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Date : 20150203


Dossier : T-776-14

Référence : 2015 CF 128

Ottawa (Ontario), le 3 février 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

GOUVERNEUR INC

demanderesse

et

THE ONE GROUP LLC

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le présent appel est interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi) et découle d’une décision rendue par un agent d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’agent d’audience), au nom du registraire des marques de commerce. Dans sa décision, l’agent d’audience a maintenu l’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse, conformément à l’article 45 de la Loi. La seule question que devait trancher le registraire était de savoir si la défenderesse avait démontré l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de sa marque de commerce. Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli.

I.                   Le contexte

[2]               La défenderesse est une société établie à New York qui possède et exploite aux États‑Unis ce qu’elle décrit comme des [traduction] « grilladerie[s] dynamique[s], ouverte[s] aux femmes » portant la marque de commerce STK (la marque). Elle a enregistré la marque au Canada le 4 septembre 2008 en liaison avec les services « Services de bar; restaurants » (no d’enregistrement LMC 722,923).

[3]               À la demande de la demanderesse, le registraire a délivré un avis à la défenderesse en vertu du paragraphe 45(1) de la Loi. L’avis exigeait que la défenderesse fournisse une preuve d’emploi de la marque à un moment quelconque au cours des trois années précédant la date de l’avis, ou qu’elle démontre l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque. La période pertinente allait du 3 octobre 2008 au 3 octobre 2011.

[4]               L’article 45 de la Loi est rédigé comme suit :

Le registraire peut exiger une preuve d’emploi

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

Forme de la preuve

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

Effet du non-usage

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

Registrar may request evidence of user

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

Form of evidence

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

Effect of non-use

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

[Je souligne]

[5]               En réponse à l’avis, la défenderesse a déposé l’affidavit de Jonathan A. Segal, membre de la direction, souscrit le 25 avril 2012. Dans son affidavit, M. Segal a déclaré que la défenderesse n’avait pas été en mesure d’ouvrir un établissement STK au Canada, plus particulièrement à Toronto, au cours de la période pertinente. Il a énuméré les mesures qu’il avait prises et les discussions qu’il avait eues avec différentes organisations afin de trouver un emplacement convenable pour le premier établissement STK à Toronto. Parmi les discussions qu’il a tenues, M. Segal a fait état de discussions avec le Gansevoort Hotel Group (le groupe hôtelier Gansevoort) et le Thompson Hotel Group (le groupe hôtelier Thompson), qui prévoyaient tous les deux ouvrir des hôtels à Toronto, mais dont les projets ont par la suite été abandonnés.

[6]               La défenderesse a aussi déposé l’affidavit de M. Michael Achenbaum, propriétaire du  groupe hôtelier Gansevoort. M. Achenbaum a déclaré qu’il avait eu des discussions avec M. Segal en 2008 au sujet de la possibilité de doter d’un bar ou d’un restaurant STK l’hôtel que le groupe hôtelier Gansevoort prévoyait ouvrir à Toronto et, selon lui, n’eût été la décision du groupe hôtelier Gansevoort de ne pas donner suite à son projet, il s’attendait à conclure une entente avec la défenderesse.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[7]               L’agent d’audience a conclu que la défenderesse avait établi que le défaut d’emploi de la marque était attribuable à des circonstances spéciales qui justifiaient le défaut d’emploi de la marque et il a maintenu l’enregistrement la marque.

[8]               Tout d’abord, l’agent d’audience a décrit les principes généraux applicables aux procédures relatives à l’article 45. Il a ensuite énoncé le critère juridique qu’il appliquerait pour décider si la défenderesse avait établi qu’il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque.

[9]               Renvoyant à l’arrêt Registraire des marques de commerce c Harris Knitting Mills Ltd (1985), 4 CPR (3d) 488 (CAF), [1985] ACF n226 (Harris Knitting), l’agent d’audience a mentionné qu’il devait examiner trois facteurs pour décider s’il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi : (1) la durée de la période de non‑emploi de la marque de commerce; (2) la question de savoir si les raisons du non‑emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit; et (3) la question de savoir si le propriétaire inscrit a l’intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque de commerce à brève échéance. L’agent d’audience a ajouté que dans Scott Paper Ltd c Smart & Biggar, 2008 CAF 129, 65 CPR (4th) 303 (Scott Paper), la Cour d’appel fédérale a déclaré que le deuxième facteur était essentiel. Par conséquent, bien que les deux autres facteurs soient pertinents, ils ne peuvent, à eux seuls, constituer des circonstances spéciales. Enfin, en renvoyant à la décision John Labatt Ltd c Cotton Club Bottling (1976), 25 CPR (2d) 115, [1976] FCJ No 11 (CF 1re inst) (John Labatt citée dans les FCJ), l’agent d’audience a souligné que les raisons du défaut d’emploi de la marque devaient être « inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles ».

[10]           L’agent d’audience a ensuite procédé à l’analyse de la preuve produite à l’égard de chacun des critères qu’il a énumérés.

[11]           En ce qui concerne la durée de la période de non‑emploi, l’agent d’audience a déterminé que puisque la défenderesse n’avait jamais employé la marque, la date de son enregistrement constituerait la date du début de la période de non‑emploi. Comme la marque avait été enregistrée le 4 septembre 2008 et que l’avis prévu à l’article 45 avait été délivré le 3 octobre 2011, il a conclu que la période de non‑emploi était relativement courte.

[12]           En ce qui concerne le deuxième facteur qu’il a appliqué, l’agent d’audience a conclu que le défaut d’emploi de la marque était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté de la défenderesse.

[13]           L’agent d’audience a souligné que M. Segal attribuait le non‑emploi de la marque à des circonstances spéciales indépendantes de la volonté de la défenderesse, et il a expressément renvoyé aux deux projets d’hôtels avortés du groupe hôtelier Gansevoort et du groupe hôtelier Thompson. Il a aussi fait état de la preuve corroborante fournie dans l’affidavit de M. Achenbaum.

[14]           L’agent d’audience a admis que des conditions de marché difficiles ou défavorables n’étaient généralement pas considérées comme des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi. Cependant, il a conclu que la défenderesse avait été proactive et diligente dans les efforts qu’elle avait déployés en vue de trouver un emplacement pour un bar et restaurant STK au Canada, et que ses efforts étaient compatibles avec l’intention du législateur, d’accorder un délai raisonnable au propriétaire de la marque pour qu’il commence à faire un usage commercial de la marque.

[15]           L’agent d’audience a donc accepté la prétention de la défenderesse selon laquelle son incapacité à trouver un emplacement et à employer la marque ne découlait pas d’un choix délibéré, mais plutôt des décisions du groupe hôtelier Gansevoort et du groupe hôtelier Thompson de ne pas donner suite à leurs projets.

