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Date : 20150202


Dossier : T-298-13

Référence : 2015 CF 125

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET
LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

ICOS CORPORATION

défenderesse/brevetée

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande d’Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) en vue d’obtenir, aux termes du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, et de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, une ordonnance visant à interdire la délivrance d’un avis de conformité (AC) à Mylan Pharmaceuticals ULC (Mylan) pour une version générique du tadalafil, vendu par Lilly sous le nom de marque CIALIS, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2 371 684 (le brevet 684). Le brevet 684 vise une forme posologique unitaire du tadalafil, y compris l’utilisation de cette forme posologique unitaire pour le traitement de la dysfonction érectile (DE).

[2]               Mylan soutient, en revanche, que le brevet 684 est un brevet de sélection, que son utilité n’était ni démontrée ni prédite valablement à la date de dépôt et qu’il ne présente pas à ce jour l’utilité promise. Elle allègue, subsidiairement, que si le brevet 684 n’est pas interprété comme un brevet de sélection, l’invention revendiquée est antériorisée par le brevet canadien no 2 226 784 (le brevet 784) et elle est manifestement évidente.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, d’établir pour les besoins de la présente instance que le brevet 684 est valide et qu’il y a donc lieu de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un AC.

I.                   Le contexte

[4]               Le tadalafil est un composé qui a été revendiqué et divulgué dans le brevet canadien no 2 181 377 (le brevet 377), publié en juillet 1995. L’utilisation du tadalafil pour le traitement de la DE a été revendiquée et divulguée dans le brevet 784, lequel a été publié en février 1997 et a fait l’objet d’une autre demande visant à interdire la délivrance d’un AC à Mylan (voir 2015 CF 17). Le brevet 784 a révélé que l’administration orale était la voie privilégiée, et il faisait état de doses unitaires de tadalafil de 0,2 à 400 mg.

[5]               Un autre composé, le sildénafil, avait déjà été mis au point pour le traitement de la DE. Le sildénafil était reconnu pour traiter la DE par le même mécanisme d’action que le tadalafil – l’inhibition de l’enzyme PDE5 (la PDE5). Le fonctionnement de la DE et des inhibiteurs de la PDE5 est décrit dans ma décision antérieure portant sur le brevet 784.

[6]               À l’époque du dépôt de la demande relative au brevet 684, le sildénafil avait été approuvé par les organismes de réglementation pour le traitement de la DE, et il était commercialisé en doses de 25 mg, de 50 mg et de 100 mg. Le VIAGRA (le nom commercial sous lequel le sildénafil était vendu) présentait des lacunes, dont des taux élevés de rougeurs, une vision bleu-vert ainsi qu’une interaction avec les dérivés nitrés qui provoquait une chute marquée de la tension artérielle, comparativement à la prise exclusive de dérivés nitrés (affidavit du Dr Pullman, paragraphes 70 à 72 et 78, dossier de demande (DD), vol. 2, pages 358 et 359). En fait, le sildénafil a été commercialisé avec une contre-indication écrite concernant son administration concomitante avec des dérivés nitrés.

[7]               Le sildénafil comportait également d’autres lacunes, moins sérieuses celles-là, car il était parfois associé à des réactions indésirables telles que des maux de tête, des maux de dos, une rhinite et une conjonctivite. Il fallait aussi prendre le médicament au moins une heure avant l’activité sexuelle prévue (affidavit du Dr Goldstein, paragraphe 107, DD, vol. 2, pages 257 et 258). Enfin, on savait qu’il fallait prendre le sildénafil l’estomac vide, car un repas à forte teneur en graisses pouvait faire obstacle à son absorption (affidavit du Dr Goldstein, paragraphe 331, DD, vol. 3, page 515). Pour ces raisons, des recherches considérables ont été lancées sur d’autres inhibiteurs de la PDE5, et même sur d’autres neurotransmetteurs.

[8]               Le tadalafil était l’un de ces inhibiteurs de la PDE5, puissant, sélectif et réversible. Des premières études sur le tadalafil ont eu recours à de fortes doses, allant jusqu’à 100 mg. Des études mettant à l’essai l’innocuité du tadalafil sont allées jusqu’à des doses de 500 mg. La sélection de ces fortes doses était fondée sur le seul inhibiteur de la PDE5 approuvé que l’on connaissait à l’époque, le sildénafil, ainsi que sur les puissances semblables des deux composés. On savait également que, dans le cas du sildénafil, l’efficacité du composé était proportionnelle à la dose.

[9]               L’une des premières études d’efficacité, fondée sur le protocole LVBI, a utilisé une dose de 100 mg de tadalafil. L’objectif de cette étude était d’évaluer la tolérabilité, l’innocuité et l’efficacité d’une dose unique de 100 mg de tadalafil par rapport à un placebo dans le cadre d’une étude croisée à deux phases tricentrique, menée auprès de patients souffrant de DE. L’étude a conclu que le tadalafil, à des doses uniques de 100 mg, améliorait nettement la fonction érectile en réponse à une stimulation sexuelle visuelle chez les patients souffrant d’une DE légère à modérée. Il s’agissait là de la toute première étude de validation de concept réalisée auprès de patients en vue de démontrer une preuve d’activité (affidavit du Dr Pullman, paragraphe 31, DD, vol. 3, page 543 et pièce« B », vol. 15, page 3485; contre-interrogatoire du Dr Pullman, pages 47 à 49, DD, vol. 28, pages 6413 à 6415).

[10]           Lilly a décidé de se servir de la dose de 100 mg pour le tadalafil car elle s’attendait à ce que sa réaction soit semblable à celle du sildénafil, les deux composés ayant plus ou moins la même puissance. La puissance est décrite par le recours à un essai visant à déterminer l’IC50, ou la concentration d’un médicament à l’étude qui est requise pour inhiber 50 % de l’activité enzymatique. Dans le cas du sildénafil, la dose la plus courante est de 100 mg, quoique la dose de départ caractéristique soit de 50 mg. Le choix fait par le Dr Pullman pour ce qui est de la dose de départ a également été éclairé par des personnes ayant de l’expérience en pharmacocinétique, qui auraient envisagé une mise à l’échelle de l’animal à l’être humain (affidavit du Dr Goldstein, paragraphes 269, 270 et 370, DD, vol. 3, pages 505 et 524; affidavit du Dr Pullman, paragraphe 29, DD, vol. 2, page 350). Mylan convient que, pour déterminer la dose de départ, [traduction« [l]a personne versée dans l’art examinerait aussi les doses de produits semblables, tels que le sildénafil, qui sont reconnus pour traiter le même trouble par le même mécanisme d’action » (avis d’allégation (AA), affidavit de Mme Potter, pièce « B », DD, vol. 1, page 111).

[11]           Une autre étude menée entre novembre 1997 et avril 1998, l’étude LVBH, a montré que la quantité de tadalafil absorbée semblait augmenter proportionnellement aux doses de 10 mg à 50 mg. Cependant, on a remarqué chez la majorité des sujets une augmentation moins que proportionnelle à la dose dans l’aire sous la courbe de concentration (ACC) quand on augmentait la dose de 50 mg à 100 mg. L’ACC sert à décrire la quantité totale d’un médicament absorbée par l’organisme. Cela s’appliquait à la fois à l’administration d’une dose unique et à celle de doses multiples, et toutes les doses étaient sûres et généralement bien tolérées. Cette étude a établi qu’une dose quotidienne inférieure de tadalafil peut procurer un effet thérapeutique constant sans atteindre un niveau toxique (affidavit du Dr Pullman, paragraphes 35 à 39, DD, vol. 3, page 544 et pièce « C », DD, vol. 15, page 3538).

[12]           En résumé, les essais cliniques de la phase II et le profil pharmacocinétique ont commencé à montrer, étonnamment, que même s’il était aussi puissant que le sildénafil, le tadalafil n’avait pas besoin de doses supérieures et que le fait d’utiliser de plus grandes quantités de ce médicament le rendait moins fiable. Il s’agissait, semble-t-il, de la genèse et du fondement de l’hypothèse du Dr Pullman d’après laquelle, dans le cas du tadalafil, et contrairement au sildénafil, [traduction] « moins c’était plus ». On croyait que 50 mg et 100 mg n’étaient pas une concentration optimale et que des doses inférieures seraient peut-être plus souhaitables (affidavit du Dr Pullman, paragraphes 44 à 47, DD, vol. 2, pages 352 et 353). Lors d’essais ultérieurs, il a été décidé d’utiliser des doses encore inférieures de tadalafil et d’examiner leur innocuité et leur efficacité. Ces dernières sont décrites sous la forme des exemples 5, 6 et 7 dans le brevet 684, que je vais maintenant examiner.

II.                Le brevet 684

[13]           Le brevet 684, intitulé « Compositions comprenant des inhibiteurs de phosphodiestérase pour traiter des dysfonctions sexuelles », a été déposé le 26 avril 2000 et sa date de priorité est le 30 avril 1999. Il y a deux inventeurs, dont l’un est un témoin dans la présente instance, le Dr William Pullman.

[14]           Le brevet 684 vise une forme posologique unitaire du tadalafil, y compris l’utilisation de cette forme posologique unitaire pour le traitement de la DE. Selon le tout premier paragraphe du brevet, la forme posologique unitaire qui y est décrite présente un bienfait dans les domaines thérapeutiques où l’effet souhaité est l’inhibition de la PDE5 [traduction« avec une réduction ou une élimination des effets secondaires attribuables à l’inhibition d’autres enzymes de la famille des phosphodiestérases ».

[15]           La section [traduction« Contexte de l’invention » explique que le sildénafil, malgré son succès commercial, n’a [traduction« pas atteint son objectif » en raison de ses importants effets secondaires indésirables. La brevetée met l’accent sur trois effets secondaires : [traduction« Les effets secondaires indésirables limitent l’utilisation du sildénafil chez les patients souffrant d’anomalies du champ visuel et d’hypertension et, plus important encore, chez ceux qui prennent des dérivés nitrés organiques » (brevet 684, pages 2 et 3).

