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Date : 20150213


Dossier : T‑1360‑14

Référence : 2015 CF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2015

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

THE BLACK & DECKER CORPORATION

ET STANLEY BLACK & DECKER CANADA CORPORATION

demanderesses

et

PIRANHA ABRASIVES INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Le contexte

[1]      La demanderesse, Black & Decker Corporation [B&D Corporation], est propriétaire des enregistrements canadiens de marque de commerce relatifs à PIRANHA (LMC 330222), PIRANHA et dessin (LMC 330223) et PIRANHA et dessin (LMC 452371) [les marques de commerce PIRANHA des demanderesses]. Les numéros LMC 330222 et LMC 330223 ont été enregistrés le 17 juillet 1987, et les déclarations d’emploi correspondantes ont été produites le 6 mai 1987 en liaison avec des « lames pour scies électriques et lames pour scies circulaires ». Le numéro LMC 452371 a été enregistré le 29 décembre 1995, et la déclaration d’emploi correspondante a été déposée le 14 novembre 1995 en liaison avec des « lames pour scies électriques et lames pour scies circulaires ».

[2]      Les marques de commerce PIRANHA et dessin des demanderesses sont reproduites ci‑dessous :

                               

                         LMC 330223                                                          LMC 452371

[3]      Les demanderesses sont d’avis que la marque de commerce PIRANHA et dessin antérieure (LMC 330223), applicable à des scies électriques et à des lames pour scies circulaires, [le dessin‑marque PIRANHA antérieur] a continué d’être employée du fait de l’emploi ultérieur de la marque de commerce PIRANHA et dessin (LMC 452371) qui a été enregistrée plus tard [le dessin‑marque PIRANHA ultérieur]. Cependant, aucune preuve d’emploi de la marque PIRANHA et dessin antérieure n’a été produite à la Cour et, à l’audience, l’avocate des demanderesses a convenu que ses clientes étaient disposées à se fonder sur la marque nominale PIRANHA et le dessin‑marque PIRANHA ultérieur. À mon avis, il s’agit là d’un choix avisé, car l’argument selon lequel le dessin‑marque PIRANHA ultérieur constitue un usage du dessin‑marque PIRANHA antérieur est dénué de fondement.

[4]      Pour les besoins de la présente demande, j’appellerai les deux marques de commerce en cause des demanderesses (la marque nominale PIRANHA et le dessin‑marque PIRANHA ultérieur) les « marques PIRANHA des demanderesses ».

[5]      Les marques PIRANHA des demanderesses ont été employées en liaison avec des lames pour scies électriques et des lames pour scies circulaires, sans restriction quant au type ou à la forme de ces deux types de lames. Les prix de leurs produits varient de 10 $ à 30 $, et ces produits sont disponibles en acier, en carbure ou en carbure plus, et ils sont recommandés pour des travaux de nature générale, des coupes rapides et des travaux de finition à base de bois, de contreplaqué, de PFDM, de panneaux de particules, de plastique et de matériaux composites. Ils peuvent être utilisés avec diverses scies électriques.

[6]      La demanderesse Stanley Black & Decker Canada Corporation [B&D Canada] a été autorisée par B&D Corporation à employer les marques de commerce PIRANHA au Canada. Des lames pour scies circulaires et des lames pour scies sauteuses portant les marques de commerce des demanderesses sont vendues dans tout le Canada par l’intermédiaire de quincailleries et de détaillants nationaux bien connus depuis mai 1987 (dans de la marque nominale PIRANHA) et depuis novembre 1995 (dans le cas du dessin‑marque PIRANHA ultérieur), les marques PIRANHA des demanderesses auraient acquis ainsi une réputation et un achalandage en liaison avec ces produits.

[7]      Depuis quelques années, les ventes au Canada des produits PIRANHA des demanderesses sont en baisse constante. Elles ont atteint un pic de 606 583 $ en 2004, mais sont tombées à 55 823 $ en 2013 et à un montant extrapolé de 9 273 $ en 2014.

[8]      Bien que l’emploi actuel des demanderesses concerne les lames pour scies circulaires et les lames pour scies électriques principalement conçues pour le coupage du bois ou de matériaux liés au bois, les enregistrements leur permettent d’employer les marques PIRANHA en liaison avec des lames pour scies circulaires et des lames pour scies électriques conçues pour couper n’importe quel matériau, dont le marbre, le granit, le verre, la porcelaine, les carreaux de céramique ou le béton.

[9]      Les lames pour scies circulaires PIRANHA des demanderesses sont vendues en liaison avec leur marque BLACK & DECKER. Les demanderesses vendent également, sous leurs noms de marque BLACK & DECKER, deWALT et ABMAST, des lames abrasives pour scies circulaires conçues pour couper le béton, la pierre et les carreaux de céramique. En 2012, la société mère des demanderesses a fait l’acquisition d’Abmast Inc., un fabricant canadien de lames abrasives pour scies circulaires, et elle aurait l’intention de vendre en sous‑marque au Canada les lames abrasives Abmast avec les marques PIRANHA des demanderesses. Toutefois, à ce stade‑ci, cet emploi projeté est hypothétique.

[10]  Non seulement les marchandises enregistrées des demanderesses et les marchandises de la défenderesse sont‑elles dans les deux cas des lames circulaires pour scies électriques, mais elles sont également vendues à prix semblables, parfois dans des voies commerciales semblables et, éventuellement, aux mêmes consommateurs.

[11]  La gamme des lames pour scies circulaires PIRANHA des demanderesses coûte entre 10 $ et 30 $. Le prix moyen d’une lame de la défenderesse est incertain, car cette dernière ne fait pas de distinction entre les ventes de ses lames abrasives pour scies et les autres produits qu’elle vend au Canada.

[12]  Tant les lames de marque PIRANHA des demanderesses que les lames de marque PIRANHA de la défenderesse sont des lames pour scies circulaires qu’il est possible d’utiliser avec certains des mêmes outils électriques.

[13]  Tant les lames pour scies circulaires de marque PIRANHA des demanderesses que les lames pour scies circulaires PIRANHA ABRASIVE de la défenderesse peuvent être achetées dans des centres de rénovation, des magasins de matériaux de construction et des quincailleries. Dans certains cas, il est possible d’obtenir les lames des demanderesses et de la défenderesse auprès des mêmes détaillants, comme TIM‑BR‑MART et Home Hardware (les magasins Home Hardware comprennent Danforth Lumber, Cooksville Lumber Co. et New Canadians Lumber). Cependant, à certains endroits, la seule façon d’en acheter serait de passer une commande spéciale.

A.                La découverte de la violation alléguée

[14]  C’est en janvier 2014 que les demanderesses ont découvert que Piranha Abrasive Inc. [Piranha Abrasives] employait le nom commercial Piranha Abrasives, de même que les sites Web de la défenderesse et l’emploi en liaison avec des lames abrasives pour scies de la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin faisant l’objet d’une demande de la défenderesse. Le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES de la défenderesse [le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES] est reproduit ci‑dessous. Les demanderesses ont demandé à de multiples reprises à la défenderesse de mettre fin à cet emploi, au motif qu’il causera vraisemblablement de la confusion avec leurs marques de commerce déposées, que cet emploi constitue une commercialisation trompeuse et qu’il diminue la valeur de l’achalandage attaché à leurs marques de commerce PIRANHA.