[16]           L’agent d’audience a ajouté que, par leur nature cumulative, les circonstances étaient « inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles » et constituaient des « circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des cas de défaut d’emploi de la marque » (citant l’arrêt Scott Paper, au para 22). Pour conclure ses observations sur cet élément, l’agent d’audience a exprimé l’avis qu’étant donné la nature des services concernés et la période relativement courte, les circonstances en l’espèce s’apparentaient aux cas où la perte d’un distributeur ou d’un maillon semblable dans la chaîne commerciale avait été considérée comme des circonstances pouvant justifier un défaut d’emploi pendant un certain temps. Il s’est appuyé sur les affaires Ridout & Maybee c Sealy Canada Ltd/Ltée (1998), 83 CPR (3d) 276, [1998] TMOB No 76 (Ridout); Sim & McBurney c Hugo Boss AG (1996), 67 CPR (3d) 269, [1996] TMOB No 64 (Hugo Boss); Wolfe & Bazinet c Labelmasters Canada (1995), 60 CPR (3d) 106, [1995] TMOB No 26 (Labelmasters, citée dans le CPR); et Rogers, Bereskin & Parr c Canada (Registraire des marques de commerce) (1987), 17 CPR (3d) 197, [1987] ACF n863 (CF 1re inst) (Rogers, Bereskin & Parr).

[17]           Traitant ensuite du troisième facteur, l’agent d’audience a estimé que la défenderesse avait démontré son intention d’employer la marque à brève échéance. L’agent d’audience a mentionné que l’affidavit de M. Segal démontrait que la défenderesse avait déployé des efforts diligents et continus en vue d’ouvrir un bar et restaurant STK au Canada. Il a conclu que ces efforts démontraient que la défenderesse avait l’intention sérieuse de commencer à employer la marque. En outre, il a mentionné que, bien que M. Segal ait parlé de façon équivoque de la date d’emploi en disant qu’il avait [traduction] « bon espoir » qu’elle soit employée en 2012 ou en 2013, cela constituait un délai raisonnable dans les circonstances. Il a ajouté que cela ne portait pas atteinte à l’ensemble de la preuve qui établissait que la défenderesse avait l’intention sérieuse de commencer à employer la marque au Canada. Il a néanmoins ajouté que, bien que les circonstances justifiaient le défaut d’emploi de la marque, elles ne le justifieraient pas pour une période beaucoup plus longue.

III.             La question en litige et la norme de contrôle applicable

[18]           La seule question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la décision de l’agent d’audience est raisonnable. Aucune preuve additionnelle n’a été déposée devant la Cour, et les parties ont fait valoir, et je suis du même avis, que la décision doit être révisée selon la norme de contrôle de la raisonnabilité (Ridout & Maybee LLP c Hj Heinz Company Australia Ltd, 2014 CF 442 au para 27, [2014] ACF n505; Brouillette Kosie Prince c Great Harvest Franchising, 2009 CF 48 au para 23, [2009] ACF n76).

IV.             Les observations des parties

A.                Les arguments de la demanderesse

[19]           La demanderesse soutient que l’agent d’audience a erré dans son appréciation des principes juridiques applicables et dans son appréciation de la preuve.

[20]           Premièrement, la demanderesse allègue que l’agent d’audience a appliqué le mauvais critère juridique pour décider si la défenderesse avait démontré l’existence de circonstances spéciales. La demanderesse soutient qu’une conclusion relative à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi doit découler d’une analyse en deux étapes. La première étape consiste à se demander si le défaut d’emploi était attribuable à des circonstances spéciales. Si l’agent d’audience juge que le défaut d’emploi de la marque est attribuable à des circonstances spéciales, il doit ensuite se demander si ces circonstances justifient le défaut d’emploi. Pour trancher cette question, il doit examiner les trois facteurs énoncés dans l’arrêt Harris Knitting. La demanderesse prétend que l’agent d’audience a confondu l’établissement de circonstances spéciales et la question de savoir si les circonstances étaient indépendantes de la volonté de la défenderesse, qui est seulement pertinente à la deuxième étape de l’analyse.

[21]           Deuxièmement, la demanderesse allègue que la preuve ne permettait pas raisonnablement de conclure que le défaut d’emploi de la marque était attribuable à des circonstances inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles. La demanderesse se fonde sur l’affirmation de M. Segal selon laquelle le processus menant à l’établissement d’un bar et restaurant STK est généralement long (entre deux à quatre ans). La demanderesse soutient donc qu’il n’y avait rien d’inhabituel dans le processus que la défenderesse a suivi pour ouvrir un bar et restaurant au Canada, et que ce genre de délai était courant. De plus, bien que l’agent d’audience ait souligné que des conditions de marché difficiles ne constituaient pas des circonstances spéciales, ce sont les conditions de marché difficiles qui, selon la défenderesse, l’ont empêché d’ouvrir un établissement. À cet égard, la demanderesse insiste sur la déclaration de M. Segal figurant au paragraphe 17 de son affidavit, selon laquelle les hôtels n’avaient jamais été construits [traduction] « en raison des mauvaises conditions économiques actuelles ».

[22]           Troisièmement, la demanderesse soutient que l’agent d’audience a aussi tiré une conclusion déraisonnable lorsqu’il a conclu que le fait que la défenderesse n’avait pas ouvert un bar et restaurant STK au cours de la période pertinente était attribuable à des facteurs indépendants de sa volonté, plutôt qu’à ses choix délibérés. La demanderesse soutient que la preuve démontre que le non-emploi de la marque est attribuable à la stratégie commerciale que la défenderesse a délibérément adoptée et aux décisions commerciales délibérées qu’elle a prises concernant l’établissement d’un bar et restaurant STK au Canada. La défenderesse voulait un emplacement qui répondait à des critères bien précis; cette stratégie allongeait et rendait plus difficile le processus pour trouver un emplacement convenable. Il n’y avait pas de circonstances indépendantes de sa volonté.

[23]           La demanderesse s’est fondée sur la décision Johnston Wassenaar LLP c George V Eatertainment, 2012 COMC 136, [2012] COMC n5136 (Johnston Wassenaar), dans laquelle la registraire a décidé, dans des circonstances très semblables, que le défaut d’emploi de la marque de commerce était attribuable à des décisions commerciales délibérées que la propriétaire inscrite avait prises dans le cadre de sa stratégie visant à pénétrer le marché canadien. Par conséquent, les circonstances ne pouvaient pas justifier le défaut d’emploi.

