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Date : 20150224


Dossier : T-1605-13

Référence : 2015 CF 240

Ottawa (Ontario), le 24 février 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LES RESTAURANTS LA PIZZAIOLLE INC.

demanderesse

et

PIZZAIOLO RESTAURANTS INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse se pourvoit en appel, aux termes de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 (la Loi), d’une décision du registraire des marques de commerce (le Registraire), datée du 4 juillet 2013, ne faisant droit qu’en partie à son opposition à deux demandes d’enregistrement produites par la défenderesse pour les marques de commerce PIZZAIOLO et Dessin et PIZZAIOLO.

[2]               Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli.

I.                   Contexte

[3]               Les parties sont toutes deux dans le commerce de la restauration.  La demanderesse exploite depuis le début des années 80 un certain nombre de pizzerias dans la région de Montréal, sous le nom commercial de LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) alors que la défenderesse fait de même dans la région de Toronto, sous le nom commercial de PIZZAIOLO, depuis le début des années 2000.

A.                Les demandes d’enregistrement de la défenderesse

[4]               Le 24 octobre 2008, la défenderesse produisait auprès du Registraire, sous les numéros 1,416,446 et 1,416,447 respectivement, deux demandes d’enregistrement pour les marques de commerce PIZZAIOLO et Dessin (la Marque graphique) et PIZZAIOLO (la Marque nominale). La Marque graphique a l’apparence suivante :

[5]               Chaque demande était fondée sur une allégation d’emploi des marques faisant l’objet des deux demandes d’enregistrement de la défenderesse depuis le 13 novembre 2000 (la Date de premier emploi revendiquée) en lien avec les marchandises et services suivants :

Marchandises:  (1) Pizzas gastronomiques; calzone, nommément pain à l’ail et bruschetta; ailes de poulet; salades; boissons non alcoolisées, nommément boisons gazeuses, jus de légumes et de fruits, café et eau embouteillée.  (2) Marchandises utilisées dans l’exploitation de restaurants, nommément menus, affiches, boîtes à pizza et serviettes de table en papier.

Services:  (1) Services de restaurant offrant des mets à emporter et à consommer sur place; services de livraison, nommément livraison d’aliments préparés; services de commande d’aliments en ligne; services de traiteur; services de franchisage, nommément aide technique dans la mise sur pied et l’exploitation de restaurants.

B.                 L’opposition de la demanderesse

[6]               Le 6 janvier 2010, la demanderesse produisait auprès du Registraire, conformément à l’article 38 de la Loi, une déclaration d’opposition pour chacune des deux demandes d’enregistrement de la défenderesse fondée sur les alinéas 38(2)a) à 38(2)d) de la Loi.  En particulier, la demanderesse y alléguait que la Marque graphique PIZZAIOLO et la Marque nominale PIZZAIOLO (collectivement, les Marques) créent de la confusion avec sa marque de commerce nominale déposée, LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), laquelle était employée au Canada antérieurement à la Date de premier emploi revendiquée, faisant en sorte :

  1. Que les Marques ne sont pas enregistrables suivant l’alinéa 12(1)d) de la Loi (a. 38(2)b));
  2. Qu’elles ne possèdent pas de caractère distinctif, contrairement à ce qu’exige l’article 2 de la Loi (a. 38(2)d)); et
  3. Que la défenderesse n’est pas la personne ayant droit à leur enregistrement, tel que le prévoit le paragraphe 16(1) de la Loi (a. 38(2)c)).

[7]               La demanderesse faisait également valoir que les demandes d’enregistrement de la défenderesse dérogeaient à l’article 30 de la Loi (a. 38(2)a)), notamment parce que les Marques n’avaient pas été employées depuis la Date de premier emploi revendiquée en lien avec chacune des marchandises et chacun des services décrits aux dites demandes.

[8]               La défenderesse a nié chacun des motifs d’opposition dans une contre-déclaration produite le 12 mai 2010, conformément au paragraphe 38(6) de la Loi.

[9]               Chaque partie a déposé auprès du Registraire une preuve par affidavit; la demanderesse produisant celui de son président et secrétaire général, M. Daniel Noiseux, et la défenderesse, ceux de M. Luigi Petrella, son principal représentant, et d’une recherchiste en marques de commerce à l’emploi de la firme d’avocats représentant la défenderesse.  Seul M. Noiseux a été contre-interrogé.

C.                La décision du Registraire

[10]           Dans une décision datée du 4 juillet 2013, le Registraire, par l’entremise de Me Annie Robitaille, membre du Comité des oppositions des marques de commerce et déléguée du Registraire aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi, accueillait à tous égards l’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la Marque nominale PIZZAIOLO (demande numéro 1,416,417).

[11]           Quant à la demande d’enregistrement relative à la Marque graphique PIZZAIOLO (demande numéro 1,416,416), le Registraire ne maintenait qu’en partie l’opposition de la demanderesse, estimant que ladite Marque graphique ne créait pas de confusion avec la marque nominale déposée de la demanderesse, LA PIZZAIOLLE, mais qu’elle ne pouvait être employée qu’à l’égard de certaines des marchandises et de certains services visés par la demande d’enregistrement pertinente.

[12]           En décidant comme il l’a fait, le Registraire a d’abord identifié les deux grandes questions qu’il lui paraissait nécessaire de résoudre, la première consistant à déterminer, suivant l’effet combiné des alinéas 38(2)a) et 30(b) de la Loi, si la défenderesse avait, en lien avec chacune des marchandises et chacun des services visés par ses demandes d’enregistrement, employé les Marques depuis la Date de premier emploi revendiquée; la seconde consistant à établir, suivant l’effet combiné des alinéas 38(2)b) à (d), de l’article 2 et des alinéas 12(1)d) et 16(1)a) de la Loi, s’il existe une probabilité de confusion entre les Marques et la marque de commerce nominale LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), telle qu’employée et enregistrée par la demanderesse.