[16]           Le brevet décrit ensuite la lacune que présente le sildénafil chez les patients prenant des dérivés nitrés, en raison de la chute marquée de la tension artérielle qui peut provoquer l’interaction de ces deux médicaments. Pour cette raison, [traduction« l’étiquette d’emballage du sildénafil comporte de strictes contre-indications quant à son utilisation en combinaison avec des dérivés nitrés organiques […] et d’autres donneurs de monoxyde d’azote, sous quelque forme que ce soit, de façon régulière ou par intermittence, car le sildénafil potentialise les effets hypotenseurs des dérivés nitrés » (brevet 684, page 3).

[17]           Le brevet indique ensuite que les demandeurs du brevet ont découvert que le tadalafil [traduction] « peut être administré sous la forme d’une dose unitaire qui offre un traitement efficace sans les effets secondaires associés » au sildénafil (brevet 684, page 40). L’avant-dernier paragraphe de la section « Contexte » indique :

[traduction] Il est important de signaler que les études cliniques des demandeurs révèlent aussi qu’il est possible d’offrir un produit efficace moins susceptible de causer des rougeurs chez les personnes sensibles. Étonnamment, il est possible aussi d’administrer le produit avec les effets cliniquement négligeables que l’on associe aux effets combinés d’un inhibiteur de la PDE5 et d’un dérivé nitré organique. Ainsi, la contre-indication que l’on croyait autrefois nécessaire pour un produit contenant un inhibiteur de la PDE5 est inutile dans les cas où l’on administre le composé (I) [tadalafil] sous la forme de dose unitaire d’une quantité d’environ 1 mg à environ 20 mg, comme il est divulgué dans les présentes. L’invention offre donc un traitement efficace contre la dysfonction sexuelle chez les personnes qui, autrefois, ne pouvaient pas être traitées ou souffraient d’effets secondaires inacceptables, y compris les personnes souffrant d’une maladie cardiovasculaire, telles que les personnes ayant besoin d’un traitement à base de dérivés nitrés, ayant subi un infarctus du myocarde plus de trois mois avant le début du traitement contre la dysfonction sexuelle, et souffrant d’une insuffisance cardiaque congestive de classe I, ou les personnes souffrant d’anomalies du champ visuel.

(Brevet 684, page 4)

[18]           Dans la section intitulée [traduction] « Résumé de l’invention », l’invention est une fois de plus décrite comme une [traduction« forme posologique pharmaceutique » comprenant environ 1 à environ 20 mg de tadalafil, sous la forme d’une dose unique administrable par voie orale. L’expression [traduction« forme posologique orale » est décrite de manière un peu plus détaillée; elle est employée dans un sens général pour désigner les produits pharmaceutiques que l’on administre par voie orale (les préparations liquides, les comprimés, les capsules et les gélules) (brevet 684, page 7). Le paragraphe qui suit est interprété de manière contradictoire par les parties et il vaut donc la peine d’être reproduit :

[traduction] La présente invention offre de plus un moyen de traiter les états dans lesquels une inhibition de la PDE5 est souhaitable, ce qui consiste à administrer à un patient qui en a besoin une forme posologique orale comprenant une quantité d’environ 1 à environ 20 mg d’un inhibiteur sélectif de la PDE5, suivant les besoins, jusqu’à une dose totale de 20 mg par jour. L’invention offre de plus l’utilisation d’une forme posologique orale comprenant un inhibiteur sélectif de la PDE5 à une dose d’environ 1 à environ 20 mg pour le traitement de la dysfonction sexuelle.

(Brevet 684, page 5)

[19]           Après avoir présenté la formule de constitution du tadalafil, le brevet définit un certain nombre de termes et d’abréviations (voir le brevet 684, page 7). Le terme « anomalies du champ visuel » désigne une [traduction« vision anormale caractérisée par une altération de la vision bleu-vert que l’on croit attribuable à l’inhibition de la PDE6 », tandis que le mot « rougeur » désigne [traduction] « une rougeur épisodique au visage et au cou, attribuée à la vasodilatation causée par l’injection d’un médicament, laquelle s’accompagne habituellement d’une sensation de chaleur au visage et au cou et parfois de sudation ». La [traduction] « notice d’accompagnement » est également décrite comme étant les [traduction] « informations accompagnant le produit qui décrivent comment administrer ce dernier, de pair avec les données d’innocuité et d’efficacité qui sont requises pour permettre au médecin, au pharmacien et au patient de prendre une décision éclairée au sujet de l’utilisation du produit ».

[20]           Un autre paragraphe qui a été l’objet de nombreuses discussions et dont je traiterai dans la partie « Analyse » des présents motifs, a trait à la notice d’accompagnement :

[traduction] Détail important, la notice d’accompagnement étaye l’utilisation du produit pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez les patients atteints d’une maladie de la rétine, comme la rétinopathie diabétique ou la rétinite pigmentaire, ou prenant des dérivés nitrés organiques. De ce fait, la notice d’accompagnement est de préférence exempte de contre‑indications associées à ces affections, et plus particulièrement l’administration de la forme posologique avec un dérivé nitré organique. Mieux encore, la notice d’accompagnement est également exempte de mises en garde ou d’avertissements associés aux maladies de la rétine, surtout la rétinite pigmentaire, et associés aux personnes sujettes à des anomalies du champ visuel. De préférence, la notice d’accompagnement fait également état de fréquences de rougeurs de moins de 2 %, de préférence de moins de 1 %, et idéalement de moins de 0,5 %, chez les patients à qui l’on a administré la forme posologique. Le taux d’incidence des rougeurs montre une nette amélioration par rapport à des produits pharmaceutiques antérieurs qui comportent un inhibiteur de la PDE5.

(Brevet 684, pages 8 et 9)

[21]           Il est ensuite question, dans la [traduction] « Description détaillée » du contenant utilisé dans l’article de fabrication, des formes posologiques orales et des excipients, dont aucun n’est en litige dans la présente demande. La section suivante, sur les [traduction] « Préparations », n’est pas non plus en litige dans la présente demande.

[22]           Les quatre premiers exemples présentés dans le brevet 684 ont trait à différentes formulations contenant du tadalafil. Ceux qui sont les plus pertinents pour les besoins de la présente demande sont les exemples 5, 6 et 7, qui se rapportent à la mise à l’essai du tadalafil. Je vais maintenant résumer chacun d’entre eux en me fondant sur ce qui est divulgué dans le brevet. Il va sans dire que les enseignements tirés de ces essais cliniques font l’objet d’un sérieux désaccord entre les parties, et je traiterai de ces questions dans mon analyse.

[23]           La première étude clinique, appelée « LVAB », décrit l’exécution d’une étude clinique sur les interactions médicamenteuses, du type croisé, randomisé, à double insu, contrôlé sous placebo et en deux phases, qui a évalué les effets hémodynamiques de l’administration concomitante du tadalafil et de dérivés nitrés à courte durée d’action chez des volontaires de sexe masculin en bonne santé. Il s’agit de la seule étude antérieure à la date de dépôt qui évalue l’interaction du tadalafil et des dérivés nitrés, et elle est le sujet de l’exemple 5 dans le brevet 684.

[24]           Les sujets à l’étude ont reçu soit 10 mg de tadalafil, soit un placebo, et ce, quotidiennement, durant sept jours. Le sixième ou le septième jour, ils ont reçu de la nitroglycérine en comprimé sublingual, couchés sur le dos, sur une table inclinable. La nitroglycérine a été administrée trois heures après l’administration du tadalafil, et tous les sujets ont conservé le comprimé de nitroglycérine sous la langue jusqu’à sa dissolution complète.

[25]           Selon le brevet 684, cette étude clinique a montré que le tadalafil était bien toléré et qu’il n’y avait pas d’effets indésirables graves. Le tadalafil a démontré qu’il y avait un effet minime, sinon nul, sur la tension artérielle systolique moyenne, ainsi qu’une diminution moyenne maximale, due à la nitroglycérine, de la tension artérielle systolique.

[26]           L’exemple 6 décrit deux études cliniques randomisées, à double insu et contrôlées sous placebo sur l’utilisation du tadalafil pour le traitement de la DE (ces études sont désignées comme suit : LVBG et LVBF). Des doses de 5 à 20 mg de tadalafil se sont révélées efficaces et ont démontré un pourcentage de rougeurs inférieur à 1 % et aucun signalement d’anomalies du champ visuel. Le brevet 684 décrit de quelle façon le tadalafil a nettement amélioré le pourcentage de tentatives de rapports sexuels réussies, mesurées par les questions 3 et 4 de l’Index international de la fonction érectile (IIFE). L’IIFE a été conçu pour créer une mesure succincte, fiable et auto-administrée de la fonction érectile qui soit transculturellement valide et solide sur le plan psychométrique, et qui présente la sensibilité et la spécificité nécessaires pour relever des changements liés au traitement chez les patients souffrant de DE. L’IIFE contient quinze questions, mais il y en a surtout deux que l’on évalue pour de nombreuses études : la question no 3 mesure la capacité de pénétrer le partenaire, et la question no 4 mesure la capacité de rester en érection après la pénétration.

[27]           L’exemple 7 du brevet 684 décrit une étude randomisée, à double insu et contrôlée sous placebo sur le tadalafil administré au besoin à des patients souffrant de DE : il s’agit de l’étude LVAC. La locution « au besoin » désigne l’administration intermittente de tadalafil avant l’activité sexuelle prévue. L’exemple 7 conclut que cette étude a montré que les quatre doses de tadalafil, soit 2 mg, 5 mg, 10 mg et 25 mg, prises au besoin, produisaient une nette amélioration, par rapport au placebo, de la performance sexuelle des hommes souffrant de DE, telle qu’évaluée par l’IIFE. Le brevet indique qu’il n’y a pas eu de traitements à base de dérivés nitrés dans le cadre de cette étude.

