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Date : 20150216


Dossier : IMM-6140-14

Référence : 2015 CF 190

Ottawa, Ontario, le 16 février 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MIRYAM SOFIA BLANCO ORTEGA

LINA SOFIA BLANCO COLMENARES

CIRO ALFONSO COLMENARES GALVIS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 18 juillet 2014, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [Tribunal] refuse la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi].

[2]               Les demandeurs sont des citoyens colombiens qui allèguent craindre les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC] qui recherchent le fils de la demanderesse principale et du demandeur principal, qui n’est pas demandeur à la présente demande d’asile. Selon les demandeurs, le fils aurait eu des problèmes avec les FARC parce qu’il enquêtait sur la mort de son grand-père, père du demandeur, et aurait par la suite quitté le pays. Par après, les demandeurs auraient commencé à être intimidés et menacés pour qu’ils révèlent où se trouvait le fils, des menaces qui auraient été faites à plusieurs reprises entre octobre 2011 et juin 2013. La demanderesse principale aurait fait des plaintes et dénonciations au Bureau du procureur général, à l’Office du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et au Bureau des droits humains de Colombie. Suite à un incident où deux coups de feu auraient été tirés dans une vitre de leur résidence, les demandeurs ont quitté la Colombie pour les États-Unis le 26 juin 2013. Ils sont arrivés au Canada le 3 juillet 2013 et ont demandé l’asile le jour même.

[3]               Le Tribunal a refusé la demande des demandeurs pour le motif qu’ils n’étaient pas crédibles à cause de contradictions, d’omissions, d’invraisemblances et de problèmes liés à nombreux documents déposés. Le Tribunal a relevé une contradiction entre le formulaire de demande d’asile qui indiquait que les demandeurs avaient reçu plusieurs pamphlets des FARC, tandis que lors de son témoignage, la demanderesse principale, Mme Blanco Ortega, a indiqué seulement en avoir reçu un et que son fils en avait lui aussi reçu un. Le Tribunal a également relevé des contradictions entre la plainte faite au Bureau du procureur général le 1er novembre 2011 et le témoignage de la demanderesse principale qui avait indiqué ne pas avoir vécu de problèmes entre le départ de son fils et le 31 octobre 2011 (pièce C-17). De plus, le Tribunal a noté une contradiction entre le témoignage de la demanderesse principale et le document remis au Bureau des droits humains de Colombie qui indiquait qu’elle était allée au Bureau des droits humains de l’ONU après être allée chercher une protection policière plutôt qu’avant (pièce C‑23). L’avocate des demandeurs a indiqué qu’il s’agissait d’une erreur de traduction et a soumis après l’audience une autre traduction qui supportait le témoignage de la demanderesse principale. Le Tribunal a par la suite obtenu deux autres traductions de traducteurs indépendants qui confirmaient la traduction initiale. Le Tribunal a donné la chance à l’avocate des demandeurs de présenter des commentaires sur ces traductions, mais n’a reçu aucun commentaire de sa part.

[4]               Le Tribunal a également noté que les demandeurs avaient omis le fait que des appels de menaces avaient été reçus suite à la mort du père du demandeur dans le formulaire de demande d’asile. De plus, le Tribunal a relevé plusieurs invraisemblances incluant que le demandeur ne connaissait pas les résultats de l’enquête relative à la mort de son père et qu’il était invraisemblable que les FARC, un groupe qui a revendiqué de nombreux assassinats et dont les violations des droits humains étaient reconnues au niveau international, soient inquiets que leur image soit ternie à cause du seul assassinat du père du demandeur. Selon le Tribunal, les comportements des demandeurs n’étaient pas non plus conformes à leur crainte alléguée, par exemple que les demandeurs n’avaient pas changé leurs habitudes de vie pour se protéger, et que la demanderesse principale avait pris cinq jours entre le moment où elle avait reçu un document lui permettant d’obtenir une protection policière et le moment où elle était véritablement allée demander cette protection au bureau de police local. Finalement, le Tribunal a considéré que certains documents étaient problématiques, incluant la lettre du procureur général qui comportait un grand nombre d’erreurs (pièce C-19) et les lettres d’un sénateur qui indiquaient que la raison de la persécution des demandeurs était plutôt leur participation à des activités sociales du parti conservateur (pièce C-5). Le Tribunal a donc conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et a rejeté leur demande d’asile.

[5]               Les motifs de rejet du Tribunal concernent essentiellement l’évaluation de la crédibilité des demandeurs, de sorte que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). Ajoutons que les conclusions du Tribunal quant à la crédibilité des demandeurs amènent une retenue considérable de la Cour et les demandeurs assument un lourd fardeau lorsqu’ils cherchent à faire infirmer une décision du Tribunal basée sur une conclusion de non-crédibilité (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF) au para 4; Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 aux paras 35-38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux paras 61 et 64; Canada (Procureur général) c Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193 au para 62; Nimer Obeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 503 aux paras 9-11; Nijjer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1259 au para 14).