[13]           Il a par la suite rappelé le fardeau de preuve incombant aux parties; celui de la demanderesse étant de présenter une preuve suffisante permettant de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun de ses motifs d’opposition et celui de la défenderesse étant de démontrer, selon la balance des probabilités, que chacune de ses deux demandes d’enregistrement satisfait aux exigences de la Loi.

(1)               La question de l’emploi des marchandises et services visés à la Date de premier emploi revendiquée

[14]           Quant à la première question, le Registraire, après avoir passé en revue la preuve soumise par la défenderesse, a statué que celle-ci n’avait pas réussi à établir un emploi continu, entre la Date de premier emploi revendiquée et la date de production de ses demandes d’enregistrement, de la Marque graphique et de la Marque nominale eu égard aux marchandises et services visés par lesdites demandes, sauf en ce qui a trait aux marchandises et services suivants, à savoir :

Marchandises:  Pizza gastronomiques;

Services« Services de restaurant offrant des mets à emporter et à consommer sur place; services de livraison, nommément livraison d’aliments préparés ».

[15]           Dans la mesure où il se rapporte à ces marchandises et services, le Registraire a donc rejeté ce motif d’opposition aux deux demandes d’enregistrement.

(2)               La question relative à la probabilité de confusion

[16]           Quant à la deuxième question, le Registraire, jugeant que le test de probabilité de confusion était le même pour chacun des motifs d’opposition soulevés par la demanderesse, qu’ils soient fondés sur la non-enregistrabilité (a. 12(1)), l’absence de droit à l’enregistrement (a. 16(1)) ou l’absence de caractère distinctif (a. 2), a conclu que l’emploi de la Marque nominale PIZZAIOLO engendrait une probabilité de confusion avec celui de la marque nominale LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), telle qu’employée et enregistrée par la demanderesse.  Toutefois, il a jugé que ce n’était pas le cas de l’emploi de la Marque graphique PIZZAIOLO.

[17]           Le Registraire a d’abord examiné le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi, suivant lequel la défenderesse n’est pas la personne qui aurait droit à l’enregistrement de la Marque graphique ou de la Marque nominale au motif qu’à la Date de premier emploi revendiquée, chacune des deux Marques créait de la confusion avec la marque nominale LA PIZZAIOLLE que la demanderesse employait déjà au Canada en lien avec des services de restaurant.

[18]           Ce faisant, il a, dans un premier temps, rappelé le test applicable en matière de confusion, celui de la première impression et du souvenir vague du consommateur moyen.  Il a aussi rappelé que pour déterminer, à partir de ce test, s’il existe une probabilité de confusion entre deux marques concurrentes, il se devait de tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles expressément énoncées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir :

  1. Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce en cause et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues;
  2. La période pendant laquelle ces marques ont été en usage;
  3. Le genre de marchandises, services et entreprises liés à ces marques;
  4. La nature du commerce; et
  5. Le degré de ressemblance entre les marques de commerce en cause dans la présentation ou le son ou dans les idées qu’elles suggèrent.

[19]           De son examen des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, le Registraire a tiré les constats suivants:

  1. Les marques de commerce en cause sont hautement suggestives d’une pizzeria et possèdent, de ce fait, un caractère distinctif inhérent peu prononcé, ce qui ne favorise ni l’une ni l’autre des parties; en revanche, à la Date de premier emploi revendiquée, la marque nominale déposée LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) était déjà bien connue dans la région de Montréal, ce qui joue en faveur de la demanderesse tout comme joue en faveur de celle-ci la période pendant laquelle ladite marque a été en usage par rapport à la Marque graphique et à la Marque nominale faisant l’objet des demandes d’enregistrement de la défenderesse;
  2. Par ailleurs, comme il y a chevauchement entre les marchandises, services et commerce des parties, les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d) ne favorisent ni l’une ni l’autre des parties;
  3. Malgré le degré appréciable de ressemblance entre les marques en cause, leur présentation et leur son, lorsque considérés dans leur ensemble, sont quelque peu différents comme l’illustre le fait que le suffixe IOLO, de la Marque nominale PIZZAIOLO peut se prononcer en trois syllabes, alors que le suffixe IOLLE, de la marque déposée LA PIZZAIOLLE, peut se prononcer en deux syllabes; par ailleurs, les idées que lesdites marques suggèrent, quoique chacune suggère une pizzeria, sont également quelque peu différentes dans la mesure où la Marque graphique et la Marque nominale PIZZAIOLO évoquent un nom masculin alors que la marque déposée LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) évoque un nom féminin;
  4. Ces différences sont par ailleurs plus prononcées lorsque l’on tient compte de la Marque graphique PIZZAIOLO, car elle comprend l’expression « GOURMET PIZZA » qui différencie davantage la Marque graphique de la marque nominale de la demanderesse LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), en raison de sa construction grammaticale anglaise.

[20]           Le Registraire a également soupesé un certain nombre d’autres facteurs qu’il a estimé pertinents à son analyse.  Il a, en premier lieu, jugé que l’emploi, par la demanderesse, de la variante PIZZAIOLLE de sa marque déposée (LA PIZZAIOLLE) dans une forme graphique spéciale (ci-dessous), constituait un emploi autorisé de ladite marque mais qu’un tel emploi contribuait davantage aux distinctions existantes entre cette marque et la Marque graphique PIZZAIOLO.

