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Date : 20150316


Dossier : IMM-819-14

Référence : 2015 CF 330

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

NESIM DURMUS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Nesim Durmus, est un citoyen de la Turquie qui sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), en date du 14 janvier 2014, par laquelle il a été conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande du demandeur était fondée sur sa crainte d’être persécuté, d’être soumis à la torture, d’être exposé à une menace à sa vie et de subir les conséquences de son objection à la conscription militaire en Turquie, en raison de son origine ethnique kurde, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, soit sa famille et le groupe des [traduction« jeunes hommes kurdes du Sud‑Est ». La Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à sa crédibilité et conclu qu’il n’y avait aucun risque raisonnable ni aucune grande possibilité qu’il soit persécuté pour un motif prévu dans la Convention ou qu’il soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées s’il devait retourner en Turquie.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

Contexte

[3]               Le demandeur déclare que, lorsqu’il était enfant, son village était fréquemment visé par les forces de sécurité turques qui cherchaient à vaincre l’influence du Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), une situation qui a poussé son père à réinstaller la famille dans la ville de Korfez. Toutefois, à Korfez, les membres de la famille se faisaient fréquemment appréhender aux points de contrôle de sécurité, et des nationalistes turcs les ont battus et harcelés par à plusieurs reprises.

[4]               Le demandeur allègue que beaucoup de membres de sa famille élargie étaient des partisans et membres de divers partis pro‑kurdes. Les frères du demandeur, Mehmet, Ahmet et Naci étaient des membres du Parti de la société démocratique (DTP) du Kurdistan et du parti qui lui a succédé, le Parti pour la paix et la démocratie (BDP). Le demandeur a visité les locaux du parti, participé à ses réunions, offert son aide lors d’élections et célébré le Newroz (le Nouvel An kurde). Le demandeur et ses frères étaient connus de la police. La police avait effectué une descente au domicile de la famille. Deux de ses frères, Ahmet et Ismail, avaient fui au Canada et y avaient été admis comme réfugiés au sens de la Convention en 2003 et en 2007, respectivement, et son frère Mehmet avait été admis comme réfugié au sens de la Convention aux États‑Unis en 2004.

[5]               L’incident déclencheur qui a amené le demandeur à quitter la Turquie est son arrestation lors des célébrations du Newroz en mars 2011. Le demandeur a toutefois affirmé qu’il avait pris part aux célébrations du Newroz  organisées par le DTP en mars 2006. Le demandeur affirme qu’il a scandé des slogans avec ses amis, ce qui lui a valu d’être agressé et battu par des policiers, puis mis en détention pendant deux jours. À son retour à l’école, le directeur de l’école l’a réprimandé et frappé, et ses professeurs l’ont harcelé.

[6]               En décembre 2009, le demandeur a manifesté contre la dissolution du DTP dans la ville d’Izmit. La police a arrêté les manifestants qui refusaient de se disperser. Le demandeur a été arrêté, détenu pendant une journée et battu.

[7]               Le demandeur affirme qu’il a tenté de quitter la Turquie en 2010, puis une autre fois en 2011. En 2010, les visas d’étudiant pour les États‑Unis et le Canada lui ont été refusés. En 2011, avec l’aide d’un agent, il a quitté la Turquie pour se rendre au Vénézuéla, mais a été intercepté par les autorités vénézuéliennes à son arrivée à l’aéroport et expulsé vers la Turquie.

[8]               En mars 2011, le demandeur a participé aux célébrations du Newroz à Dilovasi. Le demandeur relate qu’au cours des célébrations, la police a attaqué la foule et arrêté des personnes au hasard. Alors qu’il tentait de se sauver, il est tombé et des policiers en ont profité pour le battre, puis l’ont mis en détention pendant deux jours. Pendant sa détention, il s’est fait dire par la police de quitter la Turquie, sinon il serait tué comme bon nombre d’autres Kurdes l’avaient été. 

[9]               Le demandeur s’est ensuite préparé à quitter la Turquie et il a obtenu un second passeport.

[10]           Le demandeur affirme qu’il a quitté la Turquie le 29 mars 2011 avec l’aide d’un agent et qu’il s’est rendu en Espagne, à Cuba, aux Bahamas et aux États‑Unis. Le 16 juin 2011, le demandeur s’est rendu à Detroit, puis il a franchi la frontière canadienne et, le 19 juin 2011, il a demandé l’asile au Canada où vivent deux de ses frères.

[11]           Le demandeur déclare en outre qu’il s’oppose au service militaire obligatoire en Turquie en invoquant les violations des droits de la personne contre les Kurdes. Il allègue que s’il refuse de faire son service militaire, il sera poursuivi en cour martiale, condamné à une peine d’emprisonnement et forcé de faire son service militaire à l’issue de sa peine. Le demandeur affirme par ailleurs que son service militaire obligatoire a été reporté de deux ou quatre ans parce qu’il était aux études et s’était inscrit à l’université, bien qu’il n’allât pas aux cours.

Décision contrôlée

[12]           La décision de la Commission est détaillée et tient compte de tous les aspects de la demande du demandeur. Étant donné que le demandeur a présenté des arguments qui ont trait à bon nombre de conclusions de la Commission, la décision est décrite plus en détail ci‑après.

[13]           La question déterminante pour la Commission était celle de la crédibilité du demandeur. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi au moyen d’éléments de preuve crédibles qu’il avait le profil politique qu’il affirmait avoir, qu’il avait été détenu et battu par les autorités turques en mars 2011, ni que les autorités turques s’intéressaient à lui du fait de ses activités politiques.

