Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150122


Dossier : T-1476-14

Référence : 2015 CF 91

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

ROCCO GALATI, MANUEL AZEVEDO et
CENTRE DE DROIT CONSTITUTIONNEL INC.

demandeurs

et

SON EXCELLENCE LE TRÈS HONORABLE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DAVID JOHNSTON, L’HONORABLE CHRIS ALEXANDER, MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTRE DE LA JUSTICE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS


TABLE DES MATIÈRES

 

Par.

I.      Aperçu

1

II.    Le contexte

10

III.   Les questions préliminaires

15

A.   L’absence de qualité pour agir dans l’intérêt privé

17

B.   Les demandeurs ont qualité pour agir dans l’intérêt public

20

C.   L’admissibilité de l’affidavit de Me Galati

30

IV.   La possibilité de demander un contrôle judiciaire

32

A.   L’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale n’est pas justiciable

32

1)    Les principes qui sous-tendent la doctrine de la justiciabilité

33

2)    L’octroi de la sanction est un acte législatif

41

B.   Le gouverneur général à titre de défendeur

49

C.   Les ministres à titre de défendeurs

61

V.      L’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté excède-t-il la capacité législative du Parlement que confère la Loi constitutionnelle de 1867?

66

A.   La citoyenneté n’est pas un droit constitutionnel inaliénable

72

1)    Revue historique de lois prévoyant la perte de la citoyenneté

81

2)    Revue historique des lois prévoyant la perte de la citoyenneté

86

B.   L’absence de citoyenneté en tant que chef de compétence législative énuméré et la compétence exclusive du Parlement sur la citoyenneté

91

VI.   Conclusion

100

 


I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs cherchent à faire annuler la décision du 19 juin 2014 de Son Excellence le très honorable David Johnston, gouverneur général du Canada, soit d’octroyer la sanction royale au projet de loi C-24, intitulé Loi renforçant la citoyenneté canadienne, LC 2014, c 22 (la Loi renforçant la citoyenneté).

[2]               L’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté apporte des modifications à la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (Loi sur la citoyenneté). Ces modifications autorisent le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à révoquer la citoyenneté de citoyens canadiens de naissance ou naturalisés qui sont déclarés coupables d’une infraction liée à la sécurité nationale ou au terrorisme. Les infractions prévues comprennent la trahison aux termes de l’article 47 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (alinéa 10(2)a) de la Loi sur la citoyenneté), une infraction de terrorisme au sens de l’article 2 du Code criminel (alinéa 10(2)b) de la Loi sur la citoyenneté) et certaines infractions visées par la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 et la Loi sur la protection de l’information, LRC 1985, c O‑5. Dans les cas où un citoyen détient la double nationalité, ou pourrait y avoir droit, la Loi renforçant la citoyenneté prévoit la révocation de la citoyenneté et la désignation de cette personne à titre d’étranger, ce qui pourrait mener à son expulsion du Canada.

[3]               De façon générale, les demandeurs soutiennent que l’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté excède la compétence législative que la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement. Pour des raisons de principe constitutionnel, affirment-ils, la citoyenneté est un droit immuable et inaliénable qu’aucune loi ne peut révoquer. Ce principe, qui tire son origine du droit du Royaume-Uni, était que, par l’exigence contenue dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, le Canada devait se doter d’une « constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni », consacrée dans la Constitution. À défaut d’une modification constitutionnelle, cette constitution n’est pas soumise aux lois ordinaires du Parlement. En conséquence, soutiennent les demandeurs, en octroyant la sanction royale à la Loi renforçant la citoyenneté le gouverneur général a outrepassé le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui confère la prérogative royale, de même que le pouvoir que lui accorde la Loi sur la sanction royale, LC 2002, c 15 (Loi sur la sanction royale).

[4]               La disponibilité d’un contrôle judiciaire et des mesures de redressement qui y sont associées sont soumises à des conditions analytiques préalables. Ce ne sont pas tous les actes d’un agent de l’État qui sont susceptibles de contrôle; il existe des critères de nature jurisprudentielle et législative auxquels il est nécessaire de répondre avant que la Cour fédérale puisse entreprendre un contrôle judiciaire et, si ce dernier est accordé, des considérations de nature discrétionnaire à l’égard des mesures de redressement.

[5]               La question juridique préliminaire consiste à savoir si le gouverneur général, en octroyant la sanction royale, était un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (Loi sur les Cours fédérales). Autrement dit, en sanctionnant le projet de loi C‑24, le gouverneur général exerçait-il une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale », ainsi que l’exige le paragraphe 2(1). La réponse à cette question dépend du pouvoir exercé et, de façon importante, de la source de ce pouvoir : Anisman c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, aux paragraphes 29 à 31.

[6]               Il y a la question accessoire de savoir si, dans le contexte de la présente demande, les autres défendeurs, l’honorable Chris Alexander, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, ainsi que le ministre de la Justice et le procureur général du Canada, tombent sous le coup du paragraphe 2(1). Les demandeurs cherchent à faire infirmer les décisions des deux ministres qui, en leur qualité de membres du Parlement et [traduction« conscients de l’obstacle constitutionnel », ont voté en faveur de la Loi renforçant la citoyenneté ou, pour être plus précis, de l’adoption du projet de loi C-24.

[7]               La considération jurisprudentielle préliminaire consiste à savoir si l’affaire en question est susceptible de contrôle judiciaire. La justiciabilité et les conditions législatives préalables visent des fins différentes. La justiciabilité est ancrée dans la compréhension qu’a le tribunal de la portée ou de l’objet appropriés du contrôle judiciaire ou, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale : [traduction« l’opportunité qu’un tribunal traite d’une question qui lui est soumise et sa capacité de le faire » : Première Nation des Hupacasath c Le Ministre des Affaires Étrangères Canada et Le Procureur général du Canada, 2015 CAF 4, au paragraphe 62, le juge Stratas. La justiciabilité est axée sur la nature ou le fond de la question faisant l’objet du contrôle; la source du pouvoir exercé, qu’il soit conféré par la loi ou qu’il s’agisse d’une prérogative, n’est pas déterminante. Par contraste, le paragraphe 2(1) est axé sur des exigences de compétence nécessaires, et la question de savoir s’il entre en jeu dépend très nettement de la source du pouvoir.

[8]               Dans la présente affaire, un examen de chacun de ces points mène, séparément, à la conclusion que l’octroi de la sanction royale par le gouverneur général n’est pas justiciable, et qu’aucun des défendeurs n’est un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F‑7).

[9]               En tout état de cause, la demande échoue à l’égard de son bien-fondé. L’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté relève de la compétence législative du Parlement, sous réserve uniquement de la limite que représente la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte). La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Le contexte

[10]           Rocco Galati, Manuel Azevedo et le Centre de droit constitutionnel Inc. (le Centre) sont les demandeurs. M. Galati, avocat et membre du Barreau de l’Ontario, exerce le droit dans le secteur privé depuis 1990. Il se limite aux instances introduites contre la Couronne et un grand nombre des affaires dont il s’est chargé mettent en cause des questions de nature constitutionnelle ou la défense de personnes accusées d’infractions qui, d’après la nouvelle loi, pourraient entraîner la révocation de leur citoyenneté. Il croit que les questions relevant de la Constitution sont [traduction« l’affaire de tous les citoyens ». M. Azevedo, lui aussi avocat, a représenté des personnes accusées de terrorisme et d’infractions connexes en vertu du Code criminel, de la Loi sur l’extradition, LC 1999, c 18, et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Mes Galati et Azevedo sont des citoyens canadiens naturalisés.

[11]           Le Centre est une société à but non lucratif de l’Ontario, constituée le 29 novembre 2004. Il a pour mission de promouvoir les droits constitutionnels des Canadiens par la voie de la sensibilisation et des tribunaux. Le Centre a trois administrateurs, dont Me Galati et Me Azevedo, ainsi que quatre directeurs opérationnels, dont Me Galati, Me Azevedo et Me Paul Slansky, lui aussi membre du Barreau de l’Ontario.

[12]           Depuis 2004, l’activité principale du Centre consiste à fournir des services d’avocats  bénévoles à des clients dans le cadre d’affaires constitutionnelles ou de droit public. Les documents déposés devant la Cour comprenaient un certain nombre d’affaires, tant en première instance qu’en appel, et devant divers tribunaux, dans lesquelles étaient intervenus des avocats faisant partie de la direction du Centre. L’intervention récente de ce dernier dans l’affaire Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, était la première fois où Me Galati ou le Centre intervenaient en leur nom personnel.

