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Date : 20150306


Dossier : T-1649-14

Référence : 2015 CF 284

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 6 mars 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

PRODUCT CARE ASSOCIATION

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Product Care Association œuvre dans le domaine du recyclage. Il s’agit d’une association sans but lucratif parrainée par l’industrie qui gère des programmes de bonne gestion de déchets ménagers dangereux et de déchets spéciaux au nom de ses membres canadiens. Les noms de certains membres figurent au dossier. Il s’agit de plusieurs sociétés canadiennes importantes. En juin 2010, Product Care a présenté une demande d’enregistrement d’une marque de commerce. Tel qu’il fut ultérieurement mentionné dans une modification, la marque de commerce était destinée à être employée au Canada en liaison avec ce qui suit :

[Traduction]

[…] (1) la gestion d’un programme de recyclage pour les ampoules; (2) la diffusion de renseignements dans le domaine du recyclage de produits d’éclairage au moyen d’Internet, de publications imprimées, de séminaires, de conférences et d’événements médiatiques […]

[2]               La marque de commerce projetée ressemble à ce qui suit :

[3]               L’examinatrice de marques de commerce a tout d’abord exprimé des inquiétudes quant au fait que « LIGHTRECYCLE & DESIGN » était l’équivalent de « LIGHT RECYCLE » et que, par conséquent, sous forme sonore, la marque de commerce donne une « description claire » des services en liaison avec lesquels on projette de l’employer. Pour cette raison, la marque n’est pas enregistrable, car l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi) prévoit ce qui suit :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou de leur lieu d’origine;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the goods or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[4]               Au cours des années suivantes, l’avocat de Product Care et divers responsables du Bureau des marques de commerce ont fait part de leurs interprétations différentes de la Loi, dont chacune s’appuie sur une jurisprudence importante.

[5]               Enfin, le 16 mai 2014, Geneviève Côté, directrice générale par intérim, Direction des marques de commerce, au nom du registraire (ci-après la registraire), a refusé la demande. L’alinéa 37(1)b) de la Loi interdit l’enregistrement d’une marque de commerce qui va à l’encontre de l’alinéa 12(1)b) susmentionné.

[6]               Il s’agit de l’appel de cette décision.

I.                   Processus d’appel

[7]               Le processus d’appel est visé à l’article 56 de la Loi. Il est un peu particulier, car il permet aux parties de présenter devant la Cour des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés devant la registraire. À titre de demanderesse, Product Care, a présenté de nouveaux éléments de preuve. Le procureur général, le défendeur, n’a pas contre-interrogé le déposant, Man Wah Cheung, vice-président de la demanderesse, celui qui a présenté les nouveaux éléments de preuve.

[8]               La façon dont la Cour traitera les nouveaux éléments de preuve n’est pas contestée.

[9]               Tout d’abord, les nouveaux éléments de preuve doivent être pertinents. Si la Cour ne considère pas les nouveaux éléments de preuve comme étant pertinents, la décision du registraire est contrôlée selon la norme du caractère raisonnable (Conseil du régime de retraite des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2011 CF 58).

[10]           Toutefois :

[…] lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

(Brasseries Molson c John Labbat Ltée, [2000] 3 CF 145 (CA))

[11]           Je dois d’abord analyser la décision faisant l’objet de l’appel avant de déterminer si les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur les conclusions de fait de la registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

II.                Décision faisant l’objet de l’appel

[12]           Dans sa décision, la registraire a défini la question en litige (à juste titre, à mon avis) comme étant celle de savoir si le consommateur ordinaire des services proposés se demanderait si la marque projetée donne « une description claire » de la nature des services proposés. (Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp, [1968] 2 Ex CR 89, 55 CPR 29.

[13]           La registraire a ajouté (encore une fois à juste titre, à mon avis) qu’[traduction] « il ne faut pas examiner minutieusement chacune des parties distinctes de la marque, celle-ci doit plutôt être considérée dans son ensemble et sous l'angle de la première impression » (Wool Bureau of Canada Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce), [1978] ACF no 307; Atlantic Promotions Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), [1984] ACF n606). Selon la registraire, [traduction] « l’interdiction prévue à l’alinéa 12(1)b) vise à empêcher un commerçant de monopoliser à son profit un mot qui est manifestement descriptif ou communément employé dans un secteur d’activité, obtenant ainsi, par rapport à ses concurrents légitimes, un avantage indu » (Canadian Parking Equipment Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce), [1990] ACF no 1008). En se fondant sur la jurisprudence de la Cour, la registraire a ajouté ce qui suit : [traduction] « il faut également tenir compte du sens commun » (Neptune S.A. c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 715). Ni Product Care ni moi ne contestons ces affirmations.

[14]           La registraire a reconnu que la demanderesse a tenu compte du fait que le dessin et les mots utilisés dans la marque de commerce projetée étaient de valeur égale, que « LIGHTRECYCLE » était un mot inventé comprenant une combinaison ambiguë d’éléments qui n’avait aucune signification grammaticale logique, et qu’il n’y a aucune preuve selon laquelle l’expression « LIGHTRECYCLE » était couramment employée dans le commerce.