[28]           Après l’exemple 7, le brevet 684 présente deux tableaux de résultats combinés, tirés d’études cliniques : un tableau faisant état de résultats d’efficacité (page 31) et un tableau faisant état d’effets secondaires (page 32). Le brevet n’indique pas quelles études cliniques sont incluses dans ces résultats combinés mais, dans son affidavit, le Dr Pullman écrit que les tableaux sont fondés sur les réponses cumulatives des exemples 6 et 7 (affidavit du Dr Pullman, paragraphe 71, DD, vol. 2, page 358). Il semble d’après le premier tableau que toutes les doses unitaires de 2 mg, de 5 mg, de 10 mg, de 25 mg, de 50 mg et de 100 mg de tadalafil montrent un changement statistiquement significatif par rapport au placebo, en prenant pour base le domaine de la fonction érectile de l’IIFE précédemment mentionné. Ce premier tableau semble également démontrer l’effet de plateau décrit dans certaines études antérieures de Lilly, c’est-à-dire une amélioration nette de l’efficacité à des doses faibles, mais une stabilisation des niveaux d’efficacité entre les doses de 10 mg et de 25 mg.

[29]           Selon le brevet, le second tableau fait état d’une augmentation d’effets indésirables aux doses de 25 mg à 100 mg, sans augmentation correspondante de l’efficacité, comme l’illustre le tableau précédent. Il vaut également la peine de mentionner que le nombre de cas de rougeurs et d’anomalies du champ visuel était très faible. Il n’y a toutefois pas d’essai comparatif direct entre le tadalafil et le sildénafil dans ce tableau, pas plus qu’ailleurs dans le brevet.

[30]           Avant l’énoncé des revendications du brevet figure le paragraphe suivant :

[traduction] Conformément à la présente invention, une dose unitaire d’environ 1 à environ 20 mg, de préférence une dose d’environ 2 à environ 20 mg, mieux encore une dose d’environ 5 à environ 20 mg et idéalement une dose d’environ 5 à environ 15 mg du composé (I) [tadalafil], jusqu’à concurrence d’une dose maximale de 20 mg par période de 24 heures, traite efficacement la DE et réduit ou élimine l’apparition d’effets secondaires indésirables. Détail important, aucune anomalie du champ visuel n’a été signalée et les rougeurs ont essentiellement disparu. Fait surprenant, en plus de traiter la DE, par une dose unitaire d’environ 1 à environ 20 mg du composé (I) et avec un minimum d’effets secondaires indésirables, les personnes suivant un traitement à base de dérivés nitrés peuvent aussi être soignées pour la DE grâce à la méthode et à la composition de la présente invention.

(Brevet 684, pages 32 et 33)

[31]           Les revendications 1 à 8 font état de formes posologiques unitaires pharmaceutiques et les revendications 9 à 18 font état de l’utilisation d’une dose unitaire. Les revendications 1 à 6 font état d’une forme posologique unitaire pharmaceutique pouvant être administrée par voie orale, et ne diffèrent que par la quantité de tadalafil qu’elles renferment. Elles ne se limitent pas à une utilisation particulière quelconque. Les gammes posologiques différentes ou les doses précises sont les suivantes : 1 à 20 mg (revendication 1), 2 à 20 mg (revendication 2), 5 à 20 mg (revendication 3) 2,5 mg (revendication 4), 5 mg (revendication 5), et 10 mg (revendication 6). La revendication 9 fait état d’une forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6 pour le traitement de la dysfonction sexuelle. La revendication 10 fait état d’une forme posologique de la revendication 9, où la dysfonction sexuelle est la DE. Toutes ces revendications sont reproduites à l’annexe jointe aux présents motifs.

[32]           Lilly n’invoque pas la revendication 1, parce qu’il n’existe pas de données d’efficacité qui l’appuient. Elle invoque donc les revendications 2 à 6, 9 et 10. En fait, la revendication 10 est subordonnée à la revendication 9, laquelle est elle-même subordonnée aux revendications 2 à 6.

III.             Les éléments de preuve

A.                Les témoins de Lilly

[33]           Lilly a appelé à la barre un témoin de fait, le Dr William Pullman, qui est aussi l’un des inventeurs désignés du brevet 684. Elle a également présenté deux témoins experts, les Drs Gerald Brock et Irwin Goldstein.

Le Dr William Pullman

[34]           Le Dr Pullman est pharmacologue clinicien. Il s’est joint à Pfizer en 1992, où il a été chargé des essais de la phase II et de la paternité du programme de mise au point de la phase III au sein de l’équipe affectée au sildénafil VIAGRA. Il a ensuite commencé à travailler pour Eli Lilly Australia en 1995, avant de déménager aux États-Unis pour entrer au service d’Eli Lilly & Co. à titre de chef de la pharmacologie clinique. Du fait de son expérience antérieure avec le sildénafil VIAGRA, il a aidé à conclure un accord de licence avec ICOS Corporation et est devenu le directeur des affaires médicales au sein de la coentreprise Lilly‑ICOS. Son affidavit passe en revue le travail qu’il a accompli dans le cadre des essais cliniques de Lilly sur le tadalafil. Il présente un certain nombre des essais cliniques portant sur les niveaux de dosage, dont certains constituent les exemples mentionnés dans le brevet 684, ainsi que les répercussions sur les effets secondaires du tadalafil. Ayant conclu que le tadalafil était efficace à faibles doses, le Dr Pullman a vu le potentiel qu’offrait ce médicament pour ce qui était d’éviter certains des effets secondaires du sildénafil, dont une possible interaction avec les dérivés nitrés. L’affidavit décrit les résultats des essais relatifs aux effets secondaires.

[35]           Dans son affidavit, il indique qu’il était au courant de toutes les données cliniques obtenues jusqu’au moment du dépôt de la New Drug Application (NDA) [demande de drogue nouvelle] à la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, en 2001, inclusivement (affidavit du Dr Pullman, paragraphe 14, DD, vol. 2, page 347). Cependant, en contre‑interrogatoire, il a reconnu n’avoir aucune connaissance personnelle des premiers essais cliniques sur le tadalafil, y compris les études mettant à l’essai de multiples doses de ce produit (contre-interrogatoire du Dr Pullman, pages 215 et 216, DD, vol. 28, pages 6581 et 6582). Ces essais cliniques ont été réalisés par deux sociétés différentes (GlaxoSmithKline (GSK) et ICOS) avant la participation de Lilly. Le Dr Pullman a eu connaissance de ces études de même que de leurs conclusions générales dans le contexte des travaux diligents qu’il a supervisés avant que Lilly décide de participer à une coentreprise avec ICOS. Il est certes indubitable que Lilly aurait pu présenter un témoin de fait qui était au courant des essais cliniques de GSK ou d’ICOS, mais cela n’a aucune importance dans le contexte de la présente demande et Mylan n’a certainement pas mis en doute la crédibilité du Dr Pullman au sujet de cet aspect particulier de son témoignage.

[36]           Un point plus préoccupant est le fait que le Dr Pullman a avoué ne rien savoir sur deux études portant sur les dérivés nitrés (LVBY et LVCM) que Lilly avait réalisées avant de déposer la NDA et qui ont été, semble-t-il, fournies à la FDA. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il n’était au courant que de l’étude sur les dérivés nitrés (LVAB) qui est le sujet de l’exemple 5 dans le brevet 684 (contre-interrogatoire du Dr Pullman, pages 202 à 206, DD, vol. 28, pages 6568 à 6572). Ce manque de connaissance, de pair avec le rejet, par les avocats de Lilly, de toutes les questions concernant la FDA, et ce, malgré une preuve que le Dr Pullman avait rencontré le 30 août 1999 des représentants de cet organisme avant le dépôt du brevet 684 dans le but de discuter de l’étude LVAB, mine très certainement son témoignage au sujet des questions postérieures au dépôt, comme la chronologie des faits précédant la contre-indication du tadalafil aux dérivés nitrés. J’accorderai donc peu de poids à son opinion selon laquelle une [traduction« contre-indication de classe » aux inhibiteurs de la PDE5 dans le cas de la prise de dérivés nitrés a vu le jour au sein de la FDA, compte tenu des résultats liés à l’utilisation du VIAGRA (voir l’affidavit du Dr Pullman, paragraphe 82, DD, vol. 2, page 360).

Le Dr Gerald B. Brock

[37]           Le Dr Brock est un urologue, spécialisé en dysfonction érectile. Il a participé à des essais cliniques portant sur le sildénafil et le tadalafil, entre autres médicaments. Il travaille comme consultant auprès de nombreuses sociétés pharmaceutiques, dont Lilly. Sa preuve consiste en un affidavit et un contre-interrogatoire, le tout assorti de diverses pièces.

[38]           Après avoir fourni des renseignements de base sur la DE et l’état de la technique jusqu’en 1995, répétant essentiellement l’affidavit qu’il avait présenté dans le cadre du dossier de la Cour T‑296‑13, il fait ensuite état de son interprétation de la revendication 10, celle à laquelle on lui a demandé de se limiter, car elle est subordonnée à la revendication 9, elle-même subordonnée aux revendications 2 à 6. Selon son interprétation, la revendication 10 comporte les éléments essentiels qui suivent :

[traduction]

a. une forme posologique unitaire pharmaceutique;

b. comprenant une quantité de tadalafil;

c. laquelle quantité de tadalafil est choisie à partir de la liste suivante :

i. d’environ 2 à environ 20 mg;

ii. d’environ 5 à environ 20 mg;

iii. environ 2,5 mg;

iv. environ 5 mg;

v. environ 10 mg;

d. pour utilisation dans le traitement de la dysfonction érectile;

e. chez un patient dont l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait;

f. ladite forme posologique unitaire étant administrable par voie orale.

(Affidavit du Dr Brock, paragraphe 84, DD, vol. 2, page 194)

[39]           S’appuyant sur le mémoire descriptif du brevet 684, le Dr Brock considère que l’expression [traduction« forme posologique unitaire pharmaceutique » est celle que l’on utilise jusqu’à une dose quotidienne maximale de 20 mg. Même si le brevet comporte effectivement une dose quotidienne maximale, il n’est nullement exigé que le médicament soit pris quotidiennement, ou au besoin.

