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Date : 20150130


Dossier : T‑925‑11

Référence : 2015 CF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

JASON LEWIS

demandeur

et

DIANE OUELLET, DIRECTRICE INTÉRIMAIRE DE L’ÉTABLISSEMENT PORT‑CARTIER DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, un détenu sous responsabilité fédérale, a déposé une requête en vue d’en appeler de l’ordonnance de justification rendue le 12 août 2014 par la protonotaire Aronovitch (l’ordonnance de justification). Cette ordonnance est ainsi libellée :

[traduction]

Le demandeur doit signifier et déposer, au plus tard le 22 août 2014, des observations exposant les raisons pour lesquelles l’instance ne doit pas être rejetée pour cause de retard, à défaut de quoi la demande sera rejetée pour cause de retard et défaut de poursuite.

[2]               L’instance dont il est question est une demande de contrôle judiciaire que le demandeur a déposée en mai 2011 à l’encontre de la décision des autorités de l’Établissement Port‑Cartier de le maintenir en isolement préventif (la demande). D’après le dossier dont je dispose, son placement en isolement préventif a d’abord été levé à Port‑Cartier, en août 2011, lors de son transfèrement à l’Établissement Archambault, situé à Ste‑Anne‑des‑Plaines, au Québec. Plus tard dans l’année, le demandeur a été transféré à l’Établissement d’Edmonton, où il a été intégré à l’ensemble de la population pénitentiaire.

[3]               Puisque le demandeur a omis de se conformer à l’ordonnance de justification, sa demande est rejetée par l’effet de cette même ordonnance. Lorsqu’elle a prononcé l’ordonnance de justification, la protonotaire Aronovitch s’occupait de la gestion de l’instance depuis le 6 mars 2012, sauf pendant l’intervalle allant de septembre 2013 à janvier 2014.

[4]               Dans l’éventualité où l’appel de l’ordonnance de justification serait accueilli, le demandeur sollicite des ordonnances prorogeant le délai fixé pour déposer des observations pouvant justifier la poursuite de l’instance et sa demande d’audience.

[5]               Il est bien établi en droit que l’ordonnance d’un protonotaire ne doit pas être modifiée, sauf si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ou si l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459). Étant donné que l’ordonnance de justification a mis un terme à la demande, je dois instruire l’appel du demandeur par voie d’examen de novo (Merck, précité, au paragraphe 18; Winnipeg Enterprises Corp c Fieldturf (IP) Inc., 2007 CAF 95). Ce faisant, je ne dois toutefois pas perdre de vue que les protonotaires, du fait de leur connaissance intime du procès et de sa dynamique, doivent pouvoir jouir d’une grande latitude dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion des instances (j2 Global Communications Inc. c Protus IP Solutions Inc., 2009 CAF 41; Constant c Canada, 2012 CAF 89).

[6]               Le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale « statue à bref délai et selon une procédure sommaire » sur les demandes de contrôle judiciaire qui lui sont présentées. Il en a été tout autrement en l’espèce. L’affaire a plutôt suivi un parcours procédural long et pénible que l’on peut résumer comme suit :

a.              La demande a été déposée en mai 2011; cela fait donc plus de trois ans.

b.             En juin 2011, les défendeurs ont consenti, suivant l’article 7 des Règles des Cours fédérales (les Règles), à la prorogation d’un délai afin de permettre au demandeur de signifier et de déposer son affidavit et son dossier conformément aux articles 306 et 309 des Règles.

c.              Le 18 janvier 2012, l’avis d’examen de l’état de l’instance visé à l’alinéa 380(2)a) des Règles a été délivré, étant donné que cent quatre‑vingts jours s’étaient écoulés depuis la délivrance de la demande sans qu’aucun document n’ait été déposé à l’appui.

d.             Le 25 janvier 2012, le demandeur a répondu par écrit à l’avis d’examen de l’état de l’instance; dans cette réponse, il affirmait que le retard qu’il accusait dans la mise en état du dossier de sa demande était principalement attribuable au fait que les défendeurs ne lui avaient pas remis le dossier certifié du tribunal (DCT).

e.              Dans sa réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance, le demandeur s’engageait à déposer son affidavit dans les trente jours suivant la réception du DCT; il demandait par ailleurs que sa demande se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale suivant l’article 383 des Règles.

