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Date : 20150116


Dossier : T‑1752‑06

Référence : 2015 CF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

GARY SAUVÉ

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA,

MARC FRANCHE (GRC),

LARRY TREMBLAY (GRC),

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une action en dommages‑intérêts intentée par Gary Sauvé contre la Couronne fédérale et deux agents de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], Marc Franche et Larry Tremblay[1]. M. Sauvé réclame des dommages‑intérêts généraux notamment pour stress, anxiété, traumatisme émotionnel, souffrances et douleurs, perte de réputation, perte de jouissance de la vie et harcèlement, le tout ayant été causé selon lui par la négligence des défendeurs et par sa détention illicite aux mains de ces derniers.

[2]               La plus grande partie de la déclaration de M. Sauvé a déjà été radiée au motif que les allégations qu’elle contenait constituaient une tentative de remettre en litige les déclarations de culpabilité antérieures de M. Sauvé pour harcèlement criminel et constituaient donc un abus de procédure. Les allégations de la déclaration qu’il reste à trancher ont trait à la responsabilité civile délictuelle concernant la « détention » de M. Sauvé le 8 octobre 2004 ainsi qu’aux agissements des deux agents de la GRC qui lui ont signifié une assignation à comparaître au Centre de détention d’Ottawa‑Carleton [le CDOC] le 22 novembre 2004. M. Sauvé affirme en outre que, par suite de ce dernier événement, il a dû engager son propre avocat pour défendre ses droits et il réclame une indemnité supplémentaire pour les honoraires qu’il a ainsi dû débourser.

Contexte factuel

[3]               M. Sauvé a travaillé pendant plus de 18 ans à la GRC comme policier. Il a par la suite été congédié en raison d’agissements liés aux questions en litige dans la présente instance. Les ennuis de M. Sauvé ont commencé par une allégation suivant laquelle il avait eu un enfant avec une femme au Québec. Dans le cadre d’une procédure en recherche de paternité introduite relativement à cette allégation, M. Sauvé a reçu l’ordre de fournir un échantillon d’ADN. Il a refusé d’obtempérer et a contesté en appel la légalité de l’ordonnance judiciaire. Il a été débouté de son appel et a demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada. Il semble que M. Sauvé ait été contrarié par ces procédures et qu’il était en colère tant contre la plaignante que contre l’avocat de cette dernière. Il a donc adressé à la Cour suprême du Canada une lettre dans laquelle il menaçait explicitement de s’en prendre à ces deux personnes (pièce D5). Cette lettre a rapidement été portée à l’attention de la GRC, et le supérieur de M. Sauvé, M. Tremblay, a été chargé d’ouvrir une enquête.

[4]               Le 8 octobre 2004, après avoir examiné la lettre de M. Sauvé, M. Tremblay a demandé à M. Franche de communiquer avec M. Sauvé et de lui demander de se présenter au bureau de son détachement sous prétexte de lui faire faire des heures supplémentaires. Comme il croyait que les agissements de M. Sauvé pouvaient avoir des implications criminelles, M. Tremblay a également demandé au Service de police d’Ottawa d’examiner cet aspect de l’affaire.

[5]               Lorsque M. Sauvé est arrivé au bureau du détachement, il a été accueilli par M. Tremblay, M. Franche et le caporal Stéphane Demers (maintenant à la retraite). M. Demers avait été invité par M. Tremblay à titre de membre du Programme d’aide aux employés de la GRC pour offrir son aide à M. Sauvé. Une discussion a ensuite eu lieu avec M. Sauvé au sujet de la teneur de sa lettre. On a demandé à M. Sauvé de remettre son arme à feu, ce qu’il a fait sans broncher. Lorsque M. Sauvé a manifesté son désir de quitter les lieux, M. Tremblay lui a donné l’ordre de rester et il a obtempéré. Dans les deux heures qui ont suivi, des représentants du Service de police d’Ottawa sont arrivés sur les lieux et ont mis M. Sauvé en état d’arrestation. Suivant M. Sauvé, M. Tremblay a agi sans autorisation légitime en lui ordonnant de demeurer dans le bureau du détachement. C’est cet agissement qui, suivant M. Sauvé, constituerait une détention illégale.

[6]               M. Sauvé a été accusé par le Service de police d’Ottawa de deux chefs de harcèlement criminel et de deux chefs d’avoir proféré des menaces de mort. Il a été mis en détention provisoire au CDOC, où il est demeuré pendant cinq mois en attente de son procès pénal. Comme il était membre de la GRC, M. Sauvé a été placé dans une unité d’isolement protecteur à l’écart de la population carcérale générale pour toute la durée de sa détention provisoire. M. Sauvé a été jugé devant la Cour de justice de l’Ontario qui, le 7 mars 2005, l’a déclaré coupable des deux chefs de harcèlement criminel. Les deux chefs d’accusation d’avoir proféré des menaces de mort ont été rejetés. M. Sauvé a été condamné à une peine d’emprisonnement équivalente au temps qu’il avait purgée en détention provisoire et à trois années de probation. La Cour lui a également interdit de posséder une arme à feu pendant dix ans. Les déclarations de culpabilité et la peine de M. Sauvé ont été portées en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui a rejeté l’appel le 14 décembre 2007.

