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Date : 20150107


Dossier : T-1399-09

Référence : 2015 CF 18

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

RED LABEL VACATIONS INC., FAISANT AFFAIRES SOUS LA RAISON SOCIALE REDTAG.CA OU REDTAG.CA VACATIONS,
OU LES DEUX

demanderesse

et

411 TRAVEL BUYS LIMITED, FAISANT AFFAIRES SOUS LA RAISON SOCIALE 411TRAVELBUYS.CA,
CARLOS MANUEL LOURENCO

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Les faits

[1]               Red Label est une entreprise de voyage qui offre des services d’informations sur les voyages et de réservations en ligne par l’intermédiaire de son site Web redtag.ca, qui dessert surtout le marché canadien. Elle a été constituée en société en 2004, et son propriétaire et exploitant est Vincenzo Demarinis.

[2]               Le contenu du site Web de la demanderesse, y compris les métabalises, a été écrit par un employé du nom de Robert Gennaro, avec la contribution de M. Demarinis.

[3]               Red Label a trois marques de commerce déposées : « redtag.ca » (LMC 657520), « redtag.ca vacations » (LMC 657750) et « Shop. Compare. Payless!! Guaranteed » (LMC 675219) [les marques de commerce de Red Label]. La demanderesse emploie régulièrement les trois marques de commerce de Red Label, et ce, depuis 2004 au moins.

[4]               La défenderesse 411 Travel Buys Limited [411 Travel Buys] est une agence de voyage en ligne qui fournit des informations à ses clients par l’intermédiaire de son site Web, ainsi que par l’entremise d’agents, accessibles par téléphone, en vue de faire des réservations de voyage et de fournir des services liés aux voyages. Elle aussi dessert principalement le marché canadien. Elle a été constituée en société en 2008 et son site Web a été mis en ligne en janvier 2009. Carlos Manuel Lourenco est son seul propriétaire et exploitant.

[5]               En 2009, l’intégralité du site Web de 411 Travel Buys a été conçue et écrite par une stagiaire/employée, Aniema Ntia. Mme Ntia a bénéficié de l’aide et de directives d’un consultant embauché, Nhu Tran, mais, sinon, elle était chargée du contenu du site Web et était l’unique détentrice de son mot de passe. M. Lourenco a fort peu contribué au contenu de la page Web et n’avait aucune connaissance spécialisée au sujet de l’emploi de métabalises sur le site Web.

[6]               En 2009, le site Web de 411 Travel Buys ne comportait pas une option de réservation en ligne. Le client qui voulait faire une réservation en recourant aux services de la défenderesse devait téléphoner à son centre d’appel pour parler à un représentant. Ce dernier se présentait alors comme un employé de 411 Travel Buys et aidait le client à faire sa réservation.

[7]               Au sein du marché canadien, les ventes de voyages en ligne sont une activité fondamentalement saisonnière; elles prennent leur essor à l’automne pour ensuite ralentir et chuter à la fin de l’hiver, et ce, chaque année.

[8]               En janvier 2009, M. Demarinis a acheté le nom de domaine « 411travelbuy.ca » au nom de son épouse. Il l’a fait dans l’intention de le vendre à profit aux défendeurs. Des éléments de contenu affichés sur les sites Web ont eu pour effet d’orienter les visiteurs vers le site Web redtag.ca.

[9]               Quand le site Web des défendeurs a été mis en ligne en janvier 2009, un certain nombre de ses pages Web comportaient des éléments de contenu identiques ou très semblables aux pages Web de la demanderesse. Ces informations comprenaient une série de métabalises (titre, description et mots-clés) ainsi que les termes « red tag vacations » et « shop, compare & payless ». Les clients consultant le site Web de 411 Travel Buys ne voyaient pas le contenu, et celui-ci n’était situé que dans les métadonnées de la page Web.

[10]           Le 26 février 2009, la demanderesse a découvert que 411 Travel Buys employait ces termes et elle a allégué la violation de son droit d’auteur et l’usurpation de ses marques de commerce du fait de l’emploi de ses métabalises et d’une référence à sa feuille de style en cascade [FSC] dans un dossier. Elle allègue de plus que le style des deux sites Web est semblable au point de donner à penser qu’il y a eu copie.

[11]           Le 10 mars 2009, M. Demarinis a appelé M. Lourenco pour l’aviser du contenu censément contrefait et il en a exigé le retrait immédiat.

[12]           Peu après la conversation téléphonique, le site Web des défendeurs a été complètement fermé et le contenu censément contrefait a été éliminé par Mme Ntia en deux jours. Le contenu contrefait a été présent sur le site Web du début du mois de janvier jusqu’à la mi‑mars de 2009 tout au plus.

[13]           À un moment donné en mars 2009, par suite de l’enregistrement, par la demanderesse, du nom de domaine 411travelbuy.ca, les défendeurs ont enregistré les noms de domaine « redtagspecials.ca », « redvacations.ca » et « 411redtagbuys.ca ». Aucun contenu n’a jamais été introduit dans les sites Web; il s’agissait de noms de domaine en blanc, n’ayant pas la capacité de rediriger le trafic Web.

[14]           Entre les mois de février et de novembre 2009, la demanderesse a connu une baisse du trafic Web et des revenus qui s’est révélée plus marquée que dans les années antérieures. La période estimative de l’effet négatif causé à la demanderesse par le prétendu contenu contrefait s’étend du mois de mars au mois de novembre de 2009.

[15]           Le 20 août 2009, la demanderesse a engagé à l’encontre des défendeurs la présente action en violation de droit d’auteur, en usurpation de marque de commerce, en commercialisation trompeuse et en dépréciation de l’achalandage à l’égard des marques de commerce de Red Label. Elle souhaite obtenir un jugement comportant les éléments suivants :

a)      une déclaration portant que les défendeurs :

i.        ont appelé l’attention sur les services de 411Travelbuys de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre les services de 411Travelbuys et ceux de la demanderesse, ce qui est contraire à la loi et à l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce;

ii.      ont fait passer les services de 411 Travel Buys pour ceux de la demanderesse, ce qui est contraire à la loi et à l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce;

iii.    ont violé les droits exclusifs que confèrent les marques de commerce de la demanderesse, lesquels sont définis ci-après, ce qui est contraire à l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce;

iv.    ont utilisé les marques de commerce de Red Label d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques de commerce, ce qui est contraire à l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce;

v.      ont reproduit des segments du site Web de la demanderesse (lesquels sont définis ci-après) et violé le droit d’auteur rattaché au site Web de la demanderesse, ce qui est contraire à la loi et à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur;

b)      une injonction permanente interdisant aux défendeurs, ainsi qu’à leurs dirigeants, administrateurs, actionnaires, mandataires, préposés, employés, successeurs, ayants droit et toute autre personne ayant un lien de droit avec eux ou relevant directement ou indirectement de leur contrôle :

i.        d’appeler l’attention du public sur les services de 411Travelbuys de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre les services de la demanderesse et ceux des défendeurs;

ii.      de faire passer les services de 411 Travel Buys pour ceux de la demanderesse ou pour des services sanctionnés, appuyés ou soutenus par cette dernière;

iii.    d’usurper les marques de commerce de Red Label;

iv.    d’employer les marques de commerce de Red Label d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage qui y est attaché;

v.      de violer le droit d’auteur rattaché au site Web de la demanderesse, y compris le droit exclusif qu’a cette dernière de le reproduire;

vi.    d’autoriser, inciter ou aider d’autres personnes à commettre l’un des actes susmentionnés;

c)      une ordonnance exécutoire enjoignant aux défendeurs de transférer ou de faire en sorte que soient transférés à la demanderesse tous les noms de domaine que possèdent ou que contrôlent les défendeurs et qui sont susceptibles de créer de la confusion avec les marques de commerce de Red Label, y compris, notamment :

i.        redtagspecials.ca;

ii.      411redtagbuys.ca;

iii.    redvacations.ca;

d)     en ce qui concerne la cause d’action fondée sur la Loi sur les marques de commerce, des dommages-intérêts à l’encontre des défendeurs d’un montant de 760 000 $ (sept cent soixante mille dollars) pour le préjudice causé à la demanderesse en 2009 par suite des leurs activités illicites, ainsi qu’un montant supplémentaire pour le préjudice subi par la demanderesse après 2009;

e)      en ce qui concerne la cause d’action fondée sur la Loi sur le droit d’auteur, des dommages-intérêts à l’encontre des défendeurs d’un montant de 760 000 $ (sept cent soixante mille dollars) par suite de leurs activités illicites, ainsi qu’un montant supplémentaire pour le préjudice subi par la demanderesse après 2009;

f)       des dommages-intérêts à l’encontre des défendeurs d’un montant de 760 000 $ (sept cent soixante mille dollars) pour le préjudice subi par la demanderesse en 2009 par suite de leurs activités illicites, ainsi qu’un montant supplémentaire pour le préjudice subi par la demanderesse après 2009;

g)      le rejet de la demande reconventionnelle de 411 Travel Buys Ltd (la demanderesse reconventionnelle) à l’encontre de la demanderesse (défenderesse reconventionnelle) avec dépens payables par 411 Travel Buys Ltd (demanderesse reconventionnelle) à la demanderesse (défenderesse reconventionnelle), y compris les débours et la TVH, sur la base d’une indemnité complète;

h)      les intérêts avant et après jugement;

i)        les dépens de la présente action payables à la demanderesse par les défendeurs sur la base d’une indemnité complète, plus les débours et la TVH;

j)        des dommages-intérêts punitifs et exemplaires à l’encontre des défendeurs.

[16]           Le 6 octobre 2009, les défendeurs ont déposé une défense et demande reconventionnelle pour commercialisation trompeuse à l’encontre de la demanderesse.

II.                Les questions en litige

A.                La demande de la demanderesse

A)    Le droit d’auteur

i.                    Existe-t-il un droit d’auteur sur les métabalises de la demanderesse?

ii.                  Dans l’affirmative, l’un ou l’autre des défendeurs a-t-il violé le droit d’auteur sur les métabalises de la demanderesse en employant ces dernières sur leur site Web?

iii.                L’un ou l’autre des défendeurs a-t-il violé le droit d’auteur de la demanderesse en utilisant la ou les feuilles de style en cascade de la demanderesse ou en reproduisant l’élément « aspect et convivialité » de son site Web?

iv.                Si l’un ou l’autre des défendeurs a violé le droit d’auteur sur les métabalises de la demanderesse, s’agissait-il d’une violation innocente?

v.                  À quelles réparations la demanderesse a-t-elle droit par suite d’une violation de droit d’auteur alléguée?