[13]           Le 9 juin 2014, le Centre de droit constitutionnel, sous la signature de Me Galati, a écrit au gouverneur général. Exerçant la pétition de droit, les demandeurs ont demandé que Son Excellence refuse d’octroyer la sanction royale à la Loi renforçant la citoyenneté, affirmant que le Parlement n’avait pas la compétence législative requise pour retirer ou révoquer la citoyenneté de citoyens nés au Canada ou de citoyens canadiens naturalisés, et que sa compétence se limitait aux « aubains » et à la naturalisation, aux termes du paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[14]           Le Bureau du gouverneur général a répondu que le gouverneur général avait pris note de la teneur de la pétition; cependant, le 19 juin 2014, le gouverneur général a octroyé la sanction à la Loi renforçant la citoyenneté, rejetant en fait la pétition des demandeurs. C’est à l’égard de cette décision que le contrôle judiciaire est, principalement, demandé.

III.             Les questions préliminaires

[15]           Le procureur général a soulevé deux questions préliminaires : si les demandeurs ont qualité pour agir, et l’admissibilité de certains éléments de preuve.

[16]           Les défendeurs soutiennent qu’il faudrait rejeter la présente demande car les demandeurs n’ont qualité pour agir ni dans l’intérêt privé ni dans l’intérêt public. Les demandeurs, affirment‑ils, n’ont aucun intérêt – réel ou véritable – dans l’affaire. C’est-à-dire que, bien qu’ils puissent avoir un intérêt politique ou intellectuel dans l’issue, ils n’ont été ni reconnus coupables, ni accusés d’une infraction quelconque qui puisse mener à la révocation de leur citoyenneté.

A.                L’absence de qualité pour agir dans l’intérêt privé

[17]           Me Galati et Me Azevedo sont tous deux canadiens naturalisés et – en théorie – ils courent un risque de révocation et de renvoi en vertu de la loi vers l’Italie et le Portugal, respectivement. En leur qualité d’avocats, les demandeurs représentent aussi des Canadiens accusés d’infractions relatives à la sécurité nationale ou au terrorisme envisagées par la Loi renforçant la citoyenneté. Me Galati souligne des commentaires qu’a faits le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et qui dénotent, du point de vue de Me Galati du moins, que celui-ci partage les convictions de ses clients , avec le résultat qu’il s’expose à un risque particulier qui, sous le régime de la nouvelle loi, suffit pour donner lieu à la qualité pour agir dans l’intérêt privé.

[18]           Les demandeurs n’ont pas qualité pour agir dans l’intérêt privé. Le fait qu’ils aient accès à la double citoyenneté est en soi insuffisant pour établir cette qualité. Ils ne sont pas différents des millions de Canadiens qui détiennent la double citoyenneté ou qui peuvent y avoir accès. Ils n’ont été ni accusés ni reconnus coupables d’une infraction entraînant l’application de la Loi renforçant la citoyenneté. Par ailleurs, les dispositions de cette dernière sont déclenchées par la déclaration de culpabilité d’une personne pour une infraction énumérée. Elles ne ciblent pas les avocats de la défense qui les représentent. De plus, les commentaires du ministre, considérés objectivement, n’étayent pas les inférences que Me Galati a tirées, pas plus que l’animus ou l’intention alléguée. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le ministre de la Citoyenneté qui engage des poursuites relativement aux infractions énumérées. La décision d’engager une poursuite repose entre les mains du directeur des poursuites pénales ou du procureur général d’une province.

[19]           La prétention d’avoir qualité pour agir dans l’intérêt privé est rejetée. Les intérêts personnels des demandeurs sont hypothétiques, éloignés et dénués d’un fondement de preuve objectif.

B.                 Les demandeurs ont qualité pour agir dans l’intérêt public

[20]           En ce qui concerne la qualité pour agir dans l’intérêt public, les demandeurs sont d’avis que la constitutionnalité de la Loi renforçant la citoyenneté est sérieuse et justiciable. Ils allèguent de plus qu’ils ont un intérêt véritable dans la question soulevée et qu’ils ne font pas simplement présenter une affaire dans laquelle ils n’ont aucun intérêt et qui n’est d’aucune utilité; ils soulignent plutôt la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui reconnaît que la Constitution appartient au pays et à ses citoyens : Nova Scotia (Attorney General) c Canada (Attorney General), [1951] SCR 31, à la page 3; Renvoi relatif à certaines modifications à la Residential Tenancies Act (N.-É.), [1996] 1 RCS 186, aux pages 209 et 210. Enfin, ils soutiennent que la poursuite proposée est un moyen raisonnable et efficace de soumettre une question importante aux tribunaux. Aucune autre partie ne conteste à l’heure actuelle la Loi renforçant la citoyenneté et il n’y a pas d’autres faits, en litige  ou législatifs, qui sont requis pour trancher la question.

[21]           Les principes qui régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire de reconnaitre la qualité pour agir doivent être interprétés de manière libérale et généreuse : Conseil canadien des Églises c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 236. À l’origine du droit de la qualité pour agir figure la nécessité d’atteindre un juste équilibre « entre l'accès aux tribunaux et la nécessité d'économiser les ressources judiciaires » : Conseil canadien des Églises, à la page 252, et Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45.

[22]           Dans l’arrêt Downtown Eastside, la Cour suprême du Canada a précisé la démarche à suivre pour déterminer la qualité pour agir dans l’intérêt public. Le tribunal doit prendre en compte trois facteurs : si une question justiciable sérieuse a été soulevée, si le demandeur a un intérêt réel ou véritable dans l’issue de la question et si, compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux : Downtown Eastside, au paragraphe 37. La Cour a indiqué que ces facteurs ne devraient pas être considérés comme « des points figurant sur une liste de contrôle ou comme des exigences techniques »; il est plutôt nécessaire de les soupeser de façon cumulative et à la lumière des objectifs qui les sous-tendent : Downtown Eastside, au paragraphe 36.

[23]           Je suis convaincu que ces trois facteurs intimement liés, quand on les applique de manière téléologique et avec souplesse, font pencher la balance en faveur de la reconnaissance, pour les demandeurs, de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[24]           Premièrement, il faut que la question relative à la validité constitutionnelle de la Loi renforçant la citoyenneté constitue un « point constitutionnel important » et donc une question « importante ». Dans l’arrêt Downtown Eastside, au paragraphe 42, la Cour suprême du Canada a donné des précisions sur le fond de ce critère :

Pour être considérée comme une « question sérieuse », la question soulevée doit constituer un « point constitutionnel important » (McNeil, p. 268) ou constituer une « question […] importante » (Borowski, p. 589). L’action doit être « loin d’être futil[e] » (Finlay, p. 633), bien que les tribunaux ne doivent pas examiner le bien-fondé d’une affaire autrement que de façon préliminaire. Par exemple, dans l’arrêt Hy and Zel’s, le juge Major s’est appuyé sur la norme applicable aux cas où il est tellement peu probable que l’action soit accueillie qu’on pourrait considérer son issue comme une conclusion qui « soit […] assurée » (p. 690). Il a adopté cette position en dépit du fait que la Cour avait déclaré sept ans auparavant que la même Loi était constitutionnelle : R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713. Le juge Major a statué qu’il était « prêt à tenir pour acquis que les nombreuses modifications apportées au cours des sept années qui ont suivi l’arrêt Edwards Books ont suffisamment changé la Loi pour que sa validité ne soit plus assurée » (Hy and Zel’s, p. 690). Dans Conseil canadien des Églises, la Cour avait de nombreuses réserves quant à la nature de l’action envisagée, mais elle a ultimement accepté que « certains aspects de la déclaration soulev[aient] une question sérieuse quant à la validité de la loi » (p. 254). En outre, dès qu’il devient évident qu’une déclaration fait état d’au moins une question sérieuse, il ne sera généralement pas nécessaire d’examiner minutieusement chacun des arguments plaidés pour trancher la question de la qualité pour agir.

[25]           C’est donc dire que, après un examen préliminaire du bien-fondé de l’affaire, l’action doit avoir si peu de chances d’être accueillie qu’on pourrait considérer son issue comme une conclusion qui « soit […] assurée ». Le fait qu’il y ait des réserves au sujet de ce bien-fondé, ou qu’il existe une source qui puisse faire contrepoids, n’est pas déterminant. L’application des critères énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside me convainc que l’on soulève un point constitutionnel important. La constitutionnalité de l’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté est une question d’importance pour le public. Les mémoires déposés auprès de la Cour révèlent un argument véritable, sérieux et important, bien que nouveau et, en fin de compte, non retenu. Obtenir gain de cause sur le fond n’est pas le baromètre de la qualité pour agir.

[26]           Deuxièmement, je suis convaincu que les demandeurs ont un intérêt véritable dans l’instance. Ce facteur a trait à la question de savoir si les demandeurs sont « engagés » quant aux questions qu’ils soulèvent : Downtown Eastside, au paragraphe 43. Il ressort clairement des affidavits que Me Galati et le Centre ont déposés que les demandeurs ont été et sont actuellement engagés à l’égard de diverses contestations constitutionnelles, qui cadrent avec le mandat qu’a le Centre de contester des mesures étatiques ou des lois qui peuvent, à leur avis, être inconstitutionnelles. Ils invoquent la pétition qu’ils ont présentée au gouverneur général pour qu’il s’abstienne d’octroyer la sanction comme preuve de leur intérêt véritable et de leur poursuite d’un recours autre qu’un litige.