[40]           Faisant part de son opinion sur l’antériorité, il déclare que le brevet 784 ne décrit pas l’efficacité du médicament à faibles doses et à une dose quotidienne maximale de 20 mg pour ce qui est d’éviter ou de réduire certains effets secondaires, et il conclut donc que l’invention de la revendication 10 du brevet 684 n’est pas divulguée ni rendue réalisable dans le brevet 784. Il déclare, au paragraphe 94 de son affidavit :

[traduction] Bien que le brevet 784 décrive un produit efficace dans toute la vaste gamme de doses, le brevet 684 décrit l’efficacité surprenante du produit aux faibles doses ainsi que la réduction des effets secondaires, tels que les rougeurs et les perturbations du champ visuel. Bien que l’objet qui sous-tend l’invention du brevet 684 ne soit pas énoncé dans les revendications, y compris la revendication 10, c’est ce qui justifie les limites de dose susmentionnées. Il n’est donc pas surprenant que la demande 784 ne divulgue pas ces limites de dose parce qu’il n’y est pas question non plus de la réduction de ces effets secondaires.

(Affidavit du Dr Brock, paragraphe 94, DD, vol. 2, page 196)

[41]           Pour ce qui est de l’évidence, il commence par passer en revue et commenter l’art antérieur cité par Mylan. Sur ce fondement, il conclut que l’art antérieur semble dénoter une gamme de doses aussi étroite que de 0,2 mg à 400 mg, plutôt qu’une dose quotidienne maximale de 20 mg, comme il est indiqué à la revendication 10. Une personne versée dans l’art n’aurait pas pris en considération l’idée selon laquelle la limitation des doses, comme cela est fait dans la revendication 10, procurerait le bienfait qu’elle apporte. En tant que seul médicament administré par voie orale et approuvé contre la DE, le sildénafil aurait servi à guider les recherches concernant de futurs médicaments. Étant donné que le sildénafil était prescrit à des doses de 25 mg, de 50 mg et de 100 mg, et que la dose la plus courante était de 100 mg et la dose de départ normale de 50 mg, on s’attendrait à ce qu’autres inhibiteurs de la PDE5 d’une puissance semblable aient été dosés de la même façon. À son avis, il n’y avait pas de motif pour limiter les doses comme cela a été fait dans la revendication 10.

[42]           Par ailleurs, une personne versée dans l’art aurait considéré à l’époque que les rougeurs étaient un effet secondaire inhérent de l’inhibition de la PDE5, et elle ne se serait pas attendue à ce que le tadalafil élimine cet effet, comme il est indiqué au tableau figurant à la page 32 du brevet 684. Dans le même ordre d’idées, il n’était pas évident que le tadalafil pouvait réduire ou éliminer les anomalies de la vision, car on pensait que le manque relatif de sélectivité du sildénafil pour ce qui était de la PDE6 était le fondement des anomalies liées à la vision des couleurs. La conclusion selon laquelle le tadalafil ne causait pas d’anomalie de la vision à une dose quelconque était non seulement positive, mais aussi non évidente car, à l’époque, les anomalies de la vision étaient considérées comme un effet transitoire et inusité. Lilly avait relevé et évité un problème qui ne faisait pas encore partie de l’art antérieur.

[43]           Enfin, le Dr Brock exprime l’avis que l’utilité de l’invention, revendiquée dans la revendication 10, était démontrée à la date de dépôt au Canada. Cette opinion repose sur son examen des résultats du brevet 684 ainsi que sur les comptes rendus d’essai clinique annexés à l’affidavit du Dr Pullman. À son avis, l’objet de l’invention (la forme posologique unitaire pharmaceutique revendiquée) est de réduire ou d’éliminer les effets secondaires indésirables qui, le sait-on, accompagnent l’administration du sildénafil, tout en offrant une dose efficace. Ces effets secondaires comprennent, notamment, des rougeurs au visage, des anomalies du champ visuel ainsi qu’une baisse marquée de la tension artérielle lorsqu’on administre du tadalafil avec des dérivés nitrés organiques. Selon lui, la promesse ne serait pas interprétée comme une promesse de réduire ou d’éliminer tous les effets secondaires, car une personne versée dans l’art comprendrait que cela est impossible lorsqu’on utilise un médicament qui inhibe la PDE5.

[44]           S’appuyant sur des essais cliniques, le Dr Brock déclare que Lilly détenait suffisamment d’informations pour démontrer que des doses orales de tadalafil d’environ 2 mg à environ 20 mg seraient efficaces pour traiter la DE, et que ces doses inférieures mèneraient aussi à des incidences plus faibles de rougeurs et d’anomalies du champ visuel, de même qu’à de meilleurs résultats chez les sujets prenant également des dérivés nitrés, comparativement au sildénafil (affidavit du Dr Brock, paragraphe 211, DD, vol. 2, page 225). De l’avis du Dr Brock, le brevet 684 ne promet pas d’être [traduction« plus sûr » que le sildénafil; il promet uniquement une efficacité à très faibles doses, de pair avec les incidences plus faibles d’effets secondaires que ces doses plus faibles occasionnent (affidavit du Dr Brock, paragraphe 216, DD, vol. 2, page 226). De l’avis du Dr Brock, la réduction des rougeurs et des anomalies du champ visuel est clairement démontrée par les essais cliniques lorsqu’on les compare à l’art antérieur relatif au sildénafil. Quant à l’administration du tadalafil avec des dérivés nitrés, le Dr Brock fait seulement remarquer que [traduction« le tadalafil n’a pas causé la même chute de tension artérielle, quand on l’a administré avec des dérivés nitrés, que celle que l’on a constatée avec le sildénafil, comme l’illustre l’exemple 5 du brevet (affidavit du Dr Brock, paragraphe 220, DD, vol. 2, page 227).

[45]           Mylan a fait valoir que le Dr Brock entretient des liens étroits avec Lilly, ayant été rémunéré par celle-ci pour des services de consultation ainsi que pour faire des exposés à des médecins, et qu’il a eu accès à des informations internes avant la date de dépôt. En fait, le Dr Brock a confirmé en contre-interrogatoire qu’aux dates pertinentes il avait siégé au comité consultatif de Lilly-ICOS pour le brevet 684 (1999-2000) et qu’il avait été le principal chercheur dans le cadre de l’essai clinique (LVAC) qui est inclus à titre d’exemple 7 du brevet 684. Cependant, je ne pense pas que cela soit suffisant pour amoindrir le poids de sa preuve.

[46]           Tout d’abord, la plupart des experts dans le domaine sont consultés et rémunérés par l’industrie et, en soi, cela n’empêche pas de les reconnaître comme des experts. Le Dr Brock a lu et compris le Code de déontologie régissant les témoins experts et il a convenu d’y être assujetti. Quant aux informations qu’il aurait pu acquérir sur les forces et les faiblesses du tadalafil pendant qu’il siégeait au comité consultatif et agissait comme chercheur dans le cadre d’essais cliniques portant sur ce produit, je souscris à ce qu’il a déclaré en contre-interrogatoire, à savoir que, dans le cadre d’une étude, un chercheur ne voit qu’une très petite partie de l’étude dans son ensemble, et que cela ne fait pas une différence énorme pour ce qui est des renseignements que l’on acquiert sur l’étude proprement dite (contre-interrogatoire du Dr Brock, pages 243 à 245, DD, vol. 23, pages 5100 à 5102). Je signale également qu’on n’a pas expressément demandé au Dr Brock en quoi les informations qu’il avait pu obtenir en siégeant au comité consultatif auraient pu avoir une incidence sur l’opinion qu’il a formulée. Pour toutes les raisons qui précèdent, plus le fait que le Dr Brock a été admis comme un expert qualifié dans d’autres affaires soumises à la Cour (surtout celle portant sur la demande de Pfizer en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC concernant le sildénafil : Pfizer Canada c Apotex, 2007 CF 971), je rejette la tentative de Mylan pour contester la crédibilité du Dr Brock.

Le Dr Irwin Goldstein

[47]           Le Dr Goldstein est urologue, spécialisé en dysfonction sexuelle, et professeur clinicien de chirurgie à la University of California – San Diego. À l’instar du Dr Brock, il a pris part à des recherches cliniques sur le sildénafil et le tadalafil, et il a comparu à titre de témoin expert pour Pfizer dans le cadre du litige relatif au sildénafil qui est mentionné au paragraphe précédent des présents motifs.

[48]           Dans son affidavit de 116 pages, le Dr Goldstein passe en revue l’état de la technique et fait part de son opinion sur chacune des questions en litige. Il donne un cours de science de base et décrit le traitement de la DE avant et après 1995; cet aspect de son affidavit est en grande partie une reprise de celui qu’il a fourni dans le cadre du dossier de la Cour T‑296‑13. Il passe ensuite en revue les connaissances générales courantes en avril 1999 (la date pertinente pour ce qui est d’examiner la question de l’évidence) et en avril 2000 (la date pertinente pour ce qui est de la question de l’utilité). Il traite de la percée majeure qu’a été le sildénafil, car on pensait avant cela qu’on ne pouvait pas se servir d’un médicament oral pour traiter la dysfonction érectile, ainsi que de la grande quantité de recherches qui ont été menées ultérieurement à cause des caractéristiques qui faisaient encore que le sildénafil était une option moins qu’idéale. Il examine ensuite l’art antérieur de Mylan, en donnant plus de détails sur les anomalies du champ visuel et les rougeurs. Il est d’avis qu’en avril 1999, l’importante différence d’IC50 entre la PDE5 et la PDE6, dans le cas du tadalafil par opposition au sildénafil, aurait amené une personne versée dans l’art à émettre l’hypothèse que le tadalafil aurait peut-être moins d’effets sur le plan de anomalies de la vision des couleurs, mais que, compte tenu de toutes les preuves contradictoires, il serait nécessaire de confirmer dans le cadre d’études sur des humains les différences qu’il pouvait y avoir entre les deux médicaments. Cela s’applique également aux rougeurs qui, pensait-on, étaient un effet inhérent à l’inhibition de la PDE5 mais qui posaient moins de problèmes dans le cas du tadalafil.