[7]               Pendant toute la durée de sa détention provisoire, M. Sauvé a été placé dans une unité d’isolement protecteur, de sorte qu’il était détenu 23 heures par jour dans une cellule d’isolement. Même s’il avait droit à une heure d’activité par jour à l’extérieur de sa cellule en présence d’autres détenus de l’aire d’isolement protecteur, M. Sauvé a vraisemblablement refusé la plupart du temps de se prévaloir de cette possibilité.

[8]               Le 22 novembre 2004, l’agent Stéphane Cadieux et l’agent Craig Sorrie se sont présentés au CDOC pour signifier à M. Sauvé un avis de production lui enjoignant de comparaître comme témoin dans un procès pénal à Ottawa. Les agents Cadieux et Sorrie se sont fait escorter jusqu’à la cellule de M. Sauvé, où une discussion a eu lieu au sujet de la nécessité de sa présence. Suivant M. Sauvé, cette rencontre a eu pour effet de « dévoiler » son identité de policier aux autorités de la prison ainsi qu’à la population carcérale, l’exposant ainsi à un risque personnel. Il s’agit des agissements que M. Sauvé qualifie de négligents. De façon accessoire à cette allégation, M. Sauvé demande le remboursement des frais qu’il a engagés pour retenir les services d’un avocat en vue de son témoignage dans le procès pénal connexe.

Analyse

[9]               Malgré la preuve présentée en l’espèce par les deux parties en lien avec l’affaire civile en recherche de paternité sous‑jacente et malgré les déclarations de culpabilité connexes de M. Sauvé, je suis légalement tenu de considérer les issues de ces affaires comme définitives et déterminantes. Ainsi que la juge Anne Mactavish l’a fait observer dans la décision Sauvé c Canada, 2010 CF 217, au paragraphe 32, 186 ACWS (3d) 66, il n’est pas loisible à la Cour de réexaminer la question des déclarations de culpabilité de M. Sauvé. Cette question a été tranchée de façon définitive. En particulier, je ne suis pas autorisé à remettre en question la conclusion de la juridiction criminelle de première instance suivant laquelle M. Sauvé a écrit et transmis la pièce D5 à la Cour suprême du Canada et que, ce faisant, il a commis l’infraction de harcèlement criminel. La seule question qu’il me reste à trancher est celle de savoir si les agissements des défendeurs en réponse à l’inconduite démontrée de M. Sauvé étaient illicites et donnent droit à des dommages‑intérêts.

[10]           Malgré les limites susmentionnées quant à la preuve, M. Sauvé a tenté à plusieurs reprises de contredire les conclusions du tribunal pénal. Il a notamment exprimé des doutes au sujet de la question de savoir s’il était effectivement l’auteur de la pièce D5 et il a catégoriquement nié avoir fait parvenir celle‑ci à la Cour suprême du Canada. Il a d’ailleurs accusé M. Tremblay d’avoir envoyé la lettre, l’accusant d’être motivé par un désir de vengeance personnel.

[11]           Ainsi que je l’ai déjà fait observer, ces questions ne sont pertinentes que pour apprécier la crédibilité de M. Sauvé et, à cet égard, son témoignage n’a pas aidé sa cause.

[12]           Une lecture objective de la pièce D5 amène à la conclusion évidente que M. Sauvé en était l’auteur et qu’il exprimait clairement l’intention de causer un préjudice. On y trouve notamment les menaces suivantes :

[traduction

J’en ai fait la promesse sur la tombe de ma mère : ILS vont me le payer d’une façon ou d’une autre ET si les tribunaux ne corrigent pas la situation et ne mettent pas fin au harcèlement et à la violence, je n’aurai d’autre choix que de me faire justice moi‑même. Une chose est sûre : ou bien les tribunaux vont bien faire comprendre que cette façon d’agir ne sera pas tolérée OU bien je vais me charger de transmettre bien clairement et bien fort mon message aux gens qui examineront cette affaire et en parleront pendant les 25 prochaines années.

[…]

**Si la Cour suprême du Canada ne met pas fin au harcèlement dont je fais l’objet de la part de ces personnes vindicatives et ne fait pas clairement comprendre que l’on ne doit pas utiliser ou abuser du système judiciaire pour s’en prendre à quelqu’un, je n’aurai d’autre choix que de me faire justice moi‑même. Ne vous en faites pas, si ces individus croient qu’ils vont détruire ma famille, violer mes droits et demeurer impunis, ILS auront la surprise de leur vie. Je vais leur faire comprendre clairement et bien fort personnellement que lorsqu’on piège quelqu’un criminellement et qu’on détruit sa vie et celle des autres, ON DOIT RENDRE DES COMPTES. Et si la justice ne s’en occupe pas, ne vous en faites pas, je vais m’en charger. On ne peut rien enlever de plus à quelqu’un qui est prêt à mourir et qui a tout perdu : sa famille, sa fierté, toutes ses épargnes et tout ce pour quoi il a travaillé toute sa vie, c’est‑à‑dire sa vie.**

La seule question à se poser c’est « est‑il assez stupide pour agir seul? » Je souhaite seulement que leur vie et la mienne en valaient la peine, sachant que la fin est bien plus proche qu’on ne le croit.