[27]           Enfin, la présente instance est un moyen raisonnable et efficace de soumettre à un tribunal la question de la compétence législative du Parlement vis-à-vis de la citoyenneté. Il est possible que la Loi renforçant la citoyenneté soit contestée ultérieurement, mais il n’y a aucun litige parallèle à prendre en considération qui pourrait constituer un moyen plus efficace de trancher l’étroite question que soulève la présente demande. Deuxièmement, nul ne soutient que la Loi renforçant la citoyenneté empiète sur la compétence législative d’une province. Aucune question concernant la ligne de démarcation correcte entre des régimes législatifs contigus ou susceptibles de se chevaucher, des régimes dotés chacun d’objectifs, de cadres de principe et de contextes opérationnels qui leur sont propres, n’est engagée, ce qui est l’élément caractéristique d’une analyse du partage de compétences; l’argument que l’on invoque plutôt ici est que la compétence du Parlement est circonscrite par des limites constitutionnelles dérivées de la common law britannique et tissées dans la Loi constitutionnelle de 1867.

[28]           De plus, et ce détail est important, la présente instance ne met en cause aucune question visée par la Charte. Il n’y a aucune contestation de la Charte, aucune question de preuve relative à l’article premier. Tous les avocats insistent sur le fait que la question soumise à la Cour est à la fois étroite et distincte. En outre, la mise en garde bien reconnue contre le fait de trancher une question constitutionnelle dans le vide ne s’applique pas (MacKay c La Reine, [1980] 2 RCS 370). La Cour a en main tous les faits législatifs nécessaires. Il ne manque aucune matrice factuelle.

[29]           En résumé, les trois facteurs, considérés cumulativement, font pencher la balance en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder aux demandeurs la possibilité de déposer leur demande dans l’intérêt public. Compte tenu du caractère complet du dossier, de la nature étroite de la question, du fait qu’une question constitutionnelle sérieuse est formulée et du fait que l’on a pris en considération l’utilisation la plus efficace de ressources judiciaires limitées, je suis persuadé qu’il est justifié d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public. Le fait de trancher les questions soulevées dans la présente demande cadre avec l’administration efficace de la justice. Le fait de repousser à plus tard le règlement de la question soulevée ne profite ni aux demandeurs, ni aux défendeurs, ni à la Cour.

C.                L’admissibilité de l’affidavit de Me Galati

[30]           La deuxième objection de nature procédurale a trait à l’admissibilité de l’affidavit de Me Galati. Selon les défendeurs, il faudrait que cet affidavit soit radié car Me Galati, à titre d’avocat, l’a déposé sans autorisation, ce qui est contraire à l’article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Cet article interdit à un avocat de comparaître à ce titre dans une instance dans le cadre de laquelle il a souscrit un affidavit. L’avis de demande et l’affidavit indiquent tous deux que Me Galati n’agissait pas comme avocat, mais [traduction« en son propre nom ». On n’a pas invoqué d’arguments relatifs à l’admissibilité de l’affidavit de Me Galati à l’audience, pas plus que ce dernier n’a comparu devant le tribunal à titre d’avocat et, cela étant, l’interdiction du fait qu’un avocat comparaisse relativement à son propre affidavit n’a pas été engagée.

[31]           Cependant, dans une large mesure, l’affidavit n’a rien à voir avec les questions que les parties ont formulées. Il contient également du ouï-dire, des conjectures, des témoignages d’opinion, de prétendues preuves d’expert et des arguments juridiques, et il n’est pas admissible. Les paragraphes 12, 13, 15, 16 et 20 à 30 de l’affidavit du 10 août 2014 sont radiés.

IV.             La possibilité de demander un contrôle judiciaire

A.                L’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale n’est pas justiciable

[32]           Voyons maintenant la question préliminaire que comporte la présente demande : l’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale est-il justiciable? Il est possible de répondre à cette question en se reportant aux principes constitutionnels établis à l’égard du rôle que joue le gouverneur général au sein du processus législatif. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’octroi de la sanction royale a été un acte législatif et, de ce fait, la question de savoir si le gouverneur général a excédé son pouvoir constitutionnel en octroyant la sanction royale à la Loi renforçant la citoyenneté n’est pas justiciable.

1)                  Les principes qui sous-tendent la doctrine de la justiciabilité

[33]           Chacune des branches du gouvernement canadien – le législatif, l’exécutif et le judiciaire – jouent un rôle distinct. Chacune d’entre elles doit être « attentive à la séparation des fonctions au sein de la matrice constitutionnelle du Canada, afin d’éviter toute intrusion mal à propos dans les pouvoirs réservés aux autres branches » : Les Ami(e)s de la Terre c Canada (Gouverneur en conseil), 2008 CF 1183, au paragraphe 25; voir aussi Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 RCS 3, aux paragraphes 33 à 36. Aucune branche ne devrait outrepasser ses limites et chacune doit « respecte[r] de façon appropriée le domaine légitime de compétence de l’autre » : New Brunswick Broadcasting Co. c Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 RCS 319, à la page 389. Cette relation entre les branches du gouvernement, une relation qui découle de l’évolution du modèle de Westminster, est un aspect fondamental de la démocratie parlementaire et du principe de la primauté du droit. La justiciabilité est l’un des moyens ou des principes juridiques par lesquels les tribunaux donnent effet à ce principe.

[34]           Les tribunaux ne peuvent pas intervenir dans le processus législatif. Dans l’arrêt Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 RCS 753, à la page 785, la Cour suprême du Canada explique que les tribunaux « interviennent quand une loi est adoptée et non avant (à moins qu’on ne leur demande leur avis sur un projet de loi par renvoi) ». Les tribunaux respectent le droit du Parlement d’exercer une liberté absolue pour ce qui est de la formulation, du dépôt, de la modification et de l’adoption d’une loi.

[35]           Les tribunaux exercent un pouvoir de surveillance une fois qu’une loi a été adoptée. Mais avant ce moment-là, un tribunal ne peut pas soumettre le processus législatif à un contrôle ou s’y immiscer, sauf si on lui en fait la demande par un renvoi formulé en vertu de la loi pertinente. Conclure le contraire brouillerait les limites qui séparent obligatoirement les fonctions et les rôles du pouvoir législatif et des tribunaux. Soumettre à un contrôle l’acte par lequel le gouverneur général octroie la sanction royale, comme le voudraient les demandeurs, confondrait les rôles constitutionnellement distincts du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif, ce qui entraînerait une modification radicale de la Loi constitutionnelle de 1867 et des conventions qui sous-tendent notre système de gouvernement, notamment le droit qu’a le Parlement d’examiner et d’adopter des lois.

[36]           Les arguments des demandeurs inversent ce principe. Selon la théorie avancée, le pouvoir judiciaire se prononcerait sur la constitutionnalité d’un projet de loi avant que celui-ci ne devienne loi. Cette ligne, une fois franchie, n’aurait aucune limite. Si la décision d’octroyer la sanction royale était justiciable, il en serait également de même de la décision de présenter une loi, de déposer un projet de loi au Sénat plutôt qu’à la Chambre, ou d’invoquer la clôture. Aucune ligne fondée sur des principes ne limiterait la portée d’un examen judiciaire sur le processus législatif. Une mise en garde semblable a été exprimée dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 RCS 525, aux pages 559 et 560, où le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la Cour, a conclu :

Le gouvernement parlementaire serait paralysé si la théorie de l'expectative légitime pouvait s'appliquer de manière à empêcher le gouvernement de déposer un projet de loi au Parlement. […]

Toute restriction imposée au pouvoir de l'exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui‑même. […]

[37]           Pour les raisons que je vais décrire, une restriction à l’octroi de la sanction à une loi constitue également une limitation de la souveraineté du Parlement.

[38]           Ces exemples font ressortir le caractère central de la justiciabilité en tant que principe de démarcation des rôles respectifs du secteur judiciaire et du Parlement, de même que son importance pour la préservation du constitutionnalisme. C’est le juge en chef Dickson, dans l’arrêt Canada (Vérificateur général) c Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 RCS 49, aux pages 90 et 91, qui a le mieux exprimé cet aspect :

[…] Comme je l’ai souligné dans Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 459, en reprenant au nom de la majorité de cette Cour l’analyse du juge Wilson commençant à la p. 460, la justiciabilité est une « doctrine […] fondée sur une préoccupation à l’égard du rôle approprié des tribunaux en tant que tribune pour résoudre divers genres de différends ». Selon le juge Wilson, une question est non justiciable des tribunaux si elle met en cause « des considérations morales et politiques qu’il n’est pas du ressort des tribunaux d’évaluer » (p. 465). L’examen de la justiciabilité consiste, d’abord et avant tout, en un examen normatif de l’opportunité pour les tribunaux, sur le plan de la politique judiciaire constitutionnelle, de trancher une question donnée ou, au contraire, de la déférer à d’autres instances décisionnelles de l’administration politique.