SnagIt1

(appelé ci-après PIZZAIOLLE Dessin n 1)

SnagIt1 (2)

(appelé ci-après PIZZAIOLLE Dessin n 2)

2013-06-11 8-45-40 AM

(appelé ci-après PIZZAIOLLE Dessin n 3)

[21]           Dans un deuxième temps, il a statué que l’enregistrement existant de la défenderesse pour la marque PIZZAIOLO « THEE » PIZZA MAKER ne conférait pas à cette dernière un droit automatique d’obtenir tout autre enregistrement, peu importe le lien étroit pouvant exister entre cet enregistrement initial et les Marques visées par les demandes d’enregistrement de la défenderesse.

[22]           Il a aussi exprimé l’avis que compte tenu du grand nombre d’entrées dans le Registre des marques de commerce comprenant le mot PIZZA, l’on pouvait raisonnablement déduire que le mot PIZZA avait été adopté couramment dans le commerce des services de pizzeria et de restaurants connexes et en conclure qu’il était tout à fait légitime d’accepter que ce mot soit généralement utilisé pour ce type de commerce.

[23]           Le Registraire a par ailleurs écarté, parce que non-pertinent à une analyse entreprise sous l’alinéa 16(1)a) de la Loi, le facteur lié au fait que les marques de commerce en cause coexistaient de façon pacifique au Canada depuis plus d’une décennie compte tenu que la date pertinente à l’examen de ce facteur est la Date de premier emploi revendiquée, et non la date de production des demandes d’enregistrement.  Il n’a finalement accordé aucun poids au fait que la demanderesse ne s’est pas opposée à l’enregistrement de la marque PIZZAIOLO « THEE » PIZZA MAKER et qu’elle ne l’a pas autrement remis en question aux motifs que ce qui a pu motiver la demanderesse à agir ainsi relève de la pure spéculation et qu’à tout événement, ce fait est, encore là, postérieur à la date pertinente d’analyse, soit la Date de premier emploi revendiquée.

[24]           De l’analyse de cet ensemble de facteurs, le Registraire a conclu qu’un consommateur, qui n’a qu’un vague souvenir de la marque nominale LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), telle qu’enregistrée et employée pour les services de restaurant de la demanderesse, risquerait, en raison d’une première impression et d’un souvenir vague de la marque LA PIZZAIOLLE, de conclure que les marchandises et services visés par les demandes d’enregistrement de la défenderesse, sont, en ce qui a trait à la Marque nominale PIZZAIOLO, produits, vendus, réalisés ou autrement autorisés par la demanderesse.

[25]           Invoquant notamment l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Masterpiece c Alavida Lifestyles Inc, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], il a plus particulièrement articulé cette conclusion comme suit :

(84) … Quoique les marques en l’espèce ne sont pas identiques, je considère que les différences qui existent entre elles ne sont pas probantes au point de l’emporter sur tous les facteurs fondés sur le paragraphe 6(5) susmentionnés.  Contrairement à la situation qui prévaut dans le cas de la marque PIZZAIOLO et Dessin de la (défenderesse) visée par la demande, l’enregistrement de la marque verbale PIZZAIOLO permettrait d’employer la marque dans n’importe quel format et avec n’importe quel style de lettrage, couleur ou dessin.  Comme nous le rappelle Masterpiece, ci-dessus, au paragr. 59, « l’emploi ultérieur, dans le champ d’application d’un enregistrement, d’une marque déposée identique ou très semblable à une marque qui existe déjà montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci ».

[26]           Quant à la Marque graphique PIZZAIOLO, il a jugé que la défenderesse s’était acquittée de son fardeau de preuve ‘grâce aux différences plus prononcées’ existant entre ladite Marque graphique et la marque nominale déposée LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), telle qu’employée dans les formes graphiques reproduites au paragraphe 20 du présent jugement.

[27]           Le Registraire a donc accueilli favorablement le motif d’opposition de la demanderesse fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement prescrite par l’alinéa 16(1)a) de la Loi en ce qui a trait à la demande d’enregistrement de la Marque nominale PIZZAIOLO (numéro 1,416,447) mais l’a rejeté dans le cas de la demande d’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO (numéro 1,416,446).

[28]           Le Registraire s’est ensuite penché, quoique de façon plus succincte, sur les autres motifs d’opposition soulevés par la demanderesse en rapport avec la question de confusion, soit la non-enregistrabilité fondée sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi, l’absence de droit à l’enregistrement basée, cette fois, sur l’alinéa 16(1)c) de la Loi et, finalement, l’absence de caractère distinct fondée sur l’article 2 de la Loi.

[29]           Bien qu’il ait jugé pouvoir prendre en considération, contrairement à l’examen du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi, l’ensemble de la preuve soumise par la défenderesse, et non pas seulement celle pertinente à la Date de premier emploi revendiquée, le Registraire en est arrivé à la conclusion que, malgré une preuve plus favorable, la défenderesse n’avait pas réussi, là aussi, à s’acquitter du fardeau de démontrer qu’il n’y avait aucune probabilité de confusion entre la Marque nominale PIZZAIOLO et la marque nominale déposée LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) de la demanderesse.  Il a donc accueilli favorablement le motif d’opposition de non-enregistrabilité fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi eu égard à la Marque nominale PIZZAIOLO.

[30]           Cependant, en qui a trait à la Marque graphique PIZZAIOLO, le Registraire est demeuré d’avis que la défenderesse s’était acquittée de ce fardeau en raison des différences plus prononcées entre ladite Marque graphique et la marque nominale déposée LA PIZZAIOLLE. Il a, conséquemment, rejeté ce motif d’opposition eu égard à la Marque graphique.

[31]           Quant au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)c) de la Loi, suivant lequel chacune des Marques visées par les demandes d’enregistrement créait de la confusion, à la Date de premier emploi revendiqué, avec les noms commerciaux de la demanderesse (LES RESTAURANTS LA PIZZAIOLLE; PIZZAIOLLE; RESTAURANT PIZZAIOLLE; RESTAURANT « LA PIZZAIOLLE »; RESTAURANTS PIZZAIOLLE; LES RESTAURANTS LA PIZZAIOLLE INC; ET RESTAURANTS LA PIZZAIOLLE), le Registraire l’a écarté sur la base que la demanderesse ne pouvait obtenir un résultat plus favorable avec ses noms commerciaux que celui obtenu pour sa marque de commerce déposée aux termes de l’examen du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi.