[14]           La Commission a admis que le demandeur pouvait avoir participé aux célébrations du Newroz et été mis en détention en mars 2006, et qu’il pouvait avoir manifesté devant le palais de justice le 11 décembre 2009. Toutefois, la Commission a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve crédible ou fiable permettant d’établir que le demandeur se trouvait en Turquie au moment des célébrations du Newroz en mars 2011. La Commission a conclu que le demandeur avait enjolivé cet incident déclencheur dans le but d’étayer sa demande d’asile.

[15]           Les doutes de la Commission au sujet de la question de savoir si le demandeur était en Turquie en mars 2011 étaient fondés sur le témoignage du demandeur au sujet de ses deux passeports, sur l’absence de timbre de départ et de retour, sur son voyage au Vénézuéla en janvier 2011 et sur l’absence d’éléments de preuve corroborant l’allégation selon laquelle il avait été arrêté en mars 2011 ou qu’il avait été blessé et qu’il avait été libéré sans faire l’objet d’aucune accusation, ce qui aurait établi sa participation à l’événement.

[16]           D’après le récit que le demandeur a donné des célébrations du Newroz en mars 2011, la Commission a noté qu’il était en train de danser et de s’amuser lorsque les policiers étaient arrivés. La Commission a conclu que, comme le demandeur l’avait décrit, les policiers avaient arrêté des participants au hasard, et que les autorités turques ne s’intéressaient pas personnellement au demandeur du fait de ses activités politiques.

[17]           La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pas le profil politique qu’il prétendait avoir, car, à la différence de son frère Naci Durmus, il n’avait pas fait l’objet d’accusation ni subi de procès du fait de ses activités politiques. La Commission a souligné que Naci Durmus avait été jugé et acquitté à l’appui de son point de vue selon lequel il existe une procédure régulière en Turquie pour les personnes accusées d’appuyer une organisation illégale.

[18]           En ce qui concerne le départ allégué de la Turquie du participant en mars 2011, la Commission a douté qu’il aurait pu passer les contrôles de sécurité à l’aéroport en utilisant ses propres papiers d’identité s’il avait revêtu quelque intérêt que ce soit pour les autorités de l’État. Même si le demandeur a expliqué qu’il avait eu l’aide d’un agent et qu’il avait dû présenter son passeport, la Commission a affirmé que s’il était recherché ou s’il était une personne d’intérêt, le système de sécurité de l’aéroport l’aurait détecté à son départ. La Commission a conclu, à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, que le demandeur n’avait eu aucun problème avec les autorités turques chaque fois qu’il avait quitté la Turquie, ce qui ne cadrait pas avec le profil politique qu’il affirmait avoir.

[19]           La Commission a admis une copie certifiée du premier passeport du demandeur délivré en juin 2010 comme preuve qu’il se trouvait en Turquie en 2010. La Commission a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il était allé au Vénézuéla et avait été expulsé vers la Turquie, car la copie certifiée de son passeport de 2010 ne montrait aucun timbre de sortie ou de retour. La Commission a également souligné qu’un document soumis par le demandeur pour corroborer l’allégation selon laquelle il était parti au Vénézuéla n’était pas un billet d’avion, mais plutôt un reçu pour l’achat d’un billet, qui ne présentait aucune preuve que le billet avait été utilisé. 

[20]           La Commission a conclu qu’aucun élément de preuve crédible ou digne de foi ne montrait que le demandeur présentait un intérêt quelconque pour les autorités turques au moment de son départ ni à aucun moment après la délivrance de son passeport en 2010 ou en janvier ou mars 2011.

[21]           La Commission n’a pas admis l’explication du demandeur selon laquelle l’agent avait obtenu un deuxième passeport pour lui, car la documentation sur le pays précise que les demandes de passeport doivent être faites en personne. La Commission a pris acte de la déclaration du demandeur selon laquelle l’agent avait pris ce passeport et d’autres pièces d’identité, dont sa carte d’identité turque, durant son voyage au Canada. Toutefois, la Commission a aussi souligné qu’elle avait obtenu une copie de la carte d’identité turque par l’entremise de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Même si elle n’a pas mentionné cette incohérence au demandeur, et n’en a tiré aucune conclusion défavorable quant à sa crédibilité, la Commission a là aussi conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait pu quitter la Turquie sans incident, peu importe les pièces d’identité utilisées, s’il était recherché du fait de ses activités politiques. 

[22]           La Commission a examiné l’allégation du demandeur selon laquelle il serait mis en détention à son retour en Turquie parce qu’il s’oppose à l’idée de faire son service militaire et que son exemption est sur le point de prendre fin. La Commission a souligné qu’il n’avait pas mentionné qu’il était un objecteur de conscience dans les notes prises au point d’entrée (PDE) et en a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La Commission a reconnu que cette entrevue initiale est brève, mais puisqu’il était précisément demandé « Pourquoi demandez‑vous l’asile au Canada? », il n’était pas raisonnable que le demandeur ait omis de mentionner ce fait relativement à sa crainte de retourner en Turquie.

[23]           La Commission a constaté que le demandeur avait livré un témoignage confus selon lequel il avait obtenu une exemption tandis qu’il était à l’école secondaire, bien qu’il eût 19 ans à l’époque et non 21 ans, l’âge auquel le service militaire est obligatoire, et qu’il ne fréquentait pas l’université et qu’il avait un emploi à la date où son service militaire aurait dû commencer.