[39]           Dans les arguments invoqués, aucune doctrine ni aucun précédent juridique n’ont été relevés qui justifieraient que les tribunaux s’immiscent dans une évaluation de la légitimité d’une loi pendant qu’elle suit son cours au Parlement. En fait, ces arguments sont contraires à la fois aux précédents et aux conventions. Un gouvernement responsable, pour l’essentiel, exige que les représentants démocratiquement élus des Canadiens déterminent quelles lois le Parlement édicte.

[40]           En conclusion, le secteur judiciaire ne s’immiscera pas, pour reprendre les propos du juge Sopinka dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, à la page 559, dans le processus législatif. Les tribunaux respectent le processus et les procédures du Parlement depuis le dépôt d’un projet de loi jusqu’à son adoption et, à défaut d’un renvoi, ne font pas de commentaires sur la légalité de projets de loi devant l’une ou l’autre des deux Chambres du Parlement. Les questions soumises aux tribunaux qui mettent en cause ces aspects ne sont pas justiciables. Dans la présente affaire, l’examen s’articule donc autour de la nature et du caractère de l’acte de la sanction et de l’endroit où il se situe dans le processus législatif et le cadre constitutionnel. Examinons maintenant cette question.

2)                  L’octroi de la sanction est un acte législatif

[41]           Le Canada est une monarchie constitutionnelle et une démocratie parlementaire. Aux termes de l’article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Reine est investie de la totalité des pouvoirs exécutifs. À l’intérieur de ce cadre, il y a un chef d’État officiel et un chef d’État politique. Le gouverneur général exerce les pouvoirs de la Couronne au nom du souverain : Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947), dans la Gazette du Canada, partie I, volume 81, p 3014 (reproduit dans LRC 1985, app. II, no 31)). Dans ce contexte, il est le chef d’État officiel du Canada et le représentant de la Reine au Canada, tandis que le chef d’État politique au Canada est le premier ministre.

[42]           Le gouverneur général conserve de nombreuses fonctions, lesquelles font partie intégrante des conventions qui, collectivement, créent le système de gouvernement hérité de Westminster : l’assermentation du premier ministre, la convocation, la prorogation et la dissolution du Parlement, la lecture du discours du Trône, l’assermentation et le serment d’office de la Cour suprême et des juges en chef.

[43]           Aux termes de la Constitution, la Reine, et son représentant au Canada, sont expressément inclus dans le processus législatif. L’article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit le Parlement du Canada, et l’article 55 de la partie IV, intitulée « Pouvoir législatif » prévoit et définit la nature du pouvoir législatif qu’exerce le gouverneur général lorsque celui-ci octroie la sanction royale :

17. Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d’une chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes.

17. There shall be One Parliament for Canada, consisting of the Queen, an Upper House styled the Senate, and the House of Commons.

55. Lorsqu’un bill voté par les chambres du parlement sera présenté au gouverneur-général pour la sanction de la Reine, le gouverneur-général devra déclarer à sa discrétion, mais sujet aux dispositions de la présente loi et aux instructions de Sa Majesté, ou qu’il le sanctionne au nom de la Reine, ou qu’il refuse cette sanction, ou qu’il réserve le bill pour la signification du bon plaisir de la Reine.

55. Where a Bill passed by the Houses of Parliament is presented to the Governor General for the Queen’s Assent, he shall declare, according to his discretion, but subject to the Provisions of this Act and Her Majesty’s Instructions, either that he assents thereto in the Queen’s Name, or that he withholds the Queen’s Assent, or that he reserves the Bill for the Signification of the Queen’s Pleasure.

[44]           La sanction royale est la dernière étape du processus législatif. Elle transforme un projet de loi en loi. Ce n’est qu’après son octroi qu’un projet de loi devient partie des lois du Canada (Jessica Richardson, « Modernisation of Royal Assent in Canada » (2004) 27 Canadian Parliamentary Review 32). L’approbation – la sanction - du souverain, représenté par le gouverneur général, est requise avant qu’un projet de loi soit adopté par la Chambre des communes et le Sénat et qu’il devienne loi. L’article 55 fait de l’octroi de la sanction un impératif constitutionnel.

[45]           L’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale est important, tant du point de vue symbolique que du point de vue doctrinal. Du point de vue doctrinal, la fusion des fonctions législatives et exécutives à divers stades du processus parlementaire est un élément central du fondement conceptuel du système de gouvernement hérité de Westminster. Du point de vue symbolique, l’octroi de la sanction est le moment où les trois éléments constitutifs du Parlement – la Chambre des communes, le Sénat et la Couronne – se réunissent pour créer une loi; c’est donc le moment où la Reine est présente au Parlement (Richardson, à la page 32).

[46]           Bien que l’article 55 confère au gouverneur général le pouvoir discrétionnaire d’octroyer la sanction ou non, ce pouvoir est entièrement circonscrit par la convention constitutionnelle du gouvernement responsable. En octroyant la sanction, le gouverneur général n’exerce pas un pouvoir discrétionnaire indépendant. Il agit sur l’avis du premier ministre. Il est obligatoire de sanctionner un projet de loi qui a franchi les étapes des deux Chambres du Parlement; refuser d’octroyer la sanction serait incompatible avec les principes du gouvernement responsable. Comme l’a expliqué le professeur Peter Hogg, les conventions constitutionnelles empêchent le gouverneur général de refuser la sanction royale :

[traduction] La définition des occasions où le gouverneur général peut exercer un pouvoir discrétionnaire indépendant suscite de nombreux débats constitutionnels et politiques. Mais on pourrait dire que c’est dans la prémisse fondamentale du gouvernement responsable que réside la réponse : tant que le cabinet jouit de la confiance d’une majorité à la Chambre des communes, le gouverneur général est toujours obligé de suivre l’avis légitime et constitutionnel que dispense le Cabinet. (Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd. (Toronto : Carswell) vol. 1, à la page 9-24)

[47]           L’article 55 est inclus à la partie IV de la Loi constitutionnelle de 1867, intitulée « Pouvoir législatif », ce qui confirme la conclusion selon laquelle l’acte de la sanction est de nature législative. Même si cet article reflète le concept d’une monarchie constitutionnelle, le fait que le pouvoir d’octroyer ou refuser la sanction était, initialement, une prérogative du souverain ne change pas sa nature fondamentale, celle d’être l’acte définitif au sein du processus législatif. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans l’arrêt Première Nation des Hupacasath, au paragraphe 63, la question de savoir si une affaire est justiciable n’a aucun rapport avec la source du pouvoir, et il n’existe [traduction« aucune distinction rationnelle entre les sources législatives du pouvoir et les sources “prérogative” du pouvoir […] ». L’acte de la sanction, même s’il s’agissait au départ d’une prérogative et s’il est de nos jours entièrement circonscrit par convention constitutionnelle, demeure un acte législatif et n’est donc pas justiciable.

[48]           En conclusion, c’est l’acte du souverain, représenté au Canada par le gouverneur général, qui fait passer un projet de loi du processus législatif, politique, au domaine du droit normatif. Pour parler plus prosaïquement, la sanction donne vie à la loi : Hogan c Newfoundland (Attorney General), [1998] NJ no 7 (Nfld SCTD). Le gouverneur général peut signifier la sanction royale par écrit et, selon moi, tout, jusqu’à l’encre séchée qui a servi à la signifier, est un acte législatif et non justiciable. La demande échoue sur ce seul fondement.

B.                 Le gouverneur général à titre de défendeur

[49]           Voyons maintenant l’objection législative préliminaire à la présente demande : si les défendeurs respectifs sont des offices fédéraux au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. En plus du gouverneur général, les demandeurs ont joint le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le procureur général du Canada, tous deux à titre de ministres et en leur qualité de députés, donc de membres du Parlement. Le fondement allégué de leur conduite à titre de députés a été de voter en faveur du projet de loi C-24, alors qu’ils étaient au courant de son inconstitutionnalité flagrante.

[50]           Là encore, comme je l’ai mentionné plus tôt, la justiciabilité et les examens de la question de la compétence sont deux choses distinctes; la justiciabilité est axée sur la nature et le caractère de l’acte ou de la question dont le tribunal est saisi, ainsi que sur le caractère approprié et la capacité du tribunal pour ce qui est de traiter de l’affaire. La question de savoir si les défendeurs sont des offices fédéraux dépend de la source du pouvoir en question. C’est donc dire que la question de savoir si le gouverneur général est un office fédéral lorsqu’il octroie la sanction royale est déterminée par la source ou l’origine du pouvoir exercé : Anisman c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, aux paragraphes 29 et 30.