[13]           Les tentatives que M. Sauvé a faites devant moi pour se dissocier de ces menaces manquaient de sincérité. Son témoignage connexe était pratiquement incohérent et était du début à la fin contradictoire et invraisemblable. Il a commencé par dire, lors de son interrogatoire principal, qu’il n’avait pas envoyé la pièce D5 [traduction« parce que je n’aurais pas envoyé par télécopieur une lettre qui n’était qu’une ébauche » (voir p. 20 et p. 31 et 32). En contre‑interrogatoire, il a accusé M. Tremblay d’avoir envoyé la télécopie (voir p. 66). Dans l’extrait suivant de son témoignage, aux pages 67 et 68, il est demeuré délibérément évasif :

[traduction

Q.        Il s’agit d’une des lettres que vous avez composée en vue de la transmettre à la Cour suprême du Canada

R.        Non, bien sûr que non.

Q.        Vous n’avez pas tapé cette [...]

R.        Cette lettre n’a pas été envoyée à la Cour suprême du Canada. Je n’ai pas télécopié ce document.

Q.        Je n’ai pas dit que vous l’aviez télécopié. Ce que je vous demande c’est si vous avez composé cette lettre.

R.        Je ne sais pas, parce qu’elle n’est pas signée. Ma signature ne s’y trouve pas et ce document a été télécopié. Le document a été télécopié à partir du service des stupéfiants de la GRC pendant que je me trouvais dans la salle de réunion. Je sais donc pertinemment que la lettre a été télécopiée alors que j’étais ailleurs.

Q.        Vous niez donc être l’auteur de cette lettre?

R.        Je ne nie pas en être l’auteur. Tout cela remonte à combien d’années? Tout ce que je vous dis, c’est que ce document a été télécopié et que ce n’est pas moi qui l’ai télécopié.

Q.        Je ne vous demande pas si vous avez télécopié le document à ce moment. Ce que je vous demande, c’est si vous en êtes l’auteur. L’avez‑vous écrit?

R.        Je ne sais pas.

Q.        J’avais cru comprendre que vous aviez reconnu avoir rédigé deux documents. Une version provisoire et une version qui était censée être la version définitive [...]

R.        C’est exact, oui.

Q.        [...] destinée à être envoyée à la Cour suprême du Canada.

R.        Oui.

Q.        La question est donc la suivante. Est‑ce que nous examinons l’un de ces deux documents maintenant?

R.        Vous posez deux questions ici.

R.        Le document que nous examinons maintenant à l’onglet 9, s’agit‑il de la version provisoire que vous avez préparée en vue de sa transmission?

R.        Il semble qu’il s’agisse d’une version provisoire.

Q.        D’accord. Préparée par vous?

R.        C’est possible, oui.

Il a par la suite tenté de revenir sur son témoignage antérieur dans lequel il avait admis avoir envoyé la pièce D5 à la Cour suprême du Canada. Pour ce faire, il a affirmé que M. Tremblay l’avait convaincu de sa culpabilité (voir p. 75) :

[traduction

R.        Je crois avoir télécopié le document parce que Larry Tremblay m’avait dit que j’avais télécopié un document à la Cour suprême du Canada. Avec le recul, je me rends compte qu’il était impossible que j’aie télécopié ce document parce que j’avais retrouvé ce document dans mon pigeonnier qui se trouve dans une pièce fermée à clé à l’arrière. Si j’avais télécopié ce document, il aurait fallu que je retourne à mon [...] Je serais retourné à mon bureau et je l’aurais déposé sur mon bureau. Le pigeonnier est habituellement un endroit où vous retirez ou recevez des documents et non un endroit où vous déposez des documents.

Ceci étant dit, je n’ai pas télécopié le document. Quelqu’un d’autre l’a fait et l’a ensuite déposé dans le pigeonnier où je l’ai ensuite reçu. On ne passe pas devant son bureau pour ensuite le déposer dans un pigeonnier pour ensuite le récupérer de son pigeonnier. Je sais donc avec certitude que je n’ai pas télécopié ce document.

[14]           Ce témoignage contredit celui que M. Sauvé avait donné lors de son procès pénal. Dans ce contexte, sa défense était fondée sur l’argument que le contenu de la pièce D5 et la raison pour laquelle il avait envoyé celle‑ci avaient été mal interprétés.