B)    Les marques de commerce

vi.                L’emploi par l’un ou l’autre des défendeurs, sur leur site Web, des mots ou des marques de commerce « redtag.ca », « redtag.ca vacations » ou « Shop. Compare. Payless!! Guaranteed » ainsi que des enregistrements de marque de commerce LMC 657520, LMC 657750 et LMC 675219 connexes, constitue‑t‑il une usurpation de marque de commerce ou une commercialisation trompeuse, ou a-t-il causé une dépréciation de l’achalandage, ce qui est contraire aux alinéas 7b) et 7c) et aux articles 20 ou 22 de la Loi sur les marques de commerce?

vii.              Dans l’affirmative, à quelles réparations et à quels dépens la demanderesse a‑t-elle droit du fait de cette usurpation?

C)    La demande reconventionnelle des défendeurs

viii.            L’emploi, par la demanderesse, de 411 Travel Buys dans le texte ou les métabalises de quelque site Web constituait-il une commercialisation trompeuse, ce qui est contraire aux alinéas 7b) ou 7c) de la Loi sur les marques de commerce?

ix.                Dans l’affirmative, quelles sont les réparations équitables dont disposent les défendeurs du fait de cette usurpation?

[17]           Pour les motifs qui suivent, ma conclusion est la suivante :

A.    Le droit d’auteur

                         i.                    Le droit d’auteur ne subsiste pas dans la combinaison des métabalises (titre, description et mots-clés) de la demanderesse que les défendeurs ont employées.

                       ii.                    L’emploi par la défenderesse 411 Travel Buys des métabalises de la demanderesse ne constitue pas une violation du droit d’auteur; le défendeur Carlos Lourenco n’a pas personnellement violé les droits de la demanderesse.

                     iii.                    S’il y avait eu violation, par 411 Travel Buys, du droit d’auteur de la demanderesse, elle aurait été innocente; la demanderesse n’aurait donc eu droit qu’à une réparation par voie d’injonction.

                     iv.                    Les défendeurs n’ont pas violé le droit d’auteur de la demanderesse sur la ou les feuilles de style de cascade ou sur l’élément « aspect et convivialité » du site Web.

                       v.                    Aucune réparation n’est nécessaire.

B.     Les marques de commerce

                         vi.               L’emploi des marques de commerce de Red Label par la défenderesse 411 Travel Buys ne constitue pas une usurpation de marque de commerce au sens de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, ni une commercialisation trompeuse ou une dépréciation de l’achalandage contrevenant aux alinéas 7b) et 7c) ou à l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce. Compte tenu de mes conclusions sur le droit d’auteur et les droits rattachés à la marque de commerce de la demanderesse, cette dernière n’a pas droit à des dommages-intérêts ou à d’autres réparations;

                       vii.               Les dépens sont adjugés aux défendeurs selon la colonne III du tarif B.

C.                 La demande reconventionnelle des défendeurs

                          viii.          La demande reconventionnelle des défendeurs est rejetée. Il n’y a pas une preuve suffisante pour établir l’existence d’une réputation qui donnerait droit aux défendeurs à une réparation à la suite d’une allégation de commercialisation trompeuse concernant l’emploi, par la demanderesse, de 411 Travel Buys, et ce, pendant la période d’existence relativement courte du site Web des défendeurs, ou compte tenu de l’emploi restreint, par la demanderesse, des mots 411 Travel Buys. De plus, les défendeurs n’ont produit aucune preuve à la Cour quant au préjudice découlant du prétendu emploi abusif, par la demanderesse, de 411 Travel Buys.

                              ix.          L’appropriation illicite, par la demanderesse, du nom commercial des défendeurs dans le but illicite de le leur revendre à profit fait montre d’une conduite répréhensible, qui invalide davantage toute demande de sa part en vue d’obtenir des dommages-intérêts accrus, punitifs ou exemplaires.

III.             Les éléments de preuve

A.                Les témoins de la demanderesse

1)                  Vincenzo Demarinis

a)                  Le témoignage principal

[18]           M. Demarinis est le président et chef de la direction de Red Label Vacations Ltd [Red Label] depuis la constitution de cette société, en 2005. Red Label est une entreprise de voyage en ligne qui permet aux clients d’acheter par voie électronique des voyages et des services connexes par l’intermédiaire de son site Web redtag.ca, de même qu’au téléphone, en les orientant vers un centre d’appels pour qu’ils s’entretiennent avec un agent. Red Label possède trois marques de commerce déposées : « redtag.ca » (LMC 657520), « redtag.ca » (LMC 657750) et « Shop. Compare. Payless!! Guaranteed » (LMC 675219).

[19]           Pour pouvoir se tenir au fait du rendement du site Web, Red Label a retenu à forfait les services de ComScore en 2008-2011 afin de lui fournir des comptes rendus consultables mensuellement. M. Demarinis avait également pour habitude de chercher régulièrement son site Web sur Google afin de vérifier son classement. En faisant l’une de ces recherches en février 2009, il a constaté qu’un certain nombre des pages Web des défendeurs s’affichaient et qu’elles présentaient, dans leurs métabalises, des similitudes avec celles de redtag.ca (notamment sur le plan du contenu, de l’ordonnancement et des fautes d’orthographe). M. Demarinis a cru que les similitudes constituaient une violation de droit d’auteur ainsi qu’une usurpation de marque de commerce.

[20]           Au début du mois de mars 2009, M. Demarinis a téléphoné à M. Lourenco pour lui faire part de la situation, ce à quoi M. Lourenco a répondu qu’il n’en savait rien, mais qu’il allait examiner cette allégation. Peu après, 411travelbuys.ca a été fermé et le contenu litigieux a été supprimé. Plus tard ce mois-là, M. Demarinis a appris que M. Lourenco avait enregistré les trois noms de domaine suivants : « redtagspecials.ca », « 411redtagbuys.ca » et « redvacations.ca ».

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[21]           M. Demarinis a établi que la majeure partie du budget total de publicité de redtag.ca était consacrée au programme Google AdWords. Il a de plus confirmé que le volet « ventes en ligne », indiqué dans un tableau ventilant les ventes de redtag.ca par catégories en janvier 2009, représentait des revenus de 6 535 601 $. Il a toutefois précisé que ce chiffre ne tenait pas compte des ventes générées par les personnes qui consultaient le site Web et qui décidaient ensuite de téléphoner au centre d’appel.

[22]           M. Demarinis a également été interrogé sur l’enregistrement du nom de domaine « 411travelbuy.ca » au nom de son épouse au début de 2009, avant que M. Lourenco enregistre les trois noms de domaine susmentionnés, et il a déclaré qu’il avait personnellement acheté ce nom dans le but de le vendre avec un léger profit à M. Lourenco.

2)                  Robert Gennaro

a)                  Le témoignage principal

[23]           M. Gennaro est au service de Red Label depuis 2005. Il a commencé par introduire des données dans le site Web redtag, pour ensuite devenir directeur de l’optimisation pour les moteurs de recherche [OMR]. Il a estimé que 95 % des activités de Red Label ont lieu en ligne, même si le centre d’appel s’occupe d’une bonne part des réservations. Comme Red Label n’annonce pas son numéro de téléphone, les clients doivent consulter le site Web pour savoir comment téléphoner pour réserver un voyage, un hôtel et des vacances.

[24]           Sensiblement de la même façon que M. Demarinis, M. Gennaro vérifie régulièrement le rendement en ligne de redtag.ca. Il se sert principalement du programme Google Analytics pour déterminer d’où vient le trafic de redtag.ca et il s’efforce de simplifier les métabalises, de façon à susciter plus de recherches par mots-clés organiques.

[25]           M. Gennaro a estimé qu’au début de 2009 redtag.ca comptait environ 180 000 pages associées au site Web et qu’environ 70 000 à 80 000 de ces pages étaient des pages principales (sans en être sûr, toutefois), qui l’obligeaient personnellement à en écrire le contenu (jusqu’à un jour de travail par page). Son témoignage sur ce point manquait de crédibilité, car son estimation du temps consacré à la création de pages Web était irréaliste. Il a persisté à reconnaître qu’il était l’auteur d’une partie du contenu des pages Web qui lui ont été montrées; selon ses dires, il avait rédigé ces pages en 2007.

[26]           En février 2009, M. Gennaro a remarqué quelques irrégularités dans le programme Google Analytics du site Web et a lancé une recherche en vue de trouver le site Web de redtag.ca, découvrant ainsi le même contenu censément contrefait des défendeurs que celui de M. Demarinis. Il a aussi relevé la présence de la FSC de redtag.ca sur le site Web de la défenderesse, et il croit que les deux sites Web se ressemblaient sur le plan du style ainsi que sur celui du contenu de métabalises contrefait.

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[27]           M. Gennaro a précisé en contre-interrogatoire que sur les 180 000 pages que compte le site Web redtag.ca, un grand nombre de celles qui concernent la location d’automobiles ou les hôtels n’exigent pas un temps considérable pour ce qui est de l’ajout de contenu, tandis que d’autres ont besoin de plus d’attention. Il a estimé qu’en 2009 il avait personnellement écrit le contenu d’environ 4 000 à 15 000 des pages plus chargées en contenu. Il a eu de la difficulté à expliquer le temps qu’il avait censément pris pour créer les pages Web principales et leur contenu, de même que le nombre précis de pages qu’il avait personnellement créées, et il manquait de crédibilité à cet égard.

[28]           Pour ce qui est de l’opinion de M. Byers selon laquelle les similitudes de style entre les sites Web de la demanderesse et de la défenderesse étaient caractéristiques des sites Web de l’industrie tout entière en 2009, M. Gennaro a dit qu’il n’y souscrivait pas.

3)                  Aniema Ntia

a)                  Le témoignage principal

[29]           Mme Ntia a été embauchée par M. Lourenco et 411travelbuys.ca à titre de stagiaire en septembre 2008 dans le but de faire le stage prévu dans le cadre du programme avancé de développement Web pour commerce électronique du Humber College. Elle a déclaré devant le tribunal que son stage avait pris fin en janvier 2009, mais qu’elle n’était devenue officiellement employée de 411travelbuys.ca qu’en février 2011. La transcription de son entretien en prévision de l’interrogatoire a toutefois confirmé qu’elle avait antérieurement convenu que son emploi auprès de 411 Travel Buys avait débuté en novembre 2008.