[32]           Il a donc accueilli favorablement ce motif d’opposition mais, encore une fois, que  pour la demande d’enregistrement concernant la Marque nominale PIZZAIOLO.

[33]           Le Registraire en est arrivé aux mêmes conclusions en ce qui a trait au motif de l’absence de caractère distinctif des Marques visées par les demandes d’enregistrement de la défenderesse : il ne l’a accueilli que pour la demande concernant la Marque nominale PIZZAIOLO, estimant que son analyse relative à la non-enregistrabilité des Marques valait pour l’examen de ce motif d’opposition malgré que les dates pertinentes d’analyse ne soient pas les mêmes dans les deux cas.

[34]           Enfin, le Registraire a écarté divers autres motifs d’opposition soulevés par la demanderesse au motif qu’ils étaient non valides ou encore qu’ils n’avaient pas été plaidés adéquatement.  Comme ces motifs d’opposition n’ont pas été repris par la demanderesse au soutien de son appel, il ne sera pas nécessaire de s’y attarder.

D.                L’appel logé par la demanderesse

[35]           Le présent appel ne concerne que la portion de la décision du Registraire défavorable à la demanderesse, à savoir le rejet de son opposition à la demande d’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO (numéro 1,416,446).  La portion de la décision du Registraire accueillant favorablement l’opposition de la demanderesse à la demande d’enregistrement de la Marque nominale PIZZAIOLO (numéro 1,416,447) de même que celle accueillant favorablement l’opposition de la demanderesse à la demande d’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO en ce qui a trait aux marchandises et services dont l’emploi, à la Date de premier emploi revendiquée, n’a pu être établi par la défenderesse, ne sont pas contestées.

[36]           Au soutien de leur position respective en appel, les parties ont produit, de part et d’autre, comme le leur permet le paragraphe 56(5) de la Loi, de la preuve additionnelle.  Celle de la demanderesse se résume à un affidavit supplémentaire de son représentant, M. Noiseux, par lequel celui-ci a déposé une série de photographies, prises de jour, montrant l’extérieur de l’un des établissements de la demanderesse.  Cette preuve se veut complémentaire aux photographies prises de nuit produites devant le Registraire.

[37]           Pour sa part, la défenderesse a produit, sous forme de quatre affidavits supplémentaires, une preuve visant à établir que le mot PIZZA est généralement utilisé comme composante des noms commerciaux et marques de commerce que l’on retrouve dans le domaine du commerce des pizzas et des services de restaurant connexes.

II.                Questions en litige

[38]           Cet appel soulève, à mon avis, les deux questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à l’examen de la portion contestée de la décision du Registraire en l’espèce?
  2. Le Registraire a-t-il erré en rejetant l’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO?

III.             Analyse

A.                La norme de contrôle applicable

[39]           La demanderesse soutient que pour chacun de ses motifs d’opposition portant sur la question de confusion, le Registraire a commis des erreurs de droit, notamment dans la lecture qu’il a fait de l’arrêt Masterpiece, précité, faisant en sorte que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[40]           Pour sa part, la défenderesse plaide que le présent appel soulève des questions de faits et de droit relevant de l’expertise du Registraire et qu’en conséquence, en l’absence d’une preuve nouvelle en appel qui, si elle avait été produite devant le Registraire, aurait pu avoir un effet sur ses conclusions de faits et l’exercice de sa discrétion, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.  En d’autres termes, précise-t-elle, il n’y a matière à intervention de la part de la Cour que si la décision du Registraire est clairement erronée.

[41]           Récemment, dans l’affaire Cyprus (Ministry of Commerce and Industry) c Producteurs Laitiers du Canada, 2010 CF 719 [Producteurs Laitiers du Canada], mon collègue, le juge de Montigny, a bien résumé l’état du droit sur cette question :

[28] […]  En règle générale, les questions de fait et de droit relevant de l’expertise du registraire sont révisables suivant la norme de la décision raisonnable; en d’autres termes, cette Cour n’interviendra que si la décision du registraire est clairement erronée.  Il en ira toutefois différemment lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Cour, et que cette preuve est pertinente dans la mesure où elle comble une lacune ou remédie à des déficiences identifiées par le registraire.  Dans ce dernier cas, la Cour pourra en arriver à ses propres conclusions et appliquera donc la norme de la décision correcte.  Il n’en ira cependant ainsi que si la nouvelle preuve est substantielle et ajoute à ce qui a déjà été soumis; dans l’hypothèse où cette nouvelle preuve ne serait que répétitive et ne bonifierait pas la force probante de la preuve déjà soumise, la norme de la décision raisonnable continuera de s’appliquer.  L’extrait suivant de la décision rendue par le juge Rothstein au nom de la majorité dans l’arrêt John Brasseries Molson c. John Labatt Ltée résume bien la situation :

Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[2000] 3 F.C. 145, (C.A.) au par. 51. Voir aussi : Christian Dior S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, au par.8; Société Canadian Tire Ltée c. Accessoires d’Autos Nordiques Inc., 2007 CAF 367, aux par. 29-30; Shell Canada Ltée c. P.T. Sari Incofood Corp., 2008 CAF 279, aux par.27-29; Minolta-QMS, Inc. c. Tsai et al., 2006 CF 1249, aux par. 25-27.

[Voir aussi : Proctor & Gamble Inc c Colgate-Palmolive Canada Inc, 2010 CF 231 aux para 21-24.]