B.                 Les arguments de la défenderesse

[24]           La défenderesse soutient que la décision de l’agent d’audience est raisonnable parce qu’elle est claire et intelligible, et qu’elle appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]           Tout d’abord, la défenderesse allègue que l’agent d’audience n’a pas commis d’erreur au sujet du critère juridique applicable. Plus précisément, bien que l’agent d’audience ait appliqué les trois facteurs énumérés dans l’arrêt Harris Knitting, il a aussi tenu compte du fait que les circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi devaient être inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles. De plus, il est aussi évident que l’agent d’audience était conscient que le deuxième facteur – les raisons du défaut d’emploi devaient être indépendantes de la volonté du propriétaire – était essentiel (comme l’exige l’arrêt Scott Paper). Pour chacun des trois facteurs, l’agent d’audience a dûment examiné et apprécié les éléments de preuve, et il a tiré des conclusions qui relèvent de son expertise et qui sont raisonnables.

[26]           Ensuite, la défenderesse soutient que, bien que la demanderesse ait formulé ses arguments en employant le langage propre à la norme de contrôle de la raisonnabilité, dans les faits, elle demande à la Cour d’apprécier la preuve de nouveau et d’appliquer la norme de la décision correcte. La défenderesse ajoute que chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres et que, même si une autre décision aurait pu être rendue dans le même contexte factuel, cela ne permet pas de trancher la question de savoir si la décision de l’agent d’audience appartient aux issues acceptables.

[27]           Selon la défenderesse, il était tout à fait raisonnable pour l’agent d’audience de conclure, compte tenu de la preuve, que le défaut d’emploi était attribuable au fait que le groupe hôtelier Gansevoort et le groupe hôtelier Thompson avaient décidé de mettre fin à leurs projets. La défenderesse affirme qu’elle n’a eu aucun contrôle sur ces décisions et qu’elle a dû recommencer un processus de deux à quatre ans en vue de trouver un autre emplacement. Il était donc raisonnable pour l’agent d’audience de conclure que ces circonstances étaient indépendantes de sa volonté. De plus, la défenderesse soutient que la situation en l’espèce est différente d’une situation où, comme dans l’affaire Johnston Wassenaar, c’est la propriétaire inscrite elle-même qui n’avait pas ouvert un établissement en raison des mauvaises conditions économiques. Dans le contexte particulier de la présente affaire, la défenderesse allègue qu’il était raisonnable pour l’agent d’audience de comparer le cas dont il était saisi à celui où un propriétaire inscrit perd un distributeur.

[28]           La défenderesse fait aussi valoir que la preuve permettait à l’agent d’audience de conclure que la durée de la période de non-emploi était relativement courte, et qu’elle avait démontré son intention de commencer à employer la marque à brève échéance.

[29]           Enfin, la défenderesse souligne que l’agent d’audience a dûment tenu compte du but et de l’objet de l’article 45 de la Loi, qui est d’éliminer le « bois mort » du registre, et non de radier des marques de commerce en usage. L’agent d’audience était conscient du fait que les procédures relatives à l’article 45 se veulent des procédures sommaires et expéditives et, qu’à ce titre, le critère en matière de preuve n’est pas exigeant. La défenderesse ajoute que les circonstances spéciales prévues au paragraphe 45(3) de la Loi devraient comprendre les circonstances dans lesquelles un propriétaire inscrit suit activement son modèle d’affaires afin d’établir une entreprise et commencer à employer sa marque de commerce, même si la stratégie nécessite plus de trois ans pour produire des résultats, surtout lorsque la période de non-emploi est relativement courte.

V.                Analyse

[30]           Comme la demanderesse met en doute l’interprétation du droit faite par l’agent d’audience, il est utile d’examiner les principes juridiques applicables. L’objet de l’article 45 de la Loi a été exposé dans la décision Philip Morris c Imperial Tobacco Ltd (1987), 8 FTR 310, 13 CPR (3d) 289, à la page 293 (CF 1re inst) :

Il est bien établi que le but et l’objet de l’article 44 [maintenant l’article 45] sont d’assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort ». L’article 44 ne prévoit pas de décision sur la question de l’abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l’emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d’emploi. La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l’enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation conformément à l’article 44. Si l’usager est fiable, la preuve déposée en réponse à l’avis doit « indiquer » que la marque est employée ou, du moins, se rapporter à des faits dont on peut déduire un tel emploi.

[31]           Selon le paragraphe 45(3) de la Loi, une marque de commerce qui n’a pas été employée au cours de la période de trois ans visée sera radiée à moins que le propriétaire inscrit puisse établir que le défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi. Les principes directeurs régissant l’examen de la question de savoir si des circonstances spéciales existent et si elles peuvent justifier le défaut d’emploi ont été énoncés dans les affaires John Labatt, Harris Knitting et Scott Paper.

[32]           Dans la décision John Labatt, au para 29, la Cour fédérale a déclaré que les circonstances spéciales [traduction] « s’entendent de circonstances inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles ».

[33]           Dans l’extrait suivant de l’arrêt Harris Knitting, aux pages 492 et 493, la Cour d’appel fédérale a énoncé les principes directeurs applicables à un examen fondé sur le paragraphe 45 (3) de la Loi :

Suivant l’article 44 [maintenant l’article 45], lorsqu’il appert de la preuve fournie au registraire que la marque de commerce n’est pas employée, le registraire doit ordonner la radiation de l’enregistrement de cette marque à moins que la preuve ne révèle que le défaut d’emploi « a été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient » (« due to special circumstances that excuse such absence of use »). La règle générale, c’est donc que le défaut d’emploi d’une marque est sanctionné par la radiation. Pour que l’on puisse faire exception à cette règle, il faut, suivant le paragraphe 44(3), que le défaut d’emploi soit attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient ou l’excusent. Au sujet de ce texte, remarquons d’abord que les circonstances dont il parle doivent justifier ou excuser le défaut d’emploi en ce sens qu’elles doivent permettre de conclure que, dans un cas particulier, le défaut d’emploi ne doit pas être « puni » par la radiation. Ces circonstances doivent être « spéciales » [Voir John Labatt v. Cotton Club Bottling Co., 25 C.P.R. (2d) 115.] car il doit s’agir de circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des cas de défaut d’emploi d’une marque. Enfin, ces circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi doivent, suivant le paragraphe 44(3), être des circonstances auxquelles le défaut d’emploi est attribuable. C’est dire que pour juger, dans un cas donné, si le défaut d’emploi doit être excusé, il faut s’interroger sur les motifs du défaut d’emploi et se demander si ces motifs sont tels qu’il faille faire exception à la règle générale suivant laquelle l’enregistrement d’une marque non employée doit être radié. J’ajoute enfin que le défaut d’emploi qui doit être ainsi justifié est le défaut d’emploi avant que le propriétaire ne reçoive l’avis du registraire.

