderesse son droit de « se faire entendre »; elle n’a pas accordé suffisamment d’attention au fait que celle-ci se représentait elle‑même et qu’elle avait respecté les modalités prévues par les Règles concernant l’assignation des témoins et elle l’a ainsi empêché de présenter l’intégralité de sa cause. Comme mon collègue le juge Barnes l’a déclaré dans la décision Kamtasingh, précitée : « le respect de l’obligation d’autoriser [la demanderesse] à présenter l’intégralité de sa cause a été remplacé par le souci de l’efficacité administrative. Cette substitution n’est pas autorisée » (voir également Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, [1985] ACS no 11 (QL) (CSC), au paragraphe 70). À mon avis, c’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[36]           Pour les présents motifs, je déclare que la SAI n’a pas respecté l’obligation d’équité procédurale à laquelle elle était tenue envers Mme Kotelenets. Il est donc justifié de demander à un autre commissaire de la SAI de tenir une nouvelle audience.

[37]           Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties. Aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE qu’il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire. L’affaire est renvoyée à la SAI pour qu’un tribunal différemment constitué l’entende à nouveau. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4313-13

INTITULÉ :

LYUDMYLA KOTELENETS c  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 OCTOBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.