PIRANHA ABRASIVES & Design

[15]  Après avoir reçu ces demandes, la défenderesse a produit le 3 février 2014 une demande d’enregistrement de PIRANHA ABRASIVES et dessin, reproduite ci‑dessus, soit la demande n1662383, revendiquant son emploi au Canada depuis mai 2010 en liaison avec des [traduction« outils abrasifs diamantés de coupe, de polissage et de meulage » ainsi qu’avec des [traduction« machines de coupe, machines à polissage électriques, fraiseuses, machines à affûter les outils de coupe au diamant et à la pierre, roues d’affûtage de machines à affûter les outils et soudage d’outils de coupe, de polissage et de meulage », sur le fondement d’un emploi projeté. La défenderesse a également engagé des actions en annulation fondées sur l’article 45 à l’encontre des marques de commerce des demanderesses. Selon la preuve d’emploi fournie pour le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES de la défenderesse, celui‑ci est principalement employé en liaison avec des lames abrasives diamantées pour scies circulaires, ainsi que des produits connexes.

B.                 L’entreprise de la défenderesse

[16]  Piranha Abrasives Inc. [la défenderesse] a été constituée en société en mai 2010, et elle exploite ses activités à partir du domicile de M. Pino Cannarozzo (M. Cannarozzo), à Toronto (Ontario). Elle emploie trois travailleurs à temps plein (M. Cannarozzo, son épouse et leur fils), ainsi que deux travailleurs à temps partiel.

[17]  La défenderesse a conçu ses lames abrasives au diamant, ses meules boisseau, ses tampons de polissage et ses mèches creuses de grande qualité, destinées au découpage du granit, du marbre, de la porcelaine, des carreaux de céramique, du verre et du béton, et qu’elle les vend à des entreprises qui vendent ces matériaux en pierre et ces matériaux de construction en liaison avec son dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES.

[18]  La défenderesse vend en tailles multiples les lames abrasives diamantées de forme circulaire servant au coupage du granit, du marbre, de la porcelaine, des carreaux de céramique, du verre, de la pierre et du béton, sur lesquelles figure son dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES. Ces lames peuvent être achetées dans des magasins spécialisés dans la vente de revêtements de sol, de pierre et de carreaux de céramique, ainsi que dans quelques quincailleries et magasins de matériaux de construction domiciliaire de nature plus générale. Le coût moyen d’une lame est incertain, car la défenderesse ne fait pas de distinction entre les ventes de ses lames abrasives pour scies et les autres produits qu’elle vend au Canada.

[19]  Les lames abrasives diamantées de la défenderesse sont de qualité professionnelle et les lames proprement dites sont revêtues de diverses couleurs vives. Ses meules boisseau sont des produits spécialisés qui servent à meuler des matériaux durs, surtout le béton et le granit, à dénuder le béton ainsi qu’à apprêter les planchers de béton. Ses tampons de polissage sont destinés à polir le marbre, le granit ou la pierre artificielle. Ses mèches creuses servent à retirer un cylindre [appelé « carotte »]) de divers matériaux; par exemple, une mèche creuse sert à percer un trou dans une dalle de granit en vue d’y insérer un robinet.

[20]  La défenderesse a commencé à employer le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES en mai 2010.

[21]  Monsieur Cannarozzo détient également les noms de domaine www.piranhaabrasives.com, www.piranhaabrasives.ca et www.piranhapowertools.com. Son fils, Matteo Cannarozzo, détient la page Facebook PIRANHA ABRASIVES.

[22]  La défenderesse a fourni en preuve une lame pour scies circulaires de marque Delta Diamond portant le mot « piranha », et achetée au Canada par M. Snooks auprès d’un distributeur californien. Il a toutefois été reconnu qu’en 25 ans de travail dans le secteur de la rénovation de salles de bain, M. Snooks n’avait jamais utilisé ce produit et ignorait s’il était disponible sur le marché canadien. Monsieur Aloia, pour le compte de la défenderesse, a lui aussi fourni en preuve une lame à grattoir de plancher diamantée de marque Husqvarna portant le mot « piranha », mais il a reconnu qu’en 25 ans d’expérience dans le domaine jamais il n’avait entendu parler de ce produit ni ne l’avait utilisé, pas plus que ce produit n’a une ressemblance quelconque avec une lame pour scies circulaires. Cette preuve d’emploi du mot « Piranha » par une tierce partie a peu de poids ou de pertinence.

[23]  Il ressort de la preuve que les lames des demanderesses et celles de la défenderesse peuvent être achetées et utilisées par le même consommateur, dans le cadre du même projet, quoique à des fins différentes. De plus, des lames à bois et des lames à carreaux de céramique ou à pierre peuvent être employées avec le même outil électrique, mais pas dans le même but.

II.                La demande des demanderesses

[24]  Les demanderesses sollicitent ce qui suit :

a.                   Un jugement déclarant que la défenderesse :

i.                    a usurpé les marques de commerce déposées de la demanderesse B&D Corporation, soit PIRANHA ® (LMC 330222), PIRANHA ET DESSIN ® (LMC 452371) et PIRANHA ET DESSIN ® (LMC 330223) (lesquelles sont plus particulièrement définies dans la présente et désignées ci‑après comme étant les marques de commerce PIRANHA, en contravention des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce [la Loi];

ii.                  a appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’elle a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux des demanderesses, ou l’une quelconque d’entre elles, en contravention de l’alinéa 7 b) de la Loi;

iii.                a employé les marques de commerce PIRANHA de la demanderesse, B&D Corporation, d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage qui y est attaché, en contravention du paragraphe 22(1) de la Loi.

b.                  une injonction permanente;

c.                   la remise ou la destruction de tous les objets employant PIRANHA, PIRANHA ABRASIVE et dessin (les marques de commerce PIRANHA ABRASIVE);

d.                  le retrait de la demande canadienne  de marque de commerce n1662383;

e.                   le transfert à la demanderesse, Black & Decker Corporation, des droits de propriété et de tous les droits d’accès, d’administration et de contrôle liés aux noms de domaine que la défenderesse possède ou contrôle et dans lesquels figurent les marques de commerce PIRANHA ABRASIVES, dont piranhapowertools.ca, piranhapowertools.com, piranhaabrasives.ca, piranhaabrasives.com, ainsi que la page Facebook ® PIRANHA ABRASIVES, de même que toutes les pages Web semblables qui font référence aux marques de commerce PIRANHA ABRASIVES, ou l’une quelconque d’entre elles;

f.                   les dommages subis par les demanderesses ou une comptabilisation des profits réalisés par la défenderesse pour usurpation de marques de commerce, commercialisation trompeuse et dépréciation de l’achalandage;

g.                  les intérêts avant et après jugement, conformément à la Loi sur les Cours fédérales;

h.                  les dépens afférents à la présente demande, adjugés en leur faveur sur la base avocat‑client, plus la TVH;

i.                    toute autre réparation que la présente Cour pourra juger à propos.