Il est impossible de dire de façon de façon précise ce que doivent être les circonstances dont parle le paragraphe 44(3) pour justifier le défaut d’emploi d’une marque. On peut cependant souligner l’importance à cet égard de la durée du défaut d’emploi et de la probabilité qu’il se prolonge longtemps; en effet, des circonstances peuvent justifier un défaut d’emploi pour un bref laps de temps sans pour autant justifier un défaut d’emploi prolongé. Il est capital, aussi, de savoir dans quelle mesure le défaut d’emploi est attribuable à la seule volonté du propriétaire de la marque plutôt qu’à des obstacles indépendants de lui. On ne voit pas bien pourquoi on excuserait le défaut d’emploi attribuable à la seule volonté du propriétaire de la marque.

[Je souligne]

[34]           Dans Lander Co c Alex MacRae and Co (1993), 46 CPR (3d) 417, à la page 420, [1993] ACF n115 (CF 1re inst) (Lander), le juge Rouleau a indiqué que les principes énoncés dans l’arrêt Harris Knitting prévoyaient un critère d’appréciation comprenant trois facteurs :

Le critère applicable en ce qui a trait aux circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque de commerce se dégage de l’arrêt Le registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488, 5 C.I.P.R. 53, 60 N.R. 380 (C.A.F.). Trois facteurs très importants sont à considérer. Premièrement, il faut tenir compte de la durée du défaut d’emploi de la marque de commerce. Deuxièmement, on doit déterminer si ce défaut d’emploi par le propriétaire inscrit s’explique par des circonstances indépendantes de sa volonté. Troisièmement, il faut s’enquérir de l’existence d’une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l’emploi de la marque.

Ce critère comportant trois facteurs a depuis lors été repris et appliqué à maintes reprises comme étant le critère applicable pour déterminer s’il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque de commerce.

[35]           Dans l’arrêt Scott Paper, la question était de savoir si le troisième facteur, soit l’intention de reprendre l’emploi d’une marque de commerce, était suffisant, à lui seul, pour démontrer l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi. La Cour d’appel fédérale a répondu par la négative et elle a souligné la manière dont le droit avait évolué entre le moment où le critère a été énoncé dans Harris Knitting et le moment où ce critère a été exprimé comme comportant trois facteurs dans Lander. La Cour d’appel fédérale a expliqué son interprétation des principes énoncés dans l’arrêt Harris Knitting, et elle s’est écartée de la façon dont ces principes avaient été analysés dans la décision Lander. La Cour d’appel fédérale a énoncé, au paragraphe 22 de son jugement, les quatre principes directeurs suivants :

22        Voici maintenant les conclusions devant, à mon avis, être tirées de l’analyse :

1-        La règle générale porte que le défaut d’emploi est sanctionné par la radiation.

2-        Il existe une exception à la règle générale lorsque le défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales.

3-        Les circonstances spéciales sont des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des cas de défaut d’emploi de la marque.

4-        Les circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi de la marque doivent être les circonstances auxquelles le défaut d’emploi est attribuable.

[36]           De plus, au paragraphe 31, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction entre expliquer un défaut d’emploi et justifier un tel défaut :

31        Il est important de faire une distinction entre expliquer un défaut d’emploi et excuser un défaut d’emploi. Selon le paragraphe 45(3), les « circonstances spéciales » se rapportent aux explications données relativement au défaut d’emploi. Par contre, excuser le défaut d’emploi vise à atténuer les conséquences du défaut d’emploi. La question de savoir si une marque est radiée découle de l’explication donnée du non‑emploi (les circonstances spéciales) et des caractéristiques de cette période. L’erreur de l’agente d’audience principale consistait à ignorer l’explication et à traiter un aspect des circonstances du non‑emploi, soit l’intention de reprendre l’emploi de la marque, comme étant des circonstances spéciales.

[37]           Je comprends de cet examen que les principes énoncés dans les arrêts Harris Knitting et Scott Paper sont complémentaires et mènent à une analyse en trois étapes que le registraire doit effectuer pour déterminer si des circonstances spéciales justifient le défaut d’emploi dans un cas donné.

[38]           Premièrement, il doit identifier la raison qui explique le défaut d’emploi d’une marque de commerce. Autrement dit, le registraire doit déterminer, à la lumière de la preuve, pourquoi le propriétaire inscrit n’a pas employé sa marque de commerce au cours de la période de trois ans.

[39]           Le registraire doit ensuite se demander si les circonstances qui expliquent le défaut d’emploi constituent des « circonstances spéciales ». Pour être considérées comme « spéciales », les circonstances doivent être des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des cas de défaut d’emploi. Elles doivent être inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles.

[40]           Troisièmement, si le registraire est satisfait que le défaut d’emploi de la marque de commerce est attribuable à des « circonstances spéciales», il doit ensuite déterminer si ces « circonstances spéciales » justifient le défaut d’emploi. Pour justifier le défaut d’emploi, les circonstances spéciales doivent être telles que, dans le cas d’espèce, la marque de commerce ne devrait pas être radiée. Pour trancher cette question, le registraire doit tenir compte de trois facteurs: la durée de la période de non‑emploi, la question de savoir si le propriétaire inscrit a l’intention de reprendre à brève échéance l’emploi de la marque et, surtout, la question de savoir si le défaut d’emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de sa volonté. Ce dernier facteur est essentiel.

[41]           La demanderesse allègue que l’agent d’audience n’a pas énoncé et appliqué le bon critère juridique. Je conviens que l’agent d’audience a indiqué qu’il appliquerait le critère comportant les facteurs découlant de l’arrêt Harris Knitting, tels qu’ils ont été exprimés dans Lander, et qu’il ne s’est pas d’abord demandé si le défaut d’emploi de la marque était attribuable à des circonstances pouvant être qualifiées de « circonstances spéciales » comme le prescrit Scott Paper. Il ressort par ailleurs de sa décision, qu’il a tout de même tenu compte des principes énoncés dans l’arrêt Scott Paper et la décision John Labatt. L’agent d’audience s’est demandé si les circonstances étaient inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles, mais il s’est posé cette question dans le cadre de son analyse de la question de savoir si les circonstances du défaut d’emploi étaient attribuables à des circonstances indépendantes de la volonté de la défenderesse. J’estime donc que l’agent d’audience a commis une erreur dans son énonciation du critère juridique applicable, mais que cette erreur n’est pas déterminante puisque qu’il a tout de même abordé les éléments qui étaient pertinents.