[15]           M. Sauvé n’était pas un témoin crédible. Lorsque son témoignage est différent de celui des autres témoins, j’écarte la version de M. Sauvé. Heureusement, les éléments de preuve pertinents sur lesquels les témoins ne s’entendent pas sont peu nombreux.

[16]           J’accepte que la présence de M. Sauvé au bureau du détachement de la GRC le 8 octobre 2004 a été obtenue sous un prétexte et qu’après son arrivée, l’inspecteur Tremblay lui a ordonné de lui remettre son arme à feu et de demeurer sur les lieux. J’accepte également que jusqu’à l’arrivée des représentants du service de police d’Ottawa, M. Sauvé n’avait pas été officiellement mis en garde, arrêté, ou informé de ses droits en vertu de la Charte. Dans l’intervalle, M. Tremblay a posé certaines questions à M. Sauvé au sujet de la pièce D5 et il a offert une explication. MM. Tremblay et Franche ont tous les deux pris des notes au sujet de cette discussion. J’accepte également que les agents Sorrie et Cadieux se sont présentés le 22 novembre 2004 à la cellule où M. Sauvé était détenu en isolement protecteur et qu’ils ont discuté avec lui de la nécessité pour lui de témoigner dans un procès pénal en cours. Il aurait été évident pour toute personne qui aurait surpris leur discussion que M. Sauvé était un policier.

[17]           Les faits susmentionnés constituent le fondement de la poursuite en dommages‑intérêts au civil de M. Sauvé.

[18]           M. Tremblay a donné le témoignage convaincant suivant pour justifier ses décisions et expliquer en vertu de quel pouvoir il avait agi (voir p. 75 à 77) :

[traduction

Q.        Surintendant principal Tremblay, juste quelques questions pour faire suite aux questions que ma collègue vous a posées.

Ma collègue vous a posé une question pour savoir en quelque sorte pourquoi vous aviez jugé nécessaire de convoquer Gary Sauvé dans votre bureau en recourant à un subterfuge, c’est‑à‑dire en n’invoquant pas la véritable raison pour laquelle vous souhaitiez sa présence au bureau.

Je voulais revenir sur cette question. Pourquoi hésitiez‑vous à donner à M. Gary Sauvé la véritable raison pour laquelle vous vouliez le faire venir dans votre bureau?

R.        La sécurité publique. La raison pour laquelle je l’ai fait venir au bureau était que j’en étais venu à croire qu’il pouvait constituer une menace pour lui‑même et pour autrui et que je voulais immédiatement atténuer ce risque. Le fait de recourir à un subterfuge pour le faire venir au bureau augmentait les chances qu’il se présente au bureau avec son arme sans incident.

Q.        Dois‑je comprendre que vous craigniez que sans ce subterfuge il y aurait pu avoir d’autres conséquences ou d’autres résultats?

R.        Absolument.

[…]

Q.        À ce propos, votre rang a‑t‑il joué un rôle? Votre rang par rapport à M. Sauvé a‑t‑il en quelque sorte joué un rôle dans votre décision?

R.        Mon poste d’officier hiérarchique me donnait le pouvoir : a) de le convoquer au bureau; b) me donnait le pouvoir, en vertu de la Loi sur la GRC, de lui retirer son arme et le pouvoir de l’informer qu’il ne devait pas quitter le bureau tant que nous n’étions pas convaincus que la question était réglée.

Q.        Ma collègue a insinué qu’au vu des questions que vous avez posées à M. Sauvé lorsque vous l’avez rencontré dans la salle de conférence où vous l’avez effectivement rencontré et des notes que vous avez prises, ce vous faisiez en réalité, c’est recueillir ce qu’elle a appelé une déclaration à la police. Était‑ce effectivement le cas?

R.        Non pas du tout. Je compte 30 ans d’expérience comme policier. Si j’avais voulu recueillir une déclaration, j’aurais informé M. Sauvé de ses droits, je lui aurais parlé des dispositions de la Charte, je lui aurais servi une mise en garde et j’aurais ensuite recueilli sa déclaration. 

Je voulais parler à l’agent Sauvé pour mieux comprendre en quoi consistait la menace immédiate qu’il posait, et rien d’autre.