[30]           En juillet et en août 2008, elle a rencontré M. Lourenco à quelques reprises afin de discuter de son stage et de ce que celui-ci comporterait. Il a été précisé que son travail consisterait à créer le site Web tout entier de 411travelbuys.ca. Lors de ces réunions, M. Lourenco lui a montré un certain nombre de sites Web illustrant ce qu’il appréciait sur le plan des fonctions et de la fluidité, mais elle ne s’est pas souvenue précisément si, à ces occasions-là, il lui avait montré le site redtag.ca.

[31]           Elle a tenté un certain nombre de fois de coder à partir de zéro le site Web des défendeurs, mais elle a fini par acheter un modèle de Joomlashack. Elle a fait la majeure partie de son travail sur son ordinateur portable personnel, déjà muni des logiciels nécessaires, et ce jusqu’en octobre 2011, date à laquelle elle a donné son ordinateur portable à son fils, au Nigéria.

[32]           Même si elle a finalement eu l’aide d’autres personnes pour créer le site Web, elle en a été l’administratrice et la seule détentrice du mot de passe. La seule directive précise que Mme Ntia avait reçue de M. Lourenco à propos du contenu des pages Web était de ne pas avoir peur d’employer le mot « cheap » [bon marché] dans tout le contenu. Au-delà de cette directive, il n’a pas restreint ni ne lui a dit ce qu’il fallait y inclure. Mme Ntia a déclaré qu’au cours de la première année d’existence du site Web, elle a créé elle-même la totalité des cent pages environ que comportait le site 411travelbuys.ca.

[33]           Ses premiers efforts pour concevoir le site Web ont consisté à placer un certain nombre de pages du site sous un « en-tête » unique. Quand M. Lourenco a fait savoir qu’il désapprouvait cette idée, il a retenu les services de M. Nhu Tran pour travailler comme consultant en OMR, ainsi que pour superviser le travail de Mme Ntia. M. Tran était chargé du travail de consultation concernant le contenu du site Web, mais, en fin de compte, c’était Mme Ntia qui allait devoir introduire les informations, ou accorder l’accès nécessaire pour qu’une autre personne le fasse. Lors d’une première réunion, M. Tran s’est servi du site Web redtag.ca pour montrer comment employer des métabalises en OMR. Elle a admis qu’il était possible qu’il ait introduit du contenu de redtag.ca à titre de démonstration et qu’elle ait oublié de supprimer ces informations avant qu’ils soient sauvegardés dans le site Web des défendeurs.

[34]           Mme Ntia insiste pour dire qu’elle ne s’est pas rendu compte du contenu contrefait avant que M. Demarinis téléphone à M. Lourenco pour porter la situation à son attention en mars 2009. Après cet appel, M. Lourenco, visiblement contrarié, a demandé à Mme Ntia de fermer le site Web et d’en examiner tout le contenu afin de vérifier s’il n’y avait pas d’autres problèmes. Elle a accédé à sa demande et a passé deux jours entiers à supprimer et à réécrire toutes les métabalises, ainsi qu’à vérifier si le contenu du site Web était original.

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[35]           En contre-interrogatoire, Mme Ntia a confirmé qu’elle n’avait suivi aucune formation sur le droit relatif au droit d’auteur et aux marques de commerce et que M. Lourenco ne lui avait jamais demandé de reproduire un élément quelconque d’un autre site Web. Elle est d’avis que, dans l’ensemble, l’écriture et l’ordonnancement de métabalises ne nécessitent pas nécessairement beaucoup de talent ou de jugement. J’ai conclu que Mme Ntia était un témoin digne de foi.

[36]           Elle confirme de plus que, de janvier à mars 2009, il était impossible de faire une réservation en ligne au site 411travelbuys.ca. Il fallait que les clients consultent le site et téléphonent ensuite au centre d’appel pour faire une réservation en s’entretenant avec un agent.

4)                  Nhu Tran

a)                  Le témoignage principal

[37]           M. Tran a été embauché par M. Lourenco pour donner des conseils en matière d’OMR ainsi que pour aider Mme Ntia à concevoir le contenu du site Web des défendeurs. M. Tran a soutenu que pendant la durée de son association avec 411travelbuys.ca il n’a pas eu accès aux serveurs, et le travail qu’il faisait était transmis à des employés de 411 pour être mis en œuvre.

[38]           Il s’est souvenu d’avoir donné des conseils sur la façon de rehausser les classements du site dans des moteurs de recherche tels que Google, mais qu’ils se sont séparés en 2010 lorsque M. Lourenco s’est dit insatisfait des résultats, ils se sont séparés en 2010. Il insiste pour dire qu’il n’a jamais suggéré que l’on reproduise dans le site Web de la défenderesse les noms commerciaux, les marques de commerce ou le contenu Web d’une autre partie.

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[39]           Malgré son insistance à dire qu’il n’exerçait aucun contrôle sur le serveur des défendeurs et qu’il n’avait pas suggéré à Mme Ntia de reproduire le site Web de redtag, en se reportant à la pièce 33, il a été prouvé que M. Tran avait montré à Mme Ntia des informations relatives à redtag à titre d’exemple à suivre.

5)                  Ephraim Stulberg

[40]           M. Stulberg est gestionnaire principal et vice-président de Matson, Driscoll & Damico Ltd, à Toronto, un cabinet de juricomptabilité d’envergure internationale. Il a six ans d’expérience en matière d’enquêtes et de juricomptabilité, et il se concentre exclusivement sur la quantification des dommages économiques ainsi que sur l’évaluation d’entreprises depuis qu’il est entré dans le secteur en 2008. Il est qualifié comme juricomptable, mais les défendeurs s’opposent à la preuve figurant aux paragraphes 40 à 45 de son rapport d’expert, car il n’est pas un spécialiste en OMR.

a)                  Le témoignage principal

[41]           M. Stulberg a calculé la perte de bénéfices de la demanderesse due à la prétendue violation ou usurpation des défendeurs et il l’a établie à 760 000 $. Il croit, en se fondant sur son examen des documents financiers de la demanderesse, qu’elle a perdu des bénéfices pendant un temps plus long que la stricte durée de la prétendue violation ou usurpation (soit de janvier à mars 2009); il s’agit plus précisément de la période de février à novembre 2009 [la période touchée].

[42]           Après avoir passé en revue les documents financiers de la demanderesse pour 2008, M. Stulberg a ajouté un taux de croissance de 10 p.100 (en prenant pour base le taux historique de croissance de la demanderesse, les données de Statistique Canada sur l’industrie du voyage, des entreprises publiques comparables, de même qu’une analyse des principaux fournisseurs de la demanderesse) pour les besoins de l’établissement de ses revenus anticipés pour la période touchée. Il a estimé le coût des ventes à un pourcentage d’environ 93,9 p.100, et a fixé à 0,99 p.100 des revenus les coûts variables des  commissions de vente et des créances irrécouvrables. Il a également pris en compte des commissions de vente minimales équivalant à 0,96 p.100 des revenus qui auraient été gagnés s’ils n’avaient pas été perdus.

[43]           M. Stulberg estime que d’après les tendances relevées dans le taux de croissance de la demanderesse entre 2004 et 2008, les revenus de cette dernière auraient été d’environ 120 000 000 $ en 2009 et 140 000 000 $ en 2010. Par contraste, ses revenus réels ont été de 100 000 000 $ en 2009 et de 131 000 000 $ en 2010. En considérant la situation sur une base mensuelle, M. Stulberg note chez la demanderesse une solide courbe de croissance qui s’est poursuivie pendant le mois de janvier 2009, mais que, de février à décembre 2009, la croissance des revenus s’est effondrée.

[44]           Les six principaux fournisseurs avec lesquels la demanderesse faisait affaire avant la période touchée (Vacances Transat, Vacances Sunwing, Vacances Air Canada, Vacances Sunquest, Vacances Signature et Nolitours) comptaient pour plus de 50 % de ses revenus. De l’avis de M. Stulberg, en exprimant la situation sous la forme d’un graphique, la diminution des revenus venant de ces fournisseurs et la période touchée se chevauchent étroitement, ce qui dénote qu’il y a vraisemblablement un lien de cause à effet entre les deux.

[45]           Tout en reconnaissant qu’il se peut qu’une partie de la diminution des revenus de la demanderesse soit imputable à des tendances défavorables au sein de l’industrie, le taux de croissance de ses revenus avant 2009 excédait la moyenne de l’industrie; de plus, en 2009 les revenus gagnés par les agences de voyages en ligne ont moins diminué dans l’ensemble que dans le reste de l’industrie, et le recours aux agences de voyages en ligne s’est intensifié au Canada de 4 p.100.

[46]           En raison de la clientèle mondiale d’entreprises publiques comparables, telles qu’Expedia, leurs données étaient d’une pertinence restreinte pour ce qui était d’analyser la situation de la demanderesse. À cause de cela, il est malheureusement difficile de tenir compte de l’effet que les taux de croissance relatifs d’entreprises concurrentes auraient pu avoir sur la demanderesse au cours de la période touchée. Un autre aspect entrant dans le calcul de la perte des revenus de la demanderesse est le fait que Vacances Conquest a mis un terme à ses activités en avril 2009 (ce fournisseur ne comptait auparavant que pour environ 4 p. 100 des revenus de la demanderesse).

[47]           M. Stulberg a également étudié le préjudice causé aux revenus de la demanderesse sous la forme du rendement inférieur des recherches par mots-clés organiques dans les moteurs de recherche en ligne (à partir de statistiques tirées de Google Analytics). Entre novembre 2008 et janvier 2009, il y a eu une croissance dans les recherches par mots-clés organiques de la demanderesse et, au cours de la période touchée, leur rendement a commencé à décliner considérablement. Selon M. Stulberg, cette tendance a été exacerbée par le déclassement qu’opère un moteur de recherche quand il perçoit de multiples versions d’un site Web.

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[48]           En contre-interrogatoire, M. Stulberg a confirmé qu’il n’a pas d’antécédents professionnels ou d’études dans le domaine de l’optimisation du Web et qu’il a formulé des hypothèses au sujet d’une corrélation entre le trafic Web et les revenus, tout en se fondant sur les données de Google pour 2008 qui, d’après le témoignage de M. Byers, étaient peu pertinentes en raison de mises à jour qui avaient été faites vers cette époque-là dans l’algorithme de Google. Ce fait jette le doute sur la croissance anticipée de 10 p. 100 qu’il a estimée au chapitre des revenus de la demanderesse.

