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Date : 20150304

Dossier : T-1734-14

Référence : 2015 CF 276

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

ALEXANDR SIN

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Alexandr Sin, un citoyen de la Russie, a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre d’investisseur. Avant que sa demande ne soit traitée, le gouvernement du Canada a adopté une loi qui mettait fin aux demandes pendantes faites au titre de la catégorie des investisseurs (Loi no 1 sur le plan d’action économique, modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, article 87.5; les dispositions citées sont reproduites à l’annexe). Aux termes de la loi, les demandeurs n’ont pas de recours judiciaire contre le gouvernement du Canada relativement aux demandes auxquelles il a été mis fin.

[2]               Néanmoins, M. Sin a engagé une action en vue d’obtenir le remboursement de ses menues dépenses et des dommages‑intérêts pour perte d’occasion. Il se fonde largement sur des traités bilatéraux qui protègent les droits des investisseurs. Il soutient que ces traités continuent de protéger ses intérêts, malgré la loi qui semble faire obstacle à sa réclamation. Dans l’action qu’il a engagée, M. Sin cherche à représenter une catégorie d’investisseurs se trouvant dans une situation semblable.

[3]               La défenderesse a présenté une requête en radiation de l’action de M. Sin au motif qu’il est évident et manifeste qu’elle est vouée à l’échec. M. Sin me demande de rejeter la requête et d’accueillir sa requête parallèle demandant la permission d’informer les éventuels membres du recours collectif proposé.

[4]               Dans les circonstances, je dois accueillir la requête de la défenderesse. L’action de M. Sin est vouée à l’échec, de sorte que sa demande d’avis d’autorisation ne peut être accueillie.

II.                Contexte

[5]               En 2014, le gouvernement du Canada a mis fin à toutes les demandes de résidence permanente présentées par des investisseurs étrangers qui n’avaient pas été approuvées avant le 11 février 2014 (paragraphe 87.5(1)). La demande de M. Sin est visée par cette disposition.

[6]               La loi dispose expressément que les sommes investies et les frais versés pour la demande sont remboursés au demandeur (paragraphes 87.5(3) et (4)). De plus, la loi dispose que le demandeur n’a pas de recours ni droit à une indemnité relativement à une demande à laquelle il a été mis fin (paragraphe 87.5(7)).

III.             Est‑il évident et manifeste que l’action de M. Sin est vouée à l’échec?

[7]               M. Sin soutient que son action est viable essentiellement parce que la loi susmentionnée doit être lue de concert avec les accords internationaux qui protègent les droits des investisseurs, et plus particulièrement l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers Canada‑Russie. Aux termes de cet accord et d’autres accords semblables, les investissements ne peuvent être expropriés directement ou indirectement sans indemnisation. De plus, les accords permettent aux investisseurs lésés de demander réparation aux tribunaux nationaux des États dans lesquels les investissements ont été effectués.

[8]               M. Sin soutient que son investissement a été exproprié indirectement sans indemnisation : comme il a été mis fin à sa demande de résidence permanente, il a en effet perdu un des avantages de son investissement, à savoir la chance d’obtenir le statut de résident permanent au Canada. Le fait que les frais versés pour sa demande et son investissement soient remboursés ne compense pas cette perte, de sorte que, affirme‑t‑il, il devrait être autorisé à demander réparation à la Cour.

[9]               Selon M. Sin, la loi est incompatible avec les accords internationaux. Par conséquent, il soutient que la loi doit être interprétée d’une façon qui respecte les obligations incombant au Canada en vertu du droit international, y compris les traités internationaux en matière d’investissement. Comme le législateur n’a pas expressément énoncé que le paragraphe 87.5(7) l’emportait sur les traités internationaux, cette disposition doit recevoir une interprétation atténuée de manière à ce que les droits conférés aux investisseurs aux termes de ces instruments soient protégés. M. Sin affirme que le législateur ne pouvait pas annuler furtivement et indirectement des dizaines d’accords internationaux protégeant les droits des investisseurs. Il avance que le législateur aurait pu le faire seulement en utilisant un langage sans équivoque.

[10]           J’estime toutefois que la loi qui met fin à la possibilité des investisseurs d’obtenir le statut de résident permanent grâce à l’investissement n’est pas incompatible avec les accords internationaux invoqués par M. Sin. Par conséquent, le législateur n’avait pas besoin d’énoncer expressément qu’il annulait les responsabilités internationales du Canada.

[11]           Premièrement, les accords ne protègent pas les droits que M. Sin tente d’alléguer en l’espèce. M. Sin se fonde sur la définition élargie de l’expression « expropriation indirecte » figurant dans nombre d’accords internationaux et soutient que la loi soumet les investisseurs et les entrepreneurs à « une mesure ou [...] série de mesures [...] qui ont un effet équivalent à l’expropriation directe ».

