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Date : 20150306


Dossier : T-1420-14

Référence : 2015 CF 287

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

CECILIA CARROLL

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Mme Carroll conteste la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] a rejeté sa plainte parce qu’elle était « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi].

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision de la Commission était à la fois inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable. La présente demande est accueillie et la plainte est renvoyée à la Commission.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse travaillait pour le ministère de l’Emploi et du Développement social, anciennement nommé Ressources humaines et Développement des compétences Canada [l’employeur]. Le 8 février 1993, elle a pris un congé de maladie sans solde en raison de maux de dos. Elle n’est plus retournée au travail depuis.

[4]               En 2007, l’employeur a contacté la demanderesse et lui a demandé de revenir au travail ou de prendre sa retraite pour raisons médicales. Il l’a informée qu’elle serait autrement congédiée pour incapacité d’ordre médical. La demanderesse a répondu qu’elle préférait rester en congé d’invalidité à long terme jusqu’à ce que son médecin l’autorise à reprendre le travail. La prise d’autres mesures dans cette affaire a été reportée à 2011 à cause de problèmes liés au régime de pension de la demanderesse.

[5]               L’employeur a renouvelé sa demande le 5 octobre 2011. Plus tard au cours du même mois, la demanderesse l’a avisé que, sous la contrainte, elle présenterait une demande de départ à la retraite pour raisons médicales, qui prendrait effet le 29 décembre 2011.

[6]               Le 7 octobre 2011, la demanderesse a présenté à l’employeur un grief au premier palier, en déclarant ce qui suit dans la section « Détails du grief » du formulaire de plainte :

[traduction] Je conteste la lettre du 5 octobre 2011 par laquelle l’employeur me demande de retourner au travail ou de mettre fin d’une manière quelconque à mon emploi. Il s’agit là d’intimidation et de discrimination fondée sur une invalidité. Ces actes sont contraires aux obligations de l’employeur aux termes de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[7]               La demanderesse a sollicité les mesures correctives suivantes :

[traduction

1.        Que l’employeur retire sa demande et n’en présente plus de semblables à l’avenir.

2.        Que des mesures d’adaptation me soient accordées pour que je puisse être autorisée à rester en CNP [congé non rémunéré] jusqu’à ce que je sois en mesure de reprendre le travail.

3.        Que des mesures de réparation me soient accordées.

[8]               L’employeur a rejeté le grief le 28 novembre 2011. La lettre de réponse indiquait notamment :

[traduction] Vous êtes en congé de maladie sans solde depuis février 1993. Vous demander d’envisager une modalité de séparation après plus de dix-huit ans de congé de maladie sans solde ne constitue ni un acte discriminatoire, ni de l’intimidation, ni une infraction à votre convention collective ou à la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, une telle demande est tout à fait conforme à la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor. Et comme vous ne pouvez réintégrer votre emploi dans un avenir prévisible, aucune mesure d’adaptation ne peut vous être accordée sur le lieu de travail.

[Non souligné dans l’original.]

[9]               Le même jour, la demanderesse a présenté un grief au second palier. Son représentant syndical a soumis cinq pages d’arguments en son nom, alléguant en particulier que la Politique sur le congé non rémunéré (remplacée ensuite par la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales) faisait preuve de discrimination illégale à l’égard des employés qui ont pris un congé pour raisons médicales et reçu des prestations d’invalidité de la SunLife pendant plus de deux ans. À l’appui, le représentant a expliqué que l’employeur prenait uniquement pour cibles ces employés. Ceux qui étaient en congé pour d’autres motifs, ou les employés atteints d’une invalidité qui n’étaient pas assurés par la SunLife, n’étaient pas touchés de la même manière.

[10]           Le 8 décembre 2011, la demanderesse a contacté la Commission pour la première fois et expliqué qu’elle souhaitait déposer une plainte contre l’employeur. Elle l’a finalement fait le 17 février 2012. Dans une lettre datée du 5 mars suivant, la Commission a informé la demanderesse qu’elle devait épuiser les procédures de règlement des griefs avant de pouvoir examiner sa plainte.

[11]           Le 26 mars 2012, l’employeur a refusé le grief au second palier. Sa lettre reprenait presque mot pour mot celle par laquelle le grief au premier palier a été rejeté.

[12]           Le 12 avril 2012, la demanderesse a déposé un grief au troisième palier. Son représentant syndical a soumis en son nom une lettre d’une page indiquant notamment :

[traduction] Comme nous l’avons déjà souligné, les cours fédérales ont conclu que la politique du Conseil du Trésor sur le « congé non rémunéré » est discriminatoire. [...] Ce fait demeure, et comme il s’agit du seul fondement invoqué par l’employeur pour forcer Mme Caroll à demander sa retraite pour raisons médicales, les actes de l’employeur sont inappropriés et vont à l’encontre de ce qu’ont statué les cours fédérales.

[13]           Le 5 juillet 2013, l’employeur a refusé le grief au troisième palier. Cette fois-ci, la lettre de réponse était différente : elle soulignait que la demanderesse n’avait jamais fourni à l’employeur de renseignements concernant un éventuel retour au travail, si bien que ce dernier ne pouvait pas lui proposer des mesures d’adaptation. La décideuse a ajouté :

[traduction] Compte tenu de ces informations, j’estime que l’employeur a respecté l’esprit de la Politique sur le congé non rémunéré (remplacée depuis par la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales) en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[14]           La décideuse a ensuite cherché à savoir si la lettre de l’employeur était discriminatoire au regard de [traduction« l’application de la Politique ». Elle a déclaré :

[traduction] Cette directive a pour objet de permettre aux ministères de gérer les absences rémunérées et non rémunérées de manière sensée, cohérente et efficace. Comme votre départ à la retraite pour raisons médicales a été approuvé, il était clair que votre retour au travail dans un avenir prévisible était improbable et, par conséquent, j’estime que l’employeur a appliqué la Politique correctement.

En outre, je n’ai découvert aucune preuve de discrimination de la part de l’employeur.

[Non souligné dans l’original.]

[15]           Le 30 juillet 2013, la demanderesse a reçu une lettre de son syndicat l’informant qu’il ne soumettrait pas son grief à l’arbitrage de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP], et que la procédure de règlement des griefs avait donc été épuisée.

[16]           Le 9 septembre 2013, la demanderesse a envoyé par télécopie à la Commission une version mise à jour de sa plainte. Au premier paragraphe, elle déclare :

[traduction] Je souffre d’une invalidité et estime avoir été victime de discrimination pour cette raison. À mon avis, l’application de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor par Service Canada est discriminatoire à l’égard des personnes atteintes d’invalidité.

[17]           Le 28 octobre 2013, la Commission informait la demanderesse par lettre que sa plainte pouvait être « vexatoire » au sens de la Loi étant donné qu’elle avait déjà été instruite dans le cadre d’une autre procédure. La Commission ajoutait qu’elle rédigerait un rapport fondé sur les articles 40 et 41 pour décider si elle devait se saisir de la plainte. Mme Carroll a reçu un questionnaire et a été invitée à soumettre ses réponses à la Commission, ce qu’elle a fait le 13 décembre 2013 après avoir obtenu une prorogation de délai.

[18]           Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 a été établi le 6 février 2014. En bref, il recommandait à la Commission de rejeter la plainte. Le 13 février suivant, la demanderesse en a reçu copie et a été invitée à soumettre des observations en réponse.

[19]           Le 10 mars 2014, la Commission a reçu des observations (six pages d’arguments détaillés) transmises par un avocat pour le compte de la demanderesse. Cette dernière soulevait en particulier les préoccupations suivantes :

  • Bien qu’elle ait évoqué dans ses griefs toutes ses préoccupations en matière de droits de la personne, l’employeur n’y a nullement répondu de façon explicite. En particulier, il n’a jamais abordé la question du caractère discriminatoire de la politique elle-même.
  • Les griefs ont été tranchés par l’employeur sans l’assistance d’un tiers. L’employeur n’est pas un arbitre indépendant et impartial en matière de droits de la personne.
  • Dans la décision Berberi c Canada (Procureur général), 2013 CF 99, la Cour fédérale a estimé que la Commission ne devait déclarer une plainte irrecevable que « dans les cas les plus évidents ». Elle a noté en outre que la Commission « ne saurait se départir de son obligation d’examiner indépendamment la décision qui a résulté [d’un autre] mécanisme, ainsi que les motifs appuyant cette décision ». Nous ne sommes pas en présence d’un cas évident de refus. Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 ne traite pas du bien‑fondé de la plainte, n’examine pas la directive en question, ne tient compte ni des actes ni des motifs de l’employeur et n’effectue pas d’enquête indépendante sur la plainte.
  • Le rapport indique à tort que la plainte ne soulevait pas la question de savoir si la directive est discriminatoire. En fait, le premier paragraphe de la plainte mentionne la directive.
  • Le rapport indique que la directive a été formulée par le Conseil du Trésor et que la plaignante ne peut pas la faire annuler en déposant une plainte contre son employeur. Cependant, l’employeur a appliqué cette directive discriminatoire à l’égard de la demanderesse. L’origine de la directive n’est pas pertinente. L’application de cette politique par l’employeur peut faire l’objet d’un contrôle.