[49]           Bien qu’il se soit efforcé d’intégrer dans son rapport des caractéristiques de l’industrie du voyage en ligne, il n’est pas un expert dans le domaine. Par exemple, il n’a pas pris en compte les effets d’entreprises concurrentes qui intensifiaient leurs efforts pour attirer des clients en ligne au moment où il a calculé la perte anticipée de la demanderesse, mais il insiste pour dire que son taux de croissance anticipée de 10 p. 100 comportait une marge de manœuvre modérée, destinée à tenir compte de telles éventualités. Je conclus qu’en raison de l’absence d’un fondement concret pour les hypothèses formulées et les calculs des pertes imputables aux prétendues violations ou usurpations des défendeurs, ses conclusions sur la perte de bénéfices et les dommages sont, dans le meilleur des cas, conjecturales.

[50]           Il a également expliqué qu’il n’avait pas inclus dans ses calculs les mois d’août, de septembre et d’octobre en raison de contraintes temporelles, mais il a convenu que leur inclusion présenterait un tableau plus juste des activités de la demanderesse.

6)                  Barry James Byers

[51]           M. Byers est le fondateur de Search Engine Academy Toronto (2002), une école de marketing Internet destinée aux propriétaires d’entreprise et aux professionnels de la mise en marché. Il est agréé comme praticien en programmation neurolinguistique, et agréé pour enseigner les techniques d’OMR avancées. Les défendeurs ont admis que M. Byers est un expert en OMR.

a)                  Le témoignage principal

[52]           M. Byers est d’avis que les défendeurs ont reproduit le site Web de la demanderesse et que l’emploi des métabalises et du contenu de la demanderesse a eu une nette incidence sur le classement et sur le trafic Web des sites des deux parties. Pour arriver à cette conclusion, il a passé en revue les métadonnées de chaque site (les données habituellement utilisées pour spécifier les descriptions de page, les mots-clés, l’auteur du document, la dernière modification, etc., et ce, par navigateurs, par moteurs de recherche et par d’autres services Web), en plus d’examiner leurs codages.

[53]           Il a relevé des cas où des fautes d’orthographe présentes dans les métabalises de mots‑clés étaient identiques en ordre séquentiel entre les sites Web. Bien qu’il soit d’usage de laisser les fautes d’orthographe dans ces balises, le degré de similitude dans ce cas-ci dénote qu’il y a eu reproduction. De plus, un certain nombre de pages Web des défendeurs contenaient le nom de marque ou les marques de commerce déposées de la demanderesse, ainsi que des métabalises semblables ou identiques que l’on avait simplement modifiées en ajoutant le mot « cheap » [bon marché].

[54]           De plus, la FSC (un langage de feuille de style qui sert à décrire l’aspect et le formatage d’un document et qui facilite la manipulation de la conception d’un site Web), intitulée « stylesRedTag.css », semble s’être trouvée dans les dossiers du site Web des défendeurs à un certain moment, ce qui indique qu’elle avait probablement été reproduite à partir du site Web de la demanderesse. M. Byers pense que, malgré les preuves de reproduction de métabalises et de codages, les similitudes plus générales entre les sites Web s’appliquent en grande partie à l’ensemble de l’industrie et ne sont pas propres aux parties.

[55]           Pour analyser le trafic de chaque site Web, M. Byers s’est concentré sur les rapports ComScore et Korax correspondants, ainsi que sur des statistiques relatives à Google (qui, en 2009, détenait 83 p. 100 du marché canadien). Le fait d’apparaître sur la première page des résultats d’une recherche Google attire environ 92 p. 100 du trafic de Google. Entre décembre 2008 et mars 2009, redtag.ca est tombée de la 21e position dans les classements de l’industrie canadienne du voyage à la 26e position en avril 2009; elle est tombée de nouveau à la 38e position en mai 2009; elle est remontée à la 36e position en juin 2009, puis est tombée de nouveau à la 44e position en juillet 2009. En août 2009, le site a entamé une remontée de cinq mois, atteignant la 19e position en décembre 2009.

[56]           Le nombre total de visites uniques des sites Web de la demanderesse a suivi une courbe semblable à leur classement. Il y a eu aussi une diminution du nombre des résultats de recherche concernant les quatre principales phrases-clés de marque associées à la demanderesse (« red tag », « redtag », « redtag.ca », « red tag vacations »). Selon M. Byers, on peut attribuer la majeure partie de cette diminution des recherches par phrase-clé, mais pas toute, à des tendances saisonnières.

[57]           S’il s’est révélé peu pertinent de demander des analyses ComScore et Korax pour 2008 en raison de plusieurs mises à jour effectuées par Google entre avril 2008 et août 2009, une mise à jour de Google faite en février 2009 aurait dû intensifier le trafic des sites Web de la demanderesse en faisant ressortir l’image de marque; pourtant, ce trafic a diminué après l’entrée en vigueur de la mise à jour.

[58]           M. Byers estime que la reproduction, par les défendeurs, des sites Web de la demanderesse a eu pour effet d’amener les moteurs de recherche à penser par erreur que les sites Web des défendeurs étaient liés à celui de la demanderesse, ce qui a eu pour résultat de faire disparaître des résultats de recherche ce qui semblait être des documents en double. À son avis, ce processus aurait commencé environ un mois après qu’un site Web devenait actif et aurait duré deux ou trois mois, et le site Web original risquait davantage d’être éliminé. De l’avis de M. Byers, les effets sur le trafic lié au contenu en double auraient commencé à se faire sentir au cours de la période de mars à juin 2009. Une fois les sites Web en double éliminés, il faudrait qu’il s’écoule de trois à six mois environ pour que cesse le processus d’élimination, ce qui fait que cela commencerait probablement à avoir lieu au cours de la période de juin à septembre 2009.

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[59]           M. Byers a reconnu qu’il y avait de nettes différences entre les rapports ComScore et Korax au sujet du trafic de recherches internet lié au site Web de la demanderesse (voir le tableau qui suit). Il a de plus reconnu qu’il avait consulté ces deux sources pour créer son rapport d’expert (et il avait même établi un tableau comparant les données de chaque source pour 2009), mais il n’a pas pu expliquer la différence entre les chiffres, sinon pour souligner qu’il s’agit de deux services différents qui recourent à des moyens différents pour réunir des données. Par exemple, comme Korax était le serveur d’hébergement de la demanderesse, ses données étaient fondées sur le trafic transitant par son propre serveur.

[60]           De plus, M. Byers a admis qu’il n’est pas un expert de l’industrie des voyages en ligne et qu’il pouvait avoir omis d’effectuer des rajustements appropriés pour tenir compte du caractère fondamentalement saisonnier de cette industrie. Il a aussi admis que ni les statistiques de ComScore ni celles de Korax sur les recherches par mot-clé ne reconnaîtraient les utilisateurs qui accédaient au site Web de la demanderesse par un moyen autre que les quatre principaux mots‑clés qu’il avait isolés.

[61]           En ce qui concerne l’énoncé contenu dans son rapport selon lequel la mise à jour Vince de Google récompenserait les noms de marque figurant dans les classements de recherches par mots-clés organiques, il a admis qu’il ne pouvait affirmer avec certitude que Google reconnaissait bel et bien redtag.ca comme une marque à l’époque pertinente. Dans le cas contraire, cela aurait eu une certaine incidence sur son opinion concernant l’effet de la prétendue violation ou usurpation des défendeurs. Détail important, M. Byers a par ailleurs précisé que, depuis nombre d’années (y compris les années 2008/2009), Google n’utilise pas de mots-clés comme métabalises dans ses classements de recherches.

7)                  Scott Green

[62]           M. Green exerce les fonctions de contrôleur auprès de Red Label Vacations Inc. Il exerce ces fonctions depuis le 31 mai 2010 et il était chargé des documents comptables de l’entreprise pour l’exercice prenant fin le 31 août 2010 (du 1er septembre 2009 au 31 août 2010). Sa preuve par affidavit a été admise par les défendeurs sans comparution en personne ni contre‑interrogatoire au procès.

[63]           M. Green a établi au moyen de son ordinateur de bureau, entre le 25 et le 30 septembre 2014, les balances de vérification mensuelles, les analyses des ventes mensuelles et les détails du grand livre général de la demanderesse pour les exercices prenant fin du 31 août 2007 au 31 août 2010. Sa preuve par affidavit a été admise par les défendeurs sans comparution personnelle ni contre-interrogatoire au procès.

8)                  Jack Massarelli

[64]           M. Massarelli est associé au sein du cabinet Fazzari + Partners LLP, et il y travaille depuis 1994. Le travail qu’il y fait consiste principalement en des mandats d’assurance et de vérification concernant des entreprises privées et publiques, des avis aux lecteurs, ainsi que des conseils généraux en matière d’affaires, des services de consultation et des services de planification fiscale.

[65]           M. Massarelli a été chargé de passer en revue le dossier, de gérer le personnel et de produire le rapport de mission d’examen de la demanderesse, relativement aux états des opérations, au déficit et aux flux de liquidités pour l’année terminée le 31 août 2005.

[66]           M. Massarelli a également été chargé de superviser les rapports de vérification relatifs à l’entreprise de la demanderesse pour les exercices prenant fin entre le 31 août 2006 et le 31 août 2010. Il est d’avis que les états financiers produits en preuve présentent de manière juste la situation et les activités financières de la demanderesse. Cette preuve par affidavit a été admise par les défendeurs sans comparution personnelle ni contre-interrogatoire au procès.

9)                  Alex V. Bulan

[67]           M. Bulan est l’administrateur et dirigeant de Korax Inc., une société active depuis 1997, qui fournit des services d’hébergement de sites Web, des services de messages électroniques, des services de serveurs dédiés ainsi que des services d’enregistrement de noms de domaine. Il exerce un contrôle complet sur l’infrastructure de réseaux et de serveurs de l’entreprise, et il veille à la prestation de services stables, fiables et prévisibles grâce à un strict contrôle de son matériel.

[68]           Ses services d’hébergement de sites Web comprennent la tenue d’un registre du trafic pour chaque site Web hébergé, que chaque client peut télécharger pour une période de treize mois, après quoi il est automatiquement purgé des serveurs de Korax. L’entreprise génère pour chaque site Web hébergé des rapports d’analyse mensuels qui résument les données contenues dans les registres du trafic, et ils sont disponibles pendant une période restreinte (treize mois entre février 2009 et 2010), après quoi ils sont eux aussi purgés.

[69]           Comme l’a écrit M. Bulan, [traduction« les rapports d’analyse comportent habituellement des indicateurs, tels que les pages les plus consultées, le nombre total de pages demandées, ainsi que le volume total des données transférées. De plus […] [ils] comportent les visiteurs uniques, le nombre des visites, la durée des visites ainsi que les phrases-clés et les mots-clés des moteurs de recherche. » L’expression « visiteurs uniques » désigne le nombre d’adresses IP distinctes qui demandent d’avoir accès aux pages d’un site Web.