f.              Le 6 février 2012, les défendeurs ont consenti à ce que la demande soit gérée à titre d’instance à gestion spéciale tout en soulignant que l’omission de communiquer le DCT au demandeur n’était pas l’unique raison de son défaut de se conformer aux Règles et que ses transfèrements récents [traduction« ont eu une incidence importante sur le bien‑fondé de sa demande de contrôle judiciaire et sur la procédure afférente ».

g.             Le 23 février 2012, la protonotaire Tabib a ordonné que la demande se poursuivre à titre d’instance à gestion spéciale et a établi un échéancier prévoyant, notamment, que le demandeur devait signifier et déposer ses affidavits au plus tard quarante‑cinq jours après la signification du DCT.

h.             Le 6 mars 2012, la protonotaire Aronovitch a été affectée à titre de juge responsable de la gestion de l’instance dans cette affaire et le 30 avril 2012, le demandeur a reçu le DCT.

i.               Le 7 mai 2012, le greffe de la Cour a reçu du demandeur le dossier d’une requête datée du 3 mars 2012 et présentée en vertu de l’article 369 des Règles; dans la requête, le demandeur sollicitait la prorogation du délai prescrit pour demander l’autorisation de déposer un mémoire des faits et du droit contenant plus de trente pages, demandait la transmission de documents complémentaires en vertu de l’article 317 des Règles et contestait les mesures prises par les défendeurs dans le cadre de l’instance pour cause de non‑conformité aux Règles.

j.               Le 13 juillet 2012, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu à la demande des défendeurs; à l’issue de cette conférence, les parties se sont entendues sur un nouvel échéancier procédural que la protonotaire Aronovitch a consigné dans une ordonnance datée du 27 juillet 2012. Selon le nouvel échéancier, les défendeurs devaient signifier et déposer leur(s) affidavit(s) au plus tard le 30 septembre 2102, pourvu que dans l’intervalle, le demandeur ne sollicite pas de directives quant aux renseignements caviardés dans le DCT complémentaire que les défendeurs ont signifié et déposé le 30 juillet 2012.

k.             L’ordonnance de gestion de l’instance rendue le 27 juillet 2012 prévoyait que toutes les mesures qui seraient prises dans le cadre de l’instance devraient être conformes aux Règles.

l.               Le 7 août 2012, le demandeur s’est adressé à la protonotaire Aronovitch afin d’obtenir des directives concernant : (1) la numérotation des pages du DCT complémentaire; (2) l’autorisation de déposer un mémoire des faits et du droit de quarante et une pages.

m.           Le 14 septembre 2012, la protonotaire Aronovitch a rejeté la première demande de directives, mais a fait droit à la deuxième en permettant aux deux parties de déposer des mémoires de quarante et une pages.

n.             Conformément à l’ordonnance de gestion de l’instance datée du 27 juillet 2012, les défendeurs avaient signifié et déposé leurs affidavits au 30 septembre 2012.

o.             Le 10 octobre 2102, le demandeur a demandé à procéder au contre‑interrogatoire écrit des auteurs des affidavits produits par les défendeurs et a présenté une requête en prorogation de délai pour le dépôt de divers actes de procédure.

p.             Le 12 décembre 2012, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu à la demande des défendeurs; cette conférence a abouti à l’établissement de l’échéancier que devrait respecter le demandeur pour procéder au contre‑interrogatoire écrit et déposer tout élément de preuve complémentaire, échéancier qui a été accepté par les parties et consigné par la protonotaire Aronovitch dans une ordonnance de gestion de l’instance datée du 19 décembre 2019. Selon cet échéancier, les défendeurs devaient produire un rapport sur l’état d’avancement de la procédure ainsi qu’un projet d’échéancier à l’égard des prochaines étapes de la demande au plus tard le 1er mars 2013.

q.             Le 28 février 2013, conformément à l’ordonnance de gestion de l’instance du 19 décembre 2012, les défendeurs ont produit un rapport sur l’état d’avancement de la procédure dans lequel ils déclaraient que le contre‑interrogatoire était terminé et que le demandeur ne leur avait pas signifié d’éléments de preuve complémentaires. Comme nouvel échéancier des étapes à venir dans le cadre de la demande, les défendeurs ont proposé de fixer au 30 avril 2013 la date limite à laquelle le demandeur devait déposer son dossier conformément à l’article 309 des Règles; au 30 mai 2013, celle à laquelle ils devaient déposer les leurs conformément à l’article 310 des Règles; et au 30 juin 2013, celle de la signification et du dépôt d’une demande d’audience.

