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Date : 20150303


Dossier : IMM-5050-14

Référence : 2015 CF 264

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ALEX CHERY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               Suite à un examen approfondi du dossier certifié du tribunal, incluant le procès-verbal d’audience, des soumissions des parties et des motifs de la Section de la protection des réfugiés [SPR], la Cour considère que l’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SPR est déraisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve (Ramos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 298 au para 7 [Ramos]).

[2]               L’opinion politique du demandeur et son engagement au sein de sa communauté, qui forment le nœud de sa revendication, ainsi que la centralité de l’attaque survenue le 15 janvier 2014, qui était l’élément déclencheur de sa fuite, auraient dû être soupesés par la SPR dans son évaluation de la crédibilité et de la crainte subjective du demandeur.

II.                Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision datée du 3 juin 2014 de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[4]               Le demandeur est un citoyen d’Haïti, âgé de 45 ans, romancier et avocat de profession depuis 2012.

[5]               Le demandeur est coordonnateur de l’organisation non-gouvernementale SIPOHAITI, visant à venir en aide aux Limbéens suite au tremblement de terre de janvier 2010. Il est également vice-président et secrétaire de l’organisation Front pour le développement de Limbé [FRONDEL], visant à « promouvoir le développement et l’intégration sociale de tous et chacun au Limbé et à Bas-de-Limbé » (Récit circonstancié du demandeur, Dossier du Tribunal, à la p 25).

[6]               Le demandeur prétend être persécuté par Gaby Silencieux, le vice-délégué de la circonscription de Limbé et de Bas-Limbé, et ses acolytes, connus sous le nom des Cent Hommes. Le demandeur serait persécuté en raison de son implication au sein de SIPOHAITI et du FRONDEL ainsi que pour son rôle de représentant de la famille d’Arnaud Saint-Amour. Ce dernier aurait été assassiné par Gaby Silencieux et ses acolytes.

[7]               Le demandeur serait perçu par Gaby Silencieux et les Cent Hommes comme étant une menace à leur pouvoir.

[8]               Le 23 juillet 2012, le demandeur a rédigé une requête faisant appel à des organisations de protection des droits humains et des membres de la société civile afin d’exercer une pression sur la police, visant l’exécution des mandats d’amener à l’encontre de Gaby Silencieux et de ses acolytes pour leurs crimes.

[9]               Le 30 juillet 2013, le demandeur a publié un article dans le journal Cap-Express de Cap-Haïtien, dénonçant une rencontre ayant lieu entre le Président d’Haïti, le vice-délégué Gaby Silencieux et un député nommé Frantzy Louis. Le 17 août 2013, le demandeur a également publié sur les réseaux sociaux un texte intitulé Arnaud Jean Robert Saint-Amour assassiné par le vice-délégué de Limbé, Gaby Silencieux; Justice, c’est pour quand?

[10]           Le 8 septembre 2013, le demandeur a été menacé et agressé physiquement par un acolyte de Gaby Silencieux sur la place publique de Limbé. Le lendemain, le demandeur a déposé une plainte au greffe du Parquet de Cap-Haïtien pour dénoncer cet incident.

[11]           Le 19 septembre 2013, alors que le demandeur se trouvait à bord d’un autobus public entre Cap-Haïtien et Limbé, il a été attaqué par deux individus. À sa sortie de l’autobus, un troisième individu a pointé un revolver sur le demandeur. Le demandeur a réussi à s’enfuir et a porté plainte à la police.

[12]           Le 15 janvier 2014, le demandeur a été agressé et menacé par deux individus à Carrefour Gros Chaudière et l’un deux a voulu le tuer avec un bout de fer. Le demandeur a réussi à s’échapper et a porté plainte à la police, le lendemain.

[13]           Le soir même de l’attaque du 15 janvier, le demandeur s’est réfugié avec sa famille chez un ami à Plaine du Nord. Le 23 janvier 2014, le demandeur a quitté Haïti en direction des États-Unis et est arrivé au Canada, un mois plus tard.

[14]           Une audience a été tenue devant la SPR le 7 mai 2014.

IV.             Décision contestée

[15]           Il se dégage de ses motifs que la SPR a fondé sa décision sur les cinq conclusions de crédibilité suivantes :

                    i.            La date erronée sur la plainte du 9 septembre 2013 : Le demandeur allègue avoir soumis une plainte à la police le lendemain après avoir été menacé le 8 septembre 2013 sur la place publique de Limbé. Cependant, la plainte est datée du 6 septembre 2013. Confronté à cette incohérence, le demandeur a expliqué qu’il s’agissait d’une erreur d’inadvertance de sa part; il avait utilisé un modèle dans son traitement de texte daté du 6 septembre 2013 et avait oublié d’inscrire la date appropriée. La SPR rejette cette explication tout en observant que le demandeur, qui est un avocat expérimenté, devrait connaître l’importance de vérifier les dates des documents. De plus, la SPR soutient que le document ne contient pas suffisamment de détails relativement à l’incident relaté.