[24]           La Commission a rejeté une lettre provenant d’un bureau de recrutement militaire obtenue du frère du demandeur, dans laquelle il est écrit que le service militaire du demandeur a été reporté jusqu’au 21 février 2014. La Commission n’a pas jugé crédible que le frère du demandeur ait pu obtenir un tel document sans avoir eu à présenter une preuve de l’exemption du demandeur. La Commission a ensuite souligné que le demandeur fréquentait l’école secondaire en 2010 et n’avait pas fréquenté l’université, se demandant pourquoi un report serait accordé en 2014.

[25]           La Commission s’est ensuite penchée sur la crainte du demandeur de subir de mauvais traitements pour s’être soustrait au service militaire et a examiné les conséquences. La Commission a reconnu que le peuple kurde fait bien l’objet de harcèlement et de discrimination, mais qu’il ne s’agit pas pour autant de persécution. Se fondant sur la documentation sur les conditions dans le pays, la Commission a également souligné qu’il n’existait pas de solution de rechange au service militaire et que les insoumis ne peuvent pas quitter la Turquie. La Commission a affirmé qu’elle ne disposait pas d’une preuve suffisante pour établir que la poursuite dont le demandeur ferait l’objet pour avoir refusé de faire son service militaire constituerait de la persécution.

[26]           La Commission a examiné la documentation sur les conditions dans le pays concernant le traitement réservé aux Kurdes en Turquie, faisant remarquer qu’il y avait eu des améliorations sur le plan de la reconnaissance des droits des Kurdes. La Commission a souligné que, même s’il y avait eu des cas de harcèlement et de discrimination des Kurdes dans le milieu militaire, ils n’atteignaient pas le niveau de la persécution. La Commission a aussi conclu que le demandeur pourrait reporter son service militaire jusqu’à l’âge de 29 ans, selon le cartable national de documentation. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que le demandeur serait poursuivi pour avoir refusé de se soumettre à l’obligation d’effectuer son service militaire.

[27]           La Commission a examiné d’autres lettres fournies par le demandeur, auxquelles elle a accordé peu de poids, dont une lettre non datée, rédigée à la main par le président du BDP dans la ville de Korfez sur du papier ne portant aucun en‑tête, dans laquelle il est écrit que le demandeur a été arrêté deux ou trois fois, aspergé de gaz poivré et battu du fait de ses activités politiques. De même, la Commission a accordé peu de poids à une autre lettre dans laquelle le demi‑frère du demandeur affirme que la police l’a détenu et interrogé au sujet du demandeur un an et demi après le départ de celui‑ci au Canada, car la lettre ne faisait pas état des raisons pour lesquelles le frère avait été détenu. La Commission se demandait aussi pourquoi ceci se serait produit aussi longtemps après le départ de Turquie du demandeur, étant donné que les autorités auraient dû savoir qu’il avait quitté le pays puisqu’il avait franchi les postes de sécurité à l’aéroport. La Commission a également souligné qu’il était étrange que les policiers n’aient pas questionné le frère au sujet des autres membres de la famille qui étaient demeurés en Turquie et qui étaient prétendument actifs sur le plan politique.

[28]           La Commission a ensuite examiné l’itinéraire que le demandeur affirmait avoir suivi pour se rendre au Canada, et elle a constaté que son Formulaire de renseignements personnels (FRP) faisait état de son arrivée à Cuba le 30 mars 2011, en provenance de Madrid en Espagne. Le demandeur est demeuré à La Havane à Cuba pendant un mois et demi, puis s’est rendu à Nassau aux Bahamas, où il resté du 15 mai 2011 au 13 juin 2011, date à laquelle il a pris la direction de West Palm Beach en Floride, où il est resté pendant trois jours avant de gagner Detroit. (Il convient de noter qu’il y a certaines contradictions dans les éléments de preuve concernant le temps que le demandeur a passé à Cuba et à Nassau; toutefois, dans l’ensemble, il est demeuré dans ces deux pays du 30 mars au 13 juin.) La Commission a conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur, qui disait éprouver de la crainte, n’ait pas demandé l’asile à la première occasion une fois à l’extérieur de la Turquie. La Commission a insisté plus particulièrement sur le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis, où se trouve un de ses frères. 

[29]           La Commission a aussi précisé qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi montrant que le demandeur était arrivé aux États‑Unis à la date où il l’affirmait, et elle a expliqué qu’en raison des conclusions défavorables quant à la crédibilité et de l’absence de preuve corroborante établissant le moment de l’arrivée du demandeur aux États‑Unis ou au Canada, « le tribunal ne se sent pas à l’aise de croire les déclarations du demandeur d’asile ». La Commission a ajouté qu’il aurait pu arriver en 2010 ou demeurer aux États‑Unis plus longtemps que ce qu’il affirmait dans son FRP.

[30]           Pour résumer, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi de profil politique ni même une perception d’un tel profil et qu’il n’était pas une personne recherchée par la police turque ou les autres autorités turques. La Commission n’a pas cru la version des faits relatée par le demandeur et n’a pas conclu que celui‑ci avait fourni des éléments de preuve crédibles permettant d’établir qu’il se trouvait en Turquie en mars 2011.

[31]           La Commission a reconnu qu’il était kurde et qu’il serait assujetti à la conscription militaire.

[32]           La Commission a également admis que les Kurdes font l’objet de discrimination, mais conclu que rien dans la preuve ne montre que le peuple kurde est persécuté en tant que groupe.

[33]           La Commission a fait observer qu’il incombe au demandeur de prouver qu’il est exposé à un risque objectivement identifiable en Turquie, selon la définition de la Convention, et conclu qu’il ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

Questions en litige

[34]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions au sujet du caractère raisonnable de la décision et de sa conformité à l’équité procédurale. Je formulerais les questions en litige comme suit :

1.                  La Commission a‑t‑elle manqué à une obligation d’équité procédurale en raison de la qualité de la traduction fournie au demandeur à son audience?