r.               Le 21 mars 2013, la protonotaire Aronovitch a avalisé le projet d’échéancier des défendeurs, mais afin de tenir compte de la prorogation de délai demandée par le demandeur pour déposer des éléments de preuve complémentaires, elle a précisé dans l’ordonnance confirmant l’échéancier que le demandeur était autorisé à signifier ses éléments de preuve complémentaires au plus tard le 15 avril 2013; le délai du 30 avril 2013 applicable au dépôt du dossier du demandeur a été maintenu.

s.              Le 26 avril 2013, le demandeur a demandé une nouvelle prorogation du délai imparti pour le dépôt de ses éléments de preuve complémentaires et de son dossier. Le 13 juin 2013, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu pour étudier cette demande et, le 8 juillet 2013, une ordonnance de gestion de l’instance a été rendue.

t.               Selon l’ordonnance de gestion de l’instance du 8 juillet 2013, les parties avaient jusqu’au 31 juillet 2013 pour tenter de déterminer s’il était nécessaire de produire des éléments de preuve complémentaires et, à défaut de s’entendre à ce sujet, jusqu’au 5 août 2013 pour faire savoir à la Cour si elles souhaitaient procéder par voie de requête visant à obtenir l’autorisation de présenter des éléments de preuve complémentaires, requête qui serait débattue au fond devant le juge présidant l’audience, ou si elles préféraient consentir à une ordonnance autorisant le dépôt des éléments de preuve complémentaires sous réserve du droit des défendeurs d’attaquer le contenu de ces éléments de preuve lors de l’instruction de la demande.

u.             Le 30 juillet 2013, les défendeurs ont fait savoir à la protonotaire Aronovitch que les parties étaient parvenues à s’entendre sur la question de la nécessité de produire des éléments de preuve complémentaires et qu’elles estimaient qu’il serait prudent de tenir une autre conférence de gestion de l’instance et d’établir un nouvel échéancier pour l’instruction de la demande.

v.             Dans une ordonnance datée du 20 août 2013, la protonotaire Aronovitch a établi un nouvel échéancier pour l’instruction de la demande. Le dossier du demandeur devait être signifié et déposé au plus tard le 16 septembre 2013 et ceux des défendeurs, au plus tard le 4 octobre 2013.

w.           Les défendeurs ont signifié et déposé leur dossier le 3 octobre 2013 et ne se sont pas opposés au retard du demandeur, qui a déposé le sien le 7 octobre 2103.

x.             Le 5 décembre 2103, le juge Michael Manson, qui remplaçait temporairement la protonotaire Aronovitch à titre de juge responsable de la gestion de l’instance dans ce dossier, a donné la directive suivante relativement au dépôt tardif de la demande d’audience du demandeur :

[traduction] Le délai prévu pour le dépôt de la demande d’audience est écoulé (elle doit l’être dans les 10 jours suivant la réception du dossier du défendeur conformément aux Règles). La demande d’audience ne peut donc être acceptée pour dépôt. Pour pouvoir la déposer, le demandeur devra obtenir l’autorisation de la Cour par voie de requête. Les documents présentés pour dépôt seront renvoyés au demandeur. La requête visant à obtenir l’autorisation de déposer la demande d’audience doit être signifiée et déposée au plus tard le 15 janvier 2014.

y.             Le 16 janvier 2014, dans une autre directive, la protonotaire Tabib a précisé que le dossier de la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir la prorogation du délai pour déposer la demande d’audience serait accepté pour dépôt si la preuve de sa signification était déposée au plus tard le 31 janvier 2014. La directive de la protonotaire Tabib spécifiait en outre que si, au 31 janvier 2014, le demandeur n’avait pas déposé la preuve de signification : (1) le dossier de la requête lui serait renvoyé; (2) il serait alors en défaut en ce qui concerne le dépôt d’une demande d’audience; (3) soit la demande pourrait faire l’objet, à titre provisoire, d’un avis d’examen de l’état de l’instance; soit les défendeurs pourraient demander, par voie de requête, le rejet de la demande pour cause de retard.