[15]           Le paragraphe suivant constitue le cœur de la décision :

[traduction]

J’estime que le consommateur ou l’utilisateur ordinaire ayant recours aux services de la demanderesse aura comme première impression que la demanderesse gère un programme de recyclage de lumière et qu’il diffuse des renseignements concernant un programme de recyclage de lumière lorsqu’il voit la marque de commerce « LIGHTRECYCLE & DESIGN ». J’estime également que « LIGHTRECYCLE » est une combinaison de mots ordinaires se trouvant dans le dictionnaire qui crée, sans avoir recours à la dissection ou au réaménagement, un message clair et facilement reconnaissable plutôt qu’une multiplicité de connotations possibles. La marque en question, sous forme sonore, décrit clairement les services d’une manière qui est facile à comprendre, évidente ou simple.

[16]           Cette conclusion découle du point de vue de la registraire selon lequel le consommateur éventuel estimerait que « LIGHTRECYCLE » serait l’élément le plus influent ou le plus important de la marque. La registraire a formulé cet avis en tenant compte des mots, de la taille du dessin, de la police, du style, de la présentation et du caractère distinctif du dessin, qui se limitait à une ampoule encerclée par des flèches.

[17]           La décision de la registraire s’inspirait de la décision du juge Gibson dans l’affaire Best Canadian Motor Inns Ltd. c Best Western International Inc., 2004 CF 135, 30 CPR (4th) 481, qui portait sur des dessins-marques qui comprenaient des mots comme élément dominant. Cette décision, qui a par la suite été suivie par la Cour, a mené à un avis de pratique dans le Journal des marques de commerce selon lequel une marque composite, sous forme sonore, n’est pas enregistrable si les mots sont dominants et s’ils donnent une description claire ou une description fausse de la nature ou de la qualité des services à l’égard desquels son emploi est projeté.

III.             Nouveaux éléments de preuve

[18]           L’affidavit de Cheung :

a.                   fait mention de certains membres de Product Care;

b.                  fournit les résultats d’une recherche Google concernant « LIGHTRECYCLE »;

c.                   fournit diverses définitions de dictionnaire du mot anglais « light ».

[19]           Selon moi, aucun de ces éléments de preuve n’aurait eu une incidence importante sur la décision rendue par la registraire. La mention des noms de certains membres de Product Care ne donne aucunement à penser qu’ils seraient les seuls clients. En effet, la marque de commerce était déjà utilisée. Il y a lieu de supposer qu’il s’agit d’un attrait accru pour un large éventail de consommateurs.

[20]           Les définitions provenant de dictionnaires n’ont rien de nouveau. L’examinatrice avait renvoyé à une définition du mot anglais « LIGHT » provenant d’un dictionnaire. Elle a affirmé que, comme il est mentionné dans le Canadian Oxford Dictionary, « LIGHT » désigne [traduction] « une source de lumière, par exemple le soleil, une lampe ou du feu ». Cette référence est incomplète. Le même dictionnaire définit également le mot anglais « LIGHT » comme [traduction] « ayant peu d’importance; qui n’est pas lourd; facile à soulever ».

[21]           Les recherches sur Google révèlent que le mot inventé « LIGHTRECYCLE » ne mène qu’aux services offerts par Product Care. Par conséquent, il a été prétendu qu’il n’y avait aucune confusion sur le marché. Cependant, la demande n’a pas été refusée en raison du fait qu’elle créait de la confusion au titre de l’article 6 et de l’alinéa 12(1)d) de la Loi.

[22]           Par conséquent, la décision faisant l’objet de l’appel doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable.

IV.             Les arguments de Product Care

[23]           Product Care soutient ce qui suit :

a.                   la registraire a erré en concluant que la marque de commerce projetée était une description claire de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels son emploi était envisagé;

b.                  la registraire a erré en appliquant le critère relatif à l’élément dominant. La marque aurait dû être examinée dans son ensemble. À cet égard, il a été soutenu que la décision rendue dans l’affaire Best Western n’était pas la bonne;

c.                   bien que la version anglaise de l’alinéa 12(1)b) soit ambiguë et qu’elle puisse mener à plus d’une interprétation, la version française est claire. La version française n’impose pas le critère [traduction] « distinct » de la forme sonore à une marque composite comprenant les deux mots en question et un dessin. De plus, le « mot » en l’espèce est inventé et grammaticalement erroné.

V.                Décision

[24]           J’en suis venu à la conclusion que l’analyse de la registraire est déraisonnable. Cependant, mon analyse me mène également à la conclusion, par des moyens différents, que la marque de commerce projetée ne peut pas être enregistrée étant donné que l’alinéa 12(1)b) de la Loi interdit l’enregistrement d’une marque déposée qui donne une description claire de la nature des services en liaison avec lesquels elle est employée.