[49]           Le Dr Goldstein examine ensuite les documents de Mylan sur l’état de l’art après 2000, ainsi que les résultats d’essais cliniques confidentiels menés par Lilly et obtenus avant le dépôt du brevet 684 (il s’agit des études qui ont été résumées plus tôt, sous les noms de LVBI, LVBH, LVBG, LVBF, LVAC, LVAB et LVAI, de même que d’autres études qui ne sont pas pertinentes pour les besoins de la présente demande). Il interprète ensuite les revendications 2 à 6, 9 et 10, y compris l’expression « forme posologique unitaire », sensiblement de la même manière que le Dr Brock.

[50]           Pour ce qui est de l’antériorité, le Dr Goldstein est d’avis que la concentration de 2 à 20 mg, ou toute concentration figurant à l’intérieur de cette gamme, de même que la dose maximale quotidienne de 20 mg, sont des éléments essentiels de la revendication 10 du brevet 684 et qu’une personne versée dans l’art ne conclurait pas qu’elle est divulguée dans le brevet 784. Il déclare de plus, dans l’éventualité que l’on conclue à une telle divulgation, qu’il n’y a pas d’instructions dans le brevet 784 qu’une personne versée dans l’art pourrait suivre pour arriver à l’objet revendiqué de la revendication 10 du brevet 684 :

[traduction] Une personne moyennement versée dans l’art n’obtiendrait pas les concentrations visées par la revendication 10 du brevet 684 en utilisant les enseignements de PA3 [brevet 784] et en effectuant des travaux courants qui ne seraient ni prolongés ni ardus. Ces travaux ne seraient pas courants et ils seraient forcément prolongés et ardus. Cette information ne pourrait être déterminée qu’en concevant et en réalisant des expériences complexes, comme Lilly a dû le faire, en examinant les résultats obtenus et en répétant le cycle en tenant compte des enseignements. Lilly a passé deux ans à effectuer des essais cliniques sur plusieurs continents ainsi qu’auprès de centaines, voire de milliers, de patients. Au paragraphe 270, je décris également pourquoi les essais cliniques de Lilly n’étaient pas simples et courants. Savoir que des travaux ont été faits, ce n’est pas la même chose que savoir comment mener les expériences, et quels résultats ces essais donneront.

(Affidavit du Dr Goldstein, paragraphe 359, DD, vol. 2, pages 328 et 329)

[51]           Pour ce qui est de l’évidence, le Dr Goldstein émet l’avis qu’une personne versée dans l’art conclurait que les limites de dose de 2 à 20 mg et la dose maximale quotidienne de 20 mg présentent un caractère inventif et non évident. Il n’aurait pas été évident aux yeux d’une telle personne qu’une telle limite serait quand même efficace pour traiter la DE et qu’elle donnerait lieu à un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil. L’élément moteur des travaux qui ont conduit à l’invention de la revendication 10 du brevet 684 a été le souhait d’obtenir un produit présentant un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil. Pourtant, en avril 1999, on n’en savait pas assez sur l’inhibition de la famille d’enzymes PDE pour savoir que n’importe quel inhibiteur de la PDE5 pouvait être mis au point et donner de meilleurs résultats sur le plan des rougeurs ou des problèmes du champ visuel. Selon le Dr Goldstein, les essais cliniques qui ont été mis au point et réalisés en vue de déterminer l’efficacité de faibles doses de tadalafil et son profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil n’étaient pas simples et courants.

[52]           Le Dr Goldstein traite ensuite de l’allégation de Mylan selon laquelle les concepts du brevet 684 ne sont pas inventifs, mais il s’agit là d’un argument qui n’est plus en litige. Pour ce qui est de l’utilité, il émet l’opinion que les données contenues dans le brevet 684 et analysées dans les exemples 5, 6 et 7 sont suffisantes, et qu’il n’est pas nécessaire de se reporter à d’autres études cliniques pour conclure que la promesse (laquelle est, selon lui, que la forme posologique unitaire revendiquée, une fois administrée à des patients pour le traitement de la DE, présenterait un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil) est démontrée. À cet égard, il ajoute :

[traduction] Certes, le tadalafil n’est peut-être pas meilleur d’une manière statistiquement significative pour tous les effets secondaires possibles, y compris ceux qui sont énumérés au tableau figurant à la page 32 du brevet 684, mais, à mon avis, les inventeurs ont bel et bien démontré que le tadalafil, lorsqu’il est administré en tenant compte des restrictions de dose énoncées à la revendication 10 du brevet 684, comme je l’ai déjà mentionné, présente clairement des incidences d’effets secondaires moins nombreuses ou plus faibles, relativement à ceux sur lesquels les inventeurs se sont concentrés, soit les rougeurs, les anomalies du champ visuel et l’hypotension résultant de la prise concomitante avec des dérivés nitrés. Dans ce contexte, la promesse du brevet est démontrée.

(Affidavit du Dr Goldstein, paragraphe 379, DD, vol. 2, pages 333 et 334)

[53]           Le Dr Goldstein traite également de l’allégation de Mylan selon laquelle l’utilité du tadalafil n’a pas été démontrée dans le brevet 684 parce qu’on n’a pas fait d’essais comparatifs avec le sildénafil et qu’aucune donnée n’a été incluse sur des essais réalisés auprès de patients souffrant d’une maladie cardiovasculaire, avec ou sans dérivés nitrés organiques. Premièrement, indique-t-il, les données présentées dans la littérature publiée, sous la forme de résumés et de publications de recherche évaluées par des pairs et complètes sur le sildénafil, n’auraient pas été aisément accessibles à la date de dépôt de la demande relative au brevet 684, et il aurait été possible de faire des comparaisons raisonnables avec le tadalafil. Deuxièmement, il affirme que dans les réalisations antérieures les études comparatives directes sur les inhibiteurs de la PDE5 sont rares et que l’attente de Mylan, à savoir qu’une société pharmaceutique réaliserait normalement ce genre d’étude, paraît [traduction« déraisonnable » (au paragraphe 381 de son affidavit).

[54]           Le Dr Goldstein ajoute qu’une personne versée dans l’art ne croirait pas que le brevet 684 promettait de réduire ou d’éliminer tous les effets secondaires associés au sildénafil, car une telle personne saurait que tous les médicaments ont des effets secondaires. Une personne versée dans l’art s’attendrait à ce que l’inhibition de la PDE5 comporte quelques effets secondaires, car des médicaments d’une même classe ont souvent des effets secondaires semblables. Ce qui n’aurait donc pas été évident, ce serait la diminution des rougeurs et de l’absence de vision bleue attribuables au tadalafil, car ce sont ces effets secondaires qui étaient considérés comme inhérents à l’inhibition de la PDE5. Selon des études cliniques semblables à celles qui constituent les exemples 6 et 7, le tadalafil réduit le degré de rougeurs et élimine essentiellement les anomalies du champ visuel que l’on associe au sildénafil. Ces résultats concordent avec ce qu’il a vu dans sa clinique.

[55]           Quant à l’argument de Mylan selon lequel le tadalafil n’est pas meilleur que le sildénafil dans les cas où le patient prend également des dérivés nitrés, parce que les deux produits sont étiquetés de telle façon qu’il n’est pas recommandé de les prendre avec des dérivés nitrés, le Dr Goldstein écrit :

[traduction] S’il est vrai que le mémoire descriptif, au dernier paragraphe de la page 8, mentionne que la notice d’accompagnement du tadalafil ne comportera pas « de préférence » une contre-indication à la prise de dérivés nitrés, cela n’exclut pas que ce serait possible et cela ne change pas le fait que les inventeurs ont démontré que le tadalafil, administré en tenant compte des restrictions posologiques de la revendication 10 du brevet 684, était meilleur que le sildénafil à cet égard. Essentiellement, le tadalafil était meilleur que le sildénafil, mais le critère imposé par la FDA pour lui permettre d’éviter de consigner la contre-indication dans son étiquette était plus strict. C’est ce qui ressort de l’exemple 5 du brevet 684 en soi et cela est également étayé par les essais cliniques dont j’ai parlé à cet égard.

[…]

La « potentialisation des effets hypotenseurs des dérivés nitrés » qui est mentionnée dans la contre-indication relative au tadalafil survient dans le cadre d’un régime posologique quotidien de 20 mg de tadalafil. Il a été démontré que ce régime quotidien augmente la concentration à l’état d’équilibre dans le sang de 60 % par rapport à une dose unique, prise au besoin. La contre-indication découle donc d’une règle de sécurité publique appropriée, mais prudente. À mon avis, les données réelles incuses dans le brevet 684 et les réalisations antérieures confirment l’utilité du tadalafil pour ce qui est de réduire les effets indésirables, y compris les interactions avec les dérivés nitrés organiques. Les mises en garde et les contre‑indications qu’imposent les politiques de réglementation des médicaments ne définissent pas forcément les risques véritables ou l’utilité réelle.