[51]           Invoquant l’arrêt Anisman, les demandeurs soutiennent que la décision du gouverneur général d’octroyer ou de refuser la sanction est susceptible de contrôle judiciaire car ses origines résident dans la prérogative de la Couronne. C’est-à-dire que cette prérogative est la source du pouvoir qu’a le gouverneur général d’octroyer la sanction royale. Les demandeurs disent que pour des raisons de principe constitutionnel le souverain a toujours eu le pouvoir d’octroyer ou de refuser la sanction royale. Le Parlement n’ayant pas limité le pouvoir d’octroyer la sanction royale à la date du rapatriement de la Constitution, en 1982, c’est la prérogative royale qui demeure la source du pouvoir. Comme l’exercice de la prérogative de la Couronne est susceptible de contrôle devant les tribunaux en vue de vérifier sa conformité à la Constitution, il s’ensuit qu’il en est de même de la décision du gouverneur général : Première Nation des Hupacasath; Operation Dismantle c La Reine [1985] 1 RCS 441; Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3.

[52]           Le procureur général soutient que l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1867 est la source du pouvoir d’octroyer ou de refuser la sanction. Les demandeurs rétorquent que l’article 55 attribue simplement le pouvoir de sanction au gouverneur général, par opposition à d’autres intervenants exécutifs, tels que la Reine directement, ou un lieutenant-gouverneur. En conséquence, en octroyant ou en refusant la sanction, le gouverneur général exerce une pure prérogative.

[53]           Comme il a été mentionné plus tôt, l’article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit « pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d’une chambre haute appelée le Sénat et de la Chambre des Communes ». En octroyant la sanction royale, le gouverneur général fait partie du Parlement et, à ce titre, il échappe à l’application de la compétence en matière de contrôle judiciaire.

[54]           S’exprimant dans le contexte du contrôle judiciaire d’une décision d’un comité sénatorial, la Cour d’appel a confirmé l’opinion du juge Strayer, à savoir que la source du pouvoir du Sénat n’était pas la Loi sur le Parlement du Canada, mais plutôt la Loi constitutionnelle de 1867 :

J'estime cependant que les termes "prévus par une loi fédérale" qui figurent à l'article 2 signifient que la source de la compétence ou des pouvoirs qui sont prévus doit être une loi fédérale. Or, les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat sont prévus par la Constitution, pas par une loi, bien qu'ils soient définis ou explicités par une loi. Une telle loi est donc l'expression des privilèges du Sénat, mais elle n'en est pas la source, puisque celle-ci réside dans l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 : Southam Inc. c Canada (Procureur général) [1990] 3 CF 465, au paragraphe 28 (CA).

[55]           La décision que la Cour d’appel a rendue dans l’affaire Southam dénote clairement que le pouvoir de sanction découle de la Loi constitutionnelle de 1867.

[56]           La source du pouvoir d’octroyer ou de refuser la sanction réside dans la prérogative royale, mais ce pouvoir est maintenant ancré à l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1867, et la manière d’exercer cette prérogative est limitée par convention constitutionnelle. Comme le fait remarquer le professeur Hogg, en octroyant la sanction le gouverneur général [traduction« ne joue aucun rôle discrétionnaire »; il est plutôt lié par les conventions du gouvernement responsable et il [traduction« […] doit toujours octroyer la sanction royale à un projet de loi que les deux Chambres du Parlement ont adoptées » (Hogg, à la page 9‑22). Il n’existe [traduction« aucune circonstance » qui justifierait que l’on refuse la sanction, car l’obligation est celle d’une convention constitutionnelle (Hogg, à la page 9-22).

[57]           Les demandeurs soulignent également la Loi sur la sanction royale, LC 2002, c 15 comme étant la loi fédérale qui attribue des fonctions procédurales au gouverneur général, relativement au pouvoir d’octroyer ou de refuser la sanction. Ils soutiennent de ce fait qu’étant donné que certains aspects de la sanction royale sont exercés en vertu d’une loi, le gouverneur général, à cet égard, tombe donc sous le coup du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[58]           La Loi sur la sanction royale prescrit la forme et la manière de communiquer la sanction. Le gouverneur général peut octroyer la sanction royale soit par une procédure écrite détaillée dans cette loi, soit au moyen de la cérémonie traditionnelle dans le cadre de laquelle les projets de loi sont présentés au gouverneur général et ce dernier signifie la sanction par un hochement de tête. L’article 2 de la Loi sur la sanction royale indique :

2. L’octroi de la sanction royale aux projets de loi adoptés par les chambres du Parlement s’effectue, au cours de la session de l’adoption :

2. Royal assent to a bill passed by the Houses of Parliament may be signified, during the session in which both Houses pass the bill,

a) soit devant les trois composantes du Parlement;

(a) in Parliament assembled; or

b) soit par déclaration écrite.

(b) by written declaration.

[59]           La Loi sur la sanction royale prescrit également que la sanction doit être octroyée « devant les trois composantes du Parlement » au moins deux fois par année, ainsi qu’au premier vote sur l’octroi de crédits, qu’il s’agisse du budget des dépenses principales ou supplémentaires, pendant chaque session. Je signale que bien que les demandeurs invoquent la Loi sur la sanction royale pour établir que le gouverneur général agit conformément à un pouvoir législatif, le préambule indique : « [a]ttendu que l’octroi de la sanction royale constitue l’étape constitutionnelle ultime du processus législatif ». Il s’agit peut-être d’un point trop évident à souligner, mais la prérogative de la sanction date d’avant la Loi sur la sanction royale, qui a été adoptée en 2002. Cette loi ne peut pas être la source du pouvoir qu’a le gouverneur général d’octroyer la sanction royale, et elle n’est d’aucune aide pour les demandeurs.

[60]           En résumé, lorsqu’il octroie la sanction, le gouverneur général n’agit pas en vertu de la Loi sur la sanction royale; il exerce une responsabilité constitutionnelle qui lui est conférée par l’article 55 de la Loi constitutionnelle. La demande déposée contre Son Excellence le très honorable gouverneur général David Johnston est donc rejetée.

C.                Les ministres à titre de défendeurs

[61]           Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales définit en ces termes ce qu’est un « office fédéral » :

Définitions

Interpretation

2. (1) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

2. (1) Definitions – In this Act,

“federal board, commission or other tribunal” means anybody, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867

[62]           S’il existait un doute quelconque quant au fait de savoir si les membres de la Chambre des communes sont un office fédéral à cause de la Loi sur le Parlement du Canada, LRC 1985, c P‑1, il est dissipé par le paragraphe 2(2) :

(2) Il est entendu que sont également exclus de la définition de « office fédéral » le Sénat, la Chambre des communes, tout comité ou membre de l’une ou l’autre chambre, le conseiller sénatorial en éthique et le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique à l’égard de l’exercice de sa compétence et de ses attributions visées aux articles 41.1 à 41.5 et 86 de la Loi sur le Parlement du Canada.

(2) For greater certainty, the expression “federal board, commission or other tribunal”, as defined in subsection (1), does not include the Senate, the House of Commons, any committee or member of either House, the Senate Ethics Officer or the Conflict of Interest and Ethics Commissioner with respect to the exercise of the jurisdiction or powers referred to in sections 41.1 to 41.5 and 86 of the Parliament of Canada Act.

[63]           Le paragraphe 2(2) indique clairement que les membres de la Chambre des communes échappent à la définition d’un « office fédéral ». En tant que députés - et donc membres de la Chambre des communes - ni l’un ni l’autre des ministres ne peuvent être joints à titre de défendeurs : Mennes c Canada, [1997] ACF no 1161 (CAF). La demande à l’encontre des ministres en leur qualité de membres du Parlement est rejetée.

[64]           Le résultat n’est pas différent juste parce qu’un membre du Parlement détient également un portefeuille du Cabinet. Même si les membres du Parlement, en leur qualité de ministres du Cabinet, peuvent déposer un projet de loi, et s’exprimer en son appui devant la Chambre et au comité, ils votent avec leurs pairs en tant que membres du Parlement. Par ce vote, les ministres du Cabinet ne sont pas différents des autres membres du Parlement. D’où le dicton : « l’Exécutif propose et la Chambre dispose ». Le libellé et l’intention clairs du paragraphe 2(1) ne sont ni tronqués ni modifiés par le fait qu’un membre de la Chambre des communes est également ministre du Cabinet.

[65]           De plus, il n’est pas allégué que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ou le procureur général, exerçant une compétence ou un pouvoir en vertu d’une loi fédérale, ont pris une décision, rendu une ordonnance ou posé un geste qui ferait intervenir la compétence de la Cour. La demande à l’encontre des ministres est rejetée elle aussi.