[25]  Pour les motifs qui suivent, je conclus comme suit :

a.                   la défenderesse a usurpé les marques de commerce PIRANHA et PIRANHA et dessin, ainsi que les enregistrements de marque de commerce connexes nos LMC 330222 et LMC 452371 de la demanderesse B&D Corporation;

b.                  la demanderesse B&D Corporation n’a pas établi, à l’égard de ses marques de commerce PIRANHA, l’existence d’une réputation suffisante pour justifier une allégation de commercialisation trompeuse;

c.                   la demanderesse B&D Corporation n’a pas établi l’existence d’une dépréciation de l’achalandage attaché à ses marques de commerce déposées par suite de l’emploi, par la défenderesse, de son dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES et du nom commercial Piranha Abrasives, en contravention de l’article 22 de la Loi.

III.             La preuve de la demanderesse

A.                L’affidavit de Jonathan Chong

[26]  Monsieur Chong est un étudiant en droit travaillant l’été au cabinet Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l. Il a acheté trois des lames pour scies des demanderesses portant la marque de commerce « PIRANHA » le 29 mai 2014, dans un magasin Walmart situé au 450, avenue Terminal, à Ottawa (Ontario). Les lames étaient décrites comme suit : [traduction] « PIRANHA, carbure premium, 10 po, lame(s) pour scies circulaires, » chacune au prix de 32,98 $. Monsieur Chong a également acheté quatre autres lames pour scies des demanderesses, décrites comme suit : [traduction] « PIRANHA, carbure, 7¼ po, lame(s) pour scies circulaires », au prix de 15,98 $ chacune.

B.                 L’affidavit d’Anthony Kunkel

[27]  Monsieur Kunkel est un enquêteur privé agréé dont les services ont été retenus par le cabinet Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l. en mai 2014 pour faire enquête sur la défenderesse Piranha Abrasives. Le cabinet lui a demandé de déterminer la nature des activités et des produits de cette entreprise et le temps depuis lequel elle exerce ses activités, et d’acheter une de ses lames  pour scies.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[28]  Monsieur Kunkel a conclu que les lames pour scies abrasives de la défenderesse qui portaient le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES étaient en vente dans un magasin du nom de Gianni’s Tile Gallery. Il ne se souvient pas d’avoir vu à cet endroit de produits Black & Decker, pas plus qu’il n’en a demandé. Il ne s’est pas souvenu non plus d’avoir vu à cet endroit du bois ou des produits du bois à vendre. Il n’a pas fait de recherches sur d’autres distributeurs de Piranha Abrasives.

C.                 L’affidavit de Greg Weston

[29]  Monsieur Weston est gestionnaire de marketing commercial, Attaches et accessoires, auprès de B&D Canada. Selon son témoignage, les lames pour scies de marque Piranha des demanderesses, notamment les lames pour scies circulaires et scies sauteuses, sont fabriquées à l’intention de professionnels et de non‑professionnels et sont faites de matériaux différents (acier, carbure, carbure plus); de plus, suivant l’emploi auquel on les destine, elles varient en force et comptent un nombre de dents différent (de 16 à 60).

[30]  Les produits de marque PIRANHA des demanderesses sont vendus dans des magasins ainsi qu’en ligne, dans tout le Canada. Elles sont également annoncées au pays depuis des années; cependant, M. Weston n’a joint qu’une annonce, datée de juillet 1999, qui a paru dans Hardware Merchandising, de même qu’un emballage de bouteille d’eau de marque PIRANHA utilisé autrefois comme moyen de promotion au Canada, sans date précise de distribution ou d’utilisation.

[31]  Monsieur Weston a joint un tableau illustrant les ventes au Canada des lames de marque Piranha entre 1999 et 2014 (jusqu’au 30 avril 2014).

[32]  Après avoir appris l’existence de Piranha Abrasives Inc., M. Weston a examiné la liste des distributeurs de cette entreprise et a noté les exemples suivants de distributeurs qui offraient des produits venant à la fois des demanderesses et de la défenderesse :

                     Cooksville Lumber Co., Ltd., Mississauga;

                     Danforth Lumber, Toronto;

                     Dragona Flooring Supplies, Mississauga;

                     Dragona Flooring Supplies, Ottawa;

                     New Canadians Lumber, Toronto;

                     Proline Hardware Ltd., Vaughan.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[33]  Monsieur Weston a précisé que le cinquième paragraphe de son affidavit initial aurait dû préciser que les lames pour scies circulaires PIRANHA de Black & Decker ne sont pas conçues pour le coupage de la pierre, de la maçonnerie, du béton ou des carreaux de céramique. Ces types de produits sont vendus dans le cadre d’une autre gamme de produits, appelée Diamond Abrasives, et sous les marques DEWALT et ABMAST. Les lames particulières que l’on vend sous les marques de commerce PIRANHA des demanderesses sont destinées au coupage du bois, des produits du bois et, parfois, du plastique. Elles portent toutes le logo de Black & Decker, des couleurs noire et orange ainsi qu’une image d’une pièce de bois, désignant le matériau pour lequel elles sont conçues. Elles comportent également une mise en garde selon laquelle elles ne doivent pas être utilisées pour la maçonnerie, le béton, le fibrociment, le ciment ou le métal.

[34]  Monsieur Weston a également reconnu qu’il n’utiliserait pas les lames Piranha de B&D pour le coupage d’un matériau autre que le bois.

[35]  Lorsqu’il a fourni sa liste de distributeurs faisant affaire à la fois avec les demanderesses et la défenderesse, M. Weston a reconnu qu’il n’avait pas confirmé s’ils avaient précisément acheté les lames pour scies de marque PIRANHA des demanderesses, à l’exception de New Canadian Lumber.

[36]  Monsieur Weston a également confirmé qu’autant qu’à sa connaissance l’annonce parue en 1999, en dehors du site Web des demanderesses, était la dernière que celles‑ci ont présentée au Canada pour leurs lames pour scies PIRANHA.

(2)               Le réinterrogatoire

[37]  Monsieur Weston a précisé que les professionnels n’achèteraient habituellement pas de lames PIRANHA de Black & Decker dans un magasin Walmart, mais qu’ils le feraient vraisemblablement dans un magasin TIM‑BR Mart et Home Hardware, entre autres distributeurs, à condition qu’elles soient disponibles.

IV.             La preuve de la défenderesse

A.                L’affidavit de Pino Cannarozzo

[38]  Monsieur Cannarozzo est l’administrateur de Piranha Abrasives Inc. et il en est le seul administrateur depuis que cette entreprise a été constituée en société en mai 2010. Entre 1988 et 2010, il a travaillé comme entrepreneur à temps plein dans le secteur de la pierre et des carreaux de céramique, et ensuite comme entrepreneur en construction de maisons et en gestion de grands projets commerciaux spécialisés dans l’installation de pierres, ainsi que de projets résidentiels haut de gamme, dans toute la région de Toronto.