[42]           Je considère par ailleurs que l’appréciation que l’agent d’audience a fait des facteurs prescrits à la lumière de la preuve était déraisonnable et justifie l’intervention de la Cour.

[43]           Je reconnais qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du tribunal (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59, [2009] 1 RCS 339). Toutefois, je suis d’avis, pour les motifs que j’exposerai ci‑dessous, que la preuve, prise dans son ensemble, n’étaye pas les conclusions de l’agent d’audience et n’offre pas de fondement acceptable à sa décision (Lester (WW) (1978) Ltd c Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 RCS 644, [1990] ACS n127 au para 50; Conseil de l’éducation de Toronto c F.E.E.E.S.O, district 15, [1997] 1 RCS 487 au para 45, [1997] ACS n27 (Conseil de l’éducation de Toronto); Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 au para 99, [2014] ACF n472.

[44]           En l’espèce, le caractère déraisonnable de la décision de l’agent d’audience ne peut être constaté qu’après un examen de la preuve au dossier. Les observations suivantes formulées par le juge Cory dans l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto s’appliquent directement à la présente affaire :

47        Pour déterminer si la décision d’un tribunal administratif est manifestement déraisonnable, une cour de justice peut examiner le dossier afin de découvrir le fondement des conclusions de fait ou de droit qu’a tirées le tribunal et qui sont contestées. Comme a fait observer le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la majorité dans National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la p. 1370, « [d]ans certains cas, le caractère déraisonnable d’une décision peut ressortir sans qu’il soit nécessaire d’examiner en détail le dossier. Dans d’autres cas, il se peut qu’elle ne soit pas moins déraisonnable mais que cela ne puisse être constaté qu’après une analyse en profondeur. » Dans Lester, précité, notre Cour a examiné le dossier pour déterminer s’il existait quelque élément de preuve pouvant raisonnablement étayer une conclusion de fait particulière tirée par une commission des relations du travail.

48        En conséquence, dans les cas où les conclusions arbitrales en litige reposent sur des inférences tirées de la preuve, il est nécessaire que la cour de justice qui contrôle la décision examine cette preuve. Je précise que cela ne veut pas dire que la cour doit apprécier la preuve comme si elle avait été saisie de la question en premier lieu. Il faut se rappeler que, même si la cour de justice n’est pas d’accord avec la façon dont le tribunal administratif a apprécié la preuve et tiré ses conclusions, c’est uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d’étayer les conclusions du tribunal que la cour peut substituer son opinion à celle du tribunal.

[Je souligne]

[45]           Dans la première étape de son analyse, l’agent d’audience devait identifier les raisons qui expliquaient le défaut d’emploi de la marque. Il a conclu que la défenderesse avait été proactive et diligente dans les efforts qu’elle avait déployés pour trouver un emplacement, et il a jugé que son incapacité de trouver un emplacement pour un établissement STK découlait des décisions prises par le groupe hôtelier Gansevoort et le groupe hôtelier Thompson de ne pas donner suite à leur projet d’hôtel respectif à Toronto.

[46]           Je considère que la preuve ne permet pas raisonnablement de conclure que le non-emploi de la marque était attribuable aux décisions prises par les groupes hôteliers Gansevoort et Thompson.

[47]           Au cours de la période pertinente, la défenderesse a eu des discussions avec plusieurs organisations. La preuve démontre que le groupe hôtelier Gansevoort et le groupe hôtelier Thompson sont deux des organisations parmi les nombreuses autres avec qui la défenderesse a tenu des discussions. Il ressort également que les discussions avec ces deux groupes ont eu lieu au début de la période de référence de trois ans.

[48]           Les discussions que M. Segal a eues avec le groupe hôtelier Gansevoort ont commencé sept mois avant le début de la période pertinente et la preuve n’est pas claire quant à la date à laquelle elles ont pris fin. On peut cependant déduire des déclarations figurant dans l’affidavit de M. Segal, que ces discussions ont pris fin, ou à tout le moins que monsieur Segal a compris qu’il n’en résulterait pas d’entente, en mai 2009 lorsqu’il a entamé des négociations avec Ocean Port Management Ltd.

[49]           Quant aux discussions que M. Segal a eues avec le groupe hôtelier Thompson, elles ont eu lieu en octobre et en novembre 2009 et se sont vraisemblablement terminées en décembre 2009, lorsque M. Segal a amorcé des discussions avec le Westmont Hospitality Group, de Toronto.

[50]           Par conséquent, les discussions que la défenderesse a eues avec les deux groupes se sont vraisemblablement terminées à la fin de la première année de la période de référence. De plus, la preuve n’indique pas si des ententes ont été conclues ou étaient sur le point de se conclure lorsque les deux groupes hôteliers ont décidé de ne pas aller de l’avant avec leurs projets respectifs.

[51]           De plus, et tel que je l’ai indiqué, la preuve démontre également que les discussions que la défenderesse a eues avec les groupes hôteliers Gansevoort et Thompson ont été suivies par d’autres discussions avec d’autres organisations. La preuve est toutefois vague et générale quant aux raisons pour lesquelles ces discussions n’ont pas abouti à des ententes. Dans son affidavit, M. Segal s’est limité à affirmer que la recherche d’un emplacement n’avait pas portée fruit pour diverses raisons. Il a indiqué à titre d’exemple que dans un cas l’hôtel dans lequel la défenderesse entendait ouvrir un établissement n’a jamais été construit en raison des mauvaises conditions économiques, alors que dans d’autres cas, les parties n’avaient pas réussi à s’entendre sur les modalités des baux. J’en comprends qu’outre les discussions avec les groupes hôteliers Gansevoort et Thompson, les discussions que M. Segal a eues avec diverses organisations n’ont pas abouti tout simplement parce que les parties ne se sont pas entendues ou pour des raisons qui demeurent inexpliquées.

[52]           Je reconnais que la charge de la preuve dans une procédure relative à l’article 45 n’est pas très lourde, mais il ne faut pas oublier que la radiation d’une marque de commerce qui n’a pas été employée au cours de la période pertinente est la règle générale et que le maintien de l’enregistrement d’une telle marque de commerce est l’exception. Il faut donc que la preuve soit suffisante et assez détaillée pour permettre l’analyse des facteurs élaborés par la jurisprudence.