V.                L’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté excède-t-il la capacité législative du Parlement que confère la Loi constitutionnelle de 1867?

[66]           J’ai tranché la présente demande sur le double fondement que la décision du gouverneur général d’octroyer la sanction n’est pas justiciable, et que les défendeurs ne sont pas des offices fédéraux au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Cependant, la question sous-jacente à l’égard de laquelle un jugement déclaratoire est demandé subsiste, et elle consiste à savoir si l’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté excède la capacité législative du Parlement que confère la Loi constitutionnelle de 1867. En réponse à cette question, je conclus que cet article 8 relève de la compétence législative que la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement, et qu’il a un fondement constitutionnel à la fois dans le pouvoir général que confère l’article 91 et dans le paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[67]           Les demandeurs font valoir tout d’abord que la citoyenneté est un droit inaliénable. Au cœur de cet argument réside le principe de jus soli – que la citoyenneté ou la nationalité suit le lieu de naissance. L’arrêt Calvin v Smith, 77 Eng Rep 377 (KB 1608) (l’arrêt Calvin) a établi le jus soli en tant que principe de common law, lequel est souvent exprimé comme un principe d’allégeance perpétuelle au souverain. Sujet de la Reine un jour, sujet de la Reine toujours. Le principe du jus soli a donc été intégré au droit canadien par les mots « semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni » qui figurent dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et il a la même force et le même effet que n’importe quelle disposition de cette loi. La Loi constitutionnelle de 1867 ne dit rien au sujet des « sujets » et des « citoyens » car il était implicitement entendu par les rédacteurs de la Constitution que le Parlement n’était pas compétent pour révoquer les droits des citoyens de naissance.

[68]           Les demandeurs font état de l’évolution du principe de jus soli aux États-Unis, lequel est passé d’un principe de common law à un droit constitutionnel à la citoyenneté, pour faire valoir que cette évolution a eu lieu elle aussi au Canada. À mon avis, aucune analogie ne peut être faite avec la question de la citoyenneté dans la jurisprudence américaine. Depuis le 14e Amendement en 1868, la citoyenneté fondée sur le principe de jus soli a été intégrée à la jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême des États-Unis, de sorte que, aux yeux de la Cour, cette question ne revêt qu’un intérêt historique.

[69]           Il s’ensuit donc, selon les demandeurs, que le Parlement ne peut pas légiférer en matière de révocation de la citoyenneté de Canadiens, de naissance ou naturalisés. L’interprétation juridique de la citoyenneté est celle qu’elle était en 1982. La citoyenneté est aujourd’hui [traduction] « figée et constitutionnalisée » en raison du rapatriement de la Constitution en 1982. C’est-à-dire que le Parlement ne peut pas révoquer la citoyenneté dans le cas d’un citoyen de naissance ou naturalisé parce que le rapatriement de la Constitution n’a pas modifié le libellé principal du préambule et du paragraphe 91(25). Les demandeurs mettent beaucoup l’accent, par analogie, sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême.

[70]           Le fait que les demandeurs invoquent l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême n’est d’aucune utilité. La question soumise à la Cour suprême avait trait au sujet précis de la nomination de juges à la Cour suprême à l’égard de la province du Québec, ainsi qu’aux formules de modification prévues à l’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982. La décision n’étaye pas la thèse selon laquelle les principes de common law se transforment en des principes constitutionnels par le truchement de la clause similaire en principe de la Loi constitutionnelle de 1867, ou que l’interprétation de la Constitution est figée depuis la date du rapatriement.

[71]           Le second argument des demandeurs est que, même si le premier échoue, ce qui est le cas, le Parlement n’a pas la compétence législative requise pour révoquer la citoyenneté. L’absence de la citoyenneté en tant que chef de compétence législative dans la Loi constitutionnelle de 1867 était une omission délibérée, qui concordait avec l’inaliénabilité de la citoyenneté telle qu’on la connaissait à l’époque. La compétence législative du Parlement a été soigneusement limitée au moment de la Confédération à « la naturalisation et [aux] aubains ».

A.                La citoyenneté n’est pas un droit constitutionnel inaliénable

[72]           Le premier argument des demandeurs est que la citoyenneté est un droit inaliénable et immuable, et que ce principe de common law a été essentiellement cimenté dans le cadre constitutionnel canadien en 1867 par le préambule de la Constitution. La genèse de cet argument réside dans la Magna Carta (1215) et l’arrêt Calvin, dont je vais maintenant traiter.

[73]           Il est difficile de voir comment, même sur un fondement textuel, la Magna Carta aide la cause des demandeurs. Selon l’article 39 de cette dernière, aucun homme ne peut-être « déclaré hors-la-loi, ou exilé » ou « lésé de quelque manière que ce soit » sans « un jugement légal de ses pairs ou selon les lois du pays ». L’article 42 accorde aux sujets du souverain « qui […] sont loya[ux] » le droit de sortir d’Angleterre et d’y revenir librement et en tout sécurité. On ne perdait donc pas la citoyenneté en passant du temps à l’étranger, sous réserve de la restriction selon laquelle les sujets peuvent être « déclarés hors-la-loi en application des lois du royaume ». L’exil, ainsi que le droit de demeurer en Angleterre, étaient soumis aux « lois du royaume ». C’est donc dire que ces dispositions de la Magna Carta mènent à une conclusion contraire à celle que prônent les demandeurs.

[74]           Deuxièmement, la Magna Carta n’est pas un instrument constitutionnel. Même si la place fondamentale qu’elle occupe dans l’élaboration de nos principes constitutionnels et juridiques est bien connue, ses clauses peuvent être - et ont été - écartées par les lois de Westminster et le Parlement. Comme l’écrit le professeur Hogg, la Magna Carta est simplement une loi [traduction« pouvant être l’objet de changements législatifs ordinaires » (Hogg, à la page 34‑2). Elle [traduction« n’a aucune importance juridique ou aucun poids législatif indépendants dans le régime de la législation canadienne actuelle » : Harper c Atchison, 2011 SKQB 38, au paragraphe 9. Voyons maintenant le second fondement de l’argument des demandeurs, l’arrêt Calvin.

[75]           Les demandeurs ont raison d’affirmer que l’arrêt Calvin a établi un droit de common law à la citoyenneté fondé sur le lieu de naissance (jus soli), mais cet arrêt a été supplanté par la common law ainsi que par le droit statutaire.

[76]           L’American Colonies Peace Act (1782), Geo. III, c 46 et l’instrument qui l’a suivie, le Definitive Treaty of Paris, United States and Great Britain, 3 septembre 1783, 8 US Stat 80, UKTS 104, article 1 (le Traité), ont reconnu que les treize colonies étaient un État libre, indépendant et souverain. La question de savoir si les colons de la nouvelle république resteraient sujets britanniques, conformément à l’arrêt Calvin, ou si, aux termes du Traité, ils deviendraient citoyens des États-Unis d’Amérique, a été directement analysée dans Doe on the Demise of Thomas c Acklam (1824), 2 St Tr (NS), 105 (KB). La Cour a conclu que les personnes nées aux États-Unis à l’époque des colonies britanniques étaient [traduction] « sans nul doute » des sujets britanniques, mais que les habitants étaient généralement devenus des citoyens des États-Unis et des étrangers par rapport à la Grande-Bretagne. La Cour a conclu que le père du demandeur, qui résidait de manière continue aux États-Unis, était [traduction« manifestement devenu citoyen des États-Unis ». Elle a de plus conclu que des lois ultérieures du Parlement avaient validé le Traité, mettant ainsi fin au débat et annulant le principe exprimé dans l’arrêt Calvin. Le principe de l’allégeance perpétuelle et de jus soli ayant été rejeté dans Doe on the Demise of Thomas c Acklam avant la Confédération, il n’aurait pas pu être intégré au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et figé par la Loi constitutionnelle de 1982.

[77]           Il n’y avait donc aucun principe de common law existant à l’époque de la Confédération qui, par le truchement du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, aurait pu devenir un principe constitutionnel non écrit faisant état d’un droit inaliénable à la citoyenneté. Comme il n’existait aucun droit de cette nature, il n’aurait donc pas pu être [traduction] « figé et constitutionnalisé » au moment du rapatriement de la Loi constitutionnelle de 1867. Je mets de côté la question de savoir de quelle façon un principe de common law, même s’il a été établi de manière non équivoque, s’est métamorphosé en une exigence constitutionnelle. Abstraction faite des questions relatives à la Charte, la jurisprudence et l’historique législatif enseignent que la citoyenneté n’a pas la même dimension.