[20]           Le même jour, la Commission a également reçu des observations succinctes par lesquelles le défendeur souscrivait au rapport. D’autres observations plus détaillées lui ont été transmises le 11 avril. Le 17 avril, la Commission a fait parvenir une copie des deux séries d’observations du défendeur à la demanderesse, pour ses dossiers.

[21]           Le 30 avril 2014, la Commission a rendu une décision rejetant la plainte. Le 13 mai, Mme Carroll en a reçu une copie. Elle a alors présenté une demande de contrôle judiciaire.

II.                Questions à trancher

[22]           La présente demande soulève deux questions :

1.      La Commission a-t-elle contrevenu au devoir d’équité procédurale?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était vexatoire?

III.             Norme de contrôle

[23]           La première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 129; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79. La Cour doit « entreprend[re] [...] sa propre analyse » et annuler les choix procéduraux du décideur si elle conclut que ce dernier s’est conduit de manière inéquitable : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50.

[24]           La seconde question fait intervenir des enjeux de fait et de droit concernant la loi habilitante de l’organisme. Il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 54.

IV.             Décision sous contrôle

A.                La décision de la Commission

[25]           La décision de la Commission, signée le 30 avril 2014, est rédigée comme suit :

[traduction] La Commission a décidé, pour les motifs énoncés ci‑après, que la plainte était irrecevable aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[26]           La décision énumère les documents examinés par la Commission, soit les formulaires de plainte, le rapport fondé sur les articles 40 et 41 ainsi que les observations de la plaignante et du défendeur.

[27]           Sous la section « Motifs de décision », la décision indique textuellement :

[traduction] La Commission adopte la conclusion suivante énoncée dans le rapport fondé sur les articles 40 et 41 :

Les allégations de la plaignante en matière de droits de la personne ont été examinées par un autre décideur ayant compétence pour examiner de telles questions. Les allégations soulevées dans la plainte soumise à la Commission sont identiques à celles figurant dans la réponse au grief présenté au dernier palier. Comme l’autre décideur a examiné les questions de droits de la personne soulevées dans la présente plainte et que cette procédure était équitable, la Commission doit respecter le caractère définitif de cette décision et ne devrait pas instruire la présente plainte. Il est donc évident que celle-ci est vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

B.                 Le rapport fondé sur les articles 40 et 41

[28]           Le défendeur soutient que le rapport fondé sur les articles 40 et 41 devrait être considéré comme partie intégrante des motifs de la Commission. Il fait valoir que cela est approprié lorsque la Commission adopte les recommandations d’un enquêteur et qu’elle ne fournit aucun motif ou des motifs très succincts, et cite à cet égard la décision Vos c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CF 713, au paragraphe 36. Le défendeur a raison, il est donc nécessaire d’examiner ce rapport.

[29]           Le rapport débute par un bref résumé de la plainte et une mise en contexte des mesures prises par la Commission jusque-là. Il reproduit ensuite le paragraphe 41(1) de la Loi.

[30]           Le rapport poursuit en expliquant en détail les facteurs pertinents pour déterminer si une plainte est « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d). Le paragraphe 10 du document précise : [traduction] « La Commission peut refuser de se saisir d’une plainte si un décideur indépendant a déjà examiné les questions liées aux droits de la personne. L’alinéa 41(1)d) de la Loi qualifie de telles plaintes de “vexatoires”. »

[31]           Le rapport cite la jurisprudence pertinente. Dans la décision Boudreault c Canada (Procureur général), [1995] ACF no 1055 (1re inst.), la Cour fédérale a conclu que la Commission ne pouvait refuser d’instruire une plainte simplement parce qu’elle avait déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure. La Commission doit examiner la preuve elle-même, mais elle peut se servir de celle qui a été recueillie dans le cadre de l’autre instance. Cependant, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Barrette, [2000] ACF no 539 (CAF) [Barrette], la Cour d’appel fédérale a indiqué que la Commission devait se pencher sur la décision de l’autre décideur et déterminer si la plainte justifiait l’application de l’alinéa 41(1)d).

[32]           Le rapport indique que la Cour suprême a examiné cette question dans deux arrêts récents. Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52 [Figliola], la Cour a jugé que les tribunaux des droits de la personne devaient respecter le caractère définitif des décisions rendues par d’autres décideurs jouissant d’une compétence concurrente à l’égard de la législation sur les droits de la personne, lorsque « la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte ». Dans l’arrêt Penner c Niagara (Commission régionale des services policiers), 2013 CSC 19, la Cour a déclaré que lorsqu’une affaire a déjà été tranchée dans le cadre d’une autre procédure, le décideur doit examiner les circonstances pour déterminer s’il serait juste de laisser la seconde procédure se poursuivre.

[33]           Le rapport énumère plusieurs facteurs à prendre en compte afin de décider si une plainte est ou non vexatoire. Il résume ensuite les thèses des parties.

[34]           Le rapport contient ensuite une analyse de la plainte. Au paragraphe 39, l’enquêteur affirme que [traduction« la plaignante a fait valoir ses arguments relatifs aux droits de la personne dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et toutes ses allégations à cet égard ont été examinées dans le cadre de l’autre instance ». L’arbitrage de la plainte ne favoriserait donc pas les objectifs de la Loi.

[35]           Au paragraphe 40, l’enquêteur déclare qu’ [traduction« [i]l n’y aucune différence importante entre la procédure de règlement des griefs et celle de la Commission; plus précisément, un arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

[36]           Au paragraphe 41, l’enquêteur conclut que rien n’indique que la plainte a été déposée pour [traduction] « agacer, embarrasser ou harceler le mis en cause », mais qu’elle est [traduction« vexatoire » parce que les allégations ont été [traduction] « pleinement examinées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ».

[37]           Au paragraphe 42, l’enquêteur se penche sur l’observation de la plaignante voulant que la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales soit discriminatoire, et écrit :

[traduction] Il s’agit d’une nouvelle allégation qui ne figurait pas dans le formulaire de plainte. Il est important de noter que la politique jugée discriminatoire par la plaignante n’émane pas de RHDCC, mais plutôt du Conseil du Trésor. Si elle cherche à faire invalider la directive en question, elle n’y parviendra pas en déposant une plainte contre RHDCC.

[38]           Au paragraphe 43, l’enquêteur conclut qu’il est [traduction« évident que [la plainte] est vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi ».

V.                Observations des parties

A.                La Commission a-t-elle contrevenu au devoir d’équité procédurale?

[39]           La demanderesse soutient que la Commission a contrevenu au devoir d’équité procédurale en n’examinant pas les observations qu’elle a fournies, dans lesquelles elle contestait plusieurs faits essentiels sur lesquels l’enquêteur s’est appuyé. La Commission n’a pas traité de ces observations et n’a pas donné de motifs pour justifier leur rejet. Elle a simplement adopté la conclusion du rapport fondé sur les articles 40 et 41.

[40]           Dans la décision Kollar c Banque Canadienne Impériale du Commerce, 2002 CFPI 842, au paragraphe 36, la Cour fédérale a reconnu l’importance des observations fournies en réponse aux rapports des enquêteurs. La demanderesse fait valoir qu’en l’espèce, le rapport déformait les faits. Comme les observations de la demanderesse contestaient plusieurs de ces faits, la Commission aurait dû refuser de souscrire au rapport, vu la solidité desdites observations, ou exercer son pouvoir discrétionnaire pour tenir une audience afin de recevoir de nouvelles observations.

[41]           La demanderesse soutient en outre que la Commission a contrevenu au devoir d’équité en ne fournissant pas de motifs adéquats. Elle a simplement adopté un rapport défectueux sans faire connaître ses propres motifs de décision. Dans la décision Sketchley c Canada (Procureur général), 2004 CF 1151, au paragraphe 61 [Sketchley CF], la Cour a précisé que l’intervention judiciaire était justifiée lorsqu’un demandeur fournit des observations détaillées, mais que la Commission n’en traite pas dans sa décision. Cette décision a été maintenue en appel : 2005 CAF 404 [Sketchley CAF].