[39]  Selon le témoignage de M. Cannarozzo, les produits de la défenderesse se composent de lames abrasives diamantées, de meules boisseau et d’accessoires de haute qualité à utiliser pour le granit, le marbre, la porcelaine, les carreaux de céramique, le verre et le béton [les produits de Piranha Abrasives]. La défenderesse vend ses produits à des entreprises qui vendent du granit, du marbre, de la porcelaine, des carreaux de céramique, du verre et du béton ou des matériaux de construction, et ces produits sont principalement destinés à un usage professionnel. L’entreprise n’a jamais vendu de lames conçues pour le sciage du bois.

[40]  Les produits de Piranha Abrasives qui portent le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES et le nom commercial Piranha Abrasives coexistent sur le marché canadien avec les lames à bois pour scies circulaires PIRANHA de Black & Decker depuis 2010. Monsieur Cannarozzo a trouvé des sites Web de diverses entreprises qui vendent aux États‑Unis des lames portant la marque de commerce PIRANHA, et aucune n’est conçue pour scier le bois. Il n’a jamais entendu parler de l’existence d’une confusion entre les lames abrasives diamantées et les autres produits de Piranha Abrasives et les lames pour scies circulaires des demanderesses portant les marques de commerce PIRANHA.

[41]  Au cours de ses 26 années d’expérience à titre de constructeur, d’entrepreneur et de concepteur d’outils abrasifs diamantés, il n’a pas utilisé de lames ou d’autres produits Black & Decker portant la marque de commerce PIRANHA et il n’en connaît aucune. Il ne connaît aucune entreprise ou magasin qui vend à la fois les produits des demanderesses et ceux de Piranha Abrasives.

[42]  Monsieur Cannarozzo insiste pour dire qu’il a conçu la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin pour décrire ses propres lames de coupage de carreaux de céramique et de pierre. L’entreprise a toujours vendu ses produits associés aux mots PIRANHA ABRASIVES, et non au seul mot PIRANHA.

[43]  La conception des lames abrasives diamantées de Piranha Abrasives a duré 12 ans. Il est essentiel d’utiliser la bonne lame pour couper de la pierre et des matériaux à base de béton, car une mauvaise lame peut casser le matériau scié, créer un bord de coupe inégal, casser la lame ou blesser l’utilisateur de l’outil. Les meules boisseau, les tampons de polissage et les mèches creuses de l’entreprise sont vendus en liaison avec le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES depuis 2010.

[44]  Chaque lame de Piranha Abrasives est munie de diamants véritables ou synthétiques destinés au coupage. Le diamètre des lames varie de 1 pouce à 5 pieds, et la plus coûteuse se vend environ 5 000 $.

[45]  Le « segment diamanté » externe de chaque lame est formé de divers métaux et de diamants industriels, correspondant précisément à la dureté du matériau à couper. Ce segment est tout à fait différent du segment correspondant d’une lame destinée au sciage du bois, dont les dents sont faites de carbure, un matériau qui ne convient pas au sciage de la pierre.

[46]  Monsieur Cannarozzo affirme que les professionnels de la construction s’assurent toujours que la lame qu’ils utilisent convient au matériau à scier, et il ne peut imaginer qu’un profane achèterait une lame sans examiner avec soin à quelle application elle est destinée.

[47]  Monsieur Cannarozzo est d’avis que l’emballage des produits de marque PIRANHA des demanderesses affiche clairement le nom de Black & Decker, une image d’une pièce de bois, ainsi que les couleurs orange et noire distinctives que l’on associe aux produits de cette société. Ces produits comportent aussi au recto une mise en garde indiquant au lecteur de consulter le verso de l’emballage, où il est clairement indiqué que les lames ne doivent pas être utilisées pour de la maçonnerie, du béton, du fibrociment, du ciment ou du métal.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[48]  Questionné sur ses distributeurs, M. Cannarozzo a reconnu que ces derniers offrent des produits et des services, tant à des professionnels qu’à des non‑professionnels.

[49]  Quand on lui a montré des images des sites Web de Danforth et de New Canadian Lumber qui illustraient l’un des produits Piranha des demanderesses, vendu de pair avec une scie inscrite comme étant disponible à la fois en ligne et en magasin, M. Cannarozzo a confirmé que cela voulait dire que les produits Piranha de Black & Decker étaient disponibles à au moins deux endroits qu’il avait inscrits comme étant ses distributeurs.

[50]  Pour ce qui est du nom commercial et de la marque PIRANHA ABRASIVES, il confirme qu’il les a imaginés lui‑même et qu’il n’a pas consulté un avocat spécialisé en marques de commerce, pas plus qu’il n’a fait une recherche de marques de commerce. Il n’a déposé une demande de marque de commerce concernant PIRANHA ABRASIVES et dessin qu’après que Black & Decker a porté plainte contre lui.

(2)               Le réinterrogatoire

[51]  Lors de son réinterrogatoire, M. Cannarozzo a examiné les copies imprimées des sites Web de Danforth et de New Canadian Lumber et il a confirmé que plus bas sur les feuilles, là où l’on précise que les produits illustrés sont disponibles en ligne et dans des magasins, une mention indique en outre : [traduction« Les articles ne sont pas tous disponibles en magasin, mais ils peuvent faire l’objet d’une commande spéciale. »

B.                 L’affidavit de Michael Stephan

[52]  Monsieur Stephan est enquêteur principal pour le compte de Canpro King‑Reed LP, un cabinet d’enquête dont les services ont été retenus par les avocates de la défenderesse pour qu’il se rende dans certains magasins (Cooksville Lumber, Danforth Lumber, Dragona Flooring (Mississauga), New Canadians Lumber and Proline Hardware ) en vue, d’une part, de vérifier les types de produits de marque Piranha Abrasives qui y étaient en montre et s’ils étaient vendus près de produits de Black & Decker et, d’autre part, d’acheter un produit de marque PIRANHA ABRASIVES.

[53]  En menant cette enquête, M. Stephan a découvert que les lames de Piranha Abrasives pour sciage sec/humide de maçonnerie, de porcelaine, de verre et de marbre étaient en montre dans chaque magasin, et que certains d’entre eux avaient les lames proprement dites et que d’autres obligeaient à passer une commande spéciale. Il n’a relevé aucune lame de Stanley Black & Decker dans les magasins où on lui a demandé de se rendre.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[54]  Monsieur Stephan a confirmé qu’on lui a demandé de se rendre uniquement dans les magasins susmentionnés. Dans chacun, il n’a pas demandé de lames pour scies circulaires de Black & Decker, pas plus qu’il n’a vu ou demandé de lames pour scies circulaires destinées au sciage du bois, ni de lames pour scies circulaires de Black & Decker ou de Dewalt destinées au sciage de carreaux de céramique, de pierre ou de béton.

[55]  On a montré à M. Stephan les mêmes images des sites Web de Danforth et de New Canadians Lumber que celles que l’on avait montrées à M. Cannarozzo. Il a confirmé que l’image illustrant la lame Piranha des demanderesses était vendue avec l’une de ses scies et que l’inclusion du passage indiquant que la lame était disponible en ligne et dans des magasins l’amènerait à croire qu’il pourrait acheter ces lames dans le magasin en question ou en ligne, par l’intermédiaire du site Web des demanderesses.