[42]           Chaque partie plaide que la preuve nouvelle produite par l’autre n’a rien de substantiel, n’ajoute rien à ce qui a déjà été soumis au Registraire et n’aurait pu avoir, en l’espèce, d’effet sur les conclusions tirées par ce dernier et l’exercice de sa discrétion.  Elles ne plaident par ailleurs pas que leur propre preuve nouvelle aurait pu avoir cet effet, ce qui aurait pu vouloir dire que je doive procéder de novo et appliquer ainsi aux questions qui se posent en l’espèce la norme de la décision correcte.

[43]           L’effet de la nouvelle preuve produite au dossier est donc neutre et n’écarte pas la règle voulant que les décisions du Registraire soient, dans l’état actuel du droit, sujettes à la norme de la décision raisonnable.

[44]           Par ailleurs, comme le souligne le juge de Montigny dans l’affaire Producteurs Laitiers du Canada, précitée, la jurisprudence a reconnu que dans certaines situations, où la question en litige est purement juridique et ne fait appel ni aux faits ni à l’expertise du Registraire, la norme de la décision correcte peut s’appliquer, même en l’absence de nouvelles preuves (Producteurs Laitiers du Canada, au para 29).

[45]           Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce où les questions qui s’y soulèvent, lesquelles reviennent toutes à se demander s’il existe une probabilité de confusion entre la Marque graphique PIZZAIOLO que cherche à enregistrer la défenderesse et la marque déposée LA PIZZAIOLLE de la demanderesse, font manifestement appel aux faits et à l’expertise du Registraire.

[46]           Pour intervenir en l’instance, je me dois donc d’être convaincu que la décision du Registraire, sous un ou plusieurs aspects déterminants, est clairement erronée.  En d’autres termes, je me dois d’être convaincu que ladite décision  se situe hors du champ des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 47).

B.                 Le Registraire a-t-il erré en rejetant l’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO?

(1)               Les erreurs reprochées au Registraire

[47]           La demanderesse soutient que le Registraire a commis deux erreurs déterminantes en rejetant son opposition à l’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO.  La première est d’avoir ignoré les principes de l’arrêt Masterpiece, précité, dans son analyse de la probabilité de confusion entre la Marque graphique PIZZAIOLO et la marque nominale déposée LA PIZZAIOLLE, et d’avoir ainsi omis de tenir compte du droit que confère à la demanderesse l’enregistrement de la marque LA PIZZAIOLLE de faire usage de ladite marque dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix.

[48]           La seconde erreur reprochée au Registraire est de s’être attardé, en procédant à l’examen du facteur de la ressemblance des marques de commerce en cause exigé par l’alinéa 6(5)e) de la Loi, à des détails sans pertinence, tels le nombre de syllabes, le genre et la langue des marques en cause de même que la présence d’éléments non-distinctifs, en l’occurrence les mots « GOURMET PIZZA ». La demanderesse estime que ce faisant, le Registraire a contrevenu au test d’appréciation de la probabilité de confusion, lequel est fondé sur la première impression du consommateur moyen, qu’il soit anglophone ou francophone, qui n’a qu’un vague souvenir de la marque précédente et qui ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur ou pour examiner de près les différences et les ressemblances entre les marques.  Ce test, selon elle, requiert un examen global des marques en cause, et non un examen microscopique.

[49]           Pour les motifs qui suivent, j’en viens à la conclusion que le Registraire a clairement erré en omettant de tenir compte, dans son analyse de la probabilité de confusion, des usages potentiels que l’enregistrement de la marque nominale déposée LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) confère à la demanderesse.  Ce faisant, il s’est mépris sur la portée de l’arrêt Masterpiece.  Sur ce plan, sa décision à l’effet qu’il n’existe pas de probabilité de confusion avec la Marque graphique PIZZAIOLO s’en trouve viciée au point de la placer, à mon avis, hors du champ des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  Dans ces circonstances, il ne me sera pas nécessaire de me prononcer sur le second reproche adressé au Registraire par la demanderesse.

(2)               Les principes applicables

[50]           Le régime canadien des marques de commerce vise deux grands objectifs utiles à la fois aux consommateurs et aux entreprises.  D’une part, il permet de fournir aux consommateurs une indication fiable de l’origine des marchandises et services qu’ils consomment; en cela il offre une garantie d’origine - un gage de qualité - que le consommateur vient à associer à une marque de commerce en particulier.  D’autre part, il sert à maintenir l’équilibre entre la libre concurrence et la juste concurrence en misant sur les principes d’équité dans les activités commerciales et en permettant ainsi à un commerçant de distinguer ses marchandises et services de ceux de ses concurrents (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, [2006] 1 RCS 772, au para 21; Masterpiece, précité au para 1).

[51]           Dans la poursuite de ces objectifs, l’article 19 de la Loi confère au propriétaire d’une marque de commerce enregistrée, à moins que celle-ci ne soit éventuellement jugée invalide, le droit exclusif à l’emploi de cette marque dans tout le Canada, en ce qui a trait aux marchandises et services auxquels celle-ci se rapporte.

[52]           Pour que ce droit exclusif soit effectif, il ne peut y avoir de confusion entre la marque en cause et toute autre marque de commerce à quelque autre endroit au Canada (Masterpiece, précitée, aux paras 31 et 33).  La Loi prévoit à cet égard des mécanismes de protection de l’effectivité de ce droit par le biais, notamment, des conditions d’enregistrabilité des marques de commerce (article 12) et des limites au droit de toute personne à l’enregistrement d’une marque de commerce (article 16).