2.                  La décision de la Commission était‑elle raisonnable, plus précisément s’agissant de ce qui suit :

a)                   La conclusion de la Commission selon laquelle le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile à Cuba, aux Bahamas ou aux États‑Unis a nui à sa crainte subjective était‑elle raisonnable?

b)                  Les conclusions de la Commission sur la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

Norme de contrôle

[35]           Les questions relatives au manquement aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle découlant de la précision et de la cohérence de la traduction sont assujetties à la norme de la décision correcte : Umubyeyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 69; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1161.

[36]           Les questions de crédibilité sont des questions de fait, assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[37]           Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision de la Cour « [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

[38]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] RCS 708, [Newfoundland Nurses] aux paragraphes 14 à 16, la Cour suprême du Canada a donné des précisions sur les exigences énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], soulignant que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » et que la cour de justice peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

[39]           S’agissant de l’évaluation de la crédibilité faite par la Commission, il est bien établi que les commissions et les tribunaux sont particulièrement bien placés pour apprécier la crédibilité des demandeurs : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF). Il est également bien établi que les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission, à titre de juge des faits, appellent une grande retenue : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82.

[40]           Comme le juge Luc Martineau l’a souligné dans la décision Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43, au paragraphe 7, « [l]’évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission ».

[41]           La juge Mary Gleason a fait une observation similaire dans la décision Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42, soulignant qu’il « faut [premièrement] reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve ».

Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale attribuable à la qualité de la traduction

[42]           Le demandeur soutient que de graves erreurs d’interprétation ont été commises à l’audience, de l’anglais au kurde et du kurde à l’anglais, qui ne sont ressorties qu’à l’examen de la transcription. Il affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle il était évasif, et que certaines des autres conclusions quant à la crédibilité peuvent être attribuées à la piètre qualité de la traduction.

[43]           Je conclus que le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale découlant de la traduction.

[44]           Comme la juge Judith Snider l’a souligné dans la décision Francis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 636, au paragraphe 6 :

On ne saurait s’attendre à ce qu’une traduction soit parfaite. Simplement affirmer que la traduction était inadéquate ne peut être un motif suffisant pour annuler une décision. Le demandeur doit soulever la question à la première occasion ou courir le risque de voir la Cour conclure qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. De plus, il ne suffit pas de montrer qu’il y avait des erreurs : il y aura toujours des erreurs. Une erreur de traduction deviendra une erreur commise sur le plan de l’équité procédurale dans les cas où une traduction inexacte donne lieu à une décision ou à une conclusion déterminante qui aurait pu être différente si les mots avaient été traduits correctement. (Non souligné dans l’original.)

[45]           Le demandeur n’a pas établi que les prétendues erreurs de traduction constituaient un écart par rapport à la norme prévue ni établi que les erreurs alléguées avaient eu une incidence sur les conclusions de la Commission ou auraient donné lieu à une conclusion déterminante différente.

[46]           Même si la Commission a conclu que le demandeur était évasif dans ses réponses aux questions sur les documents d’identité qu’il avait présentés lorsqu’il avait quitté la Turquie, et s’il est admis que la traduction de questions précises et leur clarification pourraient induire une certaine hésitation dans les réponses données, la Commission a l’habitude d’attendre la traduction et les éclaircissements des questions et tient compte de ces circonstances. La Commission a également conclu que le demandeur était évasif de façon générale, y compris dans son témoignage au sujet de son exemption du service militaire. De plus, la Commission a tiré de nombreuses conclusions quant à la crédibilité. La nécessité de clarifier la question au sujet de son départ de la Turquie, compte tenu des nombreuses conclusions défavorables relatives à la crédibilité, n’aurait pas eu pour effet de modifier la conclusion globale.

[47]           Plus important encore, l’affidavit présenté par M. Huseyin Sertkaya selon lequel celui‑ci a [traduction« décelé de nombreuses erreurs d’interprétation de l’anglais vers le kurde kurmanji et du kurde kurmanji vers l’anglais » et que l’interprète [traduction« reformule souvent de façon inappropriée les questions posées par le commissaire et, à d’autres moments, interprète de façon complètement erronée les déclarations du commissaire » n’est pas corroboré par les exemples donnés par le déposant. Les exemples mettent l’accent sur d’infimes différences qui, à mon sens, n’ont pas modifié la façon dont le demandeur a compris la question ni celle dont la Commission a compris sa réponse. Je présume que M. Sertkaya a présenté les exemples les plus ambigus, lesquels, comme il a été noté, ne posent pas problème et ne montrent pas qu’il y a eu de [traduction« reformulation inappropriée ». Par conséquent, je ne puis conclure que la traduction a posé un quelconque problème qui aurait eu une incidence sur les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité.

La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que l’omission de demander l’asile à Cuba, aux Bahamas et aux États‑Unis était incompatible avec ses allégations de crainte fondée de persécution

[48]           Le demandeur aurait passé presque deux mois à Cuba et aux Bahamas avant de se rendre aux États‑Unis. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que cette conduite faisait douter de sa crainte alléguée de persécution.

[49]           La Commission n’a toutefois pas insisté sur ce retard; elle a plutôt souligné que la crédibilité du demandeur était entachée parce qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis, où il avait également un frère. La Commission n’a pas fait abstraction du fait que le demandeur avait deux frères au Canada, ce qui n’expliquait pas pourquoi le demandeur n’avait pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis.