[42]           Le défendeur fait valoir en réponse que rien n’autorise à conclure que la Commission n’a pas tenu compte des observations de la demanderesse. La décision indique que la Commission a examiné le formulaire de plainte, le rapport fondé sur les articles 40 et 41, de même que les observations de la demanderesse et du défendeur. Le fait de recevoir une décision défavorable est insuffisant pour conclure que les observations n’ont pas été prises en considération. Il était loisible à la Commission d’examiner et de soupeser la preuve qui lui a été soumise comme elle l’a fait.

[43]           Le défendeur ajoute que les motifs de la Commission étaient adéquats. Le rapport détaillé de l’enquêteur forme les motifs de la Commission : décision Vos, précitée, au paragraphe 36; arrêt Sketchley CAF, précité, au paragraphe 37.

[44]           Le défendeur conteste l’allégation selon laquelle le rapport est défectueux. Le fait que la demanderesse ne soit pas d’accord avec ses conclusions ne signifie pas qu’il est inéquitable sur le plan procédural. Pour être équitable, l’enquête se devait d’être complète et neutre. Elle était neutre dans la mesure où l’enquêteur n’était pas partial et qu’il a gardé l’esprit ouvert : Canada (Procureur général) c Davis, 2010 CAF 134, au paragraphe 6 [Davis CAF]; décision Vos, précitée, au paragraphe 44.

[45]           D’après le défendeur, pour qu’une enquête soit considérée comme complète, les parties doivent avoir la possibilité raisonnable de formuler des commentaires sur l’affaire : arrêt Davis CAF, précité, au paragraphe 6. La demanderesse a eu l’occasion de fournir à l’enquêteur des renseignements à l’appui de sa demande et de commenter son rapport. De plus, elle a obtenu copie des observations du défendeur et n’a pas cherché à présenter d’autres commentaires : Hérold c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 544, au paragraphe 42.

[46]           Le défendeur soutient que la preuve n’étaye pas l’allégation selon laquelle les décideurs qui ont instruit le grief n’étaient pas impartiaux. Quoi qu’il en soit, le prétendu manque d’indépendance dans la procédure de règlement des griefs n’influe pas sur l’équité de la procédure suivie par la Commission : Bergeron c Canada (Procureur général), 2013 CF 301, au paragraphe 43.

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était vexatoire?

[47]           La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de fait et de droit en jugeant sa plainte vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d). Même si la Commission a le pouvoir discrétionnaire de procéder à un examen préalable des plaintes, celui-ci doit être exercé de manière raisonnable, ce qui n’a pas été le cas.

[48]           De l’avis de la demanderesse, la décision n’est ni justifiée ni intelligible et elle n’appartient pas aux issues raisonnables. Il n’était raisonnable ni de la part de l’enquêteur ni de la part de la Commission de conclure qu’il était évident que la plainte était vexatoire.

[49]           En outre, la demanderesse allègue que la Commission s’est appuyée sur de nombreuses conclusions de fait erronées, qui rendent sa décision indéfendable. Plus précisément :

1.      le rapport a conclu que les questions soulevées dans le grief étaient les mêmes que celles figurant dans la plainte – alors que la demanderesse a expressément indiqué dans ses observations que les trois réponses aux griefs n’ont jamais traité de la question du caractère discriminatoire de la directive elle-même;

2.      le rapport a conclu qu’une décision définitive avait été rendue – alors que l’affaire n’a jamais été instruite sur le fond et qu’aucune décision n’a été rendue par un organisme neutre ou indépendant;

3.      le rapport a conclu que le décideur avait le pouvoir d’interpréter la législation sur les droits de la personne – alors que ce pouvoir appartient à un arbitre de la CRTFP, et non à des représentants de l’employeur dans la procédure de règlement des griefs;

4.      le rapport a conclu que la demanderesse soulevait de nouvelles allégations qui ne figuraient pas dans le formulaire de plainte – alors qu’en fait elle renvoyait à ces allégations dans la plainte;

5.      le rapport a conclu que l’employeur n’était pas la bonne partie à une plainte concernant une politique du Conseil du Trésor – alors qu’il est clair que l’employeur applique cette politique sur son lieu de travail.

[50]           Le défendeur fait valoir en réponse que la Cour doit garder à l’esprit le rôle de gardienne de la Commission. Le paragraphe 41(1) l’enjoint à rejeter les instances vexatoires de manière à éviter le gaspillage des ressources institutionnelles et celles des parties. Le législateur lui a expressément conféré ce pouvoir discrétionnaire. À moins qu’il ne soit exercé sans motifs raisonnables, les cours de justice doivent se garder d’intervenir.

[51]           Le défendeur ajoute que le rôle de la Commission à l’étape de l’examen préalable est d’évaluer le caractère suffisant de la preuve dont elle dispose, et de décider s’il est raisonnable de passer à l’étape suivante. La Commission n’a pas à aller au-delà des faits et à déterminer si la plainte a été prouvée : Davis c Canada (Procureur général), 2009 CF 1104, au paragraphe 53 [Davis CF]; décision Vos, précitée, au paragraphe 39; Khapar c Air Canada, 2014 CF 138, au paragraphe 64.

[52]           D’après le défendeur, la décision était raisonnable. Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 a traité de l’ensemble des circonstances et il a été décidé qu’une enquête plus approfondie de la part de la Commission n’était pas justifiée. La preuve étaye cette décision.

[53]           Le défendeur affirme que les décisions Sketchley, sur lesquelles la demanderesse se fonde pour faire valoir que la politique du Conseil du Trésor est discriminatoire, ne sont plus valables en droit sur cette question. Elles ont été remplacées par l’arrêt de la Cour suprême du Canada Hydro-Québec c Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 [Hydro-Québec]. Dans cette affaire, la Cour a examiné l’obligation d’accommoder un employé dont les absences chroniques étaient dues à des problèmes médicaux, et a conclu à l’unanimité que l’employeur a établi l’existence de contraintes excessives si un employé n’est pas en mesure de reprendre son travail dans un avenir prévisible.

[54]           Le défendeur rappelle que la demanderesse a manqué le travail pendant dix-huit années consécutives. Rien ne permet d’affirmer qu’elle pourra reprendre le travail dans un avenir prévisible. Par conséquent, les décisions issues de la procédure de règlement des griefs étaient conformes au droit : arrêt Hydro-Québec; Panula c Canada (Procureur général), 239 ACWS (3d) 165.

VI.             Analyse

[55]           La décision sous contrôle contient plusieurs erreurs justifiant l’intervention de la Cour. À la lumière des excellentes observations présentées par les parties, j’exposerai toutes les raisons pour lesquelles cette décision ne peut être confirmée.

A.                La Commission a-t-elle contrevenu au devoir d’équité procédurale?

[56]           Dans l’arrêt Davis CAF, précité, au paragraphe 6, la Cour d’appel fédérale a défini la teneur du devoir d’équité dans les affaires où la Commission s’appuie sur le rapport d’un enquêteur :

La Commission doit se conformer aux principes de justice naturelle. Cette obligation signifie que le rapport d’enquête sur lequel elle se fonde doit être neutre et complet et qu’elle doit donner aux parties la possibilité d’y répondre [...]. [Renvois omis].

[57]           De plus, la Cour a reconnu les exigences jumelles de neutralité et d’enquête complète (rigueur) dans la décision Vos, précitée, au paragraphe 44.

[58]           Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse n’a pas allégué que l’enquête manquait de neutralité. Rien dans le dossier n’autorise à conclure que l’enquêteur était partial ou qu’il n’a pas gardé l’esprit ouvert.

[59]           Les allégations d’iniquité de la demanderesse doivent plutôt être comprises comme se rapportant à l’autre critère que doivent remplir les enquêtes : être complètes. Mme Carroll accuse l’enquêteur de ne pas avoir examiné les observations qu’elle a présentées avant de rédiger son rapport, et reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte des observations qu’elle a soumises en réponse à ce rapport. De même, sa plainte portant que la Commission n’a pas fourni de motifs adéquats revient en fait à lui reprocher de ne pas avoir répondu à ses observations précises et est liée à l’allégation suivant laquelle elle a été ignorée sans raison valable.

[60]           Que faut-il pour qu’une enquête soit considérée comme complète? Le procureur général soutient qu’une enquête est complète si les parties bénéficient de la possibilité de présenter des observations sur le rapport de l’enquêteur, et cite à l’appui l’arrêt Davis CAF, précité, au paragraphe 6. Cependant, ce passage n’étaye pas cet argument. Il indique qu’une enquête doit être « neutre et compl[ète] et qu’elle doit donner aux parties la possibilité [de] répondre » à ses conclusions [non souligné dans l’original]. Le mot « et » sépare l’exigence d’enquête complète de celle qui consiste à offrir aux parties la possibilité de faire valoir leurs arguments. Ce sont des exigences distinctes – comme l’est la neutralité, également liée au critère de l’enquête complète par le mot « et ». Si l’un de ces principes englobait totalement les autres, la Cour d’appel n’aurait pas énuméré les trois exigences au moment d’expliciter la teneur du devoir d’équité.