                  ii.            L’altercation du 19 septembre 2013 dans l’autobus : La SPR conclut à une contradiction dans le témoignage du demandeur à l’égard de l’attaque qu’il a subie dans l’autobus, le 19 septembre 2013, particulièrement concernant la provenance des coups reçus par le demandeur.

                iii.            La plainte déposée suite à l’incident du 19 septembre 2013 : La SPR constate que la plainte relative à l’incident du 19 septembre relate également un deuxième incident survenu le 23 septembre 2013. Selon le demandeur, l’incident du 23 septembre n’est pas relié à celui du 19 septembre, ni à ses persécuteurs. La SPR constate qu’il est peu probable qu’un agent de police ait inclus deux incidents non reliés dans une même plainte. De plus, la SPR observe que si tel était le cas, il aurait été déraisonnable pour le demandeur de signer une plainte si ambiguë.

                iv.            La crainte subjective du demandeur : La SPR constate que les agissements du demandeur, suite à l’incident du 19 septembre 2013, de continuer à travailler et à habiter aux mêmes endroits, sont incompatibles avec sa crainte alléguée.

                  v.            Le défaut du demandeur de demander l’asile aux États-Unis : La SPR tire une inférence négative du défaut du demandeur de demander l’asile aux États-Unis et rejette les explications du demandeur à cet égard.

[16]           Finalement, la SPR conclut que le demandeur n’a pas établi qu’il est exposé à une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus à la Convention, ni qu’il serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il retournait à Haïti.

V.                Point en litige

[17]           La décision de la SPR à l’égard de la crédibilité du demandeur est-elle raisonnable?

VI.             Provisions législatives

Définition de réfugié

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          Arguments des parties

A.                Arguments du demandeur

[18]           Le demandeur identifie de nombreuses erreurs commises par la SPR dans son évaluation de la preuve et de la crédibilité du demandeur, qu’il caractérise de déraisonnable (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 CF 302; Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 792 aux para 24-27).

(1)               La date erronée sur la plainte du 9 septembre 2013

[19]           D’abord, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour la SPR de rejeter l’explication qu’il a fournie quant à la date erronée inscrite sur la plainte du 9 septembre. Selon le demandeur, cette erreur de frappe n’est pas invraisemblable, ni fatale à la crédibilité du document. Tel qu’il appert des timbres officiels apposés, la plainte a non seulement été retenue par le greffe, mais a également mené à des procédures judiciaires.

[20]           De plus, il était déraisonnable pour la SPR de reprocher au demandeur de commettre une telle erreur, vu son expérience en tant qu’avocat. Le demandeur soumet qu’il pratique le droit depuis 2012 et qu’il n’est pas un avocat d’expérience, comme le prétend la SPR.

(2)               L’altercation du 19 septembre 2013 dans l’autobus

[21]           Concernant l’évènement du 19 septembre 2013, le demandeur soutient que la conclusion de la SPR est déraisonnable. Le demandeur a témoigné de façon cohérente en indiquant qu’il avait reçu deux coups et qu’il était incapable de savoir qui des deux hommes a donné le premier ou le deuxième coup, puisque ceux-ci étaient à l’extérieur de son champ de vision.

(3)               Les deux événements inscrits dans une seule et même plainte

[22]           La conclusion de la SPR, selon laquelle la plainte concernant les incidents des 19 et 23 septembre 2013 n’a aucune force probante, est déraisonnable.

[23]           L’explication fournie par le demandeur, selon laquelle l’agent a jugé opportun d’inscrire deux incidents dans une seule et même plainte en raison de la proximité des dates de ces incidents, était raisonnable. Le demandeur soumet que dans la législation haïtienne, une plainte n’a pas de forme particulière et que la SPR a appliqué une logique nord-américaine en interprétant ce document.

(4)               La crainte subjective du demandeur

[24]           Par la suite, le demandeur prétend que la SPR a déraisonnablement tiré une inférence négative quant à la crainte subjective du demandeur en concluant que le demandeur a continué ses activités normales suite à l’incident du 19 septembre 2013.

[25]           Selon le demandeur, la SPR a erré en concluant que la crainte alléguée du demandeur a commencé à partir du 19 septembre 2013 plutôt qu’à partir du 15 janvier 2014.

[26]           Le demandeur a témoigné que c’est l’attaque du 15 janvier 2014 qui l’a mené à quitter son pays, puisque c’est à ce moment qu’il a ressenti une crainte pour sa vie et pour sa sécurité. Le demandeur a témoigné qu’il avait perçu l’attaque du 19 septembre comme étant un acte d’intimidation visant à le décourager de continuer à œuvrer au sein du SIPOHAITI et du FRONDEL et d’agir dans le dossier d’Arnaud Saint-Amour.