[50]           Les observations du demandeur selon lesquelles la Commission ne pouvait pas tirer une conclusion défavorable du retard à demander l’asile parce qu’elle n’avait pas soulevé cette préoccupation faisaient abstraction du fait qu’il incombe toujours au demandeur d’établir le bien‑fondé de sa crainte de persécution. En outre, la transcription de l’audience comprend un échange avec la conseil du demandeur dans lequel la Commission affirme clairement que toutes les questions, sauf celles relatives à l’identité du demandeur, étaient des questions réelles que la Commission devait examiner.

[51]           Je relève par ailleurs que la Commission n’était pas convaincue que c’était bien l’itinéraire de voyage que le demandeur avait suivi et qu’elle avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour montrer qu’il était arrivé aux États‑Unis à la date où il l’affirmait. La Commission a fait remarquer qu’il aurait pu arriver au Canada dès 2010 ou qu’il aurait pu demeurer aux États‑Unis plus longtemps que ce qui figure dans son FRP. Ces conclusions reposaient sur les nombreuses conclusions quant à la crédibilité que la Commission avait tirées au vu de la preuve produite par le demandeur. Étant donné la déférence à laquelle la Commission a droit, la conclusion sur la demande d’asile tardive est également raisonnable. 

[52]           Bien que le défaut de demander l’asile ou de revendiquer le statut de réfugié dans un autre pays ne permette pas de conclure à l’absence de crainte subjective, il s’agit d’un facteur pertinent qui a une incidence sur la crédibilité : Gavryushenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 FTR 161, [2000] ACF no 1209, au paragraphe 11. En l’espèce, l’allégation du demandeur selon laquelle il avait séjourné à Cuba et aux Bahamas et trois jours aux États‑Unis avant de demander l’asile au Canada n’était pas à l’origine de la conclusion déterminante. La Commission a tiré de nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité qui l’ont amenée à conclure que le demandeur n’avait pas le profil politique qu’il affirmait avoir, n’avait pas vécu ce qu’il alléguait avoir vécu et n’avait pas une crainte fondée de persécution. Cependant, les conclusions négatives quant à la crédibilité découlant du retard n’étaient pas déraisonnables.

[53]           Comme l’a souligné le juge Mosley dans la décision Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 851, au paragraphe 14, [2011] ACF no 1062 [Mejia] :

La Cour a statué que le retard dans la présentation d’une demande d’asile est un facteur important qui doit être pris en compte dans le cadre de l’examen de cette demande : Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (C.A.F.) (QL); Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 F.T.R. 178. Un retard révèle une absence de crainte subjective de persécution ou de crainte fondée de persécution car une personne ayant une crainte véritable demanderait l’asile à la première occasion : Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 324, au paragraphe 16.

(Non souligné dans l’original.)

[54]           En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle la Commission aurait dû tenir compte de l’Entente sur les tiers pays sûrs avant de tirer des conclusions défavorables de son défaut de demander l’asile aux États‑Unis, parce qu’il entendait demander l’asile au Canada où ses deux frères lui viendraient en aide, je souligne que l’Entente sur les tiers pays sûrs permettait seulement son admission au Canada ainsi que l’examen de sa demande d’asile : Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 102, [2014] ACF no 123, aux paragraphes 49 à 50. Autrement, il aurait été renvoyé aux États‑Unis.

La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables au sujet de la crédibilité?

La position du demandeur

[55]           Le demandeur soutient que la Commission a tiré plusieurs conclusions déraisonnables qui l’ont amenée à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité et à conclure qu’il n’était pas un activiste politique, qu’il n’avait pas un profil politique et qu’il n’avait pas de crainte subjective ou objective fondée de persécution.

[56]           Le demandeur fait aussi valoir que la Commission aurait dû évaluer s’il avait une crainte fondée de persécution, et ce, peu importe qu’il ait eu ou non un profil politique, puisque tous les Kurdes sont exposés à un risque en Turquie. En tant que protestataire kurde, le demandeur risquait l’emprisonnement arbitraire, ce qui pouvait constituer de la persécution.

[57]           Le demandeur avance que les circonstances sont analogues à celles de l’affaire Basbaydar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 158 [Basbaydar], où le juge Russel Zinn conclut que la Commission s’est trompée en insistant sur le fait que le demandeur ne présentait pas un intérêt particulier, et il conclut que les manifestants kurdes font l’objet de persécution et que toute participation à des manifestations pro‑kurdes, comme celle survenue lors de Newroz, pourrait être perçue comme un signe d’appui au parti politique kurde.

[58]           En ce qui concerne les conclusions quant à la crédibilité, le demandeur soutient que plusieurs conclusions défavorables reposaient sur des hypothèses ou sur des considérations non pertinentes ou n’étaient pas étayées par des éléments de preuve.

[59]           Au sujet de la conclusion selon laquelle la police n’a pas porté d’accusations contre le demandeur, il soutient que le cartable national de documentation et le restant de la documentation qu’il a fournis corroborent son point de vue selon lequel l’absence d’accusations portées par la police ne témoigne en rien de l’intérêt que pouvait présenter ou non le demandeur. Selon le demandeur, l’arrestation et la privation de la liberté ainsi que les préjudices physiques sont reconnus comme des formes de préjudice grave équivalant à de la persécution.

[60]           Le demandeur affirme en outre que la Commission a mal interprété son témoignage au sujet des documents qu’il a fournis à l’aéroport à son départ de la Turquie. Le demandeur a répondu qu’il avait présenté son passeport et sa carte d’identité et qu’il avait également été aidé par un agent.