[61]           Plusieurs décisions ont porté sur le sens de la rigueur. Dans la décision Kollar, précitée, au paragraphe 36, le juge O’Keefe déclarait :

Par conséquent, je dois maintenant déterminer si, en l’espèce, l’affaire a été étudiée avec suffisamment de rigueur. Ce faisant, je dois être convaincu que les rapports parlaient de toutes les questions fondamentales que le requérant avait soulevées dans sa plainte.

[62]           Comme le rapport contesté n’a pas traité de la plainte de harcèlement sexuel de la demanderesse, le juge O’Keefe a déterminé qu’il n’était pas complet. Étant donné que la Commission avait souscrit aux recommandations de ce rapport, ce défaut entachait également sa décision : décision Kollar, précitée, aux paragraphes 39 et 40.

[63]           La décision Kollar a été citée dans la décision Sketchley CF, précitée, dans laquelle le juge Beaudry a estimé, au paragraphe 51, que « si le fond de la plainte n’est pas examiné, il faudra conclure que l’enquête n’est pas valable parce qu’elle manque de rigueur ». La Cour d’appel a convenu que l’enquête n’était pas complète parce qu’une question n’avait pas été examinée et que la demande de la plaignante avait été mal comprise : arrêt Sketchley CAF, précité, aux paragraphes 122 et 123. Le juge Linden a clairement indiqué que ce défaut entachait l’équité procédurale. Par conséquent, il n’a pas jugé nécessaire au paragraphe 125 d’examiner en profondeur la décision de la Commission.

[64]           Par ailleurs, dans la décision Vos, précitée, au paragraphe 44, le juge Lemieux a écrit qu’« [u]n exemple d’absence d’intégralité est le fait de ne pas examiner des éléments de preuve fondamentaux ».

[65]           Enfin, dans la décision Davis CF, précitée, au paragraphe 56, le juge Harrington a envisagé un instant que la Commission puisse être obligée, lorsqu’elle décide finalement de rejeter une plainte, de répondre aux observations faisant suite au rapport de l’enquêteur, pour assurer une enquête complète. Comme la Commission avait renvoyé l’affaire au Tribunal, le juge n’a pas considéré qu’elle avait manqué à l’équité en ne fournissant pas de réponse.

[66]           Cependant, dans les décisions auxquelles le juge Harrington faisait référence, on avait conclu que la Commission aurait dû répondre aux observations avant de rejeter les plaintes. Par exemple, dans la décision Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969, au paragraphe 26, le juge Zinn écrivait :

[...] lorsque ces observations font état d’omissions importantes ou substantielles dans l’enquête et étayent ces affirmations, la Commission doit mentionner ces divergences et préciser pourquoi, à son avis, elles ne sont pas importantes ou ne suffisent pas à mettre en doute la recommandation de l’enquêteur; sinon, on ne peut que conclure que la Commission n’a pas du tout pris en considération ces observations.

Il a clairement indiqué qu’un tel défaut constituait une erreur procédurale justifiant un contrôle judiciaire.

[67]           La jurisprudence établit clairement qu’une enquête qui ne porte pas sur le fond d’une plainte, et qui n’examine pas une question pertinente ou des éléments de preuve cruciaux, est inéquitable parce qu’elle n’est pas complète. Cette iniquité s’étend à toute décision définitive de rejet rendue par la Commission. La question de savoir si la plaignante a pu présenter des observations n’est pas pertinente. Le fait que des observations aient été présentées, mais qu’on n’en ait pas tenu compte, ne rend pas l’enquête plus complète, mais au contraire moins complète.

[68]           Deux clarifications s’imposent. Premièrement, la loi indique sans équivoque que les enquêteurs agissant pour le compte de la Commission doivent mener leurs enquêtes de la manière que nous venons d’expliquer. Cependant, il est courant que les plaignants présentent des observations en réponse aux rapports des enquêteurs, que la Commission examinera avant de rendre une décision définitive. L’exigence d’enquête complète vise-t-elle la Commission à ce stade de la procédure, l’obligeant donc à tenir dûment compte de ces observations avant de rendre une décision?

[69]           À mon avis, oui. Comme l’a expliqué la Cour d’appel dans l’arrêt Sketchley CAF, précité, au paragraphe 37, la raison pour laquelle la Commission peut s’appuyer sur le rapport d’un enquêteur pour justifier sa propre décision est que :

[...] aux fins d’une décision de la Commission en conformité avec le paragraphe 44(3) de la Loi, l’enquêteur n’est pas qu’un simple témoin indépendant devant la Commission [...]. L’enquêteur [...] mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission. [renvois omis]

[70]           Comme les devoirs procéduraux se rapportent au prolongement de la Commission, on ne saurait nier qu’ils visent aussi la Commission dans son ensemble. L’idée qu’un enquêteur doive effectuer un examen complet, mais que la Commission puisse ensuite ne pas être astreinte à la même obligation est tout à fait contre-intuitive et risquerait d’entraver la bonne application de la Loi. Il faut accepter que les plaignants doivent être traités équitablement tout au long du processus décisionnel, d’autant plus qu’ils sont autorisés à présenter des observations, dont la teneur peut varier, à différents stades de ce processus. L’exigence quant à l’examen complet, qui est maintenue après le dépôt du rapport de l’enquêteur, garantit que chaque observation du plaignant recevra l’attention qu’elle mérite.

[71]           Les décisions Davis CF, précitée, au paragraphe 56, et Herbert, précitée, au paragraphe 26, donnent à penser que cette approche est la bonne. Il y est indiqué que l’équité procédurale ne permet pas à la Commission de souscrire au rapport d’un enquêteur sans répondre aux observations dans lesquelles les conclusions de ce rapport sont vivement contestées. Bien que ces décisions n’indiquent pas explicitement que cette règle soit un prolongement de l’exigence d’enquête complète imposée aux enquêteurs, il serait naturel de l’interpréter ainsi pour les motifs que je viens de donner.

[1]               Bien entendu, l’exigence d’enquête complète appelle une conduite différente de la part de l’enquêteur et de la Commission. L’enquêteur rigoureux enquêtera sur toutes les questions et recueillera des éléments de preuve pertinents – par exemple, en interviewant des témoins. La Commission ne remplit pas un rôle aussi actif à l’étape préliminaire. Elle est tenue dans tous les cas de lire le rapport de l’enquêteur et les observations du plaignant avec diligence, afin de très bien saisir la situation avant de rendre une décision.

[72]           Dans certaines affaires récentes, la Cour a jugé que les décisions qui ne tiennent pas compte des observations doivent être infirmées lors d’un examen sur le fond, le principe étant que les décisions qui ne tiennent pas compte de questions ou d’éléments de preuve pertinents sont déraisonnables.

[73]           Dans la décision Berberi, précitée, le juge Manson a conclu au paragraphe 24 que :

[...] le rapport de la Commission établi en vertu des articles 40 et 41 renferme très peu d’éléments qui permettent raisonnablement de conclure que la Commission s’est attachée à étudier les raisons à l’origine de la plainte, ou que la procédure de règlement des griefs a même permis d’étudier les plaintes de la demanderesse.

[74]           Vu cette conclusion, le juge Manson a estimé que l’intervention de la Cour était justifiée, non pas parce la décision lui semblait inéquitable sur le plan procédural – mais parce que, comme il l’indique au paragraphe 25, « les motifs donnés par la Commission par l’entremise de son enquêtrice étaient dépourvus de justification, de transparence ou d’intelligibilité ».

[75]           De même, dans la décision Khapar, précitée, au paragraphe 78, la juge Kane a reconnu que « les motifs de la Commission doivent donner au plaignant l’impression que la Commission a examiné ses allégations avant de les rejeter ». Cependant, cette remarque relève de son analyse du caractère raisonnable de la décision, plutôt que de son caractère équitable.

[76]           Je note toutefois que dans l’arrêt Sketchley CAF, le juge Linden a refusé d’effectuer une analyse sur le fond après avoir conclu que l’enquête n’était pas complète : voir le paragraphe 125. Je crois que cela reste encore la bonne approche. Il n’y a pas lieu de la modifier eu égard à l’arrêt de la Cour suprême Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses]. La Cour suprême a conclu dans cette affaire qu’en soi, des motifs inadéquats ne sont pas suffisants pour infirmer une décision qui peut autrement être raisonnablement appuyée par le dossier dont dispose la Cour.