[70]           Korax s’occupe d’héberger le site Web de la demanderesse depuis le mois de juin 2004. Cette preuve par affidavit a été admise par les défendeurs sans comparution personnelle ni contre-interrogatoire au procès.

10)              Brent Bernie

[71]           M. Bernie est le président de ComScore Media Metrix Canada [ComScore], et ce, depuis 2002. ComScore effectue des études de marché au moyen de données liées aux mesures d’audience en ligne, au commerce électronique, à la publicité, aux recherches ainsi qu’aux opérateurs vidéo et mobiles. La demanderesse a été abonnée à la base de données Media Metrix de ComScore entre les mois de décembre 2008 à mars 2011. Ce service permet à ses clients d’avoir accès à une base de données utilisant une interface Web protégée par mot de passe qui leur permet de consulter des niveaux différents de données, selon leur abonnement.

[72]           Ce service ne produit habituellement pas de rapports, mais les clients peuvent accéder à la base de données en vue de mener leurs propres recherches et d’établir leurs propres rapports. Certains rapports sont disponibles par l’entremise de la base de données, dont un rapport intitulé « Key Measures » [Mesures-clés] qui présente les [traduction« mesures du trafic d’une liste choisie de sites Web pendant une période donnée ».

[73]           Les données de ComScore sont principalement tirées des données de deux types : Panel et Consensus. Les données Panel sont réunies auprès d’environ deux millions de personnes situées aux quatre coins du globe, qui ont convenu d’autoriser ComScore à mesurer leur comportement sur Internet. Des données de recensement sont recueillies par l’entremise de sites Web et d’annonceurs qui mettent en place des « balises » sur leurs pages et leurs annonces, ce qui permet à ComScore de mesurer le nombre des « visiteurs ». M. Bernie n’est au courant d’aucun problème qui aurait affecté le fonctionnement et la tenue à jour des serveurs de ComScore au cours de la période pertinente de décembre 2008 à mars 2011.

[74]           Cette preuve par affidavit a été admise par les défendeurs sans comparution personnelle ni contre-interrogatoire au procès.

a)                  Données sur les visiteurs uniques de redtag.ca selon les rapports de ComScore et de Korax présentés par la demanderesse dans son affidavit de documents portant sur la période de février 2009 à février 2010

Mois

Données de ComScore – Visiteurs uniques

Données de Korax – Visiteurs uniques

Différence

Février 2009

541 000

560 571

19 571

Mars 2009

562 000

548 481

13 519

Avril 2009

399 000

459 825

60 825

Mai 2009

270 000

370 987

100 987

Juin 2009

303 000

369 819 

66 819

Juillet 2009

282 000

425 337

143 337

Août 2009

386 000

424 747

38 747

Septembre 2009

345 000

421 547

76 547

Octobre 2009

342 000

500 144

158 144

Novembre 2009

432 000

550 498

118 498

Décembre 2009

489 000

582 147

93 147

Janvier 2010

581 000

813 420

232 420

Février 2010

757 000

690 433

66 567

B.                 Les témoins des défendeurs

1)                  Marco Braggio

a)                  Les qualifications

[75]           M. Braggio est gestionnaire de produits en matière d’OMR ainsi qu’en accessibilité et en performance des services Web pour Walmart Canada Corp. depuis juin 2013. Avant cette date, il exerçait les fonctions de spécialiste principal de l’OMR auprès du Groupe DAC (de mars 2011 à juin 2013), de responsable du marketing des moteurs de recherche auprès de Critter Search Inc. (de mars 2009 à février 2011) et analyste d’OMR auprès de Cryptologic Inc. (de janvier 2008 à mars 2009). Il détient une attestation d’études collégiales en soutien de réseaux et d’Internet du Collège CDI de Montréal. Il est qualifié à titre d’expert en OMR, mais pas à l’égard de l’industrie du voyage.

b)                  Le témoignage principal

[76]           M. Braggio est d’avis que le fait d’avoir du contenu en double dans un site Web est un désavantage plutôt qu’un avantage, et cela pourrait faire en sorte qu’il est plus difficile d’obtenir un classement de recherche et une pertinence d’un rang élevé. Selon son rapport, les moteurs de recherche peuvent affecter une marque temporelle à des sites Web en vue de déterminer quel était le site Web original, ce qui pénalise ainsi dans les classements le site Web « dupliqué ».

[77]           Il indique que le classement Google d’un site Web dépend du degré de concurrence au sein d’une industrie. Comme l’industrie du voyage est l’un des marchés en ligne les plus concurrentiels qui soient, il faudrait à un nouveau site Web un délai d’au moins un an pour rattraper les sites Web établis. Comme le site Web de la demanderesse se classait systématiquement parmi les cinq premiers pour de nombreux mots-clés liés à l’industrie, les défendeurs auraient des difficultés particulières à rattraper la demanderesse sur le plan des classements.

[78]           Pour ce qui est des noms de domaine que les défendeurs ont enregistrés à une certaine date en mars 2009, ils n’ont jamais été assortis d’un site Web physique et n’ont servi qu’à rediriger le trafic. De l’avis de M. Braggio, ces noms de domaine avaient peu de valeur, sinon aucune, car ils n’avaient aucun historique antérieur sur le plan du trafic Web ni aucune valeur nette sur le plan des moteurs de recherche en ligne, ce qui veut donc dire qu’ils n’avaient aucune incidence importante sur le plan du classement ou du trafic Web. En utilisant une archive Internet appelée « WayBack Machine », M. Braggio n’a pu trouver que deux cas seulement dans lesquels du trafic avait été redirigé du site Web de la demanderesse vers celui des défendeurs, ce qui démontre un impact négligeable sur le plan du trafic.

[79]           Selon le rapport Google Analytics des défendeurs pour la période du 1er janvier au 16 mars 2009, qui passait en revue tous les nouveaux visiteurs de leurs sites Web, un pourcentage de 0,66 p. 100 seulement peut être attribué à des mots-clés liés aux sites Web de la demanderesse, et ces mots-clés ne commencent à apparaître qu’à la 33e position dans les principaux mots-clés de défendeurs qui engendrent du trafic. Le même rapport, pour la période du 17 mars au 1er septembre 2009, ne fait état que de 0,1 p. 100 de nouveaux visiteurs attribués à des mots-clés liés à la demanderesse.

[80]           En réponse à l’opinion de M. Byers selon laquelle des moteurs de recherche auraient indexé le site Web des défendeurs au début de 2009, M. Braggio ne voit pas de données appuyant cette prétention. Il est possible que les défendeurs aient reproduit certains des sites Web de la demanderesse, mais, selon lui, il n’y a aucune raison de croire que cela a été la seule cause d’une perte du trafic Web ou des revenus de la demanderesse. Il est possible que d’autres concurrents aient contribué à cette perte, et M. Byers ne les a pas pris en considération.

c)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[81]           M. Braggio a admis en contre-interrogatoire qu’il n’avait aucune expérience en OMR liée spécifiquement à l’industrie du voyage en ligne. Il a dit ne pas souscrire aux rapports de M. Byers sur un certain nombre de points. Par exemple, à son avis, des noms de domaine déposés et exempts de contenu n’auraient pas d’incidence sur les classements d’un autre site Web dans les moteurs de recherche. De plus, selon son expérience, si Google élimine un site Web en double, il ne le fait pas pour le site Web d’origine; il y aurait plus de chances qu’il élimine le site en double. Il admet que le contenu dédoublé du site Web des défendeurs pourrait avoir joué dans la diminution du trafic Web de la demanderesse au cours de la période touchée, mais il affirme catégoriquement qu’il ne s’agit pas de l’unique, ni même de la principale, cause de ses pertes.

[82]           M. Braggio a également admis qu’une bonne partie des informations et des articles sur lesquels il s’était fondé pour produire son rapport dataient de longtemps après la période touchée, mais il a insisté pour dire, sans donner trop d’explications, qu’une bonne part des informations s’appliquaient à 2009. À part un article daté de 2007 sur l’exactitude accrue du processus de marquage temporel de Google, ainsi qu’un rapport de Google Analytics sur le trafic Web des défendeurs entre le 1er janvier et le 16 mars 2009 (période au cours de laquelle les éléments contrefaits étaient présents dans le site Web des défendeurs), il convient d’accorder peu de poids aux informations sur lesquelles M. Braggio s’est fondé.

2)                  Carlos Manuel Lourenco

a)                  Le témoignage principal

[83]           M. Lourenco est l’unique propriétaire de 411travelbuys.ca, qui a été constituée en société en 2008. Il travaille dans l’industrie du voyage depuis de nombreuses années, après avoir suivi un cours de niveau postsecondaire sur les voyages et les loisirs. Il n’a pas d’expérience dans le domaine de la conception ou de la création de sites Web et, avant le présent litige, il n’avait qu’une connaissance superficielle des métabalises et de leur utilisation.

[84]           M. Lourenco a embauché Mme Ntia à titre d’étudiante stagiaire pour créer et tenir à jour le site Web de 411 Travel Buys. Après la fin de son stage, en janvier 2009, Mme Ntia a été embauchée comme employée. M. Lourenco lui a demandé de créer le maximum de contenu possible pour le site Web et il lui a montré un certain nombre de sites Web de voyage à titre d’exemple de ce qui était, selon lui, efficace (y compris itravel2000.com et redtag.ca, entre autres sites Web du Royaume-Uni et de l’Amérique du Nord). Jamais il ne lui a demandé de reproduire un site Web ou d’utiliser les métabalises d’une autre entreprise. Sa contribution au site Web a été restreinte, et a surtout consisté à conseiller à Mme Ntia de ne pas avoir peur d’utiliser le mot « cheap » [bon marché] dans tout le contenu du site Web. Il a fini par embaucher M. Tran pour aider Mme Ntia et lui montrer comment optimiser le mieux possible le site Web en vue d’attirer des visiteurs à l’aide de mots-clés organiques.

[85]           M. Lourenco a affecté le budget publicitaire de 411 Travel Buys, durant sa première année d’existence, à des médias imprimés et en ligne, mais il s’est principalement concentré sur le programme Google AdWords (de 25 000 $ à 30 000 $ par mois). Il a confirmé qu’en 2009 son site Web n’était pas en mesure d’offrir un service de réservations en ligne. Il fallait qu’un client téléphone à son centre d’appel pour réserver quoi que ce soit, et une personne répondait en se présentant comme un représentant de 411travelbuys.ca.