[6]               Bien que l’avocate des demandeurs s’est exprimée avec force et conviction, à mon humble avis, il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. Je ne reprendrai pas tous et chacun des arguments qui ont été plaidés par les procureurs. En voici un résumé succinct.

[7]               Les demandeurs allèguent que le Tribunal a fait de nombreuses erreurs dans l’évaluation de la crédibilité des demandeurs. Le Tribunal a omis un élément essentiel dans son résumé des faits, soit le fait que le fils des demandeurs a été déclaré réfugié. De plus, il était déraisonnable pour le Tribunal de tirer une inférence négative de la contradiction entre le formulaire de demande d’asile et le témoignage de la demanderesse sur le nombre de pamphlets reçus puisque la demanderesse principale avait fourni une explication raisonnable et le formulaire avait été rempli par un traducteur. De plus, l’exagération des faits dans la pièce C-17 est normale dans le contexte culturel colombien. Également, le Tribunal a démontré un zèle excessif en faisant faire deux traductions supplémentaires de la pièce C-23, et les demandeurs avaient déjà fait tous leurs commentaires à ce sujet en fournissant une traduction contextuelle. Également, le Tribunal a accordé une importance déraisonnable à l’omission des menaces dans le formulaire de demande d’asile. Le Tribunal a également agi de façon déraisonnable en concluant que les témoignages quant au motif de persécution étaient invraisemblables. De plus, le Tribunal a fait une évaluation déraisonnable des pièces C-19 et C-5. Finalement, les demandeurs allèguent que le délai entre l’audience le 30 août 2013 et la décision le 18 juillet 2014 leur a causé préjudice.

[8]               En réponse, le défendeur indique que les demandeurs n’ont pas rempli le lourd fardeau qui leur incombe pour renverser une détermination de non-crédibilité. Selon le défendeur, il y avait plusieurs déficiences dans la preuve, incluant que les témoignages étaient hésitants, improvisés et comportaient des silences inhabituellement longs, et qu’il y avait des contradictions importantes, une omission capitale et plusieurs invraisemblances, ainsi que de nombreuses irrégularités dans les documents. De plus, il était raisonnable pour le Tribunal de ne pas accepter les explications des demandeurs et la Cour ne devrait pas intervenir (Mxumalo c Canada (Ministre de l'immigration et de la citoyenneté), 2003 CFPI 413 au para 7). Également, même si une erreur avait été commise par le Tribunal, celle-ci ne serait pas fatale puisqu’il y avait de nombreuses déficiences dans la demande (Zavadskaia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 235 aux paras 14-15). Finalement, les demandeurs n’expliquent pas comment le délai dans la décision leur aurait causé des préjudices irréparables, et le Tribunal a expliqué pourquoi il y avait eu un délai, soit le besoin d’obtenir des traductions indépendantes de la pièce C-23 et ensuite de demander les commentaires des demandeurs.

[9]               Je suis d’accord avec le défendeur.  Les demandeurs demandent dans les faits à la Cour de réévaluer l’ensemble de preuve au dossier pour en venir à des conclusions différentes que celles du Tribunal. La Cour ne siège pas en appel, mais en contrôle judiciaire. Les demandeurs n’ont pas démontré que le Tribunal a tiré des conclusions déraisonnables de la preuve. Pour chaque élément, que ce soit les contradictions, invraisemblances ou omissions, le Tribunal explique clairement pourquoi il n’accepte pas les explications des demandeurs. De plus, contrairement aux arguments des demandeurs, obtenir des traductions supplémentaires et indépendantes de la pièce C-23 n’était pas un zèle excessif du Tribunal, mais bien une solution logique au fait que deux traductions contradictoires avaient été soumises au Tribunal. De plus, le Tribunal a donné la chance aux demandeurs de donner leurs commentaires sur ces deux traductions, ce qu’ils n’ont pas fait. La décision du Tribunal s’appuie sur les éléments de preuve et il n’y a pas d’incohérence manifeste entre la décision du Tribunal et la force probante de la preuve au dossier (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 60). De plus, j’estime que le délai entre l’audience et la décision était raisonnable dans les circonstances entourant la pièce C‑23 et les demandeurs n’ont pas démontré avoir subi un préjudice à cause du délai.

[10]           Même si un autre décideur aurait pu parvenir à une conclusion différente, ceci n’est pas un motif suffisant pour intervenir. Il faut lire la décision du Tribunal dans son ensemble. Les exemples fournis à l’audience par la savante procureure des demandeurs ne me permettent pas de conclure que le résultat est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les procureurs conviennent qu’aucune question d’importance de portée générale ne se soulève dans cette affaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6140-14

 

INTITULÉ :

MIRYAM SOFIA BLANCO ORTEGA, LINA SOFIA BLANCO COLMENARES, CIRO ALFONSO COLMENARES GALVIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Camille Clamens

 

Pour les demandeurs

 

Me Édith Savard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROA Services Juridiques

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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