C.                 L’affidavit d’Ercole Aloia

[56]  Monsieur Ercole (Éric) Aloia est le propriétaire d’Aloia Bros. Concrete Contractors Ltd. Depuis 1988 environ, cette entreprise installe des bordures de trottoir et des trottoirs extérieurs et exécute des travaux routiers municipaux dans tout le sud de l’Ontario. Il a 26 années d’expérience dans le secteur du béton, et il utilise les lames de sciage de béton de Piranha Abrasives depuis 2010 environ.

[57]  Monsieur Aloia est un ami de M. Cannarozzo et, à la demande de ce dernier, il a commandé des lames diamantées Piranha pour un grattoir de marque Husqvarna au magasin Concord Hardware, à Concord (Ontario). Avant cette demande, jamais il n’avait entendu parler de ce produit, ou de produits de Black & Decker ou de Stanley associés au mot « piranha ».

(1)               Le contre‑interrogatoire

[58]  Monsieur Aloia a admis qu’il savait à quoi ressemble une lame pour scies circulaires et que son entreprise en emploie régulièrement. Il a de plus confirmé qu’il est parfois possible d’utiliser une scie à bois et une scie à béton dans le cadre d’un même projet, mais pour des applications différentes.

D.                L’affidavit de Craig Snooks

[59]  Monsieur Snooks est propriétaire d’une franchise Bath Fitter située au 803, chemin Arrow, à Toronto (Ontario), depuis 15 ans environ. Son entreprise pose des baignoires moulées, faites sur mesure, par‑dessus des baignoires existantes ou endommagées, de même que des douches moulées, sur mesure elles aussi. Bath Fitter a des points de vente partout aux États‑Unis et dans tout le Canada. Il est un ami de M. Cannarozzo.

[60]  Il a environ 20 années d’expérience dans la transformation des salles de bain. Il n’a jamais utilisé de produits, d’outils ou de lames des demanderesses. Avant que M. Cannarozzo l’informe de la présente affaire, M. Snooks n’avait jamais entendu parler d’une autre lame ou d’un autre outil d’un type quelconque vendu sous une marque de commerce contenant le mot « piranha », à part les produits de Piranha Abrasives.

[61]  Il a également déclaré qu’une personne qui achète une lame consultera l’emballage en vue de déterminer les matériaux que cette lame peut couper, et que les lames à bois et à pierre sont, visuellement, tout à fait différentes.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[62]  Monsieur Snooks a admis qu’il est possible d’utiliser à la fois une lame pour scie circulaire destinée à couper le bois et une lame pour scie circulaire destinée à couper les carreaux de céramique ou la pierre avec le même outil électrique, mais qu’il ne l’a pas fait personnellement.

E.                 L’affidavit d’Edgar Gabriel

[63]  Monsieur Gabriel est le directeur général et gestionnaire de New Canadians Lumber depuis 2003 environ. Son entreprise vend depuis plus de 40 ans du bois de construction, des carreaux de céramique, de la peinture et d’autres matériaux de rénovation et de décoration ainsi que des outils à des professionnels et des non‑professionnels dans la région du Grand Toronto. Il est client de Piranha Abrasives depuis trois ans environ, et vend les lames abrasives diamantées de cette dernière dans le service de vente des carreaux de céramique de New Canadians Lumber’s, lequel est situé dans un bâtiment distinct de son magasin principal.

[64]  Monsieur Gabriel a déclaré que son entreprise ne vend pas de lames pour scies circulaires de B&D Canada, mais qu’elle en vend d’autres destinées au sciage du bois. Avant d’être informé récemment de la présente affaire, il ne connaissait pas la gamme de produits PIRANHA de Black & Decker. Ses clients et employés ne lui ont pas fait part d’une confusion quelconque entre les produits de la défenderesse et ceux de la gamme PIRANHA de la demanderesse.

[65]  Il a attesté les différences évidentes qui existent entre les lames abrasives et les lames à bois, ainsi que le risque d’utiliser une lame à bois pour scier du granit, du marbre, de la porcelaine, du verre ou du béton.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[66]  Monsieur Gabriel a confirmé que son magasin, qui portait anciennement le nom de New Canadians Lumber, est aujourd’hui une quincaillerie Home Hardware. Quand on lui a demandé s’il vendait des lames pour scies circulaires PIRANHA de Black & Decker, il a répondu que non, mais, quand on lui a montré les images d’une scie Black & Decker vendue sur le site Web de son entreprise avec une lame PIRANHA, il a précisé que son magasin n’en avait pas en stock, mais qu’il était possible d’en commander à son magasin si elles étaient disponibles à l’entrepôt de Home Hardware.

[67]  Monsieur Gabriel a également reconnu qu’une même personne pourrait acheter à la fois des lames pour scies circulaires à bois et des lames pour scies circulaires à carreaux de céramique en vue de s’en servir dans le cadre d’un même projet.

(2)               Le réinterrogatoire

[68]  Monsieur Gabriel a confirmé que sous les images tirées du site Web de Home Hardware que l’avocate des demanderesses lui a montrées, il est indiqué : « [L]es articles illustrés ne sont pas tous en stock en magasin, mais peuvent faire l’objet d’une commande spéciale. Veuillez communiquer avec votre marchand Home Hardware pour de plus amples renseignements. »

F.                  L’affidavit de Ross Keltie

[69]  Monsieur Keltie est le vice‑président, Ventes et Marketing, de Centura Limited, un fournisseur de revêtements de sol et de matériaux constituants de murs qui possède 14 points de vente dans tout le Canada, et ce, depuis 1984. Centura est cliente de Piranha Abrasives depuis 2012 environ, mais elle ne vend aucun des produits des demanderesses.

[70]  Au cours de ses nombreuses années d’expérience dans le secteur, il n’y a jamais eu de confusion dans son esprit entre les produits de Black & Decker et ceux de Piranha Abrasives.

(1)               Le contre‑interrogatoire

[71]  Monsieur Keltie a précisé en contre‑interrogatoire qu’environ 60 pour cent seulement des 14 points de vente de son entreprise vendent des quantités restreintes de produits au grand public car, en général, ils ne vendent leurs produits qu’à des entrepreneurs commerciaux et à des magasins.

[72]  De plus, l’entreprise a cessé de vendre du bois franc depuis un an et demi ou deux. Elle vend encore quelques outils professionnels associés à la pose du bois franc, mais il serait peu probable qu’elle en ait en stock.

[73]  Quand on lui a demandé s’il connaissait les lames pour scies circulaires vendues sous les marques de B&D Canada, comme Dewalt, Black & Decker et Abmast, il a reconnu qu’avant qu’on lui présente des informations et qu’il produise son affidavit, il n’avait aucune idée que Dewalt appartenait à Black & Decker ou que Stanley faisait partie de cette société. Il savait que ces entreprises vendaient des lames à bois, mais pas qu’elles distribuaient et vendaient des lames à carreaux de céramique.