[53]           Dans l’arrêt Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers (1980) 53 CPR (3d) 62, à la page 66, [1980] ACF n198 (CAF) (Plough), le juge en chef Thurlow, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a exposé de la manière suivante le besoin d’informer de façon détaillée le registraire de la situation qui existe concernant l’emploi :

Le paragraphe 44(1) [maintenant le paragraphe 45(1)] exige qu’il soit fourni au registraire un affidavit ou une déclaration statutaire « indiquant », et non simplement énonçant, si la marque de commerce est employée, c’est‑à‑dire décrivant l’emploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l’expression « marque de commerce » à l’article 2 et de l’expression « emploi » à l’article 4. Cela ressort clairement des termes du paragraphe en question puisqu’il exige que le propriétaire inscrit fournisse un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services de spécifier l’enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d’indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l’enregistrement, mais aussi de l’informer quant à l’emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3). Il n’est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s’il ne l’emploie pas, c’est‑à‑dire s’il ne l’emploie pas du tout ou s’il ne l’emploie pas à l’égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.

[Je souligne]

[54]           Dans la décision 88766 Canada Inc c Monte Carlo Restaurant Ltd, 2007 CF 1174 au para 8, [2007] ACF n1527, le juge Pinard a mentionné que « [l]es circonstances spéciales de l’article 45 créent une obligation auprès du registraire de s’assurer que la preuve fournie est solide et fiable ». Dans la décision Jose Cuervo SA de CV c Bacardi & Co, 2009 CF 1166 au para 56, [2009] ACF n1469, confirmée par 2010 CAF 248, [2010] ACF n1208, le juge Kelen a réitéré que « [l]’invocation de circonstances spéciales justifiant le non usage de la marque doit être étayée par une preuve digne de foi suffisamment précise et détaillée pour que les affirmations du propriétaire inscrit aient une assise ».

[55]           Dans le contexte du présent dossier, j’estime que la preuve soumise par la défenderesse n’était pas suffisante ni assez détaillée pour soutenir une conclusion suivant laquelle le non-emploi de la marque était attribuable à des décisions prises par des tiers. L’inférence la plus favorable que je suis en mesure de tirer de la preuve, et c’est sans considérer le manque de détails de la preuve relativement aux discussions que M. Segal a eu avec les groupes hôteliers Gansevoort et Thompson, c’est qu’au début de la période de référence, la défenderesse a discuté avec deux locateurs potentiels qui ont décidé d’abandonner leurs projets respectifs. Toutefois, lorsque la preuve est analysée dans son ensemble, en tenant compte des discussions que M. Segal a eu avec d’autres organisations et qui n’ont pas donné de résultats pour des raisons inexpliquées, je considère que la preuve ne permet pas de raisonnablement conclure que le non-emploi de la marque pendant la période de référence était attribuable aux décisions des groupes hôteliers Gansevoort et Thompson.

[56]           En ce qui concerne la deuxième étape de l’analyse, l’agent d’audience a estimé que les circonstances qui expliquent le défaut d’emploi de la marque étaient des « circonstances spéciales », c’est-à-dire qu’elles étaient inhabituelles, peu courantes et exceptionnelles, et ce en raison de leur nature cumulative. Avec égard, j’estime que la preuve ne pouvait raisonnablement soutenir une telle conclusion.

[57]           D’abord, tel que je l’ai déjà mentionné, les discussions avec les groupes hôteliers Gansevoort et Thompson ont été suivies par d’autres discussions avec plusieurs autres organisations qui n’ont pas portée fruit pour des raisons inexpliquées.

[58]           D’autre part, la preuve démontre clairement que le modèle d’affaires sur lequel la défenderesse se fonde pour ouvrir de nouveaux établissements STK comporte un long processus. Dans son affidavit, M. Segal a indiqué qu’il fallait souvent compter des années pour trouver le bon emplacement et négocier avec les locateurs et donc que l’ouverture d’un établissement STK était le fruit d’un long processus qui pouvait prendre plusieurs années. Il a précisé que les recherches et les négociations avaient duré deux ans pour les établissements de New York et Los Angeles, trois ans pour les établissements de Miami et Atlanta et quatre ans pour l’établissement de Las Vegas.

[59]           Il ressort clairement de la preuve de M. Segal qu’il n’y avait rien d’inhabituel, de peu courant ou d’exceptionnel au fait que la défenderesse n’avait pas réussi à trouver un emplacement qu’elle jugeait convenable pour ouvrir un bar et restaurant STK au cours de la période de trois ans visée. Dans son affidavit, M. Segal a lui-même affirmé qu’il n’était pas surprenant que la défenderesse [traduction] « effectue des recherches et mène des négociations en vain au Canada depuis plus de trois ans ».

[60]           Par conséquent, je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour soutenir une conclusion suivant laquelle en raison de leur nature cumulative, les circonstances expliquant le défaut d’emploi de la marque étaient inhabituelles, peu courantes ou exceptionnelles.

[61]           L’agent d’audience a conclu que les efforts déployés par la défenderesse étaient conformes à l’intention du législateur d’accorder un délai raisonnable pour commencer à employer à la marque au Canada. Il convient cependant de souligner que le législateur considérait qu’une période de trois ans était un délai de démarrage suffisant. Au-delà de cette période, pour éviter la radiation, il faut que quelque chose d’exceptionnel vienne expliquer le défaut d’emploi. Le fait qu’un modèle d’affaires implique un délai de démarrage plus long que trois ans n’est pas en soi une circonstance qui est inhabituelle, peu courante ou exceptionnelle, ni une circonstance qui ne se retrouve pas dans la majorité des cas de défaut.

[62]           Compte tenu de ma décision relativement à la conclusion de l’agent d’audience au sujet de l’existence de « circonstances spéciales », il n’est pas nécessaire que je poursuive mon analyse pour déterminer si les circonstances pouvaient justifier le non-emploi de la marque. J’estime toutefois qu’il est pertinent que je procède à cet examen puisqu’il met en cause la principale conclusion de l’agent d’audience et que mon analyse découle de mes conclusions précédentes.

[63]           L’agent d’audience a conclu que les circonstances expliquant le défaut d’emploi de la marque étaient indépendantes de la volonté de la défenderesse. Il a ajouté que, compte tenu de la nature des services en cause et de la période de non-emploi relativement courte, les circonstances s’apparentaient au cas où la perte d’un distributeur ou d’un maillon semblable dans la chaîne commerciale avait été considérée comme des circonstances spéciales justifiant un défaut d’emploi pendant un certain temps.

[64]           Pour les mêmes raisons que celles que j’ai exprimées en regard de la première étape de l’analyse, je considère que la preuve ne permet pas raisonnablement d’étayer la conclusion suivant laquelle les circonstances qui expliquent le non-emploi de la marque étaient indépendantes de la volonté de la défenderesse.