[12]           Toutefois, à mon avis, M. Sin et d’autres investisseurs n’ont pas été soumis à des mesures ayant un effet équivalent à l’expropriation. Ils ont perdu l’occasion d’essayer d’obtenir le statut de résident permanent au Canada au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs, mais ils n’ont certainement pas subi l’expropriation de leurs investissements, ni de perte équivalente. M. Sin a été incapable de désigner une disposition quelconque des accords qui indiquerait que le fait de mettre fin à la demande de résidence permanente présentée par un investisseur, qui a été remboursé relativement à sa demande et à son investissement, équivaut à une expropriation, directe ou indirecte, sans indemnisation. Par conséquent, à mon avis, les dispositions édictées par le législateur qui ont pour effet de mettre fin aux demandes de résidence permanente présentées par des investisseurs et de limiter la mesure dans laquelle les investisseurs peuvent être indemnisés pour les demandes auxquelles il a été mis fin ne sont tout simplement pas incompatibles avec ces accords. Il n’est donc pas nécessaire de donner une interprétation atténuée à la loi pour assurer le respect des obligations qui incombent au Canada en vertu du droit international (comme il était requis dans l’arrêt Reference as to Powers to Levy Rates on Foreign Legations [1943] SCR 208).

[13]           Deuxièmement, les accords internationaux invoqués par M. Sin n’ont pas été incorporés au droit interne canadien. M. Sin soutient que les accords internationaux qui ne sont pas incompatibles avec le droit interne se mettent en œuvre automatiquement – leur mise en œuvre par le truchement de la législation canadienne n’est pas nécessaire. Il ajoute que, au moment de leur mise en œuvre, les accords n’étaient pas incompatibles avec le droit interne canadien, de sorte qu’ils devraient en faire partie intégrante.

[14]           Je ferai d’abord remarquer que les accords pouvaient très bien avoir pris effet entre les parties contractantes. Toutefois, ils ne font pas nécessairement partie du droit canadien pour autant. Pour ce faire, il faudrait qu’ils aient été mis en vigueur par une loi (Janssen inc. c Teva Canada Limitée, 2015 CAF 36, au paragraphe 14).

[15]           En outre, même si les accords étaient interprétés de la manière préconisée par M. Sin, ils auraient été directement incompatibles avec la loi susmentionnée, laquelle prive expressément M. Sin et les investisseurs dans la même situation de toute réparation, à part le remboursement de leur investissement et des frais accessoires. Par conséquent, à la lumière du paragraphe 87.5(7), les accords ne peuvent être considérés comme faisant partie du droit interne canadien. Par ailleurs, bien que les tribunaux évitent généralement de faire une interprétation du droit interne qui porterait atteinte aux obligations internationales du Canada, ils doivent le faire lorsque, comme en l’espèce, « le libellé de la loi commande clairement un tel résultat » (R c Hape, [2007] 2 RCS 292, au paragraphe 53).

[16]           Ainsi, je dois conclure que la déclaration de M. Sin ne révèle pas de cause d’action. Dans l’éventualité où j’accueillerais la requête de la défenderesse, M. Sin a demandé la permission de modifier sa déclaration. Toutefois, il n’a proposé de modifier aucun aspect du fond de sa déclaration; il a tout juste demandé la permission de désigner les dispositions particulières des accords internationaux sur lesquelles il se fondait. Une telle modification ne saurait servir à surmonter les obstacles à l’action de M. Sin mentionnés ci‑dessus. Par conséquent, je ne donnerai pas à M. Sin la possibilité de modifier sa déclaration.

[17]           Il s’ensuit que je dois également rejeter la requête en avis d’autorisation présentée par M. Sin en vue d’informer les éventuels membres du recours collectif proposé.

IV.             Conclusion et dispositif

[18]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus qu’il est manifeste et évident que l’action de M. Sin est vouée à l’échec. Je dois donc accueillir la requête en radiation et en rejet présentée par la demanderesse à l’encontre de la requête en avis d’autorisation du demandeur, les dépens étant adjugés à la défenderesse relativement aux deux requêtes.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.      La requête de la défenderesse est accueillie, avec dépens.

2.      La requête du demandeur est rejetée, avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Demandes pendantes

87.5 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs ou de celle des entrepreneurs si, au 11 février 2014, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à la catégorie en cause.

Pending applications

87.5 (1) An application by a foreign national for a permanent resident visa as a member of the prescribed class of investors or of entrepreneurs is terminated if, before February 11, 2014, it has not been established by an officer, in accordance with the regulations, whether the applicant meets the selection criteria and other requirements applicable to the class in question.

[…]

Effet

(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent par application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

Effect

(3) The fact that an application is terminated under subsection (1) does not constitute a decision not to issue a permanent resident visa.

Remboursement de frais

(4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor.

Fees returned

(4) Any fees paid to the Minister in respect of the application referred to in subsection (1) — including for the acquisition of permanent resident status — must be returned, without interest, to the person who paid them. The amounts payable may be paid out of the Consolidated Revenue Fund.

[…]

Absence de recours ou d’indemnité

(7) Nul n’a de recours contre Sa Majesté du chef du Canada ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1), notamment à l’égard de tout contrat ou autre forme d’entente qui a trait à la demande.

No recourse or indemnity

(7) No right of recourse or indemnity lies against Her Majesty in right of Canada in connection with an application that is terminated under subsection (1), including in respect of any contract or other arrangement relating to any aspect of the application.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1734-14

 

INTITULÉ :

ALEXANDR SIN c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Dan Miller

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

Lorne McClenaghan

Charles Julian Jubenville

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Miller

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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