[86]           Au début du mois de mars 2009, M. Lourenco a reçu l’appel téléphonique de M. Demarinis qui l’informait du prétendu contenu contrefait. Le lendemain ou le surlendemain, il a communiqué avec M. Demarinis pour lui demander d’autres détails sur le problème, et M. Demarinis l’a orienté vers une page particulière de Hola Sun qui, selon lui, illustrait la violation ou l’usurpation. Peu après, il a demandé à Mme Ntia de fermer le site Web et de passer en revue chacune des pages afin d’en éliminer tout contenu potentiellement contrefait. Dans l’ensemble, le site Web, tel qu’il apparaissait aux yeux des clients, ne montrait aucune association avec redtag.ca, pas plus que ces derniers ne pouvaient voir du contenu contrefait dans le site Web de 411 Travel Buys.

[87]           À la fin du mois de mars ou début du mois d’avril de 2009, M. Lourenco a découvert que M. Demarinis avait acheté le nom de domaine « 411travebuy.ca » et cela l’a contrarié. Une personne qui consultait la page était redirigée vers le site Web redtag.ca. Dans sa colère, il a ensuite acheté les noms de domaine « 411redtagbuys.ca », « redtagspecials.ca » et « redvacations.ca », mais sans jamais y inclure du contenu. Il les a finalement abandonnés.

b)                  Le témoignage en contre-interrogatoire

[88]           M. Lourenco a reconnu qu’il est l’unique dirigeant, administrateur et actionnaire de 411travelbuys.ca, que c’est lui qui prend toutes les décisions d’affaires et que la situation était la même en 2009. Il avait peu de connaissances en matière de conception ou de création de sites Web et il ne détenait pas le mot de passe du site Web, mais c’était lui qui avait le dernier mot au sujet du contenu. Il a indiqué qu’en dépit de son utilisation du programme Google AdWords pour son employeur précédent, il avait une connaissance restreinte de la conception de sites Web et de l’emploi de métabalises en 2009 et qu’il s’était fortement appuyé sur Mme Ntia et M. Tran pour la mise au point du site Web. Lorsqu’on a porté à son attention des fautes d’orthographe qui avaient été relevées dans des métabalises du site Web des défendeurs et qui étaient identiques à celles de la demanderesse, il a insisté pour dire qu’il ignorait pourquoi elles étaient là et a présumé qu’il devait exister une raison stratégique quelconque expliquant leur présence.

IV.             L’analyse

A.                Le droit d’auteur

[89]           Les défendeurs soulèvent des objections préliminaires quant à la revendication du droit d’auteur de la demanderesse, en disant qu’elle n’a pas été correctement plaidée. Ils ont attendu jusqu’au procès pour contester le caractère suffisant de l’acte de procédure de la demanderesse, et ont plaidé leur cause en niant simplement ses revendications relatives au droit d’auteur.

[90]           Il est vrai que, pour plaider convenablement une revendication de droit d’auteur, une partie doit faire état de l’identité de l’auteur de l’œuvre, au sens de la Loi sur le droit d’auteur, de la nationalité de cet auteur, ainsi que du lieu de la première publication. Cependant, il ressort clairement de l’interrogatoire que l’auteur principal est M. Gennaro, un employé de la demanderesse, qui a créé le site Web red tag.ca dans le cadre de son emploi et, dans une moindre mesure, peut-être M. Demarinis, que la demanderesse est une société canadienne et que le site Web redtag.ca a été publié pour la première fois au Canada. Je conclus que les défendeurs n’ont pas soulevé d’objections valables quant aux revendications de la demanderesse en matière de droit d’auteur sur le fondement de ces bases préliminaires.

[91]           Les parties conviennent que, pour qu’un droit d’auteur sur une œuvre soit valide, il faut que cette œuvre soit originale, ainsi que l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, au paragraphe 16 [CCH] :

16 J’arrive à la conclusion que la juste interprétation se situe entre ces deux extrêmes. Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

[92]           De plus, nul ne conteste que la question de savoir s’il y a violation ou non est déterminée par l’application des paragraphes 3(1) et 27(10) de la Loi sur le droit d’auteur, de sorte que toute personne qui reproduit « la totalité ou une partie importante de l’œuvre » commet une violation du droit d’auteur. La question de savoir si une partie importante d’une œuvre a été reproduite est déterminée par sa qualité, et non par sa quantité. La partie importante d’une œuvre est celle qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur (Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73, aux paragraphes 25 à 27).

[93]           Nul ne conteste non plus que, en l’espèce, la défenderesse 411 Travel Buys a reproduit les métabalises de la demanderesse, et ce, en reproduisant les balises de titre, les métadescriptions et les méta-mots-clés sur 48 pages du site Web de 411 Travel Buys. Sur certaines pages, même des fautes d’orthographe présentes dans les métabalises de la demanderesse ont été reproduites. Malgré les arguments des défendeurs selon lesquels un grand nombre des mots employés dans les métabalises sont couramment utilisés dans l’industrie du voyage, ce qui est peut-être vrai, il ne fait aucun doute que les métabalises de la demanderesse ont bel et bien été reproduites, comme on le prétend.

1)                  Les métabalises de la demanderesse font-elles l’objet d’un droit d’auteur?

[94]           Qu’est-ce qu’une métabalise? Une métabalise est un mot ou une petite phrase que l’on incruste dans le code source d’un site Web. Elle n’est pas visible sur la page proprement dite. Lorsqu’une personne tape un groupe de mots dans la barre de recherche d’un moteur de recherche, comme Google, le moteur se sert d’un algorithme pour chercher dans Internet les pages Web où se trouvent les mots particuliers que comporte le groupe de mots en question. Plus un terme apparaît souvent dans des métabalises et dans le texte de la page Web elle‑même, plus il y a de chances qu’un moteur de recherche décide d’inscrire ce site Web dans la partie supérieure de la liste des résultats de recherche (dans la liste de la page 1 des résultats, par opposition à celle de la page 6, par exemple). L’optimisation des moteurs de recherche (OMR) est une étape importante de la mise en marché des marchandises ou des services d’une entreprise. Le moteur de recherche Google se sert effectivement de certaines données de métabalises dans ses classements de recherche, mais, avant 2009, il n’avait pas utilisé les méta-mots-clés pendant de nombreuses années.

2)                  Comment une métabalise tombe-t-elle donc sous le coup de la protection du droit d’auteur au Canada?

[95]           Il s’agit là d’une question encore débattue au Canada, de même qu’aux États-Unis, en Angleterre et ailleurs dans le monde.

[96]           Dans la décision Netbored Inc. c Avery Holdings Inc., 2005 CF 1405, le juge Roger Hughes a examiné la question du droit d’auteur sur des métabalises, dans le contexte d’une demande d’examen de l’exécution d’une ordonnance de type Anton Piller et de la transformation d’une injonction provisoire en une injonction interlocutoire. Tout en faisant des commentaires généraux à propos du droit d’auteur sur les métabalises, il s’est demandé si ces dernières sont « […] simplement des arrangements dérivés d’une formule dans un but commercial, un peu comme l’arrangement de données dont il était question dans l’arrêt Télé‑Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22 (C.A.F.) ». Sans trancher la question, il a certainement mis en doute le bien-fondé de la protection que confère le droit d’auteur aux métabalises.

[97]           Dans une décision plus récente de la Cour suprême de la Colombie-Britannique : Insurance Corp of British Columbia c Stainton Ventures Ltd, 2012 BCSC 608, le juge Christopher Grauer a conclu qu’à son avis [traduction« le comportement des moteurs de recherche ne prouve rien de plus que le fonctionnement d’un algorithme, et qu’une mise en marché par moteur de recherche. » Dans cette affaire, il a refusé de relever une preuve quelconque de confusion ou de commercialisation trompeuse dans la tendance des moteurs de recherche à faire ressortir le site Web ICBCadvice.com de la défenderesse, parmi d’autres, en réponse à une recherche du terme « ICBC » sur Internet. Bien qu’elle soit sans rapport avec la question de la violation du droit d’auteur, cette décision vaut la peine d’être examinée pour la conclusion selon laquelle, dans le contexte d’un moteur de recherche, une métabalise est simplement [traduction« le fonctionnement d’un algorithme ».

[98]           Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Télé-Direct (Publications) Inc. c American Business Information, Inc. [1998] 2 RCF 22 (CA) [Télé-Direct], lorsqu’on examine l’originalité d’une œuvre, elle doit être une création indépendante de l’auteur, qui témoigne au moins d’un degré minimal de talent, de jugement et de travail, par les choix dont elle résulte et par son arrangement. De plus, lorsqu’une idée ne peut être exprimée que d’un nombre restreint de façons, son expression n’est donc pas protégée, car on n’a pas satisfait au critère de l’originalité (Delrina Corp. (cob Carolian Systems) c Triolet Systems Inc., [1998] OJ no 2967, aux paragraphes 48 à 52 [Delrina]; autorisation d’interjeter appel refusée, [2002] OJ no 676 (CA)).

[99]           Dans la décision Distrimedic Inc. c Dispill Inc., 2013 CF 1043, le juge Yves de Montigny, de la Cour fédérale, a examiné les affaires Télé-Direct et Delrina, précitées, et a conclu que les formules et les autres œuvres résultant d’une compilation d’éléments ne sont pas considérées comme possédant un degré suffisant d’originalité lorsque la sélection des éléments faisant partie de l’œuvre est dictée par la fonction et/ou par les exigences de la loi et que leur disposition en une forme concrète d’expression n’est pas originale. Il a conclu que seul l’aspect visuel de l’œuvre était susceptible d’être protégé par le droit d’auteur s’il était original.

3)                  L’un ou l’autre des défendeurs a-t-il violé le droit d’auteur de la demanderesse sur les métabalises en employant les mêmes dans leur site Web?

[100]       Il ressort de la preuve qui m’a été soumise que les métabalises « redtag » de la demanderesse, censément reproduites par les défendeurs, ont été en grande partie dérivées d’une liste de mots-clés de Google, qui ont ensuite été intégrés dans de courtes phrases décrivant, dans l’industrie du voyage, des types de voyage, des lieux, ainsi que des rabais ou de bonnes affaires pour les clients. Des exemples inclus dans les comparaisons faites entre les pages Web de redtag.ca et de 411travelbuys.ca qui portaient, par exemple, sur des croisières, des vacances en groupe ainsi que des forfaits Nolitours et Hola-Sun, illustrent les termes génériques communs que l’on utilise à cet égard en vue d’inciter des clients à acheter des voyages à forfait pour diverses destinations.