[53]           Le paragraphe 6(2) de la Loi définit de la façon suivante ce qu’est le concept de confusion entre deux marques de commerce :

6(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

6(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[54]           Comme l’a correctement souligné le Registraire, les tribunaux sont venus préciser que ce concept doit être appliqué dans l’optique du consommateur moyen.  C’est ainsi que pour déterminer s’il y a confusion entre deux marques de commerce, l’une que l’on cherche à faire enregistrer et une autre déjà enregistrée ou employée antérieurement, l’on doit se demander si, comme première impression dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé, la vue de la marque dont on cherche à obtenir l’enregistrement est susceptible de donner l’impression, alors qu’il n’a qu’un souvenir vague de la marque déjà enregistrée ou employée antérieurement et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les deux marques, que les marchandises ou services liés à ces marques sont fabriqués, vendus ou fournis, selon le cas, par la même personne (Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 RCS 824 [Veuve Clicquot Ponsardin] au para 20; Masterpiece, précitée, au para 40; et Miss Universe, Inc c Bohna, [1995] 1 CF 614 (QL) [Miss Universe] aux para 10-11).

[55]           Ce critère de première impression requiert un examen global des marques en cause; l’examen minutieux ou la comparaison côte à côte des marques en cause lui sont par conséquent antinomiques (Veuve Clicquot Ponsardin, précitée, au para 20; Masterpiece, précitée, au para 40).

[56]           Le paragraphe 6(5) de la Loi précise que l’examen de la probabilité de confusion entre deux marques de commerce concurrentes doit « tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce », y compris des facteurs suivants :

6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

6(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[57]           Enfin, dans un contexte d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce et en tenant pour acquis que l'opposant s'est déchargé de son propre fardeau, il appartient à celui qui fait la demande  d'enregistrement d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y a aucune probabilité de confusion avec une marque de commerce enregistrée ou déjà employée (Miss Universe, précitée, au para 11; John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293, [1990] FCJ No 533, confirmé (1992), 42 CPR (3d) 495; Cyprus (Ministry of Commerce and Industry) c International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, aux para 25-28, 93 CPR (4ed) 255, permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée, 34430 (12 avril 2012).  Ce fardeau appartenait donc, en l’espèce, comme l’a correctement spécifié le Registraire, à la défenderesse.

(3)               La portée de l’arrêt Masterpiece

[58]           La demanderesse cherche en l’espèce à protéger son droit exclusif à l’emploi de la marque nominale LA PIZZAIOLLE lui résultant de l’enregistrement de ladite marque.  Elle soutient que l’emploi, par la défenderesse, de la Marque graphique PIZZAIOLO menace ce monopole puisque l’usage des deux marques, dans une même région, serait susceptible, sur la base du critère de la première impression, de créer de la confusion quant à la provenance des marchandises et services associés à ces deux marques.  Elle soutient que l’arrêt Masterpiece, précité, lorsqu’interprété correctement, contrairement à ce qu’a fait le Registraire, lui procure cette protection.

[59]           L’affaire Masterpiece s’est avérée l’occasion, pour la Cour suprême du Canada, d’examiner « la façon fondamentale » d’aborder la question de savoir si des marques de commerce concurrentes, en l’occurrence, d’une part, des marques comprenant le mot « Masterpiece », tels « Masterpiece the Art of Living » et « Masterpiece, the Art of Retirement Living », et d’autre part, la marque déposée « Masterpiece Living », créent de la confusion. Comme en l’espèce, les parties à ce litige œuvraient dans un même secteur d’activités et dans deux régions différentes du Canada.

[60]           En examinant cette question, la Cour suprême s’est penchée de façon plus particulière sur le facteur de la ressemblance entre marques concurrentes, prescrit par l’alinéa 6(5)e) de la Loi.  Ce faisant, elle a rappelé, et c’est ce sur quoi insiste la demanderesse, que ce facteur devait s’apprécier non seulement en fonction de l’emploi actuel d’une marque concurrente déposée mais également en fonction de tous les emplois qu’autorise son enregistrement (Masterpiece, précitée, au para 53).

[61]           Voici ce que je retiens des enseignements de la Cour suprême sur cette question :

  1. La marque de commerce figurant sur une demande d’enregistrement peut consister soit en un mot ou groupe de mots servant de marque, soit en un dessin ou soit en un mot ou groupe de mots accompagnés d’un dessin; le requérant peut, mais n’est pas tenu, de revendiquer une couleur comme caractéristique de la marque qu’il souhaite faire enregistrer (Masterpiece, précitée au para 54);
  2. L’expression « degré de ressemblance » de l’alinéa 6(5)e) signifie qu’il peut y avoir probabilité de confusion non seulement en présence de marques concurrentes identiques mais également lorsque ces marques comportent un certain nombre de différences (Masterpiece, précitée, au para 62);
  3. Le dépôt d’une marque de commerce conférant, du fait de l’article 19 de la Loi, des droits exclusifs à son propriétaire, la question de savoir si la marque de commerce dont on cherche à obtenir l’enregistrement crée de la confusion avec une marque nominale déposée doit être examinée en tenant compte non seulement de l’emploi actuel de la marque déposée mais aussi de la possibilité de confusion résultant de l’emploi de cette marque de toute manière permise par l’enregistrement; l’emploi actuel de la marque nominale déposée ne limite donc pas les droits de son propriétaire puisque l’enregistrement de la marque lui confère le droit d’employer les mots constituant la marque dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix; (Masterpiece, précitée, aux para 55-57; Mr. Submarine Ltd c Amandista Investment Ltd, [1988] 3 CF 91 (CAF), [1987] ACF no 1123 (QL) aux pages 102-103).
  4. C’est ainsi qu’est erronée en droit l’analyse de la probabilité de confusion qui ne tient compte que de l’emploi limité d’une marque nominale déposée, laquelle ne doit pas remplacer l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement; ainsi, l’emploi ultérieur, dans le champ d’application de l’enregistrement, d’une marque nominale déposée identique ou très semblable à la marque concurrente, montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci (Masterpiece, précitée, aux para 58-59).