V.                L’usurpation d’une marque de commerce

[74]  L’article 19 de la Loi procure aux demanderesses, à titre de propriétaires et de titulaires de licence des marques PIRANHA au Canada, le droit à l’emploi exclusif des marques PIRANHA dans tout le Canada, en liaison avec les produits visés par chaque enregistrement. Aux termes de l’article 20, ce droit est réputé être violé par une personne non admise à employer ces marques de commerce et qui vend, distribue ou annonce des produits ou des services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial qui crée de la confusion. L’alinéa 7 b) de la Loi interdit à quiconque d’avoir recours à la commercialisation trompeuse en appelant l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada avec les produits, les services ou l’entreprise d’un autre.

[75]  L’appréciation de la probabilité de confusion nécessite l’application du critère de la première impression laissée dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyle Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 40 [Masterpiece] :

40        Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

Le juge Binnie renvoie avec approbation aux propos tenus par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202, pour faire ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte.

[76]  En matière de confusion, la question qui se pose est celle de savoir si le consommateur ordinaire, en voyant le dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES de la défenderesse employée en liaison avec les produits ou les services de cette dernière, conclura suivant sa première impression que les produits ou les services en question viennent des demanderesses ou sont associés à ces dernières, de sorte que l’emploi des marques PIRANHA des demanderesses et du dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES de la défenderesse dans la même région l’amènerait à conclure que les produits ou les services associés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, et ce, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale (paragraphe 6(2) de la Loi; Veuve Cliquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20 [Veuve Cliquot]; Mattel Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 51 [Mattel]).

[77]  Le paragraphe 6(5) de la Loi énonce la manière de procéder pour analyser la question de la confusion :

6. (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

6. (5) In determining whether trademarks or trade names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trademarks or trade names and the extent to which they have become known;

     b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trademarks or trade names have been in use;

     c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

     d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

     e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trademarks or trade names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[78]  La défenderesse fait valoir qu’en dépit de quatre années de coexistence il n’existe aucune preuve de confusion réelle entre les marques PIRANHA des demanderesses et son propre dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES. Les déposants de la défenderesse qui exercent des activités dans les secteurs de la pierre, des carreaux de céramique et du ciment, respectivement, n’ont jamais confondu les produits de la défenderesse employés en liaison avec la marque de la défenderesse et les produits des demanderesses employés en liaison avec les marques des demanderesses. Certains des distributeurs de la défenderesse ‑ Centura et New Canadians ‑ n’ont jamais eu de plainte de confusion de la part de clients ou d’employés.

[79]  Au vu des faits de la présente affaire, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y a lieu de tirer une inférence défavorable du simple fait qu’il n’existe aucune preuve de confusion réelle, car il n’est pas question ici d’une affaire dans laquelle une telle preuve « pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée » (arrêt Mattel, précité, au paragraphe 55).

[80]  Par ailleurs, la défenderesse déclare que les marques des demanderesses ont toujours été employées avec les marques de commerce BLACK & DECKER et ORANGE et NOIR. Pour ce qui est de la première impression, soutient‑elle, le public n’aurait pas l’impression que les marques des demanderesses sont des marques de commerce distinctes. Elles ne se distinguent pas des autres et on ne peut donc pas conclure qu’elles créeraient une impression distincte dans l’esprit du public. Au contraire, s’il le remarquait, celui‑ci considèrerait que ces marques sont liées à la marque BLACK & DECKER, plus en vue celle‑là. C’est donc dire que le public percevrait que l’on emploie les marques de commerce « BLACK & DECKER » et peut‑être, « BLACK & DECKER PIRANHA » ou « BLACK & DECKER PIRANHA et dessin », et non PIRANHA ou PIRANHA et dessin.

[81]  Bien qu’il s’agisse là d’un facteur dont il faut tenir compte, je ne suis pas d’accord pour dire que juste parce qu’une marque ou une marque de commerce « maison », comme BLACK & DECKER, est employée en liaison avec la marque ou la marque de commerce d’un produit, comme PIRANHA ou PIRANHA et dessin, et qu’elle est peut‑être, d’une certaine façon, plus en vue, cela donne lieu à une subjugation ou à une érosion du caractère distinctif de la marque de commerce d’un produit. Ce n’est certes pas le cas en l’espèce. Les marques PIRANHA distinctives et la durée de l’usage, de même que le degré de chevauchement, militent contre une telle conclusion, et ce, pour les raisons qui suivent.

[82]  La défenderesse me demande aussi de limiter l’énoncé des produits visés par les enregistrements de marque de commerce des demanderesses en litige aux lames pour scies circulaires destinées au sciage du bois ou du plastique, et non aux lames abrasives diamantées qu’elle emploie pour le sciage du granit, du marbre, de la porcelaine, des carreaux de céramique, du verre, de la pierre et du béton.

[83]  Je ne souscris pas à la manière dont la défenderesse aborde la question de la probabilité de confusion sur ce point. Il faut s’attacher aux termes des marques de commerce déposées des demanderesses qui confèrent à ces dernières le droit exclusif de faire, dans le cadre de l’emploi de leurs marques de commerce déposées au Canada, et non à ce qu’elles font actuellement (Masterpiece, précité, au paragraphe 53).

[84]  Si l’on prend en compte les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, il est raisonnablement évident à mon avis, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a probabilité de confusion entre les marques de commerce PIRANHA des demanderesses, telles qu’elles ont été enregistrées, et la marque PIRANHA ABRASIVES et dessin de la défenderesse, telle qu’employée par cette dernière en liaison avec des lames abrasives pour scies circulaires.

A.                Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou du nom commercial et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus

[85]  Les marques PIRANHA des demanderesses, employées en liaison avec les produits visés par les enregistrements PIRANHA, ont un caractère distinctif inhérent. Les lames pour scies circulaires de marque PIRANHA des demanderesses sont vendues au Canada depuis 1987 et elles le sont toujours, quoique dans une moindre mesure, dans plusieurs grands magasins de détail situés d’un bout à l’autre du Canada.

[86]  Bien que la défenderesse ait établi que son dessin‑marque PIRANHA ABRASIVES et le nom commercial Piranha Abrasives sont employés au Canada depuis 2010, cet emploi est relativement récent par rapport à l’usage de longue date des marques de commerce PIRANHA des demanderesses.

[87]  La défenderesse a tenté de miner le caractère distinctif des marques de commerce PIRANHA des demanderesses en soulignant l’emploi, par des tierces parties, du mot « piranha » en liaison avec des produits identiques ou connexes, notamment une lame de coupe à l’eau pour carreaux de céramique vendue par Delta Diamond ainsi qu’une lame pour grattoir à plancher vendu par Husqvarna. La preuve fournie concerne toutefois un usage fait à l’extérieur du Canada, ou fait en liaison avec des types de produits différents.

[88]  Il n’existe aucune preuve que ces tierces parties vendent des produits de marque « piranha » au Canada, hormis la possibilité de commander de tels produits en ligne à partir du Canada, une possibilité pour laquelle aucune preuve n’a été fournie, sauf dans le contexte du présent litige, ou que les produits ont été vendus ou distribués ou sont connus dans une certaine mesure au Canada.