[101]       En l’espèce, il y a peu de preuve d’un degré suffisant de talent et de jugement dans la création de ces métabalises, comme l’exige le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH, précité, ou de l’originalité requise dans le cadre de la compilation de données ou d’autres compilations, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Télé-Direct. Même s’il peut y avoir, dans certains cas, assez d’originalité dans des métabalises pour qu’elles bénéficient de la protection du droit d’auteur lorsqu’on les considère globalement, le fond des métabalises que revendique la demanderesse en l’espèce ne satisfait pas au seuil requis pour acquérir la protection que confère le droit d’auteur au Canada.

[102]       Je conclus aussi que même si les métabalises de la demanderesse peuvent faire l’objet d’un droit d’auteur, il n’y a pas eu de reproduction importante, si l’on examine le site Web de la demanderesse dans son ensemble. Les défendeurs n’ont reproduit des métabalises qu’à partir de seulement 48 des quelque 180 000 pages que compte le site Web de la demanderesse. Bien que la Cour doive examiner la violation sous un angle qualitatif, et non quantitatif, ce qui est exigé est une similitude marquée entre l’œuvre originale et l’œuvre censément contrefaite que l’on peut observer lorsqu’on examine les œuvres dans leur ensemble. Je conclus qu’une partie importante de la reproduction ne contient pas un élément important du talent et du jugement du ou des auteurs de la demanderesse – et cela est particulièrement vrai lorsqu’on considère que l’emploi des métabalises est principalement fonctionnel : elles sont pour objet d’influencer le comportement de moteurs de recherche, même s’il existe une certaine latitude quant au choix des mots que l’on peut employer pour décrire les options de voyage dans les métabalises.

[103]       De plus, je conclus aussi au vu de la preuve que les métabalises de redtag.ca ont été reproduites par inadvertance par la défenderesse 411 Travel Buys et son employée, Mme Ntia, et que s’il y avait eu violation, celle-ci aurait été innocente.

4)                  L’un ou l’autre des défendeurs a-t-il violé le droit d’auteur de la demanderesse en utilisant la ou les feuilles de style en cascade de la demanderesse ou en reproduisant l’élément « aspect et convivialité » de son site Web?

[104]       Je conclus également qu’on ne m’a présenté aucune preuve que la FSC de la demanderesse que les défendeurs ont censément reproduite l’a effectivement été. Le seul fondement de l’allégation de la demanderesse réside dans une capture d’écran illustrant une recherche sur Google que M. Gennaro a produite, et rien de plus. Le propre témoin de la demanderesse, M. Byers, a reconnu que c’était le cas. De plus, aucune FSC de la demanderesse n’a été déposée en preuve en vue de la comparer à la FSC des défendeurs. M. Byers, le témoin de la demanderesse, a également reconnu que l’« aspect » en trois colonnes des sites Web des parties était une caractéristique courante dans les sites Web de l’industrie du voyage en 2009, et Mme Ntia a témoigné qu’elle avait créé le site Web à partir d’un modèle qu’elle avait acheté. Je conclus qu’à cet égard il n’y a pas eu de violation du droit d’auteur de la part des défendeurs.

B.                 Les marques de commerce et le nom commercial

[105]       Nul ne conteste que les défendeurs ont utilisé les expressions « red tag vacations » (dans les métabalises d’une page de 411 Travel Buys) et « shop, compare & pay less » (dans les métabalises de trois pages de 411 Travel Buys), employant de ce fait les mots dominants du nom commercial de la demanderesse et de ses marques de commerce déposées : redtag.ca, redtag.ca vacations et Shop. Compare. Pay Less!! Guaranteed. Les défendeurs n’ont employé aucune des marques de commerce de la demanderesse dans la partie visible des pages Web de 411 Travel Buys.

[106]       Le site Web 411 Travel Buys est devenu public (a été mis en ligne) le 5 janvier 2009 et a été fermé le 10 mars 2009, le jour même où M. Demarinis, de la demanderesse, a informé M. Lourenco, des défendeurs, de l’emploi abusif des marques de commerce de Red Label. Le site Web 411 Travel Buys n’est revenu en ligne qu’après l’élimination de toutes les métabalises employant les marques de commerce ainsi que les mots et les groupes de mots censément contrefaits.

[107]       Les défendeurs reconnaissent également que, contrairement aux affaires relatives au droit d’auteur, l’usurpation involontaire ou innocente n’est pas une défense à l’encontre d’une allégation de commercialisation trompeuse selon les alinéas 7b) et c) de la Loi sur les marques de commerce, une usurpation de marque de commerce selon l’article 20 ou une perte d’achalandage selon l’article 22.

V.                La commercialisation trompeuse

[108]       Comme le reconnaissent une fois de plus les deux parties, pour que la demanderesse puisse avoir gain de cause au regard de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, Red Label a trois éléments à prouver :

a.       l’existence d’un achalandage;

b.      la déception du public due à la représentation trompeuse;

c.       des dommages actuels ou possibles pour le défendeur.

Ciba-Geigy Canada Ltd c Apotex Inc., [1992] 3 RCS 120, au paragraphe 33

[109]       Comme dans le cas du droit d’auteur, il existe un certain désaccord à l’échelle internationale quant au fait de savoir si l’emploi d’une marque de commerce dans une métabalise peut être un acte de commercialisation trompeuse ou d’usurpation d’une marque de commerce. La Cour d’appel de l’Angleterre, dans l’arrêt Reed Executive plc & Another c Reed Business Information Ltd & Others, [2004] EWCA Civ 159, au paragraphe 147, de même que la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt Insurance Corp of British Columbia c Stainton Ventures Ltd, 2012 BCSC 608, aux paragraphes 46 et 47 [ICBC], ont conclu que l’emploi d’une marque de commerce (et, ajouterais-je, d’un nom commercial) dans une métabalise n’étayerait pas une conclusion de confusion, ou de probabilité de méprise et que, de ce fait, on ne peut prouver par ce seul emploi qu’il y a eu usurpation de marque de commerce ou commercialisation trompeuse. Comme l’a déclaré le juge Grauer dans l’arrêt ICBC, précité :

[traduction] [l]e le comportement des moteurs de recherche ne prouve rien de plus que le fonctionnement d’un algorithme, et qu’une mise en marché par moteur de recherche. Il ne s’agit certes pas d’une preuve de confusion.

[110]       Cependant, par contraste avec ces deux arrêts, la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans la décision Pandi c FieldofwebsCom Ltd, [2007] OJ no 2739, au paragraphe 32, a déclaré que l’apparence d’un site Web peut être un instrument de commercialisation trompeuse, comme peut l’être, à peu près au même titre que la devanture d’une entreprise dans le monde réel; aux paragraphes 36 à 39, en analysant l’emploi d’un nom commercial ou d’une marque de commerce dans une métabalise, elle a déclaré :

[traduction] 

36 Cependant, le commerce sur Internet ne se compare pas tout à fait au commerce pré-électronique. Il existe aujourd’hui des occasions d’obtenir un avantage concurrentiel et des moyens techniques de se livrer à des pratiques déloyales qui n’existaient pas du tout avant l’avènement d’Internet et des moteurs de recherche. Cela semble être le cas des métabalises. Les métabalises associées à un site Web sont capables d’attirer des internautes à un site qu’ils n’avaient peut-être pas l’intention de consulter. Les métabalises qu’emploie FOW en liaison avec son site est le troisième objet des plaintes des demandeurs qui se rapportent à leur allégation de commercialisation trompeuse.

38 Il me semble qu’une raison évidente (mais il ne s’agit pas nécessairement de la seule) pour laquelle FOW a employé les mots « Jumpin Jammerz » comme métabalise pour son site Web était d’attirer à son site des internautes qui connaissaient déjà Jumpin Jammerz en tant que vendeur de pyjamas et qui croyaient pouvoir trouver des pyjamas à pattes sur le site Web associé aux mots « Jumpin Jammerz ».

39 Dans le monde réel, cela pourrait se comparer au fait de détourner de manière trompeuse la clientèle de la porte d’un commerçant vers celle d’un autre. L’analogie est forcément imparfaite en ce sens que le produit des moteurs de recherche n’est qu’une simple liste, ce qui laisse à l’internaute le soin de choisir les sites apparaissant sur la liste qu’il veut consulter, et dans quel ordre, mais, selon moi, le fait d’employer le nom de domaine, le nom commercial, la marque de commerce ou le logo d’un autre commerçant comme métabalise pour un site Web qui vend des marchandises concurrentes est une pratique répréhensible, sauf si la marque ou le nom eux-mêmes ne font que décrire les marchandises vendues.

A.                L’existence de l’achalandage

[111]       Au vu de la preuve, qui inclut de la publicité à la télévision, à la radio et dans les médias imprimés, ainsi que dans les médias en ligne tels que Google Ads, je conclus que l’annonce et l’utilisation importantes, par la demanderesse, de son nom commercial Red Tag et de sa marque de commerce redtag.ca, de même que l’emploi de la marque de commerce Shop.Compare. Payless!! Guaranteed, ont généré un degré suffisant d’achalandage ou de réputation à l’égard du nom commercial et des marques de commerce utilisés en liaison avec les services de voyage de la demanderesse. Il y a peu de preuves sur l’emploi de redtag.ca vacations et je conclus qu’on n’a pas établi un degré suffisant de réputation ou d’achalandage à l’égard de cette marque de commerce.

B.                 La probabilité d’une représentation trompeuse

[112]       Les parties se font directement concurrence : elles fournissent essentiellement les mêmes services de voyage en ligne à des clients existants et éventuels. Les défendeurs ne nient pas que le nom commercial Red Tag, les mots « red tag vacations » ou les mots « shop. compare & pay less » de la demanderesse ont été employés dans leurs métabalises entre le 5 janvier et le 10 mars 2009. Cet emploi, du moins des mots « red tag », de la part des défendeurs a eu pour effet de réorienter pendant un certain temps des clients consultant le site Web de la demanderesse, qui fournissait des services de voyage, vers le site Web des défendeurs, qui fournissait des services de voyage identiques ou très semblables.

[113]       La question à laquelle il me faut répondre consiste à savoir si l’emploi par les défendeurs du nom commercial de la demanderesse, de même que des mots – vraisemblablement source de confusion – « red tag vacations », « red tag » et « shop. compare & payless », en tant que métabalises d’identification, dans le but d’attirer des clients au site Web des défendeurs, constitue un acte de commercialisation trompeuse, parce qu’il cause une probabilité de méprise.