[62]           La demanderesse soutient que les droits que lui confère l’enregistrement de la marque nominale LA PIZZAIOLLE l’autorisent à employer ladite marque, sous sa variante PIZZAIOLLE, en reproduisant ce mot dans la même taille, style de lettres, couleur et motif que la Marque graphique PIZZAIOLO de la défenderesse.

[63]           Elle note à cet égard que le Registraire a reconnu et appliqué ce principe pour conclure au rejet de la demande d’enregistrement de la Marque nominale PIZZAIOLO mais qu’il n’en a pas tenu compte dans son analyse de la probabilité de confusion de la Marque graphique.  Elle estime que si le Registraire l’avait considéré, comme il se devait de le faire à la lumière de l’arrêt Masterpiece, une seule conclusion, cohérente à celle déjà prise à l’égard de la Marque nominale, se serait imposée : la probabilité de confusion devait s’apprécier en fonction des usages ultérieurs que la demanderesse pouvait faire de sa marque nominale déposée, y compris celui de reproduire le mot PIZZAIOLLE de manière identique ou très semblable à la Marque graphique PIZZAIOLO, c'est-à-dire avec le même style de lettrage, le même motif ovale et la même expression descriptive GOURMET PIZZA à proximité, créant ainsi, au même titre que la Marque nominale, une probabilité de confusion.

[64]           La défenderesse prétend que la demanderesse donne une portée beaucoup trop large à l’arrêt Masterpiece.  Elle estime qu’en statuant que le propriétaire d’une marque déposée décrite sous forme de mots a le droit d’employer lesdits mots « dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix » (Masterpiece, précitée, au para 55), la Cour suprême n’est pas allée jusqu’à dire que cela autorisait ledit propriétaire à ajouter des mots ou des éléments graphiques à la marque déposée. Selon la défenderesse, le principe établi au paragraphe 55 de l’arrêt Masterpiece ne s’applique qu’à la couleur et au style de lettrage d’une marque de commerce formée de mot(s) uniquement.

[65]           L’interprétation préconisée par la demanderesse de ce passage de l’arrêt Masterpiece, et en particulier les mots « motifs de son choix », aurait pour effet, selon la défenderesse, d’étendre le monopole découlant de l’enregistrement d’une marque de commerce nominale bien au-delà de ce que la Loi prévoit et permet.  Cette interprétation aurait notamment pour effet, prévient-elle, de permettre au propriétaire d’une marque déposée de s’opposer avec succès à l’enregistrement d’une marque de commerce concurrente liée à des marchandises et services similaires mais comportant des éléments graphiques distinctifs, comme un arbre ou des armoiries, sur la base que l’intégration de ces éléments ferait partie des usages ultérieurs possibles de la marque déposée.

(4)               L’application de l’arrêt Masterpiece aux faits de la présente affaire

[66]           À mon avis, l’arrêt Masterpiece exigeait du Registraire qu’il tienne compte des usages ultérieurs possibles de la marque LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), tant à l’égard de la Marque nominale qu’à celui de la Marque graphique, que la défenderesse cherche à faire enregistrer.  Ce faisant, le Registraire se devait de reconnaître que la demanderesse était autorisée, du fait des droits que lui confère l’enregistrement de sa marque nominale LA PIZZAIOLLE à éventuellement employer les mots LA PIZZAIOLLE ou PIZZAIOLLE « dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix », et, donc, à représenter ces mots d’une manière identique ou très semblable à la Marque graphique PIZZAIOLO, c'est-à-dire avec les mêmes style et couleur de lettrage ainsi que le même fond de couleur que ladite Marque graphique.

[67]           Comme le fait remarquer la demanderesse, le Registraire a reconnu que l’emploi du mot PIZZAIOLLE, sous la forme des trois graphiques distincts reproduits au paragraphe 20 des présents motifs, constituait un emploi autorisé de la marque déposée LA PIZZAIOLLE, et a conclu qu’il s’agissait là d’un facteur contribuant à la probabilité de confusion avec la Marque nominale PIZZAIOLO.  D’ailleurs, la défenderesse ne prétend pas que le Registraire a erré en concluant de la sorte.  Je note à cet égard que si l’un des graphiques ne consiste qu’en une écriture stylisée du mot PIZZAIOLLE, les deux autres contiennent des éléments additionnels, soit, dans un cas, un dessin stylisé contre lequel est inscrit le mot « PIZZAIOLLE », et dans l’autre, le mot « RESTAURANTS » et la représentation d’une tomate sous le mot « PIZZAIOLLE ».

[68]           Selon moi, le Registraire se devait d’effectuer la même réflexion eu égard à la Marque graphique PIZZAIOLO et se demander si, dans ce cas précis, la demanderesse, par un usage éventuel de sa marque nominale déposée, pouvait, comme elle l’avait déjà fait, représenter ou « habiller », en quelque sorte, le mot PIZZAIOLLE d’une manière  identique ou très semblable à ladite Marque graphique.  La lecture de la décision du Registraire démontre que cela n’a pas été fait, même si le Registraire était au fait que le mot PIZZAIOLLE était – et avait déjà été - représenté sous des formes graphiques spéciales.

[69]            Le Registraire a bel et bien considéré, comme indiqué dans l’arrêt Masterpiece, l’usage éventuel que la défenderesse pourrait faire de la marque nominale PIZZAIOLO.  Toutefois, rien dans la loi ou la jurisprudence n’indique que cette démarche devait être limitée à l’examen de la question de probabilité de confusion entre la Marque nominale PIZZAIOLO et la marque nominale déposée de la demanderesse et qu'elle ne s'appliquait pas également, par conséquent, à la question de probabilité de confusion avec la marque graphique PIZZAIOLO.