[19]           M. Tremblay a fait preuve de prudence en convoquant M. Sauvé au bureau du détachement. Le recours au prétexte des heures supplémentaires pour obtenir sa collaboration était raisonnable en raison de la crainte très légitime que M. Sauvé ne se présente pas s’il était prévenu à l’avance. L’instabilité émotive de M. Sauvé était de toute évidence un sujet de préoccupation, vu les menaces explicites formulées dans sa lettre. Je ne suis pas d’accord avec Mme Létourneau pour dire que ces préoccupations étaient injustifiées parce que les menaces ne seraient mises à exécution que si la « condition préalable » que M. Sauvé n’obtienne pas gain de cause dans l’appel en cours était réalisée. L’idée suivant laquelle il aurait fallu faire preuve de logique et de retenue envers M. Sauvé est injustifiée, compte tenu de ses tentatives d’intimider la Cour et les autres personnes impliquées dans son procès en droit de la famille. M. Sauvé avait menacé de se faire justice lui‑même et avait exprimé sans équivoque son intention de s’en prendre à lui‑même et aux autres personnes contre lesquelles il nourrissait des griefs. M. Tremblay était parfaitement en droit de présumer que les menaces de M. Sauvé étaient réelles et qu’il avait l’intention d’y donner suite sans tarder. Il ne pouvait s’accorder le luxe de prendre le temps de réfléchir aux présumées nuances de la lettre de M. Sauvé. Il aurait été négligent de la part de M. Tremblay d’agir avec moins de vigilance ou de moins se soucier de la sécurité publique qu’il ne l’a fait. Son devoir l’obligeait à prendre les menaces de M. Sauvé au sérieux et à s’assurer que M. Sauvé ne soit pas en mesure de les exécuter. Il avait l’obligation d’assurer la présence et la collaboration de M. Sauvé et, en particulier, de confisquer son arme à feu. Le meilleur endroit pour s’acquitter de cette tâche était dans le milieu contrôlé du bureau de détachement en présence d’autres agents, et notamment d’un agent d’aide aux employés. M. Tremblay a reconnu que la menace que représentait M. Sauvé pouvait avoir des implications criminelles et il a à raison confié l’affaire au service de police d’Ottawa pour qu’elle ouvre une enquête indépendante. M. Tremblay a également compris que la situation comportait des aspects déontologiques. Il avait l’obligation de chercher à obtenir des explications de la part de M. Sauvé ou, comme il l’a lui‑même dit (voir page 63), [traduction] « [c]ette situation s’expliquait peut‑être. Il y avait peut‑être une explication. Je ne connaissais peut‑être pas tous les faits ».

[20]           Compte tenu de l’attitude et du comportement irrationnels de M. Sauvé, M. Tremblay lui a donné l’ordre de demeurer dans le bureau du détachement. Là encore, M. Tremblay aurait été négligent s’il n’avait pas agi de la sorte. Selon toute vraisemblance, M. Sauvé était mentalement instable et potentiellement dangereux.

[21]           Je comprends l’argument de Mme Létourneau suivant lequel les interactions de M. Tremblay avec M. Sauvé risquaient d’empiéter sur l’enquête menée par le Service de police d’Ottawa. J’accepte toutefois sans réserve la raison donnée par M. Tremblay pour expliquer sa décision, à savoir qu’il agissait dans l’intérêt de la sécurité publique (y compris celui de M. Sauvé) et qu’il souhaitait offrir à M. Sauvé l’occasion d’expliquer ce qui était arrivé. M. Tremblay a expliqué qu’il était ouvert à recevoir les explications de M. Sauvé et que si des explications suffisamment disculpatoires avaient été fournies, les choses auraient pu évoluer différemment. Il ne s’agissait décidément pas d’une situation dans laquelle M. Tremblay tentait de camoufler ce qui, en réalité, était une enquête criminelle portant sur M. Sauvé. De plus, tout ce que M. Sauvé disait à M. Tremblay, M. Franche ou M. Demers ne pouvait être utilisé contre lui dans une poursuite subséquente (voir le paragraphe 43 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10).

[22]           Dans ces conditions, M. Tremblay était légalement autorisé en vertu de l’article 40 de la Loi sur la GRC, précitée, à mener une enquête disciplinaire et, en vertu de l’article 40 du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada, DORS/1988‑361, à ordonner à M. Sauvé de lui remettre son arme à feu et à demeurer dans le bureau du détachement jusqu’à l’arrivée du Service de police d’Ottawa.

[23]           Suivant MM. Tremblay, Franche et Demers, M. Sauvé a offert sa collaboration du début à la fin et s’est conformé de façon appropriée à l’ordre administratif donné par M. Tremblay. M. Sauvé n’était pas, à ce moment‑là, détenu ou en état d’arrestation. M. Sauvé a simplement obtempéré à l’ordre que lui avait donné son supérieur et il ne peut prétendre maintenant qu’il était détenu.

[24]           Compte tenu du témoignage de MM. Tremblay, Franche et Demers, je n’accepte pas le témoignage de M. Sauvé suivant lequel il a été physiquement empêché de quitter le bureau du détachement. D’ailleurs, je ne retiens pas les aspects de son témoignage qui s’écartent de façon importante de la version des autres témoins. M. Sauvé n’a pas dit la vérité et il s’est montré évasif sur plusieurs points, notamment en niant être l’auteur de la pièce D5. Devant moi, il a présenté plusieurs explications au sujet de cette lettre, allant jusqu’à prétendre de façon farfelue que c’était M. Tremblay qui l’avait envoyée à la Cour suprême. Jusqu’au présent procès, M. Sauvé n’avait jamais nié avoir écrit ou envoyé la pièce D5 à la Cour suprême. D’ailleurs, il avait admis sous serment ces faits lors de son procès pénal. Lorsqu’il a témoigné devant la Cour de justice de l’Ontario, sa défense reposait uniquement sur une interprétation disculpatoire et intéressée des propos qu’il avait tenus dans cette lettre. Même si je n’étais pas tenu par les conclusions de la Cour de justice de l’Ontario, je n’hésiterais pas à conclure que M. Sauvé a écrit et envoyé la pièce D5 à la Cour suprême, et je rejette son témoignage contraire.