[77]           Dans l’affaire qui nous occupe et d’autres semblables, on ne conclura pas à un manquement à l’équité procédurale simplement parce que la Commission a fourni des motifs inadéquats, c’est-à-dire succincts ou qui ne renvoient pas dûment à certains éléments de preuve. Il y a manquement à l’équité procédurale lorsqu’il est clair que la Commission (ou son enquêteur) ne tient pas compte des observations du plaignant.

[78]           Des motifs qui ne renvoient pas aux observations du plaignant peuvent constituer une preuve qu’elles n’ont pas été prises en considération. Cependant, le manquement procédural procède du fait que le décideur n’a pas tenu compte des observations, et non qu’il a rendu des motifs de piètre qualité. Cette lacune procédurale peut être prouvée par d’autres moyens, quoique le renvoi aux motifs soit probablement la méthode la plus facile dans la plupart des cas. En tout état de cause, cette distinction importante entre la procédure et la forme permet à la Cour de concilier les arrêts Sketchley CAF et Newfoundland Nurses.

[79]           S’agissant des faits de la présente affaire, la demanderesse a prouvé son allégation selon laquelle il y avait eu manquement à l’équité procédurale. Le rapport de l’enquêteur, qui constitue également les motifs de la Commission, illustre de manière convaincante que ses diverses observations n’ont pas été prises en considération.

[80]           Dans ses réponses aux questions que lui avait fait parvenir la Commission, la demanderesse a expliqué que l’employeur ne s’est jamais penché sur l’une de ses préoccupations liées aux droits de la personne – le caractère discriminatoire de la directive du Conseil du Trésor – dans les trois réponses qu’il a données à ses griefs. Malgré cela, l’enquêteur a estimé que la procédure de règlement des griefs avait permis de résoudre toutes les questions soulevées par la demanderesse.

[81]           Une lecture rapide de ces réponses montre que la demanderesse a raison. Dans les première et deuxième réponses – pareillement formulées – il est indiqué que l’employeur n’a pas fait preuve de discrimination envers la demanderesse parce qu’il a agit de façon [traduction« tout à fait conforme » à la politique contestée. De même, la troisième réponse rejette la plainte au motif que l’employeur [traduction« a agi de façon totalement conforme » à la politique. Les arbitres de griefs n’ont jamais envisagé que la politique puisse être discriminatoire et donc que le fait de la respecter et de l’appliquer correctement puisse équivaloir à de la discrimination. La présente situation est comparable à celle dans les affaires Sketchley, dans lesquelles l’enquêteur n’avait pas bien saisi la nature d’une plainte alléguant qu’une politique similaire à celle en cause en l’espèce était discriminatoire. Comme la demanderesse a bien souligné cette distinction dans ses observations, la Cour ne peut que conclure que l’enquêteur ne leur a pas accordé la moindre attention.

[82]           De plus, je rejette l’argument du défendeur selon lequel les arbitres de griefs ou l’enquêteur ont implicitement tenu compte de l’arrêt Hydro-Québec. Bien que la Cour doive faire preuve de déférence envers les décideurs administratifs, elle n’a pas à faire comme s’ils avaient appliqué une jurisprudence qu’ils ne citent pas dans leurs décisions. La Cour ne peut imputer d’idées au décideur en l’absence de preuve. En outre, l’arrêt Hydro-Québec concernait les contraintes excessives liées aux mesures d’adaptation consenties sur le lieu de travail – et non la question de savoir si des politiques comme celle qui est en cause sont discriminatoires. Le défendeur interprète mal la plainte de la demanderesse. L’arrêt Hydro-Québec n’a pas infirmé les décisions Sketchley quant à la véritable question dont la Cour est saisie.

[83]           Je note que ni les arbitres de griefs ni l’enquêteur n’ont reproduit ni même commenté le texte de la politique. Ce texte n’a même pas été présenté à la Cour étant donné que toutes les décisions rendues par les instances inférieures n’en ont nullement traité. La tâche de la Cour n’est pas de déterminer si la politique – dont elle n’a aucune connaissance directe – est discriminatoire, mais d’établir si les décideurs administratifs l’ont examinée. Il est évident qu’ils ne l’ont pas fait.

[84]           En fait, l’enquêteur a écrit dans son rapport que l’allégation selon laquelle la politique est discriminatoire ne figurait pas initialement dans la plainte de Mme Carroll. Cependant, il est clairement indiqué au premier paragraphe de cette plainte : [traduction« J’estime que l’application de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor par Service Canada est discriminatoire à l’endroit des personnes souffrant d’invalidité ». Il est difficile de comprendre comment cette déclaration pouvait être mal comprise. Soit l’enquêteur ne l’a pas lue, soit il l’a fait si négligemment qu’il ne l’a pas comprise. La Cour d’appel a conclu, au paragraphe 122 de l’arrêt Sketchley CAF, que le fait de mal comprendre une plainte entraîne un examen incomplet qui justifie un contrôle judiciaire.

[85]           Les problèmes n’ont pas cessé lorsque l’enquêteur a terminé sa tâche. La demanderesse a soumis en réponse six pages d’arguments soulignant les erreurs manifestes du rapport et citant la jurisprudence pertinente (Berberi). La Commission est restée indifférente et a simplement souscrit au rapport et rejeté la plainte. Dans les circonstances, il semblerait que la Commission a totalement omis de tenir compte des observations de la demanderesse, ce qui témoigne d’un examen incomplet. Cette erreur aggrave les précédentes et rend la décision injustifiable.

[86]           Je signale incidemment que la présente affaire se distingue de la décision Bergeron, dans laquelle le juge Zinn a conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur en n’examinant pas une allégation portant qu’une autre politique du Conseil du Trésor était discriminatoire. Au paragraphe 42, il explique qu’il est parvenu à cette conclusion parce que la demanderesse n’avait pas « sérieusement donné suite » à la question dans cette affaire. En l’espèce, Mme Carroll a soumis plusieurs observations sur la question dans ses griefs au deuxième et au troisième paliers, dans son formulaire de plainte adressé à la Commission, ainsi que dans les observations présentées en réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41.

[87]           En passant, je n’accepte pas l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la Commission aurait dû lui proposer une audience orale avant de souscrire au rapport, tout comme je rejette l’argument du défendeur selon lequel elle aurait dû demander de présenter des observations supplémentaires en réponse. Le problème ne vient pas de ce que la Commission n’a pas reçu d’observations de la part de la demanderesse : elle en a reçu plusieurs et elles étaient solides. Le problème tient à ce que la Commission les a carrément écartées. Il est moins que certain qu’elle aurait accordé plus de poids à des observations orales alors qu’elle pouvait déjà prendre connaissance de tout ce qui aurait pu être dit dans le dossier écrit dont elle disposait.

[88]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision a été rendue de manière inéquitable et doit donc être infirmée. Je vais toutefois maintenant démontrer que la décision est également déraisonnable. Ainsi, même si mon analyse concernant l’équité procédurale était erronée, la décision ne saurait être maintenue.

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte était vexatoire?

[89]           L’enquêteur a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle lorsqu’il a conclu que la plainte était vexatoire. Ces erreurs, prises seules ou collectivement, rendent la décision déraisonnable.

1)                  Le degré de déférence

[90]           Avant d’examiner cette décision, je pense qu’une mise au point s’impose concernant le degré de déférence dû à la Commission. Bien que l’arrêt Dunsmuir ait établi une norme unique de raisonnabilité aux fins du contrôle judiciaire, il est bien établi en droit que l’application de cette norme dépend du contexte. Parfois, seule une issue administrative est rationnellement défendable; d’autres fois, au moins deux issues peuvent se justifier. En pratique, des situations diverses appellent un différent degré d’examen des motifs du décideur.

[91]           D’ailleurs, dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59, le juge Binnie a déclaré que : « [l]a raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte ». Dans l’arrêt Mills c Ontario (Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal), 2008 ONCA 436, au paragraphe 22, le juge Rouleau a fait les observations suivantes au sujet de la norme de la décision raisonnable issue de l’arrêt Dunsmuir :

[traduction] L’application de la norme de la décision raisonnable exigera désormais une démarche contextuelle à adopter en matière de déférence qui tiendra compte d’éléments tels le processus décisionnel, la catégorie à laquelle appartient le décideur et son expertise ainsi que la nature et la complexité de la question à trancher.