(5)               L’analyse complète de la preuve soumise par le demandeur

[27]           Par la suite, le demandeur fait valoir que la SPR a erré en omettant d’analyser des éléments de preuve documentaire clés permettant de corroborer les éléments centraux à sa crainte alléguée. Le demandeur caractérise l’analyse de crédibilité du demandeur par la SPR de « hâtive », comme si « l’essence même de la demande d’asile n’avait pas été étudiée par le Commissaire » (Mémoire du demandeur, au para 3.53). Le demandeur soutient qu’il y a une discordance manifeste entre son récit et le récit du demandeur tel que projeté par la SPR.

[28]           Selon le demandeur, il incombait à la SPR d’évaluer ces éléments de preuve et de statuer sur leur force probante.

(6)               Le défaut du demandeur de demander l’asile aux États-Unis

[29]           Finalement, le demandeur soutient qu’il a passé 31 jours chez son ami avant d’arriver au Canada pour y réclamer l’asile. Le demandeur soutient qu’il a fourni une explication raisonnable pour ce délai. Cependant, la SPR n’aurait retenu qu’une partie des explications fournies par le demandeur.

B.                 Arguments du défendeur

[30]           De son côté, le défendeur soutient que la décision de la SPR est raisonnable. Il appartient à la SPR d’apprécier la valeur probante des documents soumis en preuve par le demandeur.

[31]           Selon le défendeur, il était loisible à la SPR de n’accorder aucune valeur probante à la plainte déposée le 9 septembre 2013 parce qu’elle contenait une erreur relativement à la date. De plus, il était loisible à la SPR de conclure que les explications fournies par le demandeur à cet égard étaient déraisonnables.

[32]           Ensuite, selon le défendeur, la SPR pouvait considérer le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile aux États-Unis, alors que c’est un pays pouvant offrir la protection internationale. La SPR pouvait également conclure que les agissements du demandeur étaient incompatibles avec ceux d’une personne craignant la persécution.

[33]           De plus, il était ouvert à la SPR de tirer une inférence négative du choix du demandeur de continuer à travailler et à habiter aux mêmes endroits, en dépit des menaces dont il a été victime.

[34]           De surcroit, le délai du demandeur à revendiquer le statut de réfugié suite à l’incident du 19 septembre 2013 est un facteur important à considérer dans le cadre de sa demande d’asile.

[35]           Finalement, le défendeur soutient qu’il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les explications fournies par le demandeur (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 767 au para 24; Kabir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 907 au para 5). La SPR, en tant que tribunal spécialisé, est la mieux placée pour apprécier le témoignage d’un demandeur d’asile et pour évaluer la crédibilité de ses affirmations dans le contexte de l’ensemble de la preuve (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF 732; He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF 1107; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] ACF 1355).

VIII.       Analyse

[36]           La Cour souscrit à la position des parties selon laquelle la norme applicable aux conclusions de fait et mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] CSC 9 aux para 47 et 53).

[37]           Suite à un examen approfondi du dossier certifié du tribunal, incluant le procès-verbal d’audience, des soumissions des parties et des motifs de la SPR, la Cour considère que l’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SPR est déraisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve (Ramos, ci-dessus au para 7).

[38]           D’abord, le demandeur soutient que la SPR a omis de constater la centralité de l’attaque dont il a été victime en date du 15 janvier 2014. Le demandeur prétend que c’est cet événement qui a propulsé son départ d’Haïti. La Cour estime que la prétention du demandeur est ancrée dans la preuve au dossier, tel qu’il se dégage des déclarations du demandeur dans son FDA, dans son récit circonstancié et à l’audience.

[39]           Plus précisément, dans son FDA, à la question 2f) : « Pourquoi avez-vous quitté votre pays à ce moment-là et non plus tôt ou plus tard? », le demandeur indique : « J’ai été agressé le 15 janvier et j’ai laissé Haïti le 23 janvier 2014. C’était la date la plus proche pour trouver un billet pour les États-Unis d’Amérique » (FDA du demandeur, Dossier du Tribunal, à la p 14).

[40]           Ensuite, en réponse à la question 2h), le demandeur indique qu’« [a]près l’agression physique du mercredi 15 janvier 2014, [il] était obligé, huit jours plus tard, de laisser le pays pour la sécurité de [sa] vie » (FDA du demandeur, Dossier du Tribunal, à la p 15).

[41]           De surcroit, en réponse à la question 2d) de son FDA, le demandeur relate que le soir même de l’incident du 15 janvier 2014, il a passé la nuit avec sa famille à Plaine du Nord, chez un ami, et que le lendemain il a porté plainte auprès de la police. Le lendemain, le demandeur a quitté pour se rendre à Port-au-Prince (FDA du demandeur, Dossier du Tribunal, à la p 14).