[25]           Même si M. Sauvé a été brièvement arrêté ou détenu sans l’autorisation prévue à l’article 40 du Règlement sur la GRC, sans son consentement et dans le cadre d’une enquête criminelle, ces mesures étaient amplement justifiées sur le plan légal.

[26]           La brève détention de M. Sauvé pendant à peine deux heures pour permettre au Service de police d’Ottawa d’ouvrir une enquête criminelle à son sujet était amplement justifiée en vertu de l’article 42 du Règlement sur la GRC pour protéger les personnes que M. Sauvé avait menacées, pour protéger M. Sauvé lui‑même ou pour autrement préserver la paix. Une brève détention aux fins de prévention ou d’enquête était également justifiée en common law et, de façon générale, par l’article 18 de la Loi sur la GRC, précitée.

[27]           Dans l’affaire R c Mann, 2004 CSC 52, [2004] ACS no 49, la Cour s’est penchée sur le pouvoir, en common law, de la police de procéder à la détention d’un suspect à des fins d’enquête. La Cour a fait observer que la police a l’obligation générale de protéger la vie des personnes et les biens et a cité des précédents des États‑Unis suivant lesquels un droit limité de détention existe pour prévenir une activité criminelle « imminente ». La nature et la portée de la détention doivent être mesurées et raisonnables, compte tenu des circonstances, et elles doivent être mises en balance avec l’importance de l’intérêt public servi. Voici comment le critère applicable a été énoncé :

34        Il ressort de la jurisprudence plusieurs principes directeurs régissant l’utilisation du pouvoir des policiers en matière de détention aux fins d’enquête. L’évolution du critère formulé dans l’arrêt Waterfield, de même que l’obligation des policiers de disposer de motifs concrets établie dans l’arrêt Simpson, requiert que les détentions aux fins d’enquête reposent sur des motifs raisonnables. La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours. La question des motifs raisonnables intervient dès le départ dans cette détermination, car ces motifs sont à la base des soupçons raisonnables du policier que l’individu en cause est impliqué dans l’activité criminelle visée par l’enquête. Toutefois, pour satisfaire au deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield, le caractère globalement non abusif de la décision de détenir une personne doit également être apprécié au regard de l’ensemble des circonstances, principalement la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d’accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de cette atteinte.

35        Il n’y a pas nécessairement correspondance entre les pouvoirs dont disposent les policiers et les devoirs qui leur incombent. Bien que, suivant la common law, les policiers aient l’obligation d’enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n’importe quelle mesure pour s’acquitter de cette obligation. Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l’ordre constitutionnel canadien. Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n’ont pas carte blanche en matière de détention. Le pouvoir de détention ne saurait être exercé sur la foi d’une intuition ni donner lieu dans les faits à une arrestation.

Cette approche a par la suite été analysée dans l’arrêt La Reine c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] ACS no 32, aux paragraphes 40 et 41 :

40        Les policiers avaient des motifs raisonnables de croire que la sécurité publique était menacée, que les personnes qui quittaient le stationnement pouvaient être en possession d’armes de poing et que l’interception des véhicules quittant les lieux pouvait permettre l’arrestation des suspects. L’interception du véhicule a résulté d’une intervention raisonnable, circonscrite en fonction des renseignements dont disposaient les policiers.

41        Vu l’ensemble des circonstances, la détention initiale constituait donc une mesure raisonnablement nécessaire eu égard à la gravité de l’infraction et au risque pour la sécurité des policiers et des citoyens inhérent à la présence d’armes prohibées dans un lieu public. Aussi, le délai de réaction, la délimitation géographique de l’intervention et les moyens employés étaient adaptés à la situation alors connue des policiers. En conséquence, l’interception initiale constituait un exercice justifiable des pouvoirs policiers liés à l’obligation d’enquêter relativement aux infractions signalées au 9‑1‑1, de sorte qu’elle n’équivalait pas à une détention arbitraire au sens de l’art. 9 de la Charte.

[28]           Compte tenu de la situation à laquelle était confronté M. Tremblay, la brève détention de M. Sauvé en attendant que le Service de police d’Ottawa termine son enquête était une mesure à la fois prudente et raisonnable. À son arrivée au bureau du détachement, M. Sauvé s’est fait expliquer la raison de sa présence. Il a reçu l’ordre de demeurer dans la salle de conférence, mais on ne l’a aucunement retenu physiquement. On lui a donné accès à un agent d’aide aux employés de la GRC. Vu le rôle joué par M. Sauvé en envoyant à la Cour suprême une lettre dans laquelle il menaçait de se suicider et d’attenter à la vie d’autres personnes, cette restriction minime à sa liberté de mouvement était raisonnable et en fonction de la gravité du risque, et était donc légale.