[92]           La jurisprudence concernant le degré de déférence approprié dans des affaires comme celle qui nous occupe n’est pas tout à fait cohérente. D’une part, selon le droit en vigueur, la Commission ne devrait refuser de se saisir d’une plainte à l’étape préliminaire que dans les cas « les plus évidents » : Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1997] ACF no 578 (1re inst), au paragraphe 3, conf par [1999] ACF no 705 (CAF), citée dans la décision Khapar, précitée, au paragraphe 46. Dans l’arrêt Sketchley CAF, précité, aux paragraphes 79 et 80, la Cour d’appel a expliqué que les décisions rejetant une plainte ont un impact définitif sur les droits des parties, contrairement aux décisions qui renvoient des plaintes devant le tribunal – qui pourra les maintenir ou les rejeter après arbitrage. Comme la décision de rejet est définitive, la Cour a indiqué au paragraphe 80 que « le degré de déférence qui sera exercé dans le contrôle de la décision sera moins élevé ». Il est vrai que cette déclaration est antérieure à l’arrêt Dunsmuir, et qu’il existait trois normes de contrôle à l’époque. Pourtant, la notion de déférence limitée est compatible avec le critère du « cas le plus évident », qui reste valide en droit.

[93]           Par ailleurs, la jurisprudence indique que ces décisions méritent une grande déférence parce qu’elles sont discrétionnaires. Les décisions Hérold et Khapar concernaient toutes deux des plaintes dont le rejet était justifié en vertu de l’alinéa 41(1)d). Dans la décision Hérold, au paragraphe 32, le juge Rennie a déclaré que l’alinéa 41(1)d) avait pour effet de conférer à la Commission un vaste « pouvoir discrétionnaire ». Pour ce motif, il a déclaré, au paragraphe 33, que « [l]e législateur ne souhaitait donc pas que la Cour intervienne à la légère dans les décisions [préliminaires] de la Commission ». Dans le même ordre d’idées, la juge Kane affirmait ce qui suit dans la décision Khapar, au paragraphe 47 :

 Toutefois, l’article 41 de la Loi confère à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider dans quel cas elle peut refuser de statuer sur une plainte à cette étape préliminaire (Maracle, précité, au paragraphe 47). Les décisions fondées sur l’article 41 de la Loi font, par conséquent, l’objet d’un degré élevé de déférence de la part des juridictions de révision et, par conséquent, la portée du contrôle judiciaire est étroite.

[94]           À mon avis, cette incohérence peut être surmontée dans une certaine mesure étant donné que ce ne sont pas tous les aspects d’une décision préliminaire qui supposent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il faut garder à l’esprit que ce n’est pas le paragraphe 41(1) mais plutôt le paragraphe 44(3) de la Loi qui confère un pouvoir d’examen préalable à la Commission.

[95]           Comment alors doit-on appliquer le paragraphe 44(3)? L’alinéa b) énonce que la Commission peut rejeter une plainte si elle est convaincue, soit « que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié », soit « que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41(1)c) à e) ».

[96]           Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire parce que la Commission peut décider de rejeter une plainte qui ne relève d’aucunes des catégories énoncées aux alinéas 41(1)c) à e). En théorie, l’argument voulant que le pouvoir de rejeter une plainte qu’on a jugé relever de ces catégories soit également discrétionnaire est défendable. Ainsi, la Commission pourrait, par exemple, décider de ne pas rejeter une plainte vexatoire.

[97]           Ces décisions sont également discrétionnaires puisque la Commission doit tenir compte d’un ensemble de facteurs et les pondérer. Il s’agit d’un exercice au cas par cas dont la méthodologie n’est pas fixée. À ce titre, l’exigence juridique voulant que la Commission exerce ce pouvoir discrétionnaire de manière à ne rejeter les plaintes non vexatoires que dans les cas « les plus évidents » est intelligible. Cependant, l’idée selon laquelle la Commission devrait exercer un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il est évident qu’une plainte est vexatoire est moins facile à saisir.

[98]           D’ailleurs, pour user de son pouvoir de déclarer une plainte irrecevable aux termes du second sous-alinéa de l’alinéa 44(3)b), la Commission doit avoir conclu au préalable que la plainte relevait de l’une des catégories énumérées au paragraphe 40(1).

[99]           Je limite les commentaires suivants au cas de la plainte jugée vexatoire aux termes de l’alinéa 40(1)d). Il me semble que la Commission n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle décide si une plainte est vexatoire. Elle applique plutôt une série de normes juridiques aux faits qui lui sont présentés. Par exemple, elle doit se demander si la plainte est malveillante ou abusive. Il s’agit de questions de fait et de droit et non de questions qui appellent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Une fois qu’elle a répondu à la question de savoir si la plainte est vexatoire, la Commission doit décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de rejeter ou de renvoyer la plainte, conformément au paragraphe 44(3). Par conséquent, une plainte non vexatoire peut malgré tout être rejetée.

[100]       Je fais une simple analogie avec le droit de l’immigration pour illustrer la différence entre les décisions discrétionnaires et celles qui ne le sont pas. Pour décider si un individu est un réfugié au sens de la Convention, l’agent d’immigration n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire. Il applique des critères juridiques établis aux faits. Sa décision peut appeler une certaine déférence, mais elle ne peut être qualifiée de discrétionnaire. Par contre, l’agent d’immigration qui examine une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit exercer un pouvoir discrétionnaire. Il n’existe aucune règle bien établie qu’il doit appliquer mécaniquement au moment de pondérer les divers facteurs pertinents.

[101]       De même, la Commission n’exerce pas de pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle détermine s’il est évident qu’une plainte est vexatoire. Cependant, elle exerce un tel pouvoir par la suite, lorsqu’elle décide si le rejet ou le renvoi de la plainte servirait mieux les intérêts de la justice.

[102]       En l’espèce, la Commission a conclu [traduction« [qu’]il est évident que [la plainte] est vexatoire ». À mon avis, cette question devrait être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité, comme toute autre question de fait et de droit.

2)                  Le sens du mot « vexatoire »

[103]       Le rapport de l’enquêteur définit comme suit les plaintes « vexatoires » :

[traduction] La Commission peut refuser de se saisir d’une plainte si un décideur indépendant a déjà examiné les questions liées aux droits de la personne. L’alinéa 41(1)d) de la Loi qualifie de telles plaintes de « vexatoires ».

[104]       L’enquêteur a reconnu que la demanderesse n’avait pas déposé sa plainte pour [traduction« agacer, embarrasser ou harceler le mis en cause ». Il a néanmoins conclu que la plainte était vexatoire, car les allégations qu’elle renfermait avaient été [traduction« pleinement examinées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ».

[105]       Je ne suis pas d’accord avec cette conclusion. La définition suivante du mot « vexatious » [vexatoire] se trouve dans le Black’s Law Dictionary, 9e éd. (St Paul, MN : Thomson Reuters, 2009) :

[traduction] (Se dit d’une conduite) qui n’est fondée sur aucune cause ou excuse raisonnable ou probable; harcelante; agaçante.

[106]       Le même dictionnaire définit ainsi l’expression « vexatious suit » [poursuite vexatoire] :

[traduction] Action en justice intentée avec malveillance et sans motifs valables, destinée à causer des difficultés et des dépenses à la partie poursuivie.

[107]       Ces définitions s’accordent avec la notion juridique communément admise au Canada selon laquelle une procédure doit être présentée pour des raisons malveillantes ou autrement inappropriées pour être qualifiée de vexatoire. Comme la demanderesse n’avait aucunement l’intention [traduction« [d’]agacer, embarrasser ou harceler le mis en cause », la conclusion de l’enquêteur d’après laquelle il était évident que sa plainte était vexatoire est déraisonnable.

[108]       La jurisprudence se rapportant aux paragraphes 41(1) et 44(3) de la Loi étaye ce raisonnement. Dans la décision Khapar, précitée, au paragraphe 98, la Cour a déclaré que « [l]a Commission ne peut se contenter d’exciper du fait qu’une décision a déjà été rendue pour refuser d’examiner une plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi ».

[109]       Dans l’arrêt Barrette – cité par l’enquêteur – la Cour d’appel fédérale a seulement envisagé que l’alinéa 41(1)d) pourrait s’appliquer à une plainte ayant déjà fait l’objet d’une procédure de règlement des griefs. Au paragraphe 28, la Cour d’appel a ordonné à la Commission d’examiner la question, sans la trancher. L’arrêt Barrette ne considère donc pas comme vexatoires toutes les plaintes ayant déjà fait l’objet de griefs. Chaque affaire requiert sa propre analyse.