[78]           Je signale également que la présente affaire s’écarte nettement de celles dans lesquelles il a été conclu qu’un principe non écrit revêtait une dimension constitutionnelle par le truchement de la clause semblable en principe. Par exemple, au Canada, l’indépendance du secteur judiciaire est garantie en partie par des dispositions constitutionnelles écrites et en partie par des [traduction] « principes constitutionnels non écrits », mais elle est [traduction] « garantie de la manière la plus efficace qui soit » par une tradition politique de longue date, qui remonte au début du xviiie siècle en Grande-Bretagne (Hogg, à 34‑3). D’autres exemples du genre comprennent l’indépendance de la profession juridique, le principe de la primauté du droit et la séparation des pouvoirs (Hogg, à 34-3; Babcock c Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, aux paragraphes 54 et 55).

[79]           La thèse selon laquelle la citoyenneté est un droit inaliénable que le Parlement ne peut pas définir, circonscrire ou révoquer n’a aucun appui. Certes, en 1824, année où l’affaire Doe on the Demise of Thomas c Acklam a été tranchée, le concept selon lequel la citoyenneté était inaliénable a été rejeté. Les réponses législatives et judiciaires à des événements survenus avant et après la Confédération canadienne et au Royaume-Uni jettent également de sérieux doutes sur l’idée d’un lien perpétuel entre un sujet et son souverain en tant que principe de common law, et encore moins en tant que principe revêtant une dimension constitutionnelle.

[80]           Enfin, une loi peut toujours, exception faite de la limite que représentent la division des pouvoirs et la Charte, avoir préséance sur un principe de common law. Comme le signale le professeur Hogg, le Parlement a reçu des pouvoirs [traduction] « amples et exclusifs », comme ceux du Parlement du Royaume-Uni (Hogg, à la page 34-3). Il peut donc, par voie législative, invalider n’importe quel principe de common law, ou y passer outre. Il ressort d’un examen historique de diverses réponses législatives et judiciaires de cette nature que ni Westminster, ni le Parlement, n’ont estimé que la citoyenneté était inaliénable.

1)                  Revue historique de lois prévoyant la perte de la citoyenneté avant 1931

[81]            En 1814, la législature du Haut-Canada a édicté une loi appelée An Act to declare certain persons, therein described, Aliens, and to vest their estates in His Majesty; Statutes of Upper Canada, 54 George III, c 9, 1814 (la Aliens Act). La Aliens Act a considéré les colons britanniques qui avaient quitté le Haut-Canada pour se battre en compagnie des Américains dans la Guerre de 1812 comme des étrangers, et a confisqué leurs terres en faveur de la Couronne.

[82]           En 1869, le lord juge en chef a fait remarquer qu’il était nécessaire de réformer la [traduction« règle inflexible selon laquelle aucun sujet britannique ne peut rejeter son pays ou l’allégeance naturelle qu’il doit au Souverain […] » (Sir Alex Cockburn, Nationality : The Law Relating to Subjects and Aliens (London : William Ridgway, 1869), aux pages 198 à 203).

[83]           La réforme en question est apparue avec les Naturalization Acts, 1870 et 1872 (UK), 35 & 36 Vict, c 39 et The Naturalization Act, 1881, SC 1881, c 13 (la Naturalization Act, 1881) de l’Empire, qui permettaient aux citoyens de s’expatrier, une option incompatible avec la prémisse qui sous-tend l’argument des demandeurs.

[84]           Ces lois ont fait disparaître toute incertitude qui aurait pu subsister après Doe on the Demise of Thomas c Acklam. En fait, en 1883, Alfred Howell a fait remarquer que la législation canadienne et impériale [traduction« […] abroge l’ancienne règle de droit nemo potest exure patriam [nul ne peut se départir de son pays] et reconnaît le droit d’expatriation, écartant ainsi l’adage autrefois bien connu : “sujet britannique un jour, sujet britannique toujours” » (Alfred Howell, « Expatriation » (1883) Vol III :12 The Canadian Law Times 463). La Naturalization Act, 1881 prévoyait également que les femmes qui épousaient un étranger adoptaient la nationalité de leur époux et n’étaient plus sujettes britanniques. De plus, les lois avaient un effet rétroactif : les femmes qui avaient épousé un étranger avant leur entrée en vigueur étaient d’office, par application de la loi, considérées comme étrangères.

[85]           La Première guerre mondiale a déclenché elle aussi des réponses législatives au sujet de la citoyenneté, des réponses qui, là encore, ne concordent pas avec la position des demandeurs. An Act respecting British Nationality, Naturalization and Aliens, SC 1914, c 44, paragraphe 7(2), et son pendant impérial, prévoient la révocation de la citoyenneté dans les cas où la personne [traduction« […] a montré, par ses gestes ou ses paroles, qu’elle était mécontente de Sa Majesté ou lui était déloyale ». Cette déloyauté comportait le fait de faire commerce et communiquer avec l’ennemi, et le maintien du certificat n’était [traduction« pas favorable à l’intérêt public ». La révocation, pour ses motifs, du statut de sujet britannique a continué de faire partie du droit canadien jusqu’en 1958 : Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté canadienne, SC 1958, c 24, article 2.

2)                  Revue historique des lois prévoyant la perte de la citoyenneté après 1931

[86]           Le Canada n’a acquis la compétence exclusive sur la citoyenneté qu’en 1931, au moment de l’adoption du Statute of Westminster, 1931, 1931 (UK) c 4, et il a fallu attendre jusqu’en 1947 pour voir adopter la première Loi sur la citoyenneté canadienne, LC 1946, c 15 (la Loi sur la citoyenneté canadienne) et la création du concept de la citoyenneté canadienne : Benner c Canada, [1997] 1 RCS 358, au paragraphe 30. La Loi sur la citoyenneté canadienne prévoyait la perte de la citoyenneté dans les cas où un Canadien ayant la double nationalité servait dans les forces armées d’un pays en guerre contre le Canada. Cette disposition est restée en vigueur jusqu’en 1977, quand a été adoptée la Loi sur la citoyenneté, LC 1974-1975-1976, c 108.

[87]           La Loi sur la citoyenneté canadienne a été modifiée en 1953. Les personnes nées à l’extérieur du Canada mais considérées, par application de la loi, comme citoyens par filiation perdaient leur citoyenneté s’ils n’établissaient pas un lieu de domicile au Canada ou ne produisaient pas une déclaration de citoyenneté avant un certain âge : voir Taylor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 349, aux paragraphes 77 à 81.

[88]           Plus récemment, la British Nationality Act, 1981 (UK), 1981, c 61, a prescrit que tous les enfants nés au Royaume-Uni n’étaient pas nécessairement sujets britanniques et, en 2002, cette loi a été modifiée pour faire droit à la révocation dans les cas où le secrétaire d’État est [traduction« convaincu que la privation est favorable à l’intérêt public ».

[89]           Cette brève revue historique du traitement législatif de la nationalité et de la citoyenneté montre que ni Westminster ni le Parlement ne se sont sentis limités par le principe de jus soli. Il était possible à une personne de perdre la nationalité ou la citoyenneté dans certains cas, rétroactivement, du fait de sa conduite, de son absence du pays et de son mariage. Dès 1871 au Royaume-Uni, et 1881 au Canada, les citoyens pouvaient, de leur propre gré, révoquer leur citoyenneté.

[90]           Il est superflu de signaler que le fait que le Parlement et Westminster aient adopté une loi ne rend pas cette dernière constitutionnelle. Cette question n’est pas l’objet du présent contrôle, mais elle démontre que même si le jus soli était un principe de common law, la loi l’avait écarté depuis longtemps et que, dans les 190 années qui se sont écoulées depuis Doe on the Demise of Thomas c Acklam, aucun tribunal du Canada ou du Royaume-Uni n’a mis en doute la capacité du Parlement ou de Westminster de le faire. En fait, l’historique législatif et la jurisprudence établissent le contraire : la nationalité et la citoyenneté sont des conceptions entièrement statutaires.

B.                 L’absence de citoyenneté en tant que chef de compétence législative énuméré et la compétence exclusive du Parlement sur la citoyenneté

[91]           Les demandeurs font ensuite état de l’absence de la citoyenneté en tant que chef de compétence législative dans la Loi constitutionnelle de 1867. Ils disent que l’omission était délibérée et qu’elle concordait avec l’inaliénabilité de la citoyenneté telle qu’on la connaissait à l’époque. Les rédacteurs de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 n’ont pas considéré la citoyenneté comme un chef de compétence, car la citoyenneté, telle qu’elle était comprise en droit, était inaliénable. Aucun gouvernement n’a donc le pouvoir constitutionnel et la compétence législative de révoquer la citoyenneté d’un citoyen canadien de naissance ou naturalisé. La position des demandeurs ne concorde toutefois pas avec les principes établis de l’interprétation constitutionnelle et du droit.