(Affidavit du Dr Goldstein, paragraphes 399 et 402, DD, vol. 2, pages 338 et 339)

[56]           Enfin, le Dr Goldstein fait des commentaires sur l’allégation de Mylan selon laquelle des formes posologiques de 1 à 2 mg ne seraient pas efficaces pour le traitement « au besoin » de la DE. Il souligne, premièrement, que la revendication 10 ne se limite pas à un traitement « au besoin » et, deuxièmement, que la concentration la plus faible qu’on lui a demandé d’examiner (les revendications 2 et 4) est de 2 mg. Il ressort clairement des études mentionnées dans les exemples 6 et 7 que la dose de 2 mg offrait, par rapport au placebo, une amélioration notable de la performance sexuelle des hommes souffrant de DE. Même si on n’a pas mis à l’essai de manière précise le comprimé de 2,5 mg qui est actuellement commercialisé, il ne fait aucun doute qu’une personne versée dans l’art saurait qu’une dose de 2,5 mg (qui contient 25 % plus d’ingrédients actifs qu’une dose de 2 mg) serait elle aussi efficace dans le cas d’un traitement quotidien ou « au besoin ». Quant au profil d’effets indésirables d’une dose de 2,5 mg, il se situerait entre ceux qui se rapportent aux doses de 2 mg et de 5 mg; étant donné qu’aucune rougeur ou anomalie du champ visuel n’a été relevée à l’une ou l’autre de ces doses, une personne versée dans l’art saurait que cela serait valable aussi pour la dose de 2,5 mg.

[57]           Les avocats de Mylan ont formulé à l’égard de l’impartialité du Dr Goldstein les mêmes préoccupations que celles qu’ils avaient formulées à l’endroit du Dr Brock. Pour les raisons susmentionnées, je conclus que l’accès du Dr Goldstein à des informations confidentielles avant la date de dépôt ainsi que sa participation à la mise au point du tadalafil sont insuffisantes pour influencer le poids de son témoignage. Quant à l’allégation selon laquelle le Dr Goldstein a présenté ses preuves dans le but de confirmer la validité du brevet 684, ce n’est pas ce qui ressort d’une lecture attentive de son affidavit ou, quant à cela, des réponses qu’il a données en contre‑interrogatoire. La déclaration qu’il a faite spontanément après la conclusion de son réinterrogatoire était peut-être un peu irrégulière, mais il semble qu’il l’ait faite de bonne foi en vue d’éclaircir un point sur lequel on l’avait questionné plus tôt; on ne peut certainement pas interpréter cela comme une tentative pour s’écarter de son rôle d’expert indépendant et jouer celui de témoin partial.

B.                 Les témoins de Mylan

[58]           Mylan a appelé deux témoins experts : le Dr Arnold Melman et M. Evan Siegel.

Le Dr Arnold Melman

[59]           Le Dr Melman est professeur d’urologie au Albert Einstein College of Medicine, à New York, et médecin traitant au Service d’urologie de la Mount Sinai School of Medicine et du Montefiore Medical Centre.

[60]           L’essentiel de son opinion figure dans son propre résumé et sa teneur est la suivante. Premièrement, il est d’avis qu’une personne versée dans l’art comprendrait que la brevetée promet que la dose unitaire de tadalafil revendiquée réduira trois effets indésirables associés au sildénafil (les rougeurs, les anomalies du champ visuel et les effets défavorables associés aux interactions avec les dérivés nitrés) à des niveaux cliniquement négligeables. L’expression « niveaux cliniquement négligeables » signifie que les effets indésirables surviendraient avec une rareté suffisante, ou seraient suffisamment bénins, de sorte qu’ils n’influenceraient pas le jugement d’un clinicien qui prescrirait un traitement contre la dysfonction érectile. Comme elle s’applique plus particulièrement à l’interaction avec les dérivés nitrés, cela voudrait dire qu’une contre-indication du tadalafil n’est pas nécessaire.

[61]           Deuxièmement, il croit que cette promesse n’est pas réalisée parce qu’il existe une contre-indication stricte de la part des autorités réglementaires, aux États-Unis comme au Canada, à l’égard de l’administration concomitante du tadalafil et de dérivés nitrés pour toutes les doses unitaires revendiquées dans le brevet 684. Cette contre-indication, qui apparaît dans l’étiquette du produit aux États-Unis (US Product Label) ainsi que dans la monographie canadienne est fondée sur les résultats d’études parrainées par Lilly et les résultats découlant du potentiel qu’a le tadalafil d’amplifier les effets hypotenseurs des dérivés nitrés. Ces effets peuvent mener à des diminutions cliniquement significatives de la tension artérielle ainsi qu’à des effets indésirables connexes, dont le décès.

[62]           Le Dr Melman déclare de plus qu’à la date du dépôt du brevet 684, la brevetée n’avait pas démontré que le tadalafil pouvait être coadministré en toute sécurité avec des dérivés nitrés, à quelque dose unitaire que ce soit. À cette date, on savait que le sildénafil interagissait avec les dérivés nitrés parce qu’il est un inhibiteur de la PDE5. Le tadalafil étant lui aussi un inhibiteur de la PDE5, une personne versée dans l’art se serait attendue à ce que le tadalafil présente une interaction semblable. La seule étude menée sur le tadalafil et les dérivés nitrés à la date du dépôt du brevet 684 (l’étude LVAB) avait fait appel à des volontaires en bonne santé et n’avait pas montré qu’il y avait une différence statistiquement significative dans les effets cardiovasculaires entre le tadalafil et le sildénafil quand ils étaient pris avec des dérivés nitrés. Une personne versée dans l’art n’aurait pas prédit non plus que le tadalafil pouvait être coadministré en toute sécurité avec des dérivés nitrés, d’après les informations divulguées dans le brevet 684, vu l’interaction connue du sildénafil et les limites de l’exemple 5.

[63]           Le Dr Melman a ensuite passé en revue le brevet 684, les connaissances de la personne versée dans l’art sur l’utilisation d’inhibiteurs de la PDE5 pour traiter la DE en avril 1999 et en avril 2000, ainsi que les diverses études cliniques menées par Lilly avant le dépôt du brevet 684, telles que divulguées par le Dr Pullman. En particulier, le Dr Melman indique que l’exemple 5 ne décrit qu’une partie de l’étude LVAB et n’analyse pas les essais relatifs au sildénafil qui ont été réalisés dans le cadre de cette étude. Il souligne qu’il ressort de cette étude qu’il n’y a pas de différence statistiquement significative entre la comparaison directe du tadalafil et du sildénafil. Il ajoute qu’à ce jour la dose unitaire de tadalafil revendiquée ne réalise pas une amélioration par rapport au sildénafil au chapitre des effets indésirables les plus importants relevés dans le brevet 684 – l’interaction avec les dérivés nitrés. Tant la monographie canadienne que l’étiquette du produit des États-Unis qui s’appliquent au CIALIS indiquent de manière non équivoque que le tadalafil n’est pas indiqué chez les patients prenant une forme quelconque de dérivés nitrés, et, à titre de clinicien, il déclare qu’il ne prescrirait pas le tadalafil à un patient à qui l’on a prescrit des dérivés nitrés. Cette contre-indication repose sur des études axées spécifiquement sur le tadalafil, qui montrent toutes que ce produit a des interactions cliniquement significatives avec les dérivés nitrés et ne doit pas être coadministré avec de tels produits, peu importe la dose ou le régime posologique. C’est donc dire que la contre-indication n’est pas juste une [traduction« contre-indication de classe » que l’on a appliquée automatiquement à tous les inhibiteurs de la PDE5.

[64]           Le Dr Melman traite également de la version publiquement disponible d’un document de la FDA intitulé Review of the New Drug Application for CIALIS (tadalafil) (la revue de la FDA), qui confirme son opinion selon laquelle le tadalafil a des interactions cliniquement significatives avec les dérivés nitrés. Dans son étude, la FDA, en se basant sur les études menées par Lilly, a recommandé  que les dérivés nitrés à action brève soient contre-indiqués pendant une période maximale de 48 heures à la suite de la prise d’une dose de CIALIS.

[65]           Le Dr Melman exprime également l’avis que la dose unitaire de tadalafil revendiquée ne procure pas d’amélioration par rapport au sildénafil pour ce qui est de la coadministration avec des dérivés nitrés. Dans la mesure où il y aurait une différence quelconque, le tadalafil est contre‑indiqué avec les dérivés nitrés pendant un temps plus long en raison de sa demi-vie plus longue.

[66]           Enfin, le Dr Melman passe en revue les opinions que les Drs Brock et Goldstein ont émises et fait part de plusieurs points de désaccord, notamment en ce qui concerne leurs vues sur l’interaction du tadalafil et des dérivés nitrés. En conclusion, il réaffirme qu’à la date du dépôt du brevet 684 il n’y avait aucune preuve que le tadalafil pouvait être coadministré en toute sécurité avec des dérivés nitrés à n’importe quelle dose unitaire. Vu les faiblesses de la seule étude sur les dérivés nitrés qui avait été réalisée avant la date de dépôt du brevet 684 (l’étude LVAB), il n’avait pas été démontré non plus que la dose de tadalafil revendiquée présentait une amélioration quelconque par rapport au sildénafil sur le plan de l’administration concomitante de dérivés nitrés. Il exprime également l’avis qu’au mois d’avril 2000, on ne pouvait pas prédire à partir de l’exemple 5 que l’on pouvait coadministrer le tadalafil en toute sécurité avec des dérivés nitrés à n’importe quelle dose unitaire, ou que la dose de tadalafil revendiquée présenterait une amélioration quelconque par rapport au sildénafil sur le plan de l’administration concomitante de dérivés nitrés. Même à ce jour, le tadalafil ne présente pas un profil d’effets secondaires général meilleur que celui du sildénafil. Pour ce qui est du problème de sécurité le plus important – l’interaction avec les dérivés nitrés organiques – les deux médicaments sont absolument contre‑indiqués. Quant aux autres effets indésirables, le sildénafil présente des taux d’incidence plus élevés pour certains, tandis que le tadalafil présente des taux d’incidence plus élevés pour d’autres.

M. Evan Siegel

[67]           M. Siegel est un toxicologue qui possède une expertise en matière de mise au point de médicaments, ce qui inclut le choix des doses et les effets secondaires. Il se considère comme un expert en mise au point et en essais cliniques de médicaments dans de nombreux domaines différents. Il n’a pas de spécialisation ou d’expérience particulière en matière de dysfonction sexuelle.