z.              En mars 2014, la protonotaire Aronovitch a repris la responsabilité de la gestion de l’instance.

aa.          Le 12 août 2014, puisque le demandeur n’avait toujours pas déposé la preuve de la signification du dossier de sa requête en prorogation du délai pour le dépôt d’une demande d’audience comme le prévoyait la directive donnée par la protonotaire Tabib le 16 janvier 2014, la protonotaire Aronovitch a rendu l’ordonnance de justification.

bb.         Le 21 août 2014, le demandeur a déposé une requête en prorogation du délai de signification et de dépôt d’une demande d’audience. Étant donné qu’il était visé par une ordonnance de justification, le dépôt de la requête a été refusé.

cc.          Le 25 septembre 2014, le demandeur a tenté de déposer un dossier de requête afin : (1) d’en appeler de l’ordonnance de justification; (2) d’obtenir la prorogation du délai fixé pour le dépôt d’observations sur les raisons pour lesquelles l’instance devrait se poursuivre; (3) d’obtenir la prorogation du délai fixé pour le dépôt d’une demande d’audience. Le 29 octobre 2014, la protonotaire Aronovitch a donné la directive suivante concernant les dossiers de requête que le demandeur avait tenté de déposer le 21 août et le 25 septembre 2014 :

[traduction]

Objet : demande de directive quant à la question de savoir si la requête du demandeur en prorogation du délai pour déposer une demande d’audience peut être acceptée pour dépôt :

Le 12 août 2014, un avis d’examen de l’état de l’instance a été délivré pour enjoindre au demandeur de déposer des observations pour justifier la poursuite de l’instance. Plutôt que de déposer ces observations comme la Cour le lui avait ordonné, le demandeur a tenté de déposer la requête susmentionnée. La pratique de la Cour consiste à ne pas statuer sur les questions interlocutoires pendant qu’une demande fait l’objet d’un avis d’examen de l’état de l’instance. De plus, cette requête peut être écartée puisque le demandeur a tenté de déposer une autre requête qui fait l’objet de la directive ci‑dessous. Cela dit, sous réserve de toute autre directive que la Cour pourrait donner, la requête pourra être acceptée pour dépôt une fois que la Cour aura statué sur la question de l’état de l’instance.

Objet : demande de directive quant à la question de savoir si le dossier de requête daté du 25 septembre 2014 peut être accepté pour dépôt :

Cette requête présentée par écrit vise à : (1) interjeter appel de l’ordonnance rendue par la Cour le 12 août 2014 (examen de l’état de l’instance); (2) obtenir la prorogation du délai pour déposer, dans le cadre de l’examen de l’état de l’instance, des observations sur les raisons pour lesquelles l’instance devrait se poursuivre; (3) obtenir la prorogation du délai imparti au demandeur pour le dépôt de sa demande d’audience. Il y a lieu d’accepter pour dépôt le dossier de la requête, sous réserve de toute opposition du défendeur concernant le calendrier ou le respect des règles de preuve et de procédure. Le délai dont dispose le défendeur pour signifier et déposer le dossier de sa réponse commencera à courir à partir de la date de la présente directive. Le délai applicable à la signification et au dépôt de la réponse du demandeur, le cas échéant, sera celui prévu par les Règles de la Cour fédérale. Un juge statuera sur la requête dès qu’elle sera en état.

[7]               Le demandeur affirme que l’ordonnance de justification devrait être annulée au motif que la protonotaire Aronovitch n’a pas accordé suffisamment d’importance au fait qu’il n’est pas représenté par un avocat et qu’en raison de son statut de détenu, il doit présenter une demande pour chaque démarche qu’il souhaite entreprendre en préparation de son dossier, qu’il s’agisse de photocopier des documents, de les télécopier, de les imprimer, d’avoir accès à un ordinateur ou d’obtenir les services d’un commissaire à l’assermentation. Compte tenu de sa situation, il soutient qu’il lui était impossible de respecter le délai de 10 jours qui lui était imparti pour signifier et déposer des observations exposant les raisons pour lesquelles la demande ne devrait pas être rejetée, d’autant plus qu’au cours de cette période, il a été transféré pendant quatre jours du Pénitencier de la Saskatchewan à l’Établissement d’Edmonton.