[25]           Une marque de commerce peut se limiter à un dessin, à un mot, qu’il soit inventé ou non, comme « Kleenex » ou « Exxon », ou à un son. En ce qui concerne le dernier point, le Bureau des marques de commerce a publié une directive concernant les marques de commerce consistant en un son, qui pourrait être enregistré en format MP3 ou WAVE. Une marque pourrait également avoir une forme mixte, comme en l’espèce.

[26]           La marque de commerce projetée sollicite deux de nos sens : la vue et l’ouïe. La marque de commerce projetée est vue comme un tout, à savoir le dessin et les lettres. Cependant, sous la forme sonore, « LIGHTRECYCLE » sonne comme deux mots anglais, à savoir « light » et « recycle ». Le dessin n’est pas sous forme sonore. Il peut seulement être décrit de vive voix : il s’agit d’une ampoule encerclée par trois flèches.

[27]           Voici l’avis de la registraire :

[traduction]

[…] le consommateur ou l’utilisateur ordinaire ayant recours aux services de la demanderesse aura comme première impression que la demanderesse gère un programme de recyclage d’ampoules et qu’il diffuse des renseignements concernant un programme de recyclage d’ampoules lorsqu’il voit la marque de commerce « LIGHTRECYCLE & DESIGN ».

[28]           La registraire estime que « LIGHTRECYCLE » est une combinaison de mots courants du dictionnaire. C’est le cas. Cependant, elle a omis de tenir compte du fait que le mot anglais « LIGHT » compte au moins deux sens distincts. Elle ne pouvait privilégier qu’une seule signification étant donné que, contrairement au simple consommateur, elle avait la demande d’enregistrement de la marque de commerce entre les mains.

[29]           Le consommateur ou l’utilisateur ordinaire des services projetés ne voit pas une marque de commerce en ayant une copie de la demande d’enregistrement de cette marque de commerce dans sa poche. Comme il en a été discuté à l’audience, les matériaux qu’une personne met dans son bac bleu municipal sont légers, ce qui constitue une autre définition du mot anglais « light ». Ils comprennent des objets comme des bouteilles en verre, des boîtes de conserve, du papier journal et ainsi de suite. Il faut mettre cela en contraste avec les matières d’un parc à ferrailles, qui recycle des pièces de moteurs d’automobiles, ou d’une casse, qui brise des navires de centaines de milliers de tonnes de port en lourd afin de récupérer le cuivre, l’aluminium et le fer. Ils sont dans le marché du recyclage, mais il est impossible de dire qu’ils recyclent des produits légers, encore moins des ampoules.

[30]           Cela a amené la registraire à conclure que le mot était l’élément dominant de la marque de commerce. En ce qui concerne l’impression donnée, il n’est pas raisonnable, en l’absence d’accès à la divulgation au Bureau des marques de commerce, de conclure que l’élément mot de la marque de commerce fait allusion au recyclage d’ampoules.

[31]           Il n’est pas nécessaire d’analyser en détail la décision Best Western. L’élément dessin prédominant de la marque de commerce projetée était une feuille d’érable, à laquelle on a renoncé. Il n’y a aucune renonciation de la sorte en l’espèce.

[32]           La norme de contrôle de la décision raisonnable a été définie de la manière suivante au paragraphe 47 de la décision Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[33]           La registraire avait déclaré à juste titre qu’il ne faut pas examiner minutieusement chacune des parties distinctes de la marque, celle-ci doit plutôt être considérée dans son ensemble (décisions Wool Bureau of Canada Ltd et Atlantic Promotions Inc).

[34]           Toutefois, la registraire a omis d’expliquer comment elle en est parvenue à conclure que le mot était l’élément dominant. Étant donné les différentes significations du mot anglais « light », l’élément dessin ne pouvait pas en pratique être laissé de côté.

[35]           Je ne souscris pas à l’opinion de la demanderesse selon laquelle, considérée de ffaçon globale et sous l'angle de la première impression, il ne peut être conclu que la marque projetée « donne une description claire » des activités en question. Par conséquent, la marque projetée n’est pas enregistrable.

[36]           Cependant, bien que j’estime que les différences entre les versions française et anglaise de l’alinéa 12(1)b) ne sont que d’ordre stylistique , il n’est pas nécessaire dans les circonstances de s’arrêter sur ce point étant donné que, dans l’ensemble, la marque de commerce donne une description détaillée des services offerts.

VI.             Dépens

[37]           La demanderesse n’a pas sollicité de dépens. La demanderesse n’a formulé aucune observation à cet égard. Étant donné que j’en suis venu à la même conclusion que la registraire, mais pour des motifs différents, j’estime qu’il convient que chaque partie assume ses propres frais.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS :

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1649-14

INTITULÉ :

PRODUCT CARE ASSOCIATION c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER, COLOMBIE-BRITANNIQUE

DATE DE L’AUDIENCE :

le 5 février 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge harrington

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 6 mars 2015

COMPARUTIONS :

Paul Smith

POUR LA DEMANDERESSE

Oliver Pulleyblank

Andrea Gatti

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMITHS IP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDRESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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