[70]           Ici, la Marque graphique PIZZAIOLO est formée du mot PIZZAIOLO écrit sur un fond ovale vert, avec la présence des mots « GOURMET PIZZA ».  Comme c’était le cas des mots « Living » et « Art of Living » dans l’affaire Masterpiece, les mots « GOURMET PIZZA » ne sont en rien « frappants ou uniques » (Masterpiece, précitée, aux paras 64 et 84).  Il s’agit là, comme le souligne la demanderesse, d’une expression générique dénuée de caractère distinctif.

[71]           Le mot PIZZAIOLO s’avère donc l’élément dominant de la Marque graphique, d’où l’importance d’intégrer à l’analyse de la probabilité de confusion les usages ultérieurs possibles du mot PIZZAIOLLE, particulièrement dans le contexte où la Marque nominale PIZZAIOLO a été jugée comme étant susceptible de créer de la confusion avec la marque nominale déposée de la demanderesse.

[72]           Si cela avait été fait, la conclusion qui se serait alors imposée est que la demanderesse est autorisée à représenter sa marque déposée d’une manière identique ou très semblable à la Marque graphique de la défenderesse, c'est-à-dire avec le même style de lettrage et la même couleur de fond, donnant lieu ainsi de manière manifeste, en raison de la ressemblance entre les mots PIZZAIOLLE et PIZZAIOLO, à une probabilité de confusion entre les marques en cause.

[73]           Le Registraire a jugé que la défenderesse s’était acquittée de son fardeau de preuve eu égard à la Marque graphique PIZZAIOLO « grâce aux différences plus prononcées » existant entre ladite Marque graphique et la marque nominale LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE), telle qu’employée dans les formes graphiques reproduites au paragraphe 20 du présent jugement.  Or, en statuant de la sorte, le Registraire ne s’est manifestement pas interrogé sur les différents usages, en termes de taille et style de lettrage, de couleur et de motifs, que la demanderesse pouvait faire du mot PIZZAIOLLE.  Comme la Cour suprême l’a rappelé dans l’arrêt Masterpiece, « l’emploi ultérieur, dans le champ d’application d’un enregistrement, d’une marque déposée identique ou très semblable à une marque qui existe déjà montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci » (Masterpiece, précitée, au para 59).

[74]           Il ne s’agit pas ici de décider si les droits que l’enregistrement de la marque nominale LA PIZZAIOLLE confère à la demanderesse l’autorise à ajouter des cigles, symboles ou autres représentations graphiques distinctives à ladite marque.  Il suffit en l’espèce de déterminer si la demanderesse est habilitée à employer éventuellement le mot PIZZAIOLLE dans une taille, un style de lettres, une couleur et un motif ou forme graphique qui la rende identique ou très semblable à la marque graphique PIZZAIOLO.  À la lumière de l’arrêt Masterpiece, précité, je conclus qu’elle l’est et que l’ajout de mots génériques et non-distinctifs, comme GOURMET PIZZA, est sans conséquence, comme l’étaient les ajouts aux formes graphiques qu’elle a déjà employées ou qu’elle emploie actuellement pour représenter le mot PIZZAIOLLE, sur la légalité de cet emploi ultérieur.

[75]           J’en arrive donc à la conclusion qu’en négligeant ce facteur, le Registraire a commis une erreur déterminante qui affecte la raisonnabilité de sa décision de rejeter le motif d’opposition de la demanderesse fondé sur la probabilité de confusion eu égard à la demande d’enregistrement de la Marque graphique PIZZAIOLO.

[76]           Il apparaît étonnant que la probabilité de confusion entre la Marque nominale PIZZAIOLO et la marque nominale déposée de la demanderesse LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) soit acquise mais qu’il n’en soit pas de même pour la Marque graphique alors que l’élément dominant de celle-ci s'avère être, en fait, le mot PIZZAIOLO et que la demanderesse est autorisée à faire un emploi ultérieur du mot PIZZAIOLLE qui rend son apparence identique ou très similaire à celle de la Marque graphique.  C’est à tout le moins le genre de situation qu’envisage l’arrêt Masterpiece lorsqu’il est question de la protection des droits découlant de l’enregistrement d’une marque de commerce.

[77]           Il est difficile de concevoir, dans ce contexte, que le consommateur ordinaire plutôt pressé, confronté à la Marque graphique PIZZAIOLO et au mot PIZZAIOLLE représenté dans une taille et un style de lettrage ainsi que des couleurs similaires à la Marque graphique, n’ait pas, là aussi, comme première impression, que les marchandises ou services liés à ces marques sont fabriqués, vendus ou fournis, selon le cas, par la même personne.

[78]           En somme, cette différenciation dans le traitement de la question de la probabilité de confusion, et en particulier du concept d’emploi ultérieur, des deux Marques que la défenderesse cherche à faire enregistrer, a, à mon avis, opéré un bris dans la rationalité de la décision du Registraire, ce qui l’a fait glisser hors du champ des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[79]           Pour tous ces motifs, l’appel de la demanderesse est accueilli et la décision du Registraire rejetant l’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la Marque graphique est annulée, avec dépens en faveur de la demanderesse.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’appel est accueilli.

2.      La décision du Registraire des marques de commerce, dans la mesure où elle rejette l’opposition de la demanderesse à la demande d’enregistrement numéro 1,416,446 concernant la marque PIZZAIOLO et Dessin, est annulée.

3.      Le tout avec dépens en faveur de la demanderesse.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1605-13

INTITULÉ :

LES RESTAURANTS LA PIZZAIOLLE INC. c PIZZAIOLO RESTAURANTS INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 septembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 24 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Me Barry Gamache

Pour la demanderesse

Me Simon Hitchens

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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