[8]               Il affirme également que le juge Manson a estimé à tort qu’il était en mesure de signifier et de déposer sa demande d’audience dans le délai de 10 jours prévu par les Règles, ce qui a mené au rejet de cette demande en décembre 2013. Il ajoute que les protonotaires Tabib et Aronovitch ont toutes deux mal compris le fait qu’à partir de ce moment, il lui a été impossible de demander une date d’audience en raison de ses nombreux transfèrements.

[9]               Je dois donc décider s’il était indiqué, en l’espèce, de rendre une ordonnance de justification du genre de celle qu’a rendue la protonotaire Aronovitch. À mon sens, l’ordonnance était justifiée.

[10]           Il a fallu plus de deux années pour que la présente affaire atteigne l’étape du dépôt de la demande d’audience, et pendant cette période, la Cour et les défendeurs ont tout fait pour accommoder le demandeur sur le plan procédural, comme en témoigne l’historique de la procédure en l’espèce.

[11]           À la date du prononcé de l’ordonnance de justification, le 12 août 2014 :

a.              neuf (9) mois s’étaient écoulés depuis que le juge Manson avait avisé le demandeur qu’il devait demander à la Cour l’autorisation de déposer sa demande d’audience parce qu’il avait négligé de le faire dans le délai prescrit à la suite du dépôt du dossier des défendeurs, le 3 octobre 2013;

b.             huit (8) mois s’étaient écoulés depuis que la protonotaire Tabib lui avait donné la possibilité de mettre en état le dossier de sa requête en autorisation de déposer sa demande d’audience en déposant la preuve de sa signification au plus tard le 31 janvier 2014 et qu’elle l’avait prévenu que le défaut de déposer cette preuve serait assimilé au défaut de déposer la demande d’audience et qu’il s’exposerait alors à la délivrance d’un avis provisoire d’examen de l’état de l’instance ou à la présentation d’une requête des défendeurs en vue de l’obtention du rejet de sa demande pour cause de retard.

[12]           Vu les circonstances, il était amplement justifié, de la part de la protonotaire Aronovitch, d’exiger que le demandeur lui présente des observations quant aux raisons pour lesquelles sa demande ne devait pas être rejetée pour cause de retard et d’en faire une ordonnance péremptoire qui entraînerait le rejet de la demande en cas de défaut de déposer les observations en question dans le délai qui y était précisé.

[13]           En réalité, ce n’était pas la première fois que le demandeur omettait de se conformer à une exigence des Règles ou à une ordonnance de gestion de l’instance. Le délai de huit mois qui lui a été accordé pour mettre en état le dossier de sa requête en vue d’être relevé de son défaut de déposer une demande d’audience, ce qui devait être accompli au plus tard à la mi‑octobre de 2013, était amplement suffisant dans les circonstances (Angloflora c Canada Maritime Ltd, 2002 CFPI 1230, 228 FTR 66, aux paragraphes 26 et 27; Détenus de la prison Mountain c R, [1998] ACF no 1064, aux paragraphes 7 et 8).

[14]           L’affirmation du demandeur selon laquelle il lui était impossible de fournir ces observations dans un délai de 10 jours conformément à l’ordonnance de justification est gravement affaiblie par le fait qu’il a été en mesure de réagir à cette même ordonnance dans le délai en question en déposant une requête en prorogation du délai pour signifier et déposer une demande d’audience.

[15]           Malheureusement pour lui, le demandeur n’a pas fourni à la Cour ce qui était exigé de lui en vertu de l’ordonnance de justification. En outre, il n’a pas pu expliquer de manière raisonnable pourquoi il avait été incapable de produire des observations destinées à justifier la poursuite de l’instance selon l’échéance prévue, mais capable de déposer une requête en prorogation de délai avant l’expiration de cette même échéance. Même si le demandeur est un détenu non représenté par avocat et sans formation juridique, il se doit néanmoins de suivre les Règles et de se conformer aux ordonnances de la Cour (Kalevar c Parti libéral du Canada, 2001 CFPI 1261, [2001] ACF no 1721 (QL), au paragraphe 24; Cotirta c Missinnipi Airways, 2012 CF 1262, au paragraphe 13, confirmé par 2013 CAF 280). Cela est d’autant plus vrai dans un cas comme celui‑ci, où la Cour et les défendeurs se sont montrés particulièrement sensibles aux contraintes découlant de son état de détenu non représenté par un avocat. La Cour lui a donné toutes les chances de mettre son dossier en état.