[92]           La citoyenneté est une création de la loi. La Cour d’appel et la Cour suprême du Canada ont clairement indiqué qu’il n’existe aucun droit indépendant ou distinct à la citoyenneté, hormis celui qu’accordent les dispositions de la partie I, intitulée « Le droit à la citoyenneté », de la Loi sur la citoyenneté. La citoyenneté peut être acquise par naissance (alinéas 3(1)a) et b)) ou par naturalisation (alinéa 3(1)c)). Depuis l’adoption de la Loi sur la citoyenneté, LC 1974‑1975‑1976, c 108, la partie II de la Loi sur la citoyenneté , intitulée « Perte de la citoyenneté », autorise la perte de la citoyenneté conformément au paragraphe 10(1) si le gouverneur en conseil est convaincu, sur rapport du ministre, que la personne a acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration. Ainsi que l’a déclaré la Cour d’appel dans l’arrêt Taylor, au paragraphe 50 :

Notre Cour, dans Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(2000), 186 D.C.R. (4th) 512 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [2002] C.S.C.R. no 249 (Q.L.), a conclu que le concept de citoyenneté canadienne est une création statutaire fédérale, qu’il n’a pas de sens autre que celui que lui reconnaît la loi et que pour être citoyen canadien, une personne doit satisfaire aux exigences de la loi applicables. (Voir aussi McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 127 (C.A.), conf. à (1999) 177 F.T.G. 219, et Veleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2006), 268 D.L.R. (4th) 513 (C.A.F.).

[93]           La citoyenneté n’est pas une notion qui existait à l’époque de la Confédération, car les personnes nées ou naturalisées dans l’Empire britannique étaient considérées comme des sujets britanniques. Au sens premier des termes « la naturalisation et les aubains », qui figurent au paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867, un « aubain » était une personne qui n’était pas sujet britannique, et la « naturalisation » était l’octroi du statut de sujet britannique à une personne née à l’extérieur de l’Empire britannique (Hogg, à la page 26-5).

[94]           Il n’est nul besoin que la citoyenneté soit explicitement énumérée en tant que chef de compétence pour relever de la compétence exclusive du Parlement. Le professeur Hogg a expliqué qu’on ne sait pas avec certitude si le pouvoir qu’a le Parlement d’adopter des dispositions législatives en matière de citoyenneté [traduction« découle du paragraphe 91(25) ou du pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement, comme il est indiqué au début de l’article 91 » (Hogg, à 26-5). À mon avis, il ne faut pas nécessairement que ce soit le choix de l’un ou de l’autre. La citoyenneté relève manifestement des pouvoirs résiduels que confère au Parlement les premiers mots de l’article 91 (paix, ordre et bon gouvernement), ainsi que du paragraphe 91(25). Même si elle a été écrite il y a quelque 65 ans de cela, l’analyse que le juge Rand a faite au sujet de ce pouvoir dans l’arrêt Winner c S.M.T. (Eastern) Ltd., [1951] RCS 887, aux pages 918 et 919, demeure convaincante par sa logique et son élégance :

La réalisation fondamentale de la Loi constitutionnelle a été la création d’une organisation politique unifiée de sujets de Sa Majesté dans les limites géographiques du Dominion, dont le postulat fondamental était l’institution de la citoyenneté canadienne. La citoyenneté est l’appartenance à un État, et en le citoyen s’incarnent les droits et obligations, corollaires de l’allégeance et de la protection, qui constituent le fondement de ce statut.

La Loi ne prévoit pas expressément que la citoyenneté relève de la compétence législative du Dominion ou des provinces; mais étant donné que la citoyenneté se trouve à la base même de l’organisation politique et qu’elle revêt un caractère national, et vu la rubrique 25 de l’article 91, « La naturalisation et les aubains », il faut conclure qu’elle relève des pouvoirs résiduels du Dominion : l’affaire de la « tempérance », à la page 205. Indépendamment de ce qu’on a pu dire avant 1931, le Statute of Westminster, ajouté aux déclarations de relations constitutionnelles de 1926 desquelles il découlait et qui ont essentiellement eu pour effet de créer la souveraineté, vide le débat. [Non souligné dans l’original.]

[95]           Le paragraphe 91(25) vient compléter le pouvoir général, et il renforce la conclusion selon laquelle tous les aspects de la citoyenneté relèvent de la compétence exclusive du Parlement. Il est implicite, logiquement impératif en fait, que la compétence législative sur la naturalisation englobe la compétence sur la citoyenneté. Sinon, cela laisserait sans réponse la question relative au résultat ultime du processus de naturalisation – naturalisé par rapport à quoi? Dans le même ordre d’idées, un élément implicite de la notion d’« aubain » est une situation ou un statut juridique auquel une personne est étrangère. Pour leur sens et leur compréhension, les mots « naturalisation » et « aubain » requièrent tous deux qu’on les juxtapose à la citoyenneté ou à la nationalité ou qu’on les distingue d’avec ces deux concepts.

[96]           L’argument des demandeurs selon lequel le pouvoir de légiférer sur la révocation de la citoyenneté excède la compétence législative à la fois du Parlement et des législatures provinciales parce que les mots « citoyen » ou « citoyenneté » ne sont pas expressément mentionnés dans la Loi constitutionnelle de 1867 fait abstraction des commentaires qu’a formulés le juge Rand dans l’arrêt Winner, des vastes pouvoirs résiduels que confère au Parlement l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 de même que de l’attribution précise d’un aspect clé de la citoyenneté au Parlement au paragraphe 91(25). Cet argument est également incompatible avec les principes d’interprétation applicables ainsi qu’avec le principe de l’exhaustivité du partage des pouvoirs.

[97]           Il est un principe établi de longue date que la Constitution doit être interprétée d’une manière libérale qui garantit sa vitalité et sa pertinence pour une nation de grande taille, complexe et en constante évolution. Dans l’arrêt Edwards c AG (Canada), [1930] AC 124 (PC), à la page 136, le lord Sankey a comparé l’Acte de l’Amérique du Nord britannique à « un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles ». L’aéronautique, la règlementation des fréquences radio, la création et la mise en valeur d’une région de la Capitale nationale illustrent toutes l’évolution qu’a connue la Constitution en vue de répondre aux changements : Reference re : Regulations & Control of Aeronautics, [1930] SCR 663; Reference re : Regulation and Control of Radio Communication, [1931] SCR 541; Munro c Canada (National Capital Commission), [1966] SCR 663. La notion de citoyenneté et les droits qui en découlent ont eux aussi changé au fil du temps. L’argument selon lequel la révocation de la citoyenneté est intouchable parce que les mots « citoyen » ou « citoyenneté » ne sont pas explicitement inclus dans la Constitution est incompatible avec le principe de l’arbre. En fait, cet argument fait abstraction des capacités de la Constitution et jette plutôt l’arbre au sol.

[98]           Le principe de l’exhaustivité reconnaît qu’il n’existe aucun pouvoir législatif que le Parlement ou les législatures ne détiennent pas. Il garantit que la capacité législative des gouvernements ne souffre d'aucun vide. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, au paragraphe 34 :

Le principe de l’exhaustivité, qui est une caractéristique essentielle du partage des compétences, veut que la totalité des pouvoirs législatifs, exercés ou simplement susceptibles de l’être, soient répartis entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales : Attorney-General for Ontario c. Attorney-General for Canada, [1912] A.C. 571 (C.P.), p. 581; et Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326 (C.P.). Cela veut dire qu’il n’existe essentiellement aucun sujet à l’égard duquel une loi ne puisse être édictée, bien que la teneur particulière de cette loi puisse être limitée, par exemple, par la Charte.

[99]           Compte tenu de ces principes, il est évident que le Parlement doit jouir d’une compétence législative exclusive et inconditionnelle sur la citoyenneté, qui n’est assujettie qu’aux limites que fixe la Charte des droits et libertés.

VI.             Conclusion

[100]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La question visée par cette demande - la décision d’octroyer la sanction royale - est un acte législatif et n’est pas justiciable. Les défendeurs ne sont pas des offices fédéraux qui exercent un pouvoir ou une compétence qu’une loi fédérale leur a conférés. En tout état de cause, l’argument de fond invoqué à propos de la constitutionnalité de la Loi sur le renforçant la citoyenneté est rejeté. L’article 8 de la Loi sur le renforçant la citoyenneté relève de la compétence législative du Parlement.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, avec dépens. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles pourront présenter leurs observations, d’une longueur maximale de cinq pages, dans les dix jours suivant la date de la présente décision.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1476-14

INTITULÉ :

ROCCO GALATI et autres c SON EXCELLENCE LE TRÈS HONORABLE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DAVID JOHNSTON et autres

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 OCTOBRE 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

demandeur

Paul Slansky

POUR LA demanderesse

Centre de droit constitutionnel Inc.

Gregory G. George

Amina Riaz

pour le défendeur

Procureur général du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Slansky Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

pour la demanderesse

Centre de droit constitutionnel Inc.

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

Procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.