[42]           De plus, à l’audience, à la question de la SPR : « [J]’aimerais savoir quand vous avez pris la décision de quitter votre pays? », le demandeur a répondu : « J’ai pris la décision de quitter Haïti c’est après avoir été agressé et le 15 janvier (inaudible) 2 bandits qui travaillaient sous la solde du vice délégué » (Procès-verbal de la SPR, Dossier du Tribunal, à la p 409).

[43]           Finalement, le demandeur a précisé que lui et sa famille ne sont pas retournés dans leur maison depuis le 15 janvier 2014, en raison de leur crainte (Procès-verbal de la SPR, Dossier du Tribunal, à la p 475).

[44]           Or, la SPR considère l’incident du 19 septembre 2013 comme étant l’élément déclencheur de la crainte du demandeur, menant la SPR à tirer une inférence négative des gestes du demandeur de continuer à travailler et à habiter aux mêmes endroits suite à cet incident dont il a été victime.

[45]           La Cour estime que les conclusions de la SPR à cet égard ne sont pas étayées par la preuve. Les événements du 15 janvier 2014 et les démarches entreprises par le demandeur pour fuir son pays dès le lendemain auraient dû être considérés et soupesés par la SPR dans son évaluation de la crédibilité et de la crainte subjective du demandeur.

[46]           De plus, il se dégage de ses motifs que la SPR a omis de considérer le rôle décisif de l’opinion politique du demandeur, réelle ou imputée, en vertu de l’article 96 de la LIPR, dans son analyse.

[47]           Il se dégage de la preuve que l’opinion politique du demandeur est centrale à sa crainte alléguée, au regard de ses fonctions et de son implication au sein de SIPOHAITI et du FRONDEL, des articles qu’il a publiés dans le journal Cap-Express et dans les médias sociaux, ainsi qu’au regard de son implication dans le dossier Arnaud Saint-Amour.

[48]           Il est clair que c’est l’engagement du demandeur au sein de sa communauté qui forme le nœud de sa revendication de statut de réfugié.

[49]           Notamment, à l’audience, le demandeur a témoigné qu’il se considère comme étant « actif politiquement » et qu’il est perçu au sein de sa communauté et par ses persécuteurs comme tel (Procès-verbal de la SPR, Dossier du Tribunal, aux pp 496 et 498).

[50]           Entre autres, un article publié dans le journal Cap-Express, daté du 10 août 2013, confirme que le demandeur a subi des « cas d’intimidation et de menace de mort à répétition » suite à la publication de sa première requête auprès des organismes des droits humains dénonçant l’assassinat d’Arnaud Saint-Amour (Dossier du Tribunal, à la p 241).

[51]           La preuve au dossier fait également foi des activités criminelles du persécuteur principal du demandeur, Gaby Silencieux (voir les articles parus dans Radiovision2000haiti.net : Gaby Silencieux au cabinet d’instruction ce mercredi à bord d’un véhicule officiel et « Gaby Silencieux, un bandit promu vice-délégué de Limbé » dénonce Ketly Julien, Dossier du Tribunal, aux pp 244 et 245).

[52]           De plus, lors d’une entrevue avec l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], en date du 25 février 2014, en réponse à la question : « Pourquoi vous demande[z] le refuge au Canada? », le demandeur a déclaré : « [P]ar le fait que je me sens dans l’insécurité et la pression en Haïti, parce que la personne dans le dossier de Arnaud Jean Robert Saint-Amour est vice délégué de la commune de Limbé représentant du président d’Haïti et il va être candidat à la députation aux prochaines élections » (Notes d’entrevue de l’ASFC, Dossier du Tribunal, à la p 89).

[53]           Finalement, la preuve documentaire au dossier de la SPR indique qu’Haïti souffre de « corruption chronique » au sein des différentes branches gouvernementales et d’un manque de respect pour la primauté du droit, qui est exacerbé par un appareil judiciaire défaillant (Haïti 2013 Human Rights Report, Dossier du Tribunal, à la p 351; voir aussi : Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en Haïti, Michel Forst, Dossier du Tribunal, à la p 363).

[54]           Au regard de ce qui précède, les conclusions de crédibilité de la SPR reposent sur une interprétation erronée de la preuve, qui n’a pas été considérée en partie, justifiant ainsi l’intervention de la Cour.

[55]           La Cour estime que la décision de la SPR est déraisonnable.

IX.             Conclusion

[56]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit retourné pour être réexaminé par un tribunal différemment constitué. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5050-14

 

INTITULÉ :

ALEX CHERY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Meryam Haddad

 

Pour le demandeur

 

Lynne Lazaroff

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Meryam Haddad

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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