B.                 La période d’emploi

[89]  Les marques de commerce PIRANHA des demanderesses ont été enregistrées et sont en usage au Canada depuis juillet 1987 (la marque nominale PIRANHA) et 1995 (PIRANHA et dessin‑marque ultérieur). Par contraste, la marque de commerce de la défenderesse n’est en usage que depuis mai 2010.

C.                 La nature des produits et du commerce

[90]  Comme il a été mentionné plus tôt, les enregistrements de marque de commerce de la demanderesse B&D Corporation (LMC 330222 et LMC 452371) procurent aux demanderesses, à titre de propriétaires et de titulaires de licence, le droit exclusif d’employer ces marques de commerce en liaison avec des lames pour scies électriques et des lames pour scies circulaires. Il n’existe aucune limite quant aux types de lames pour scies ou de lames pour scies circulaires, ni au type d’emploi.

[91]  La défenderesse a employé ses marques de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin sur des outils abrasifs diamantés de coupe, de polissage et de meulage conçus pour le marbre, le granit, le verre, la porcelaine, les carreaux de céramique et le béton, y compris des lames abrasives diamantées pour scies circulaires, à utiliser avec des scies électriques.

[92]  Lorsqu’elle se livre à une analyse concernant à la confusion, la Cour doit se reporter aux droits exclusifs que confère l’enregistrement. « [L]’examen de l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, [mais] il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement. » (Masterpiece, aux paragraphes 56 à 59)

[93]  Même si les demanderesses emploient actuellement leurs marques en liaison avec des lames pour scies circulaires et des lames pour scies électriques principalement conçues pour le bois ou des matériaux dérivés du bois, les enregistrements leur permettent d’employer les marques PIRANHA en liaison avec des lames pour scies circulaires et des lames pour scies électriques destinées au coupage de n’importe quel matériau, dont le marbre, le granit, le verre, la porcelaine, les carreaux de céramique ou le béton.

[94]  Non seulement les lames pour scies circulaires des demanderesses et les lames abrasives pour scies circulaires de la défenderesse sont‑elles destinées à être fixées à une scie électrique, mais certaines de leurs lames pour scies circulaires respectives sont également vendues à prix semblables, dans des voies commerciales semblables, et, potentiellement, aux mêmes consommateurs.

[95]  Là encore, ces facteurs militent en faveur des demanderesses.

D.                Le degré de ressemblance

[96]  Il s’agit là du facteur qui est souvent susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion et, en l’espèce, le degré de ressemblance est élevé (arrêt Masterpiece, au paragraphe 49).

[97]  Dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 84, la Cour suprême a reconnu que la composante la plus distinctive ou dominante d’une marque a une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen, et qu’il y a lieu de prendre ce fait en compte au moment d’évaluer la marque de commerce dans son ensemble :

Toutefois, examiner la marque de commerce dans son ensemble ne veut pas dire qu’il faut faire abstraction d’une composante dominante de celle‑ci qui aurait une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen : voir les motifs de la juge Arden dans esure Insurance Ltd. c. Direct Line Insurance plc, 2008 EWCA Civ 842, [2008] R.P.C. 34, par. 45. Il en est ainsi parce que même si le consommateur regarde la marque dans son ensemble, il se peut qu’un certain aspect de celle‑ci soit particulièrement frappant et qu’il en constitue l’élément le plus distinctif. Il en sera ainsi parce que cet aspect est la partie la plus distinctive de l’ensemble de la marque de commerce.

[98]  Si l’on examine l’emploi du mot PIRANHA et du dessin d’un poisson PIRANHA que fait la défenderesse et la même marque nominale PIRANHA et le dessin de poisson très semblable que visent les enregistrements de marque de commerce PIRANHA des demanderesses, j’ai peu de difficulté à relever un degré de ressemblance élevé.

[99]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, la défenderesse a aussi fait valoir qu’étant donné l’absence de confusion réelle pendant plus de trois ou quatre années de coexistence, et compte tenu des instructions et des mises en garde explicites qui figurent sur les emballages de chacune des parties, c’est‑à‑dire de ne pas utiliser leurs lames pour scies respectives à des fins autres que les applications précises de chacune (le bois et le plastique dans le cas des demanderesses; la pierre, les carreaux de céramique, le verre et le béton dans le cas de la défenderesse), il n’y a pas de probabilité de confusion.

[100]                      Bien qu’il s’agisse sûrement de facteurs à prendre en considération, j’ai traité plus tôt de cet argument et je ne considère pas que ce facteur en particulier est convaincant. Là encore, le critère à appliquer dans le cas de la probabilité de confusion consiste à savoir si l’usage que fait la défenderesse de la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin causera vraisemblablement de la confusion avec les produits visés par les enregistrements de marque de commerce des demanderesses qui visent les lames pour scies circulaires et les lames pour scies électriques de marque PIRANHA et PIRANHA et dessin, de telle sorte qu’il y aurait probablement une certaine confusion dans l’esprit du consommateur pertinent quant à l’origine des produits, ou quant à une association ou à un lien entre les demanderesses et la défenderesse en tant que source de ces produits.

[101]                      Je conclus que l’emploi fait par la défenderesse de la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin sur les lames abrasives pour scies circulaires causera vraisemblablement de la confusion avec les marques déposées PIRANHA des demanderesses, et que les marques de commerce déposées PIRANHA des demanderesses LMC 330222 et LMC 452371 sont en conséquence usurpées.

VI.             La commercialisation trompeuse

[102]                      Les trois éléments nécessaires d’une action pour commercialisation trompeuse sont les suivants : 1) l’existence d’un achalandage ou d’une réputation associés au produit ou au service d’un demandeur; 2) le fait d’induire le public en erreur au moyen d’une déclaration trompeuse, et 3) le préjudice réel ou possible pour le demandeur du fait de la déclaration trompeuse (Ciba‑Geigy Canada Ltd c Apotex Inc., [1992] 3 RCS 120).

[103]                      Comme le fait remarquer la défenderesse, les produits des demanderesses sont toujours vendus en liaison avec les marques de commerce BLACK & DECKER et ORANGE et NOIR des demanderesses. Il n’existe aucune preuve de l’étendue de la réputation indépendante que les marques de commerce PIRANHA des demanderesses ont établie, ni aucune preuve de tiers d’une réputation quelconque, et, compte tenu de la diminution des ventes et de l’absence de publicité à l’appui d’une telle réputation, j’estime, au vu des preuves qui m’ont été soumises, que les demanderesses n’ont pas établi l’existence d’une commercialisation trompeuse.

[104]                      Comme l’a déclaré le juge de Montigny dans le jugement Hayabusa Fightwear Inc. c Suzuki Motor Corporation, 2014 CF 784, au paragraphe 46 :

[46]      Je partage l’avis de l’avocat de la demanderesse qui affirme que, dans l’examen de la probabilité de confusion entre deux marques de commerce, la manière d’aborder la question diffère grandement selon que la comparaison est faite par rapport à une marque déposée ou à une marque non déposée. Lorsqu’il s’agit d’une marque déposée, il faut tenir compte non seulement de la portée des droits conférés par l’enregistrement, mais aussi de l’emploi potentiel de la marque aussi bien que son emploi réel : Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 59, [2011] 2 RCS 387. La comparaison sera beaucoup plus étroite si l’on compare la marque en cause avec une marque non déposée, et se limitera à l’emploi réel de cette marque, comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Marlboro Canada Limited c Philip Morris Products S.A., 2012 CAF 201, aux paragraphes 55 et 56 :

Le juge Marshall Rothstein, écrivant au nom de la Cour suprême, a bien précisé que la marche à suivre dans l’examen du degré de ressemblance entre des marques n’est pas la même selon que celles‑ci sont ou non déposées.