[29]           Le second grief de M. Sauvé concerne la présence de deux agents de la GRC habillés en civil dans sa cellule du CDOC le 22 novembre 2004. L’objet de leur visite était de lui signifier un avis de production pour assurer sa comparution comme témoin dans un procès pour stupéfiants à Ottawa. M. Sauvé avait participé à l’enquête qui avait conduit à ce procès et sa présence comme témoin était demandée par l’avocat de la défense et avait été autorisée par le juge du procès.

[30]           La préoccupation de M. Sauvé était que cette visite avait compromis son anonymat en tant que policier, notamment en raison du fait que la conversation avait probablement été surprise par les autorités carcérales et par d’autres détenus. Il allègue qu’il a été agressé par des gardiens à quatre reprises après cette visite en raison de son emploi à la GRC. Il affirme également qu’il était constamment terrifié par la suite parce qu’il craignait d’être agressé par des détenus qui en voulaient aux policiers.

[31]           M. Sauvé allègue que la GRC a agi de façon négligente en l’exposant à un risque accru de subir un préjudice et il sollicite des dommages‑intérêts pour les troubles émotifs qui en découlent. Il ne demande pas de dommages‑intérêts en tant que tels pour les sévices qu’il affirme avoir subis de la part des autorités carcérales et il a intenté une action au civil distincte contre la province de l’Ontario pour voies de fait.

[32]           Il y a plusieurs raisons pour lesquelles la prétention de M. Sauvé ne peut être retenue. En premier lieu, M. Sauvé n’a pas démontré que les agissements de la GRC étaient entachés de négligence ou que les faits qui se seraient produits auraient été causés par leurs agissements. Il n’a également pas démontré qu’il avait subi un préjudice donnant ouverture à une indemnisation à la suite de ces faits.

[33]           M. Sauvé soutient que la conversation qu’il a eue dans sa cellule avec les agents Cadieux et Sorrie avait probablement été surprise par les autorités carcérales et par les détenus qui se trouvaient dans les environs. Cette situation l’aurait à son avis exposé à un risque accru de subir un préjudice.

[34]           Le fait que des représentants carcéraux aient pu surprendre la discussion n’emporte aucune conséquence sur le plan juridique. Les autorités carcérales savaient déjà que M. Sauvé était membre de la GRC et qu’il était détenu pour cette raison en isolement protecteur. Bien qu’il ne soit pas strictement nécessaire de décider si M. Sauvé a déjà été agressé par des représentants de la prison en raison de son statut de policier, je tiens à signaler qu’il n’a pas corroboré ces allégations et qu’il n’a offert aucun mobile vraisemblable pour confirmer une telle inconduite.

[35]           Les agents Cadieux et Sorrie ont tous les deux témoigné que la discussion qui avait eu lieu dans la cellule de M. Sauvé le 22 novembre 2004 était professionnelle et qu’elle avait eu lieu à voix basse. M. Sauvé n’avait pas exprimé de réserve à ce moment‑là au sujet de leur visite et il avait discuté librement des détails de sa comparution prévue. Il avait demandé s’il pouvait examiner les notes qu’il avait prises comme policier avant de témoigner, ce à quoi on lui avait répondu par l’affirmative. À la fin de la rencontre, l’agent Sorrie a demandé à M. Sauvé comment il se portait et s’il avait besoin de quelque chose. M. Sauvé lui a répondu qu’il n’avait besoin de rien.

[36]           Interrogé quant à savoir pourquoi la rencontre avec M. Sauvé n’avait pas été organisée dans une des salles de rencontre habituelles, M. Sorrie a répondu qu’il croyait qu’elle avait probablement été organisée ainsi afin d’éviter de faire parader M. Sauvé devant la population carcérale générale. Le directeur de la sécurité du CDOC, M. Steven Ashdown, a fourni la même explication.

[37]           Le critère permettant de savoir si la police a fait preuve de négligence est énoncé dans l’extrait suivant de l’arrêt Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41, au paragraphe 73, [2007] 3 RCS 129 :