[114]       Aux États-Unis, un certain nombre de tribunaux ont conclu qu’un tel emploi peut être la cause d’une [traduction] « confusion d’intérêt initiale », c’est-à-dire que l’on sème la confusion dans l’esprit du client avant qu’il achète concrètement un bien ou un service, au moment où il cherche une marque particulière de biens ou de services, et ce, en l’orientant vers les biens ou les services d’un concurrent, parce que ce dernier emploi le nom commercial ou la marque de commerce de l’entreprise initiale.

[115]       Cependant, à ma connaissance, cette manière d’aborder la probabilité de confusion ne s’est pas implantée au Canada. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’elle s’appliquerait aux faits de l’espèce. L’emploi de métabalises dans un moteur de recherche offre simplement au consommateur une liste de liens indépendants et distincts parmi lesquels il peut faire un choix à sa guise, plutôt que d’orienter un consommateur vers un concurrent particulier. Les classements peuvent avoir une incidence sur le choix à faire; néanmoins, ce choix existe. Même si une personne cherche le site Web rattaché à un nom commercial ou à une marque de commerce en particulier, une fois que cette personne atteint le site Web, il faut qu’il y ait une confusion dans son esprit quant à la source de l’entité ou de la personne qui fournit les services ou les biens en question. S’il n’y a pas de probabilité de confusion quant à la source des biens ou des services sur le site Web, rien n’étaye cet aspect du critère de la commercialisation trompeuse. En conséquence, l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial d’un concurrent dans des métabalises ne constitue pas, en soi, le fondement d’une probabilité de confusion, car il est encore loisible au consommateur de faire un choix et d’acheter les biens ou les services auprès du site Web qu’il cherchait au départ.

[116]       Dans le cas présent, aucune des marques de commerce ou aucun des noms commerciaux de la demanderesse n’a été utilisé dans la partie visible du site Web des défendeurs. Ce dernier est clairement identifié comme un site Web de 411 Travel Buys. Il n’y a aucune probabilité de méprise quant à la source des services fournis sur le site Web 411 Travel Buys, et il est loisible au client de réorienter ses recherches vers le site Web de la demanderesse.

[117]       Comme je conclus qu’il n’y a aucune probabilité de méprise, et donc aucune commercialisation trompeuse, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la question de savoir si un préjudice a pu avoir été causé à cet égard.

C.                 L’usurpation de marque de commerce

[118]       La demanderesse a allégué une usurpation de marque de commerce au sens de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce. Pour établir l’existence d’une telle usurpation, [traduction« le demandeur doit prouver que : 1) il est en droit d’engager l’action au sujet de la marque de commerce déposée qui est en litige, et 2) la vente, la distribution ou l’annonce de marchandises ou de services a eu lieu, 3) en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, 4) par une personne non autorisée en vertu de la Loi sur les marques de commerce à employer la marque de commerce déposée, 5) en tant que marque de commerce » (Kelly Gill, Fox on Canadian Law of Trade-marks and unfair Competition, 4édition, Toronto (Ontario), Carswell, 2014).

[119]       L’article 20 de la Loi sur les marques de commerce est libellé ainsi :

Violation

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

Exception

(2) L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

Infringement

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

(i) of the geographical name of his place of business, or

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

Exception

(2) No registration of a trade-mark prevents a person from making any use of any of the indications mentioned in subsection 11.18(3) in association with a wine or any of the indications mentioned in subsection 11.18(4) in association with a spirit.

[120]       Aux termes du paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[121]       Pour les raisons que j’ai données plus tôt à propos de la probabilité de méprise dans le cadre d’une commercialisation trompeuse, je conclus que l’emploi du nom commercial ou des marques de commerce de la demanderesse dans des métabalises ne constitue pas une usurpation de marque de commerce.

1)                  L’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce

[122]       Je ne dispose d’aucune preuve à l’appui d’une allégation fondée sur l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce.

2)                  L’article 22 – Dépréciation de l’achalandage

[123]       Une allégation de dépréciation de l’achalandage fondée sur l’article 22 oblige à prouver quatre éléments :

L’article 22 comporte quatre éléments. Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable. L’article 22 n’exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas. Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c. à d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c. à d. un préjudice).

Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 46.

[124]       Le mot « employer » à l’article 22 implique l’emploi des marques de commerce déposées de la demanderesse. Il n’y a pas eu de tel emploi en l’espèce, et l’article 22 ne s’applique donc pas. Par ailleurs, même si l’on pourrait prétendre que l’on a employé d’une certaine façon « redtag.ca » en employant « red tag », cet emploi ne figurait dans aucune partie visible du site Web 411 Travel Buys; c’était plutôt dans les métabalises. Il n’y a pas de lien entre les services en ligne de 411 Travel Buys qui sont fournis sur son site Web et les services que fournit la demanderesse sur le site Web 411 Travel Buys.

VI.             La responsabilité de Carlos Lourenco

[125]       Le critère permettant de conclure que le dirigeant ou l’administrateur d’une société est personnellement responsable d’un acte est énoncé dans la décision Tommy Hilfiger Licensing Inc. c Produits de Qualité IMD Inc., 2005 CF 10, aux paragraphes 140 à 142 :

140      La Cour d’appel de l’Ontario a dit ce qui suit, dans l’arrêt Normart Management Ltd. c. West Hill Redevelopment Co. (1998), 37 O.R. (3d) 97, page 102 :

[traduction] Il est de jurisprudence constante que les têtes dirigeantes des personnes morales ne sont tenues civilement responsables des actes de la personne morale qu’elles contrôlent et qu’elles dirigent que si ces têtes dirigeantes ont elles-mêmes commis un acte qui est délictueux en lui-même ou qui témoigne d’une identité distincte ou d’intérêts différents de ceux de la personne morale de telle manière que les actes ou les agissements reprochés à la personne morale peuvent être attribués à ses têtes dirigeantes (voir l’arrêt Scotia McLeod Inc. c. Peoples Jewellers Ltd. (1995), 26 O.R. (3d) 481, à la page 491, 129 D.L.R. (4th) 711 (C.A.).

141      Par conséquent, le simple fait d’exercer le contrôle d’une compagnie ne suffit pas à engager la responsabilité personnelle de ses dirigeants. Quel type de conduite peut engager la responsabilité personnelle? Le juge Le Dain expose ses vues sur la question dans l’arrêt Mentmore Manufacturing Co., Ltd. c. National Merchandising Manufacturing Co. Inc. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195, (1978), 22 N.R. 161 (C.A.F.) :

Mais quand donc la participation aux actes de la société engage‑t‑elle la responsabilité personnelle? C’est là une délicate question. Il semblerait que ce soit lorsque la nature et l’étendue de la participation personnelle de l’administrateur ou du dirigeant fasse de l’acte délictueux leur acte délictueux. Il s’agit manifestement d’une question de fait qui doit être apprécié à la lumière des circonstances de chaque cas.

142      À mon avis, il doit exister des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure que l’objectif visé par l’administrateur ou dirigeant de la compagnie était de délibérément, volontairement et sciemment adopter une ligne de conduite qui inciterait à la contrefaçon ou à l’indifférence face au risque de contrefaçon. La formulation exacte du critère applicable est de toute évidence difficile. Il y a lieu à une vaste appréciation des faits de l’espèce pour décider si la responsabilité personnelle est engagée (Mentmore, précité, aux pages 172 à 174).

[126]       Dans les affaires où l’on a conclu à une responsabilité personnelle, la participation du dirigeant ou de l’administrateur en question présentait un caractère conscient, délibéré ou intentionnel. De plus, les sociétés de petite taille ou comptant peu d’actionnaires ne doivent pas être traitées de manière différente :

31        Ce principe s’applique non seulement aux grosses sociétés, mais aussi aux petites sociétés comptant peu d’actionnaires. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans l’arrêt Mentmore, paragraphe 24, il n’existe aucune raison pour laquelle de petites sociétés composées d’une personne ou deux ne devraient pas bénéficier de la même approche que les grosses sociétés, sur le plan de la responsabilité personnelle, simplement parce qu’il existe généralement et nécessairement, en ce qui concerne la gestion, un plus grand degré de participation personnelle directe de la part des actionnaires et administrateurs.

32        En effet, le simple fait que les défendeurs individuels sont les uniques actionnaires et administrateurs d’une société n’est pas en soi suffisant pour qu’il soit possible d’inférer que la société était leur agent ou instrument dans l’accomplissement des actes de contrefaçon, ou qu’ils ont autorisé de tels actes, de façon à se rendre personnellement responsables : Mentmore, paragraphe 24.

33        Il s’ensuit nécessairement que la direction ou l’autorisation particulière requises pour qu’il y ait responsabilité personnelle ne sera pas inférée simplement parce qu’une société est étroitement contrôlée : elle ne sera pas non plus inférée de l’orientation générale que les personnes qui exercent un tel contrôle doivent nécessairement donner aux affaires de la société : Mentmore, paragraphe 24.

34        Dans l’arrêt Mentmore, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit, en ce qui concerne la responsabilité personnelle de l’administrateur ou du dirigeant d’une société :

[I]l existe toutefois certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l’administrateur ou le dirigeant n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci, mais plutôt la commission délibérée d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon : paragraphe 28.

Petrillo c Allmax Nutrition Inc., 2006 CF 1199, aux paragraphes 31 à 34

[127]       Rien ne permet de conclure que M. Lourenco a agi en dehors du cadre normal de ses fonctions en tant que dirigeant et administrateur de 411 Travel Buys. Au contraire, il semble avoir agi de bonne foi et il n’a pas fait peu de cas, consciemment ou délibérément, des droits rattachés au nom commercial et aux marques de commerce de la demanderesse, ou à tout autre droit de propriété de cette dernière. Il n’est pas personnellement responsable.

VII.          Les réparations

[128]       Étant donné ma décision selon laquelle il n’y a pas eu de violation des prétendus droits rattachés au droit d’auteur ou aux marques de commerce de la demanderesse, il n’est pas nécessaire d’examiner la quantification de sa prétendue perte de bénéfices.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  L’action de la demanderesse est rejetée, tout comme la demande reconventionnelle des défendeurs;

2.                  Les dépens sont adjugés aux défendeurs selon la colonne III du tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1399-09

 

INTITULÉ :

RED LABEL VACATIONS INC. (REDTAG.CA) c 411 TRAVEL BUYS LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

David Alderson

Nick Poon

POUR LA DEMANDERESSE

Evan Tingley

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GILBERTSON DAVIS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

BALDWIN SENNECKE HALMAN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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