[68]           Après avoir énoncé ses titres de compétence et son mandat, M. Siegel présente une introduction générale au processus de mise au point de médicaments, notamment en ce qui concerne la détermination d’une dose humaine appropriée pour un médicament donné, la relation entre le dosage et les effets indésirables, ainsi que des renseignements généraux sur des types différents d’effets indésirables. Un point particulièrement pertinent est la déclaration de M. Siegel selon laquelle, dans certains cas, un effet indésirable est suffisamment grave ou fréquent pour justifier l’inclusion d’une mise en garde, d’un avertissement ou d’une contre‑indication sur la monographie, l’étiquette ou l’emballage d’un produit. Un tel avis a pour but de prévenir les patients et les médecins du danger potentiel qui peut résulter de l’utilisation du produit. Il indique :

[traduction] Selon mon interprétation, une contre-indication est l’avertissement le plus sérieux qui soit sur les effets indésirables potentiels que l’on associe à l’utilisation du produit. Il s’agit essentiellement d’un énoncé qui met en garde les fournisseurs de soins de santé prescripteurs et les patients contre le fait d’utiliser le produit lorsqu’un patient souffre d’une certaine affection ou prend un autre produit qui aura une interaction négative et est susceptible de nuire à sa santé. Une contre-indication dit en fait : « ne prenez pas ce produit si ces circonstances s’appliquent ».

(Affidavit de M. Siegel, paragraphe 70, DD, vol. 18, page 4278)

[69]           M. Siegel passe ensuite en revue le brevet 684, y compris les études cliniques qui y sont divulguées et présente la manière dont il interprète les revendications. Selon lui, le brevet 684 promet que les doses unitaires de tadalafil revendiquées (1 à 20 mg) présentent une amélioration par rapport au sildénafil en réduisant trois effets indésirables particuliers (anomalies du champ visuel, rougeurs et effets défavorables associés à l’administration concomitante de dérivés nitrés) à des [traduction« niveaux cliniquement négligeables », tandis que des doses plus fortes de tadalafil (comme 25 ou 50 mg) ne présentent pas cet avantage.

[70]           M. Siegel répond à l’affidavit du Dr Pullman et le critique, et il expose trois problèmes que présente son exposé narratif : premièrement, le Dr Pullman a omis d’importants éléments de l’historique de la mise au point du tadalafil, comme les essais sur des animaux et les premiers essais sur les humains; deuxièmement, cet exposé est axé sur l’efficacité, alors que le brevet 684 vise à éviter trois effets indésirables particuliers; troisièmement, l’affidavit n’explique pas comme il faut l’interaction du tadalafil et des dérivés nitrés. Sensiblement comme le Dr Melman, M. Siegel est d’avis que, dans l’étude LVAB, il n’y a pas eu de différences statistiquement significatives entre l’effet combiné du tadalafil et des dérivés nitrés par opposition à l’effet combiné du sildénafil et des dérivés nitrés. Par ailleurs, l’étude LVAB n’a pas démontré que le tadalafil pouvait être coadministré en toute sécurité avec des dérivés nitrés. Il n’est pas d’accord non plus avec le Dr Pullman, selon qui le tadalafil est contre-indiqué parce qu’il fait partie de la même classe que le sildénafil; le tadalafil est contre-indiqué avec les dérivés nitrés parce qu’il a été démontré qu’il a des interactions cliniquement significatives avec eux.

[71]           M. Siegel convient avec les Drs Goldstein et Brock que le brevet 684 promet que la dose unitaire de tadalafil revendiquée représente une amélioration car elle réduit les trois effets indésirables particuliers qu’occasionne le sildénafil (rougeurs, anomalies du champ visuel et effets défavorables associés à l’administration concomitante de dérivés nitrés). Il ne partage toutefois pas leur avis au sujet du degré d’amélioration promis. En se fondant sur les preuves fournies dans le brevet 684 et celles que Lilly a produites dans le cadre de la présente instance, il est en outre d’avis que rien ne permettait de conclure que les doses unitaires de tadalafil choisies dans le brevet 684 (1 à 20 mg) offraient une amélioration parce qu’elles réduisaient les trois effets indésirables particuliers par rapport au sildénafil, ou par rapport à des doses supérieures de tadalafil (comme 25 ou 50 mg). L’exemple 5, en particulier, a été mené auprès de volontaires de sexe masculin, en bonne santé et relativement jeunes, et non auprès de personnes qui prennent de façon chronique des dérivés nitrés ou de patients souffrant de DE. De plus, l’exemple ne fournit des informations que sur une dose de tadalafil de 10 mg.

[72]           Par ailleurs, il est également d’avis que rien ne permet de conclure aujourd’hui qu’une dose quelconque de tadalafil, se situant dans la gamme posologique choisie ou dans une gamme supérieure, peut être coadministrée en toute sécurité avec des dérivés nitrés. C’est donc dire que les doses de tadalafil revendiquées ne présentent pas un profil d’effets indésirables meilleur que celui du sildénafil à cet égard. Il fonde cette opinion sur l’examen qu’il a fait des données fournies dans le brevet 684, les preuves fournies dans l’affidavit du Dr Pullman, ainsi qu’un examen de plusieurs sources différentes de renseignements récents sur le tadalafil. Il a analysé la revue de la FDA ainsi que la documentation spécialisée publiée après l’année 2000 et arrive aux mêmes conclusions que le Dr Melman, à savoir qu’une dose unitaire de 1 à 20 mg de tadalafil ne peut pas être administrée en concomitance avec des dérivés nitrés et que la contre-indication est le fruit d’essais expressément axés sur l’interaction du tadalafil et des dérivés nitrés, et non pas de l’étiquetage de classe fait par les organismes de réglementation. Il conclut cette partie de son affidavit en expliquant pourquoi il ne souscrit pas aux opinions des Drs Brock et Goldstein sur l’interaction du tadalafil et des dérivés nitrés.

[73]           Tenant pour acquis que le concept inventif du brevet 684 consiste à [traduction« choisir une dose de 1 à 20 mg de tadalafil qui donne lieu à un profil d’effets indésirables généralement meilleur par rapport à des doses supérieures de tadalafil », M. Siegel émet l’avis que, au 30 avril 1999, il était évident d’utiliser le tadalafil pour traiter la DE sous la forme des doses unitaires revendiquées dans ce brevet. En se fondant sur la divulgation du brevet 784, une équipe de mise au point du médicament aurait été encline à recourir à des techniques de détermination de doses standards afin de déterminer les effets indésirables associés à des doses différentes au sein de cette gamme et à découvrir la ou les doses qui seraient les plus efficaces et qui présenteraient, sur le plan des effets indésirables, le degré le plus faible d’incidence et de gravité dans la cohorte des patients à traiter. Comme il l’indique :

[traduction] Déterminer le dosage d’un composé connu est une tâche courante pour une équipe de mise au point d’un médicament. L’objectif de ce processus est toujours le même : déterminer la gamme de doses qui maximisent l’efficacité et qui minimisent les effets indésirables. De façon générale, il était bien connu que l’on pouvait réduire l’incidence des effets indésirables en réduisant la quantité posologique et que cela est toujours souhaitable, tant que la quantité posologique demeure efficace. L’équipe de mise au point qui accomplit ce travail courant observera inévitablement que le composé visé a des effets indésirables particuliers parce que ces effets sont des caractéristiques inhérentes du composé.

(Affidavit de M. Siegel, paragraphe 34, DD, vol. 18, page 4270)

[74]           M. Siegel est d’avis que, d’après la puissance in vitro comparative du tadalafil et du sildénafil, d’après les poids moléculaires relatifs de ces composés et d’après le profil pharmacocinétique du sildénafil et du tadalafil, une équipe de mise au point du médicament qui suivrait les étapes de mise au point ordinaires aurait vraisemblablement commencé à doser le tadalafil chez les humains à un niveau sensiblement inférieur à celui des doses de sildénafil commercialisées et approuvées. L’exécution d’essais pharmacocinétiques ordinaires sur des animaux aurait amené une équipe de mise au point du médicament à réduire davantage les doses initiales utilisées dans le cadre d’essais sur les humains. Étant donné qu’une telle équipe entreprendrait habituellement les essais sur les humains en se servant d’une dose sûre et faible et qu’elle augmenterait ensuite lentement la dose mise à l’essai en vue de déterminer la dose maximale tolérée, une personne versée dans l’art aurait donc vraisemblablement conçu une étude initiale à dose croissante, qui commencerait par une dose de tadalafil d’environ 5 mg et qui l’augmenterait jusqu’à environ 50 mg.

IV.             Les questions en litige

[75]           Mylan soutient que si le brevet 684 est interprété comme un brevet de sélection dérivant du brevet 784, l’utilité promise (le tadalafil, à des doses précises, réduira les effets indésirables particuliers à des niveaux cliniquement négligeables) n’était démontrée ni prédite valablement à la date de dépôt, principalement à cause du problème constant et sérieux de l’interaction des dérivés nitrés. Elle soutient, subsidiairement, que si le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection, il s’ensuit qu’il est invalide pour cause d’évidence et d’antériorité du brevet 784, car les gammes posologiques du brevet 684 se situent toutes dans celles que divulgue le brevet 784, et il aurait été évident de mettre à l’essai de faibles doses.

[76]           Pour répondre à l’argument de l’absence d’utilité, Lilly fait abstraction de la doctrine des brevets de sélection et fait valoir que le brevet 684 promet simplement d’amoindrir les effets secondaires tout en demeurant efficace. Cette promesse a été à la fois démontrée et valablement prédite. Par ailleurs, elle ajoute que la gamme de doses plus restreinte du brevet 684 n’était pas évidente parce qu’elle exigeait que l’on exécute des essais exhaustifs et spéciaux.