[61]           Le demandeur rappelle qu’il a expliqué qu’il avait pu quitter la Turquie sans aucun problème parce qu’il avait eu l’aide d’un agent. Il a également expliqué qu’il avait obtenu un second passeport, car son passeport original avait été estampillé et que le timbre aurait pu diminuer ses chances d’obtenir un visa, et il soutient que la Commission a rejeté cette explication sans motif raisonnable.  

[62]           Le demandeur avance en outre que la Commission a examiné ses éléments de preuve à la loupe et laissé de côté ses explications.

[63]           Le demandeur affirme avoir fourni les explications entourant son exemption du service militaire; il a affirmé l’avoir obtenue lorsqu’il était un étudiant au secondaire, précisant qu’il était étudiant à son dix‑neuvième anniversaire et qu’il estimait que cet anniversaire marquait le début de sa vingtième année de vie et qu’il serait alors assujetti à la conscription. 

[64]           Le demandeur renvoie également à la conclusion de la Commission selon laquelle il avait célébré et non manifesté lors des célébrations du Newroz en mars 2011 et estime que la Commission a fait fausse route. La preuve documentaire établit que le seul fait de célébrer Newroz est perçu comme une forme de protestation.

[65]           Le demandeur affirme en outre que la conclusion de la Commission selon laquelle il devait avoir un visa canadien de visiteur valide dans son passeport qu’il a utilisé pour faciliter son entrée au Canada est illogique. Selon lui, la Commission n’était saisie d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure qu’il avait déjà fait une demande de visa d’entrée, ni obtenu un tel visa.

[66]           Le demandeur fait valoir que l’évaluation que la Commission a faite des divergences entre ses notes prises au PDE, son FRP et son témoignage au sujet de son objection de conscience au service militaire n’était pas raisonnable, car la Commission n’a jamais soulevé cette préoccupation à l’audience et il ne s’est pas vu offrir la possibilité d’y répondre.

[67]           Le demandeur estime en outre que la Commission a ignoré certains éléments de preuve et en a mal interprété d’autres, au point de tirer des conclusions erronées.

[68]           Par exemple, en ce qui concerne son second passeport, le demandeur fait remarquer que la Commission s’est fondée sur la preuve concernant la situation dans le pays en cause qui précise qu’un passeport ne peut être obtenu qu’en personne, tout en ignorant les éléments de preuve documentaire qui montrent par ailleurs que certaines personnes auraient déjà obtenu frauduleusement des passeports turcs avec l’aide d’agents ou par d’autres moyens. Le demandeur rappelle avoir déclaré dans son témoignage qu’il avait obtenu l’aide d’un agent.

[69]           Le demandeur ajoute que la Commission a commis une erreur en concluant que l’expérience de son frère Naci Durmus, qui a été jugé et acquitté, montre qu’il existe une procédure régulière en Turquie. La Commission n’a pas tenu compte des nombreux documents faisant état de la portée excessive des lois turques visant le terrorisme.

[70]           Le demandeur estime que la Commission a commis une erreur en laissant de côté ses éléments de preuve corroborants, entre autres la lettre de son frère au sujet de l’exemption du service militaire du demandeur.

[71]           Il fait en outre remarquer qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de la Commission au sujet des autres lettres corroborantes. La lettre rédigée à la main provenant du BDP était rédigée sur du papier ne portant pas « l’en‑tête officiel » du BDP, mais elle arborait un timbre officiel du BDP. La lettre du demi‑frère du demandeur ne faisait pas mention des activités des autres frères actifs en politique, toutefois le demandeur affirme que c’est le contenu des lettres qui doit être pris en compte et non ce qui n’y figure pas : Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729.

[72]           Le demandeur ajoute que la Commission a ignoré l’affidavit fourni par son frère au Canada, Ahmet, selon lequel Ahmet a parlé avec le demandeur et avec leur père peu après les arrestations du demandeur en 2006, en 2009 et en 2011. Le demandeur reconnaît que le contenu de la lettre faisait état d’informations qui avaient été communiquées à son frère et reposait sur des ouï‑dire, mais soutient qu’il aurait dû être pris en compte.

La position du défendeur

[73]           Le défendeur avance que la Commission a raisonnablement conclu qu’aucun élément de preuve crédible ne permettait de conclure que le demandeur serait exposé à un risque en Turquie. La Commission a conclu que les éléments de preuve du demandeur posaient problème à plusieurs égards, affirmant entre autres que le demandeur n’avait pas réussi à établir de façon crédible qu’il avait un profil politique, qu’il avait été détenu par les autorités turques en mars 2011, ni même qu’il se trouvait en Turquie en mars 2011.

[74]           Le défendeur affirme que le demandeur a examiné à la loupe les conclusions de la Commission au lieu de se concentrer sur les principales conclusions étayant le constat selon lequel le demandeur ne serait pas à risque en Turquie.

[75]           Les conclusions sur la crédibilité que la Commission a tirées sont étayées par des conclusions de fait. La Commission a raisonnablement conclu que même si la mise en détention avait eu lieu, en mars 2011, il n’était pas crédible que la police ait libéré le demandeur après deux jours si celui‑ci présentait un quelconque intérêt du fait de ses activités politiques.

[76]           En ce qui concerne le second passeport, la Commission n’était pas tenue d’accepter l’explication du demandeur. Le défendeur fait remarquer que le demandeur n’est pas revenu sur la conclusion de la Commission selon laquelle il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou fiables montrant qu’il se trouvait en Turquie après juin 2010.

[77]           Pour conclure que le demandeur avait témoigné de façon évasive au sujet des documents qu’il a présentés aux responsables de la sécurité à son départ de la Turquie, la Commission s’est fondée sur ce qu’elle a observé et sur les réponses qu’il a données à une série de questions. De plus, la Commission a conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait pu quitter la Turquie sans être découvert s’il était une personne d’intérêt ou s’il présentait le profil politique allégué, qu’il ait ou non fourni un passeport ou une autre pièce d’identité.