[110]       Fait intéressant, dans de nombreux cas où la Cour a confirmé la décision de la Commission de rejeter une plainte au titre de l’alinéa 41(1)d), le plaignant s’était comporté de manière malveillante ou abusive. Dans l’affaire Hérold, la plaignante avait créé des relations malsaines avec la plupart des gens de son milieu de travail, et l’enquêteur n’avait trouvé aucune preuve de discrimination. Le fait que la demanderesse avait ensuite réclamé plus de 15 millions de dollars en dommages-intérêts dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire appuyait la conclusion de la Commission selon laquelle sa plainte était en soi vexatoire. De même, dans l’affaire Khapar, le demandeur avait eu de multiples occasions de soulever des préoccupations en matière de droits de la personne avant le début des instances, mais il a manqué de le faire sans s’en expliquer. Il ne s’est adressé à la Commission qu’après l’échec de ces autres recours, pour avoir une autre chance d’obtenir une décision favorable. La Cour a estimé que ses tactiques étaient clairement abusives.

[111]       En somme, l’enquêteur a adopté une définition déraisonnable du mot « vexatoire » et l’a appliquée à la plainte de Mme Carroll. Compte tenu de la façon dont ce terme est normalement employé en droit et de la jurisprudence se rapportant à la Loi, il est impossible de concilier sa conclusion selon laquelle Mme Carroll n’a pas déposé sa plainte pour des motifs inappropriés avec sa décision selon laquelle la plainte est vexatoire. Cette erreur rend à elle seule la décision déraisonnable. Même s’il était permis à l’enquêteur de s’appuyer sur une telle définition, la décision n’en serait pas moins défectueuse.

3)                  Le principe du caractère définitif

[112]       En présumant qu’une plainte peut être qualifiée de vexatoire et rejetée simplement parce qu’elle a été examinée dans le cadre d’une autre procédure, je me demanderai à présent si l’enquêteur pouvait raisonnablement déterminer que [traduction« [l]es allégations de la plaignante en matière de droits de la personne ont été examinées par un autre décideur ayant compétence pour examiner de telles questions ». De son point de vue, cela voulait dire que la plainte devait être rejetée afin de [traduction] « respecter le caractère définitif de cette décision ». À mon avis, cette conclusion est déraisonnable au regard de la Loi et de la preuve.

[113]       Pour commencer, l’enquêteur a cité deux arrêts récents de la Cour suprême, Figliola et Penner. Les juges de la Cour, divisés en deux camps, ont vivement débattu du caractère définitif des décisions dans le contexte administratif. Il vaut la peine d’examiner les faits de chaque affaire pour en tirer les bonnes leçons.

[114]       Dans l’arrêt Figliola, les neuf juges se sont entendus quant au résultat, mais un désaccord méthodologique prononcé divisait les juges majoritaires et les juges qui ont rédigé des motifs concourants. Les faits étaient les suivants. Les plaignants avaient initialement intenté leur action devant la Workers’ Compensation Board de la Colombie-Britannique. Insatisfaits de l’issue, ils ont déposé une demande de révision interne, qui a été rejetée par un agent de révision. Les plaignants ne pouvaient pas déposer d’autre appel interne en raison d’une modification législative. Cependant, ils auraient pu solliciter le contrôle judiciaire de la décision de l’agent de révision. Or, ils ne l’ont pas fait. Ils ont plutôt déposé de nouvelles plaintes devant un autre tribunal – le Human Rights Tribunal – qui a accepté de les entendre malgré l’opposition de l’employeur. Le Human Rights Code de la Colombie-Britannique, RSBC 1996, c 210, autorisait le tribunal à exclure les plaintes sur lesquelles [traduction] « il a été statué de façon appropriée [...] dans une autre instance ».

[115]       La majorité a jugé, aux paragraphes 24 et 25, que les dispositions législatives en cause reprenaient trois doctrines de common law sur le caractère définitif des décisions : la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la contestation indirecte et l’abus de procédure. Les organismes décisionnels n’ont toutefois pas à appliquer ces doctrines d’une manière technique. Ils doivent plutôt se poser trois questions, énumérées au paragraphe 37, et déclarer la plainte irrecevable si elles reçoivent toutes une réponse affirmative : 1) L’autre décideur possède-t-il une compétence concurrente pour statuer sur les questions? 2) Les questions juridiques tranchées par la décision antérieure sont-elles essentiellement les mêmes? 3) Les plaignants ou leurs ayants droit ont-ils eu la possibilité de connaître les arguments invoqués contre eux et de les réfuter? Le rejet des plaintes déjà tranchées a dans ce sens pour objet d’instaurer un « respect juridictionnel » entre différents tribunaux, de manière à éviter que des questions similaires soient inutilement remises en litige devant différents décideurs : voir les paragraphes 38 à 46.

[116]       Les juges ayant rédigé les motifs concourants étaient en désaccord avec la majorité quant à la description de l’objet des doctrines de common law concernant le caractère définitif des décisions. À leur avis, ces doctrines visaient à atteindre un équilibre entre les doubles objectifs de finalité et d’équité par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Comme le déclarait le juge Cromwell au paragraphe 58, « [l]e caractère définitif des décisions est un aspect de l’équité, mais il ne recoupe pas entièrement cette notion ni ne supplante toutes les autres considérations ». À son avis, la législation conférait un large pouvoir discrétionnaire au tribunal, qui devait l’exercer pour éviter toute injustice. Cependant, il était déraisonnable de la part du tribunal d’accepter d’instruire les plaintes dans les circonstances de l’affaire.

[117]       Dans l’arrêt Penner, les juges qui ont rédigé les motifs concourants dans l’arrêt Figliola sont devenus majoritaires tandis que les juges majoritaires dans l’arrêt Figliola étaient désormais dissidents. L’arrêt Penner ne concernait pas deux tribunaux concurrents, mais les rapports entre une décision administrative et une action civile. M. Penner alléguait une inconduite de la part de policiers et avait intenté contre eux des procédures disciplinaires qui ont fini par être rejetées. S’appuyant sur la décision disciplinaire, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a invoqué la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée pour radier l’essentiel de sa déclaration.

[118]       La majorité de la Cour suprême a entériné le cadre relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncé dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44. Même si les critères liés à cette doctrine sont établis, les cours de justice conservent le pouvoir discrétionnaire de refuser de l’appliquer afin d’éviter une injustice. Celle-ci peut découler de la tenue des instances précédentes, ou de l’exploitation de leurs résultats dans des instances ultérieures : voir les paragraphes 39 à 48. Au paragraphe 49, la majorité a conclu que la procédure disciplinaire était équitable, mais qu’il serait injuste d’importer son résultat à l’action civile, puisque l’objet et la portée de ces deux instances étaient largement distincts. En outre, le décideur de première instance du processus disciplinaire avait été nommé par le chef de la police. Au paragraphe 66, la majorité a déclaré que l’autoriser à exonérer le chef de toute responsabilité civile reviendrait à transformer ce dernier en « [juge de] sa propre affaire » et « choque[rait] gravement les principes fondamentaux d’équité ».

[119]       Par contre, aux paragraphes 75 et 76, les juges dissidents ont indiqué que l’arrêt Figliola s’écartait de l’arrêt Danyluk, de telle sorte que le pouvoir discrétionnaire judiciaire ne devait s’exercer que rarement. Sans quoi, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée deviendrait une « enquête dépourvue de tout encadrement » sur le fonctionnement des tribunaux administratifs et saperait le caractère définitif de leurs décisions : voir le paragraphe 78. Les juges dissidents ne voyaient pas le caractère définitif des décisions et l’équité comme des valeurs contradictoires. En fait, au paragraphe 99, ils affirment que l’objet de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est d’assurer l’équité en protégeant le caractère définitif des décisions.

[120]       Le rapport de l’enquêteur est déraisonnable compte tenu de ces décisions. Pour commencer, aucune des quatre séries de motifs n’indique que le caractère définitif de la décision empêche le décideur d’examiner une plainte simplement parce qu’un autre décideur a déjà instruit une plainte concernant les mêmes parties. Même la majorité dans l’arrêt Figliola – qui concevait plus strictement le caractère définitif des décisions que la majorité dans l’arrêt Penner – a affirmé que ce principe ne s’applique que lorsque « la question juridique tranchée » est « essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont [le Tribunal] est saisi » : arrêt Figliola, précité, au paragraphe 37.

[121]       Dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, Mme Carroll s’est plainte du caractère discriminatoire de la politique du Conseil du Trésor. Cependant, comme je l’ai expliqué dans mon analyse concernant l’équité procédurale, les trois réponses à ses griefs n’ont pas tranché cette question. Par conséquent, la plainte n’a donné lieu à aucune décision que la Commission puisse légitimement renvoyer.

[122]       L’alinéa 40(1)d) de la Loi n’est pas une trappe de secours qui permet à la Commission de se dérober à ses obligations simplement parce qu’un autre organisme a examiné la plainte en premier, peu importe la manière dont il l’a abordée. Une fois encore, je renvoie aux décisions Sketchley, dans lesquelles on a clairement reconnu qu’une plainte selon laquelle une politique est discriminatoire est différente d’une plainte selon laquelle des actes précis de l’employeur sont discriminatoires.