[16]           Je souscris à l’avis des défendeurs lorsqu’ils affirment que le demandeur a choisi d’ignorer les directives de la Cour en déposant tardivement une requête en prorogation de délai qui n’avait rien à voir avec ces directives au lieu de produire les observations demandées pour justifier la poursuite de sa demande, alors qu’on l’avait clairement prévenu du fait que le défaut de produire ces observations entraînerait le rejet de sa demande.

[17]           À mon sens, l’ordonnance de justification constituait une mesure légitime dans les circonstances, tout comme le rejet de la demande consécutif au défaut du demandeur de se conformer à cette ordonnance.

[18]           Quoi qu’il en soit, j’estime que le demandeur n’a fourni aucune raison valable pour expliquer pourquoi il avait tardé à déposer et à signifier sa requête en autorisation de déposer une demande d’audience conformément aux directives reçues du juge Manson le 5 décembre 2013 et à celles données un mois plus tard par la protonotaire Tabib. En particulier, il n’a pas démontré que son défaut était attribuable à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il n’a donc pas démontré que ses transfèrements d’un pénitencier à un autre étaient dus à des circonstances indépendantes de sa volonté ou qu’ils l’ont empêché de procéder au dépôt et à la signification de la requête de décembre 2103 à août 2014.

[19]           L’objectif général des Règles est de garantir le déroulement rapide, ordonné et efficace des litiges (Petro Canada c Canada (Procureur général), 2004 CF 1478, au paragraphe 3; Hardy (Succession) c Canada (Procureur général), 2012 CF 548). Le demandeur, qui avait la responsabilité d’avancer son dossier (Baroud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 160 FTR 91, [1998] ACF no 1729 (QL); Pelletier c Canada (Procureur général), 2010 CAF 189, au paragraphe 14), s’est vu donner toutes les chances possibles, notamment par l’entremise du processus de gestion de l’instance, de le mettre en état afin qu’une date d’audience puisse être fixée. Bien qu’il ait été clairement informé par le juge Manson et la protonotaire Tabib de ses manquements aux Règles et de la nécessité d’y remédier, le demandeur n’a rien fait pour faire avancer son dossier, et ce, pendant des mois.

[20]           Les parties sont tenues de se conformer aux Règles et aux ordonnances de la Cour et cet important principe continue de s’appliquer dans le cadre du processus de gestion de l’instance. D’ailleurs, le juge chargé de la gestion d’une instance n’est pas un simple arbitre qui reste assis passivement pendant qu’une partie agit comme bon lui semble (Hardy (Succession), précitée).

[21]           En l’espèce, la Cour est désormais bien loin de pouvoir statuer sur l’affaire « à bref délai et selon une procédure sommaire » (article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales) comme le voulait le législateur et on peut légitimement se demander si le litige entre les parties persiste étant donné que l’isolement préventif du demandeur, qui est à l’origine de l’instance, a pris fin depuis longtemps. Il est bien établi, dans la jurisprudence, que pour certains problèmes de courte durée, le litige a cessé d’exister lorsque l’affaire est finalement examinée dans le cadre d’un appel ou d’un contrôle judiciaire (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342). Cela semble être le cas en l’espèce.

[22]           Pour les motifs qui précèdent, je ne vois aucune raison de modifier l’ordonnance de justification. Par conséquent, l’appel du demandeur est rejeté et le rejet de la demande, confirmé.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  L’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch datée du 12 août 2014 est rejeté.

2.                  En conséquence, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑925‑11

INTITULÉ :

JASON LEWIS c DIANE OUELLET, directrice intérimaire de l’ÉTablissement PORT‑CARTIER dU SERVICE correctionnel du CANADA, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 janvier 2015 (examen sur dossier)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2015

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Jason Lewis

LE DEMANDEUR

David Stam

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Stam

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton, Alberta

POUR LES DÉFENDEURS

 

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