[78]           Le défendeur affirme que les conclusions de la Commission sur l’exemption du service militaire du demandeur s’appuyaient sur la preuve. Il n’existait aucun élément de preuve crédible permettant d’établir que le demandeur était un étudiant en février 2011, compte tenu du fait qu’il occupait un emploi stable à l’époque. Il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’il n’avait aucune intention de faire des études en Turquie et qu’il était un étudiant au moment où il avait quitté la Turquie.

Les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission sont raisonnables

[79]           Comme il a été mentionné, les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission commandent un degré élevé de déférence, car la Commission a entendu et observé le demandeur en personne et tenu compte des éléments de preuve qu’il a produits ainsi que de la preuve relative à la situation dans le pays. 

[80]           Je ne relève aucune erreur dans l’évaluation globale de la crédibilité du demandeur effectuée par la Commission. Le demandeur a minutieusement examiné la décision et avancé que la Commission avait tiré certaines conclusions déraisonnables et fait une analyse à la loupe. Cependant, en portant une attention scrupuleuse à certaines constatations, le demandeur a laissé de côté les conclusions tirées par la Commission, qui reposaient sur bien davantage que sur le seul témoignage du demandeur au sujet de ses deux passeports ou de son exemption du service militaire lorsqu’il fréquentait l’école secondaire. Les nombreuses conclusions sur la crédibilité justifiaient dans leur ensemble les conclusions de la Commission.

[81]           Comme le demandeur l’a fait remarquer, la Commission disposait d’éléments de preuve indiquant que la police détient des manifestants pro‑kurdes pendant quelques heures à la fois avant de les relâcher. Cela montre toutefois – comme le témoignage du demandeur – que ces pratiques de détention sont aléatoires et que le demandeur n’était pas visé. Ces éléments de preuve ne corroborent pas l’allégation du demandeur selon laquelle il était une personne recherchée par les autorités du fait de ses activités politiques. 

[82]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne « manifestait » pas aux célébrations du Newroz, mais était plutôt en train de fêter et de danser, repose sur le propre témoignage du demandeur. Même si la participation aux célébrations du Newroz pourrait être perçue par les autorités turques comme une forme de protestation, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas une personne recherchée. Selon le témoignage du demandeur, les participants ont été arrêtés et mis en détention au hasard – tout comme lui‑même. Encore une fois, cela ne corrobore pas son allégation selon laquelle il était une personne d’intérêt en raison de son activisme politique.

[83]           Je ne suis pas d’accord pour dire que la Commission a mal interprété le témoignage du demandeur au sujet des documents qu’il a présentés lorsqu’il a quitté la Turquie ou de son service militaire.

[84]           Le demandeur a raison d’affirmer que la Commission a, dans sa décision, affirmé erronément qu’il n’avait pas présenté de passeport lorsqu’il a quitté la Turquie en mars 2011. La transcription de l’audience montre qu’après que la Commission a eu clarifié la question des documents que le demandeur avait présentés à son départ, il a déclaré qu’il avait présenté un passeport et une carte d’identité. Toutefois, cette inexactitude n’a pas d’incidence sur la conclusion de la Commission au sujet de son départ. Selon la conclusion de la Commission, le demandeur avait pu quitter la Turquie sans incident, peu importe les documents qu’il avait présentés et qu’il ait eu l’aide d’un agent ou non. La principale conclusion était que si le demandeur était recherché en Turquie ou avait le profil politique qu’il affirmait avoir, sa sortie du pays aurait été découverte.

[85]           La Commission a interrogé le demandeur au sujet de ses deux passeports, et n’a pas jugé satisfaisante l’explication qu’il a donnée selon laquelle il avait eu besoin d’un second passeport parce que le premier était estampillé au moment où un visa lui avait été refusé. La Commission a reconnu que le demandeur avait obtenu l’aide d’un agent et qu’il avait précisé que le passeport avait été « obtenu par des moyens illégaux », mais n’a pas admis que le demandeur n’aurait pas été obligé de se présenter en personne pour obtenir son second passeport, d’après le document objectif sur la situation dans le pays. Le témoignage du demandeur au sujet de ses deux passeports était alambiqué, et la Commission a tiré ses conclusions défavorables quant à la crédibilité de façon raisonnable à la lumière de ses conclusions générales selon lesquelles le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il se trouvait en Turquie en mars 2011.

[86]           Je ne crois pas que la Commission ait fait un examen microscopique de la crédibilité du demandeur. La Commission est chargée d’évaluer la crédibilité des demandeurs et de tenir compte de toute une gamme d’indicateurs, entre autres les contradictions relevées entre le FRP du demandeur et son témoignage et dans le témoignage même, les omissions et le comportement du demandeur en général, notamment le fait qu’il s’est montré évasif. La Commission a conclu que le demandeur avait répondu de façon évasive lorsqu’il lui avait été demandé s’il avait présenté un passeport, mais également conclu qu’il avait répondu évasivement à d’autres questions.