73        Je conclus que la norme de diligence applicable est la norme générale du policier raisonnable placé dans la même situation. Cette norme devrait s’appliquer de manière à bien reconnaître le pouvoir discrétionnaire inhérent à l’enquête policière. Comme les autres professionnels, le policier peut exercer son pouvoir discrétionnaire comme il le juge opportun, à condition de respecter les limites de la raisonnabilité. Le policier qui exerce son pouvoir discrétionnaire d’une autre manière que celle jugée optimale par le tribunal de révision n’enfreint pas la norme de diligence. Plusieurs choix peuvent s’offrir au policier qui enquête sur un crime, et tous ces choix peuvent être raisonnables. Tant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est raisonnable, la norme de diligence est observée. La norme ne commande pas une démarche parfaite, ni même optimale, lorsqu’on considère celle‑ci avec le recul. La norme est celle du policier raisonnable au regard de la situation — urgence, données insuffisantes, etc. — au moment de la décision. Le droit de la négligence n’exige pas des professionnels qu’ils soient parfaits ni qu’ils obtiennent les résultats escomptés (Klar, p. 359). En fait, il admet qu’à l’instar des autres professionnels, le policier peut, sans enfreindre la norme de diligence, commettre des erreurs sans gravité ou des erreurs de jugement aux conséquences fâcheuses. Le droit distingue l’erreur déraisonnable emportant l’inobservation de la norme de diligence de la simple « erreur de jugement » que n’importe quel professionnel raisonnable aurait pu commettre et qui, par conséquent, n’enfreint pas la norme de diligence. (Voir Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; Folland c. Reardon (2005), 74 O.R. (3d) 688 (C.A.); Klar, p. 359.) [Souligné dans l’original.]

Le témoignage de M. Sauvé est loin d’établir que les défendeurs ont, selon la norme susmentionnée, fait preuve de négligence au cours de l’échange qui a eu lieu dans la cellule dans les circonstances qui ont été relatées.

[38]           M. Sauvé n’a d’ailleurs présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que d’autres détenus avaient réellement surpris la discussion qu’il a eue avec les agents Cadieux et Sorrie, et la proposition que la conversation a probablement été entendue n’est que pure spéculation. La situation de M. Sauvé était également de notoriété publique, de sorte que si un détenu était au courant du fait qu’il travaillait pour la GRC, il aurait pu tout aussi facilement le savoir par les médias.

[39]           Pendant toute la durée de son incarcération, M. Sauvé a été détenu en isolement protecteur en raison de son statut d’agent de la GRC. Par conséquent, il n’a jamais été directement en contact avec la population carcérale générale. Bien qu’en théorie il aurait pu être mêlé une heure par jour aux autres détenus de l’aire d’isolement protecteur, la preuve indique qu’il a systématiquement refusé de se prévaloir de cette possibilité. Bien que M. Sauvé ait partagé sa cellule avec un autre détenu en isolement protecteur pendant quelques semaines, cette décision a été prise par les autorités carcérales et non par l’un ou l’autre des défendeurs. M. Sauvé n’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que le détenu en question savait qu’il était membre de la GRC, et cette occupation double a finalement cessé à la demande de l’avocat de M. Sauvé.

[40]           Je ne doute pas que le temps que M. Sauvé a passé en détention a été difficile pour lui. Il était confiné dans sa cellule au moins 23 heures par jour et il n’a eu pratiquement aucune interaction directe avec d’autres personnes pendant tout le temps qu’il a passé en détention. Mais cette situation était une conséquence des accusations criminelles auxquelles il faisait face et des décisions privatives de liberté prises par les tribunaux et les autorités carcérales. M. Sauvé a été détenu en isolement protecteur parce que sa sécurité ne pouvait être garantie au sein de la population carcérale générale. Les décisions privatives de liberté prises par les autorités carcérales me semblent prudentes et nécessaires, mais, en tout état de cause, les défendeurs à l’instance ne sont pas légalement responsables de ces décisions.

[41]           Le médecin de famille de M. Sauvé, le docteur David Burt, a expliqué qu’après sa remise en liberté, M. Sauvé s’était plaint de symptômes correspondant à un trouble de stress post‑traumatique. J’accepte qu’en tant que policier, M. Sauvé a subi un stress considérable au cours de sa période de détention, mais, là encore, la situation résultait de sa détention légale et des contraintes particulières inhérentes à son isolement protecteur. La rencontre anodine qu’il a eue avec les agents Cadieux et Sorrie ne permet pas de lui attribuer un stress émotif distinct de celui déjà inhérent à sa détention elle‑même.

[42]           Pour les motifs qui ont été exposés, la présente action est rejetée. La question des dépens est différée jusqu’à la réception d’observations écrites de la part des avocats des parties. Ces observations devront être déposées et signifiées dans un délai de sept jours et ne devront pas dépasser cinq pages.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente action. La question des dépens est différée jusqu’à ce que les avocats des parties présentent des observations complémentaires.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1752‑06

 

INTITULÉ :

GARY SAUVÉ

c

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, MARC FRANCHE (GRC), LARRY TREMBLAY (GRC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 1er AU 5 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Cheryl Létourneau

 

POUR LE demandeur

 

Helene Robertson

Patrick Bendin

 

POUR LES défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertschi Orth

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES défendeurs

 

 



[1]     Au moment des faits, M. Franche occupait le rang de caporal. Il est maintenant sergent. M. Tremblay était inspecteur. Il est maintenant surintendant‑chef. Par souci de cohérence, j’ai supprimé toute mention tant de leurs anciens rangs que de leurs rangs actuels.

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