[65]           Comme je l’ai indiqué, mis à part les discussions que la défenderesse a eues avec le groupe hôtelier Gansevoort et le groupe hôtelier Thompson, nous ne savons pas pourquoi les négociations avec les autres entités n’ont pas mené à des ententes. Quant aux discussions avec le groupe hôtelier Gansevoort et le groupe hôtelier Thompson, comme je l’ai déjà mentionné, la preuve ne révèle pas si les parties étaient près de conclure une entente lorsque les projets hôteliers ont été annulés, et ces discussions ont eu lieu au cours de la première année de la période de trois ans. La défenderesse avait donc encore amplement le temps de poursuivre ses recherches et d’entreprendre des discussions avec d’autres organisations. L’affidavit de M. Segal révèle que la défenderesse a effectivement rencontré plusieurs autres organisations après l’échec des négociations avec le groupe hôtelier Gansevoort et le groupe hôtelier Thompson. Par conséquent, je ne pense pas que la preuve, dans son ensemble, permettait raisonnablement de conclure que le fait que la défenderesse n’avait pas commencé à employer sa marque de commerce était attribuable à des circonstances indépendantes de sa volonté.

[66]           Je conviens plutôt avec la demanderesse que ces circonstances étaient attribuables à des décisions et à des choix commerciaux de la défenderesse qui, bien qu’ils soient légitimes, ne peuvent pas être considérés comme indépendants de sa volonté.

[67]           J’estime également qu’il est difficile de faire un parallèle entre les circonstances de l’espèce et celles qui prévalaient dans Ridout, Hugo Boss, Labelmasters et Rogers, Bereskin & Parr, sur lesquelles l’agent d’audience s’est appuyé.

[68]           Tout d’abord, ces décisions ont toutes été rendues avant que la Cour d’appel fédérale ne rende l’arrêt Scott Paper, dans lequel elle a conclu que le facteur selon lequel les circonstances devaient être indépendantes de la volonté de l’inscrivant était un facteur essentiel. Ensuite, les circonstances dans ces affaires étaient différentes des circonstances en l’espèce.

[69]           Dans Ridout, le registraire a refusé de radier la marque de commerce FANTASY de Sealy, qui avait été enregistrée en liaison avec des matelas et des sommiers à ressorts. Il ressortait de la preuve que, pendant huit ans, la ligne de matelas et de sommiers à ressorts FANTASY avait été vendue par l’entremise d’un détaillant exclusif, Eaton, mais que l’entente avec Eaton avait pris fin en novembre 1993. La preuve ne faisait aucune mention de la raison pour laquelle l’entente avec Eaton avait pris fin. Cependant, la preuve démontrait que l’inscrivante avait essayé de trouver un autre détaillant exclusif et qu’elle avait conclu une entente avec The Brick juste avant la fin de la période de trois ans. Il a aussi été établi que l’emploi de la marque de commerce avait repris peu de temps après la fin de la période.

[70]           Le registraire a jugé que la fin de l’entente avec Eaton avait eu un effet perturbateur sur l’emploi de la marque et que cela constituait des circonstances indépendantes de la volonté de l’inscrivante qui justifieraient une certaine période de non‑emploi. Il a également conclu que le facteur lié à l’intention de reprendre l’emploi de la marque était satisfait parce qu’un nouveau distributeur avait été trouvé avant la fin de la période de référence et que l’emploi de la marque avait repris peu après.

[71]           Cette décision a été contestée devant la Cour (Ridout & Maybee c Sealy Canada Ltd, (1999) 171 FTR 69, 87 CPR (3d) 307 (CF)). Le juge Lemieux a confirmé la décision qu’a rendue le registraire après avoir conclu que sa décision relativement au facteur lié à l’intention de reprendre l’emploi de la marque était satisfait. Il ressort toutefois du jugement, que la Cour a jugé que la preuve soumise était insuffisante pour appuyer la conclusion du registraire selon laquelle les circonstances du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté de l’inscrivante. L’extrait suivant des motifs du juge Lemieux est intéressant :

40        Le deuxième critère est que le défaut d’emploi doit être indépendant de la volonté du propriétaire inscrit. Encore ici, je partage l’avis de l’avocat de l’appelante sur le fait que l’affidavit de M. Dunlop n’établit pas que le non‑emploi était indépendant de la volonté de Sealy. L’affidavit de M. Dunlop fait allusion à la cessation en novembre 1993 de l’accord d’exclusivité avec Eaton pour la vente au détail et aux efforts de Sealy pour trouver un autre détaillant exclusif ou pour renouer l’accord de vente au détail avec Eaton, efforts affectés par le ralentissement économique.

41        À mon avis, l’affidavit de M. Dunlop ne satisfait pas au critère défini dans Plough Canada (précitée). Il manque de détails et de précisions; ses omissions sont importantes également. L’affidavit de M. Dunlop ne précise pas, par exemple, qui (de Sealy ou de Eaton) a mis fin à l’accord d’exclusivité ni les motifs de la rupture de l’entente. L’affidavit de M. Dunlop ne précise pas pour quelle raison Sealy n’a pas pu continuer de vendre des matelas et sommiers à ressorts à d’autres commerces de détail au cours de la période de non‑emploi. Trois ans ou plus d’arrêt de production et de vente représentent une période très longue pour un fabricant. L’affidavit de M. Dunlop ne fournit pas de détails sur les activités de développement continu de nouveaux produits ni sur la nature des pourparlers suivis avec Eaton ou avec un nouveau détaillant. Sealy ne dit pas si elle a continué de produire et de vendre des matelas et des sommiers à ressorts sous une ligne de produits autre que FANTASY.

[…]

43        Il incombait à Sealy d’en faire la preuve. À mon avis, Sealy n’a pas établi que sa décision de ne pas employer la marque FANTASY n’était pas volontaire. À cet égard, la présente affaire est similaire à la décision du juge Richard (tel était alors son titre) dans l’affaire Edwin Co. c. 176718 Canada Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 464 (C.F. 1re inst.).

44        S’agissant du deuxième facteur, j’estime que c’est à tort que le registraire a considéré que le défaut d’emploi de la marque était indépendant de la volonté de Sealy. Il ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants pour être en mesure de tirer cette conclusion.

[Je souligne]

[72]           Compte tenu de la conclusion du juge Lemieux selon laquelle le défaut d’emploi n’était pas attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté de l’inscrivante, je ne vois pas comment l’affaire Ridout peut étayer la décision de l’agent d’audience. Au contraire, j’estime que l’affaire comporte de nombreuses similitudes avec la présente affaire, et que la décision de la Cour souligne l’importance, pour un propriétaire inscrit, de fournir une preuve détaillée à l’appui d’une allégation ayant trait à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi.