[87]           En outre, le témoignage du demandeur au sujet de son exemption du service militaire était lui aussi confus et contradictoire. Le demandeur a déclaré qu’il avait été exempté à l’âge de 19 ans lorsqu’il faisait ses études secondaires, alors que le service militaire est obligatoire à l’âge de 21 ans, selon la documentation sur les conditions dans le pays. Les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité reposaient sur l’ensemble de la preuve, y compris sur le fait que le demandeur n’aurait plus été aux études au moment où il aurait été appelé à servir. Contrairement à ce que le demandeur a soutenu, la Commission a bien expliqué pourquoi elle avait rejeté la lettre portant sur l’exemption du service militaire envoyée par le frère du demandeur. La Commission a fait remarquer qu’il aurait été impossible d’obtenir, dans un bureau de recrutement militaire, une lettre confirmant que le demandeur était exempté sans avoir à présenter une preuve de la situation de celui‑ci, et que la période à laquelle le demandeur avait été exempté n’était pas la même selon la lettre et les déclarations du demandeur.

[88]           Quant au fait que le demandeur n’avait pas mentionné son objection de conscience au service militaire dans ses notes prises au PDE, la Commission a raisonnablement conclu que cette omission ne concordait pas avec sa crainte alléguée de persécution en Turquie. Même si la Commission n’a pas exprimé ses réserves sur ce point au demandeur à l’audience, elle a clairement indiqué que toutes les questions autres que celle de l’identité seraient traitées. Comme il a été mentionné, il incombe au demandeur d’établir qu’il a une crainte fondée de persécution. Je souligne également que la conclusion essentielle au sujet du service militaire n’était pas celle relative à la présence d’incohérences dans les notes prises au PDE. La Commission a constaté que l’entrevue au point d’entrée constituait pour le demandeur une première occasion de demander l’asile et qu’il n’était pas raisonnable qu’il ait omis de mentionner cet élément à cette occasion. La Commission a reconnu, comme il est établi dans la jurisprudence, que les notes résultant de l’entrevue au PDE ne sont pas forcément aussi exhaustives que le contenu du FRP ou du Fondement de la demande d’asile subséquent. Je suis cependant d’accord avec la Commission sur le fait que l’omission d’un élément d’importance, présenté par la suite comme un aspect essentiel à la crainte de persécution, pourrait raisonnablement amener la Commission à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[89]           En ce qui a trait à l’observation du demandeur qui juge dénuée de sens la conclusion de la Commission selon laquelle il devait avoir obtenu un visa pour entrer au Canada, il convient d’interpréter cette conclusion dans son contexte. La Commission a fait référence à plusieurs aspects du témoignage du demandeur qu’elle jugeait non crédibles ainsi qu’à d’autres éléments, dont les suivants : il n’avait pas été questionné lors de son départ au sujet de son exemption du service militaire; il était écrit sur son passeport délivré en 2010 qu’il était étudiant; il était impossible de savoir si le statut d’étudiant apparaissait toujours sur son second passeport délivré en 2011 parce qu’il n’avait plus ce second passeport; aucune information ne permettait d’établir qu’il avait fait une demande de visa d’étudiant, comme il affirmait l’avoir fait en 2010; aucun élément de preuve ne montrait qu’il avait eu un quelconque problème pour entrer au Canada en 2011. La Commission a ensuite jugé « qu’il [était] raisonnable de conclure que le demandeur d’asile avait obtenu le visa de voyage nécessaire pour entrer au Canada grâce au nouveau passeport » qu’il avait demandé en mars 2011. La Commission a ajouté que le fait que le demandeur n’avait pas fourni le second passeport (parce qu’il avait dit que son agent l’avait pris) ne signifiait pas qu’il ne l’avait pas utilisé pour entrer au Canada.

[90]           La conclusion n’est pas dénuée de sens si l’on tient compte de la version des faits du demandeur et de la conclusion d’absence générale de crédibilité tirée par la Commission.

[91]           Les raisons pour lesquelles la Commission a accordé peu de poids aux lettres du BDP et du demi‑frère sont expliquées dans la décision. La Commission n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve et n’a pas commis une erreur en ne faisant pas mention de l’affidavit d’Ahmet, le frère du demandeur, qui relatait de l’information qui lui avait été donnée, reconnue comme des ouï‑dire.

[92]           Enfin, comme le demandeur l’a souligné, la Commission devait évaluer si le demandeur avait une crainte de persécution fondée, à la fois subjective et objective, qu’il fut ou non une personne recherchée par les autorités de la Turquie.

[93]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas le profil qu’il alléguait avoir et qu’il ne présentait pas un intérêt particulier pour les autorités. La Commission a ensuite conclu que rien dans la preuve ne montrait que les Kurdes étaient persécutés en tant que groupe. La Commission a en outre conclu que le demandeur pouvait faire l’objet d’une poursuite s’il était un objecteur de conscience, mais que cela ne constituait pas de la persécution. Vu les nombreuses conclusions quant à la crédibilité, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait une crainte fondée de persécution. Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Basbaydar, invoquée par le demandeur, la Commission a pris en considération sa crainte de persécution à titre de Kurde, mais n’a pu conclure qu’elle était établie.

[94]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas établi même la perception d’un profil politique ni établi qu’il était une personne recherchée par la police turque ou par d’autres autorités n’était pas la conclusion déterminante, mais constituait une conclusion centrale quant à la crédibilité. La Commission a examiné de façon générale, comme elle est tenue de le faire, si le demandeur avait une crainte fondée de persécution. Étant donné le manque d’éléments de preuve crédibles, la Commission a raisonnablement conclu qu’il n’avait pas une telle crainte.

[95]           En conclusion, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale découlant de la traduction des questions de la Commission ou des réponses du demandeur qui aurait pu avoir une incidence sur les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission.

[96]           La décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible et elle appartient aux issues raisonnables. Le caractère cumulatif des conclusions relatives à la crédibilité soutient amplement la décision de la Commission.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-819-14

 

INTITULÉ :

NESIM DURMUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MarS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MarS 2015

 

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Norah Dorcine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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