S’agissant de marques non déposées, le tribunal ne devrait prendre en considération que la manière dont elles ont été réellement employées. Mais pour ce qui concerne les marques déposées, le tribunal doit s’attacher aux termes mêmes de l’enregistrement de manière à prendre en compte toute la portée des droits qu’il confère.

[105]                      La réputation qu’il faut posséder pour pouvoir établir l’existence d’une commercialisation trompeuse n’a pas été démontrée au vu des éléments de preuve qui m’ont été présentés.

VII.          La dépréciation de l’achalandage

[106]                      La Cour suprême du Canada a énoncé les quatre éléments que comporte l’article 22 de la Loi :

Étonnamment, l’art. 22 de notre Loi n’a guère retenu l’attention des tribunaux judiciaires depuis son adoption, il y a une cinquantaine d’années. Apparemment, lorsque l’emploi de plusieurs marques crée de la confusion, le recours privilégié est celui fondé sur l’art. 20. Par ailleurs, en l’absence de confusion, les demandeurs estiment peut‑être difficile d’établir que l’achalandage est susceptible de se déprécier. Quoi qu’il en soit, ces deux causes d’action prévues par la Loi sont très différentes sur le plan conceptuel. L’article 22 comporte quatre éléments. Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable. L’article 22 n’exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas. Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c.‑à‑d. un préjudice).

Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 46.

[107]                      Au vu des éléments de preuve qui m’ont été présentés, rien ne permet de conclure à une dépréciation de l’achalandage attaché aux marques de commerce des demanderesses, compte tenu des activités de la défenderesse et de l’emploi de la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin ou du nom commercial PIRANHA ABRASIVES.

[108]                      Les demanderesses soutiennent que l’absence de contrôle exercé sur l’emploi que fait la défenderesse de la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin et du nom commercial Piranha Abrasives, en soi, donne lieu à une dépréciation de l’achalandage.

[109]                      Bien qu’il s’agisse d’un facteur dont il faut tenir compte, aucun élément de preuve ne démontre que les demanderesses, par suite des activités de la défenderesse, ont subi une perte de réputation ou de clientèle. La grande qualité des lames abrasives pour scies de la défenderesse n’est pas contestée et, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve sur la propre réputation des demanderesses à l’égard des marques PIRANHA, employées en liaison avec ses lames pour scies circulaires, hormis un usage de ces lames pendant un temps prolongé avec ses marques de commerce BLACK & DECKER, et du peu de publicité, voire aucune, depuis de nombreuses années, et de la nette diminution des ventes depuis les cinq dernières années, je ne relève dans les éléments qui m’ont été présentés aucune preuve quelconque de dépréciation de l’achalandage.

VIII.       Les réparations

[110]                      Bien que j’aie conclu qu’il y a usurpation de marque de commerce en raison de l’emploi fait par la défenderesse de sa marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin et de son nom commercial PIRANHA ABRASIVES en liaison avec des lames abrasives pour scies circulaires, j’estime que ce même emploi en liaison avec ses autres produits ne constitue pas de l’usurpation. Je n’ai pas conclu non plus à l’existence d’une commercialisation trompeuse ou d’une dépréciation de l’achalandage par suite des activités de la défenderesse.

[111]                      En conséquence, je conclus que les demanderesses n’ont pas droit à une indemnisation pour perte de profits, mais uniquement à des dommages‑intérêts symboliques pour usurpation de marque de commerce. De plus, il n’y a lieu d’accorder une injonction que pour l’emploi fait par la défenderesse de PIRANHA ABRASIVES et dessin sur ses lames abrasives pour scies circulaires, sur les emballages connexes et sur les autres types de matériel utilisés avec ces lames.

[112]                      Il y a lieu de modifier la demande de marque de commerce en instance no 1662383 de la défenderesse en vue d’en retirer la mention des outils de coupe abrasifs diamantés.

[113]                      Compte tenu des conclusions qui précèdent, j’estime qu’il n’y a pas lieu de transférer les noms de domaine www.piranha abrasives.com ou www.piranhaabrasives.com de la défenderesse. J’aurais peut‑être pu tirer une conclusion contraire au sujet du nom de domaine www.piranhapowertools.com, mais je conviens avec la défenderesse qu’étant donné que le titulaire du nom de domaine n’est pas partie à la présente instance il serait possible d’obtenir la réparation appropriée au moyen d’une instance en matière de nom de domaine, mais pas dans le cadre de la présente espèce.

[114]                      De plus, la défenderesse aura quatre‑vingt‑dix (90) jours à compter de la date du présent jugement pour vendre son stock de lames abrasives pour scies circulaires dont l’emploi constitue de l’usurpation et, sinon, pour détruire ou remettre aux demanderesses ce même stock qui subsistera.


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La défenderesse Piranha Abrasives Inc. a usurpé les marques de commerce déposées PIRANHA et PIRANHA et dessin de la demanderesse Black & Decker Corporation, ainsi que les enregistrements de marque de commerce connexes LMC 330222 et LMC 452371, respectivement, en employant la marque de commerce PIRANHA ABRASIVES et dessin et le nom commercial PIRANHA ABRASIVES INC. en liaison avec des lames abrasives pour scies circulaires ainsi que les emballages et le matériel connexes, en contravention des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce.

2.                  La défenderesse peut vendre le reste du stock de produits PIRANHA ABRASIVES et le matériel connexe dont l’emploi constitue de l’usurpation, pendant une période de quatre‑vingt‑dix (90) jours, et il lui est interdit par la suite d’employer PIRANHA ou PIRANHA ABRASIVES et dessin sur des lames abrasives pour scies circulaires ou tout emballage ou autre matériel associé à de telles lames. Tout le matériel dont l’emploi constitue de l’usurpation qui subsistera sera remis en vue de sa destruction ou détruit, et une preuve de destruction par affidavit sera fournie aux demanderesses.

3.                  La demande de marque de commerce en instance no 1662383 de la défenderesse doit être modifiée en vue d’en retirer la mention des outils de coupe abrasifs diamantés.

4.                  Les demanderesses ont droit à des dommages‑intérêts symboliques d’un montant de dix mille (10 000 $) dollars.

5.                  Les demanderesses ont droit à des dépens fixés à 20 000 $.

6.                  La demande des demanderesses est rejetée à tous autres égards.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1360‑14

INTITULÉ :

THE BLACK & DECKER CORPORATION ET AUTRES c PIRANHA ABRASIVES INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 janvier 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

LE 13 février 2015

COMPARUTIONS :

Jane Steinberg

POUR LES DEMANDERESSES

Michelle L. Wassenaar

Andrea Long

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Method Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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