[73]           Dans l’affaire Hugo Boss, les circonstances étaient différentes de celles en l’espèce. Tout d’abord, l’inscrivante avait acheté la marque de commerce 29 mois après le début de la période de trois ans, et la registraire a estimé que la période de non-emploi visée par l’examen devait commencer à la date d’acquisition de la marque. Par conséquent, la période de non-emploi n’était que de sept mois, et non de trois ans comme en l’espèce. De plus, contrairement à la présente affaire, la registraire a mentionné que la propriétaire de la marque avait déposé un affidavit dans lequel le déposant avait détaillé les mesures qu’elle avait prises et les difficultés qu’elle avait rencontrées dans sa recherche d’un fournisseur disposant d’une capacité de fabrication suffisante pour répondre à la demande du produit et respecter ses normes de qualité. La preuve montrait également que la propriétaire de la marque avait trouvé un fournisseur peu de temps après avoir reçu l’avis prévu à l’article 45 et qu’elle avait effectivement commencé à employer la marque de commerce quelques mois après la date de l’avis. Par conséquent, la registraire a estimé que la propriétaire de la marque avait démontré que le défaut d’emploi n’avait été que de courte durée, qu’elle avait l’intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque et que le temps qui s’était écoulé avant que la marque de commerce commence à être employée était indépendant de sa volonté.

[74]           L’affaire Labelmasters n’appuie pas non plus la décision de l’agente d’audience : il ne s’agit pas d’une affaire où la perte d’un distributeur avait été considérée comme une circonstance justifiant le défaut d’emploi. Dans l’affaire Labelmasters, la propriétaire de la marque avait suspendu l’emploi de sa marque en attendant l’issue du litige qui l’opposait à son distributeur. Bien que l’agente d’audience ait dit que la perte d’un distributeur [traduction« pouvait constituer une circonstance spéciale de nature à justifier le défaut d’emploi » (au para 108), elle a rejeté cette possibilité compte tenu des faits de l’affaire. L’agente d’audience a conclu que le défaut d’emploi était attribuable à la décision délibérée de la propriétaire de la marque de ne pas nommer un autre distributeur. Par conséquent, les faits de l’affaire Labelmasters n’étayent aucunement la décision de l’agent d’audience en l’espèce.

[75]           Dans la décision Rogers, Bereskin & Parr, la Cour a conclu que la décision du registraire de maintenir l’enregistrement était raisonnable. L’explication donnée relativement à une période de non-emploi de deux ans et demi était fondée sur les mauvaises conditions économiques et sur le besoin de rénover des installations de production. La Cour a conclu que la preuve soumise quant au défaut d’emploi était précise et qu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 44(3) (maintenant le paragraphe 45(3)) et de l’arrêt Plough. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, en l’espèce, la preuve présentée à l’agent d’audience était insuffisante et pas suffisamment détaillée pour qu’une telle conclusion puisse être tirée.

[76]           En revanche, je conviens avec la demanderesse que le contexte de la présente affaire est semblable à celui de l’affaire Johnston Wassenaar, où la registraire a conclu qu’il n’existait aucune circonstance spéciale justifiant le défaut d’emploi. Dans cette affaire, la preuve établissait que le défaut d’emploi était attribuable au fait que la propriétaire de la marque n’avait pas pu trouver des licenciés de la marque et des emplacements convenables au Canada pour ses restaurants et hôtels. Dans un cas, la propriétaire de la marque avait entamé des négociations, mais, en raison du contexte économique difficile, n’avait pas réussi à conclure une entente. Dans un autre cas, le projet proposé comportait des travaux de restauration et de rénovation, mais le gouvernement du Québec avait refusé qu’on l’on procède à ces travaux. La propriétaire de la marque alléguait que le projet était toujours en cours; toutefois, elle n’a pas fourni de détails concernant l’évolution de la situation. Même en tenant compte que deux ententes négociées ne s’étaient pas concrétisées pour des raisons indépendantes de la volonté de la propriétaire de la marque, la registraire a refusé de qualifier les circonstances de circonstances indépendantes de sa volonté. Elle a conclu que le défaut d’emploi de la marque de commerce découlait de décisions commerciales délibérées. La registraire a ajouté ce qui suit : « je ne vois pas bien pourquoi on excuserait le défaut d’emploi attribuable à la seule volonté du propriétaire de la marque de commerce de trouver des licenciés et des emplacements convenables pour ses établissements » (au paragraphe 13). La registraire a aussi conclu que la preuve de la propriétaire de la marque concernant son intention de reprendre l’emploi de la marque à brève échéance était vague et insuffisante.

[77]           Je reconnais que chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres, mais les faits dans l’affaire Johnston Wassenaar et ceux dans la présente affaire comportent de nombreuses similitudes. Entre outre, dans l’affaire Johnston Wassenaar, bien que la preuve démontre que la propriétaire de la marque avait conclu des ententes concernant l’emploi de sa marque, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la registraire a refusé de conclure que les raisons du non‑emploi constituaient des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi.

[78]           Je suis également d’avis qu’il y a peu d’éléments de preuve qui permettent de soutenir la conclusion de l’agent d’audience selon laquelle la défenderesse a établi son intention de reprendre l’emploi de la marque à brève échéance. La période pertinente s’étendait du 3 octobre 2008 au 3 octobre 2011 et l’avis a été délivré le 3 octobre 2011. La preuve démontre que, six mois suivant l’avis prévu à l’article 45, la défenderesse n’était pas encore parvenue à conclure une entente concernant un emplacement où elle pourrait ouvrir un établissement STK. En effet, dans l’affidavit qu’il a souscrit le 25 avril 2012, M. Segal a indiqué qu’il avait seulement [traduction] « bon espoir » qu’une entente puisse être conclue et que la défenderesse puisse commencer à employer la marque de commerce à la fin de l’année 2012 ou au début de l’année 2013. La preuve démontre donc tout au plus une possibilité que l’emploi de la marque débute plus d’un an après la fin de la période de référence. Je considère que ce contexte est fort différent de celui qui prévalait dans les affaires Ridout, Hugo Boss et Rogers, Bereskin & Parr.

[79]           Pour tous ces motifs, je considère que dans les circonstances particulières de la présente affaire, la conclusion de l’agent d’audience ne peut pas se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux para 47 à 49, [2008] 1 RCS 190).

[80]           Pour tous ces motifs, l’appel sera accueilli.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      L’appel est accueilli;

2.      La décision que le registraire des marques de commerce a rendue le 28 janvier 2014 à l’égard de la marque de commerce STK est annulée;

3.      Il est ordonné au registraire des marques de commerce de radier l’enregistrement LMC 722,923 du registre des marques de commerce;

4.      Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-776-14

 

INTITULÉ :

GOUVERNEUR INC c THE ONE GROUP LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 septembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 3 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Marcel Naud

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jaimie Bordmand

David M. Wray

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

R. William Ray & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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