[123]       Le défendeur soutient que dans la décision Panula, la Cour a jugé raisonnable une décision similaire et l’a confirmée. Cependant, dans cette affaire, le plaignant alléguait qu’il avait été harcelé au travail et congédié de manière discriminatoire. Il ne prétendait pas que l’employeur avait appliqué une politique discriminatoire à son égard. Il est vrai que la Commission a rejeté sa plainte au motif qu’elle était « frivole » étant donné que le plaignant avait été licencié après sept ans de congé de maladie, qu’il n’y avait aucune chance qu’il reprenne le travail dans un avenir prévisible et que « l’offre de départ à la retraite pour des raisons de santé constituait une mesure d’accommodement raisonnable » : voir le paragraphe 15. La Cour n’a pas clairement dit si elle souscrit à ce raisonnement.

[124]       L’affaire dont nous sommes saisis se distingue de l’affaire Figliola, car Mme Carroll ne pouvait ni demander le contrôle judiciaire de la décision définitive rendue à l’issue de la procédure de règlement des griefs, ni interjeter appel devant la CRTFP sans l’approbation de son syndicat : voir le paragraphe 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, article 2. Par conséquent, il n’y a aucun enjeu de « respect juridictionnel » entre tribunaux concurrents, comme dans l’arrêt Figliola, précité, au paragraphe 38.

[125]       Il est vrai que la Commission lèverait le rideau sur le processus décisionnel de l’employeur en enquêtant sur la plainte. Contrairement à la demanderesse, je ne pense pas que ce processus manque nécessairement d’indépendance, mais je crois aussi qu’il est troublant que la Commission l’invoque machinalement. Cela fait maintenant trois ans que Mme Carroll a posé la question de savoir si la politique contestée est discriminatoire et attend une réponse. Les arbitres nommés par l’employeur ont refusé d’y répondre et elle ne pouvait interjeter d’autres appels à l’interne. En s’en remettant à ces décisions, la Commission risque d’abandonner sa mission cruciale de « donner effet, pour ce qui est des domaines relevant du fédéral, au principe suivant lequel tous les individus doivent pouvoir s’épanouir indépendamment des considérations [discriminatoires] » : voir la décision Davis CF, précitée, au paragraphe 15.

[126]       Enfin, l’arrêt Penner a clairement préséance sur l’arrêt Figliola. Ainsi, il reste aux décideurs le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner effet au principe du caractère définitif des décisions si cela entraîne une injustice. C’est l’opinion à laquelle s’est rangée la majorité dans l’arrêt Penner; pour sa part, la majorité dans l’arrêt Figliola n’a jamais clairement affirmé que le caractère définitif des décisions devait l’emporter sur l’équité. Donc, même si le fond de la plainte a été convenablement tranché dans le cadre d’une autre procédure, la Commission doit exercer son pouvoir discrétionnaire au titre du paragraphe 44(3) de la Loi et décider s’il convient de renvoyer la plainte au Tribunal.

[127]       En l’espèce, rien n’indique que la Commission ait jamais envisagé d’exercer ce pouvoir. Elle n’a pas réfléchi à la question de savoir si le rejet de la plainte pouvait être injuste à l’égard de Mme Carroll. En particulier, elle ne s’est pas demandé si en autorisant des arbitres nommés par l’employeur à avoir le dernier mot, celui-ci devenait le « [juge de] sa propre affaire » : arrêt Penner, précité, au paragraphe 66. Pour reprendre une formulation classique, la Commission semble avoir entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en estimant qu’une plainte ayant déjà été tranchée dans un autre forum doit simplement être rejetée. Il est bien établi en droit qu’un décideur qui entrave l’exercice de son pouvoir discrétionnaire se conduit de manière déraisonnable : voir par exemple Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 22 à 25.

4)                  Autres erreurs

[128]       Avant de conclure, j’aimerais attirer l’attention sur deux autres erreurs qui contribuent au caractère déraisonnable de la décision sous contrôle.

[129]       Tout d’abord, l’enquêteur a conclu que les questions soulevées par Mme Carroll avaient été tranchées par un décideur ayant compétence pour interpréter et appliquer la Loi. C’est une des raisons qui l’ont amené à recommander de s’en remettre à la procédure antérieure. Or, le paragraphe 226(6) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique accorde ce pouvoir aux arbitres de la CRTFP, et non aux arbitres nommés par l’employeur pour examiner des griefs au préalable. En l’espèce, le syndicat de la demanderesse n’a pas renvoyé son grief devant la CRTFP, de sorte que les décideurs qui l’ont instruit n’avaient pas le pouvoir légal explicite d’interpréter et d’appliquer la Loi.

[130]       Deuxièmement, l’enquêteur a indiqué que l’employeur n’était pas la bonne partie à la plainte parce que la politique contestée avait été élaborée par le Conseil du Trésor. Cette affirmation est déraisonnable puisque l’employeur a manifestement appliqué la politique en question à Mme Carroll. Par conséquent, elle est en droit de se plaindre que l’employeur a fait preuve de discrimination à son endroit en appliquant une politique discriminatoire, peu importe sa source.

VII.          Mesures de réparation

[131]       Je fais droit à la présente demande de contrôle judiciaire et adjuge les dépens à la demanderesse. Les parties se sont entendues sur un montant global de 1 500 $.

[132]       J’ai demandé aux parties de fournir des observations après l’audience sur la question de savoir si je devais renvoyer l’affaire à la Commission avec des instructions. Après avoir pris connaissance de leurs observations, j’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de formuler des instructions en application de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales.

[133]       Le défendeur fait justement valoir que la Cour ne devrait fournir des instructions que « dans les cas les plus clairs » (voir p. ex. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Rafuse, 2002 CAF 31, au paragraphe 14). Il soutient en outre que des instructions seraient inappropriées en l’espèce parce que le litige entre les parties est essentiellement factuel et que le dossier ne permet pas de dégager une réponse unique et claire.

[134]       Le dossier n’est pas incomplet en ce qui a trait à la question de savoir si la plainte de Mme Carroll est vexatoire. L’enquêteur a tiré une conclusion de fait, amplement étayée par la preuve, selon laquelle Mme Carroll n’a pas déposé sa plainte pour [traduction] « agacer, embarrasser ou harceler » son employeur. Comme je l’ai déjà expliqué, il est impossible de concilier cette conclusion avec celle qui veut que sa plainte soit vexatoire. Le sens du mot « vexatoire » empêche une telle issue, tout comme le fait que les lettres de réponse aux griefs n’ont jamais traité des préoccupations relatives aux droits de la personne qui étaient au centre de la plainte, comme le révèle une simple lecture de ces documents.

[135]       Vu le dossier, la réponse inévitable est que la plainte ne relève d’aucune des catégories énumérées aux alinéas 41c) à e) de la Loi. La plainte n’échappe pas à la compétence de la Commission; elle n’est ni futile, ni frivole, ni vexatoire, ni entachée de mauvaise foi, ni prescrite.

[136]       En fournissant des instructions, la Cour n’usurpera pas le rôle de recherche des faits de la Commission. Elle empêchera simplement qu’une autre décision non étayée par les faits soit rendue, réduisant ainsi les dépenses et les délais pour les deux parties. Pour ces motifs, la Cour donnera pour instruction à la Commission de ne pas rejeter la plainte au titre du sous-alinéa 44(3)b)(ii) de la Loi.

[137]       Cela ne veut pas dire que la Commission doit renvoyer la plainte au Tribunal. Comme dans l’affaire Berberi, elle devra procéder à une nouvelle enquête et décider s’il convient de renvoyer la plainte au Tribunal ou de la rejeter en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. Ce faisant, la Commission doit s’appuyer sur le dossier complet concernant les griefs de la demanderesse et sa propre évaluation de leur bien-fondé.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision sous contrôle est infirmée;

2.      L’affaire est renvoyée à la Commission, qui devra mener enquête sur la plainte de la demanderesse et rendre une décision en s’appuyant sur le dossier concernant les griefs de la demanderesse et sa propre évaluation de leur bien-fondé;

3.      Il est entendu que la Commission ne doit pas rejeter la plainte au titre du sous-alinéa 44(3)b)(ii) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

4.      Les dépens, fixés à 1 500 $, sont adjugés à la demanderesse.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1420-14

INTITULÉ :

CECILIA CARROLL c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 février 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 6 mars 2015

COMPARUTIONS :

Amanda Nash

POUR LA demanderesse

Angela Green

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnis Cooper

Avocats

St. John’s (Terre-Neuve)

POUR LA demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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