[77]           Lilly fait abstraction de l’argument de l’antériorité parce qu’elle a été censément avisée que Mylan laissait tomber la question. Deux semaines avant l’audition de la présente affaire, Lilly a déposé une requête en vue de faire radier du dossier la partie du mémoire des faits et du droit de Mylan qui se rapportait à l’antériorité (les paragraphes 70 à 191 et les notes de bas de page les accompagnant). Lilly a reconnu que Mylan avait effectivement allégué dans son AA l’invalidité du brevet 684, mais elle soutient que la question n’a jamais été mise en jeu car les déposants de Mylan ne se sont jamais prononcés sur l’allégation d’antériorité. Lilly se fonde également sur le fait qu’on l’a empêchée de poser des questions sur l’antériorité lors du contre‑interrogatoire de l’un des experts de Mylan, censément parce que les avocats de cette dernière ont confirmé que [traduction« l’antériorité n’est plus en litige en l’espèce ».

[78]           Comme je l’ai dit plus tôt, la présente requête doit être rejetée, et ce, pour les raisons qui suivent. Premièrement, il me semble qu’il faudrait des preuves nettement plus claires pour conclure que Mylan a abandonné l’allégation d’antériorité. Dans la série de questions portant sur la pièce énonçant les principes de droit applicables, les avocats de Lilly ont demandé à M. Siegel si l’analyse de l’antériorité avait été effectuée sur chacune des revendications ou sur le brevet dans son ensemble, ce qui a amené les avocats de Mylan à intervenir : [traduction« Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question en litige dans l’affaire, si cela peut aider […] » (contre‑interrogatoire de M. Siegel, DD, vol. 32, page 7147). Selon Lilly, les mots « il s’agisse » se rapportent à l’allégation d’antériorité, mais il est également possible de considérer qu’ils ont trait à la question de savoir si l’analyse de l’antériorité s’applique à chacune des revendications ou au brevet dans son ensemble. Compte tenu de cette ambiguïté, il m’est impossible de conclure que Mylan a abandonné de manière non équivoque l’allégation d’antériorité.

[79]           Quant à l’argument voulant que cette allégation n’ait pas été soulevée, je suis également d’avis qu’il est sans fondement. Mylan n’avait pas besoin de produire une preuve d’expert sur la question ultime de savoir si une allégation était justifiée. Il s’agit là d’un point qui est du ressort exclusif de la Cour. Ce que Mylan devait faire c’était donner une « apparence de vraisemblance » à son allégation, et c’est ce qu’elle a fait car les faits qui sont pertinents pour l’allégation d’évidence le sont aussi pour l’allégation d’antériorité.

[80]           Lilly soutient par ailleurs qu’on lui causerait préjudice si l’on permettait à Mylan de soulever des arguments concernant l’antériorité, car elle n’a pas eu l’occasion de contre‑interroger les témoins de Mylan et elle n’a pas fait d’observations sur l’allégation. Il est sans aucun doute vrai que Mylan a eu en main le mémoire des faits et du droit de Lilly pendant plus de onze semaines et qu’elle a pu voir que Lilly était d’avis que l’antériorité n’était plus une allégation. Mylan aurait pu essayer, sans aucun doute, de corriger le problème à ce moment-là. Mais Lilly aurait également pu soulever la question après avoir reçu le mémoire original de Mylan le 22 août 2014, date à laquelle elle aurait dû être au courant de la position de Mylan, à savoir que l’antériorité était toujours une question en litige. En fait, le 9 septembre 2014, Lilly a déposé une requête en vue de faire radier le mémoire original de Mylan pour des irrégularités de formatage, mais elle n’a rien dit au sujet d’une intention quelconque de déposer une requête en vue de faire radier le même document pour des raisons de fond, et ce, même si la Cour avait demandé si d’autres requêtes seraient introduites avant l’audience.

[81]           Pour tous les motifs qui précèdent, la requête en radiation de Lilly est rejetée et la Cour se doit de traiter de l’allégation d’antériorité. Pour garantir que Lilly ne subirait aucun préjudice du fait de cette décision, j’ai déclaré à l’audience que la Cour serait disposée à entendre les arguments que Lilly pourrait vouloir invoquer de vive voix au sujet de l’antériorité.

[82]           La Cour a donc à décider si les trois allégations suivantes sont justifiées :

1)                  L’allégation selon laquelle le brevet 684 est invalide pour cause d’absence d’utilité est-elle justifiée?

2)                  L’allégation selon laquelle les revendications sont invalides pour cause d’antériorité du brevet 784 est-elle justifiée?

3)                  L’allégation selon laquelle les revendications sont invalides pour cause d’évidence est-elle justifiée?

V.                L’analyse

[83]           Les parties sont essentiellement d’accord sur la définition de la personne versée dans l’art. En fait, celle-ci a été définie sensiblement de la même manière par les Drs Goldstein, Brock et Melman. Le brevet 684 s’adresse à une personne ou à une équipe de mise au point d’un médicament qui a, d’une part, une expertise dans des domaines qui se rapportent au dosage de médicaments, comme la pharmacologie ou la pharmacocinétique, la physiologie, la détermination des gammes posologiques et l’évaluation de l’innocuité de nouveaux traitements et, d’autre part, une expérience du traitement de la DE. Cette équipe pourrait être formée de médecins, de cliniciens, de chercheurs scientifiques, de pharmacologues, de toxicologues et de statisticiens, possédant au moins quelques années d’expérience professionnelle dans un milieu lié à la mise au point de médicaments, au sein du secteur universitaire ou de l’industrie pharmaceutique.

1)         L’allégation selon laquelle le brevet 684 est invalide pour cause d’absence d’utilité est-elle justifiée?

[84]           Les parties sont essentiellement d’accord sur le droit de l’utilité, et il n’est nul besoin de repasser en revue les principes applicables car je l’ai déjà fait dans l’affaire connexe portant sur le brevet 784 (voir la décision 2015 CF 17, à partir du paragraphe 70). Comme la Loi sur les brevets exige que chaque invention soit nouvelle et utile (voir la définition du mot « invention » à l’article 2 de la Loi), l’utilité doit être soit démontrée soit valablement prédite à la date de dépôt dans les cas où l’élément essentiel d’une invention est la nouvelle utilisation d’un composé : Apotex c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, au paragraphe 56, [2002] 4 RCS 153 [AZT]; Eli Lilly Canada c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, au paragraphe 74 [Olanzapine].

a) La promesse du brevet

[85]           La promesse d’un brevet est un aspect fondamental de l’analyse de l’utilité et elle doit être déterminée au départ. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sanofi‑Aventis c Apotex, 2013 CAF 186, au paragraphe 47 : « [l]a promesse du brevet est la norme qui permet de mesurer l’utilité de l’invention décrite dans le brevet. »

[86]           Si les parties s’entendent en théorie sur les principes de droit applicables, ce n’est pas le cas de la manière dont ils les appliquent à la présente affaire, et elles divergent d’opinion quant à la promesse réelle du brevet 684. D’après Lilly, il est nécessaire de déterminer cette promesse en se concentrant sur les revendications et, sur ce fondement, elle affirme que la promesse du brevet 684 est que les doses revendiquées sont efficaces et que, lorsqu’on les administre à des patients pour le traitement de la DE, leur profil d’effets secondaires sera meilleur que celui du sildénafil. Bien qu’elle soit d’accord avec cette interprétation de la promesse, Mylan est d’avis que le brevet 684 va nettement plus loin que cela et promet que le choix d’une dose unitaire de 1 à 20 mg de tadalafil offre une amélioration par rapport au sildénafil en réduisant trois effets secondaires (rougeurs, anomalies du champ visuel et effets défavorables associés à l’administration concomitante de dérivés nitrés) jusqu’à des [traduction« niveaux cliniquement négligeables »; par contre, des doses plus fortes de tadalafil (c.-à-d., de plus de 20 mg) n’offrent pas cette amélioration.

[87]           Lilly a fait valoir que Mylan a élevé sa promesse à un niveau qui dépasse les allégations formulées dans son AA, où la promesse du brevet 684 est décrite en ces termes : [traduction« la gamme posologique du tadalafil qui est revendiquée a) offre un traitement efficace contre la DE, et b) produit un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil, y compris la possibilité d’être coadministré avec des dérivés nitrés organiques » (AA, affidavit de Mme Potter, pièce « B », DD, vol. 1, page 113). Selon Lilly, Mylan fait maintenant référence à trois effets secondaires particuliers plutôt qu’au profil d’effets secondaires en général, et dit aussi que les effets secondaires seront non seulement meilleurs par rapport au sildénafil, mais aussi qu’ils seront cliniquement négligeables.

[88]           Je conviens avec Mylan que Lilly a présenté ses allégations sous un faux jour en citant un passage extrait d’une seule phrase de l’AA. Une lecture attentive de ce dernier révèle que Mylan donne d’autres détails sur ce qu’elle appelle l’interprétation de la promesse fondée sur le [traduction« concept du profil thérapeutique amélioré ». Exactement à la même page que cite Lilly, nous trouvons les ajouts suivants :

[traduction] Comme il a été indiqué plus tôt, le brevet 684 promet que le choix des doses unitaire donne lieu à un profil d’effets secondaires amélioré, dont les caractéristiques sont les suivantes :

• le tadalafil peut être administré en concomitance avec un dérivé nitré organique;

• il est possible de réduire à des niveaux cliniquement négligeables d’autres effets secondaires qui, croyait-on auparavant, étaient le signe d’une inhibition de la PDE5, comme les rougeurs et les anomalies du champ visuel;

• en conséquence, le tadalafil peut être administré à des personnes qui, autrefois, ne pouvaient pas être traitées ou qui souffraient d’effets secondaires inacceptables, y compris les personnes souffrant d’une maladie cardiovasculaire, telles que les personnes ayant besoin d’un traitement à base de dérivés nitrés, ayant subi un infarctus du myocarde plus de trois mois avant le début du traitement contre la dysfonction sexuelle, et souffrant d’une insuffisante cardiaque congestive de classe I, ou les personnes souffrant d’anomalies du champ visuel.

(AA, affidavit de Mme Potter, pièce « B », DD, vol. 1, page 113)

[89]           À en juger par cet extrait, il est juste de dire que l’AA contient bel et bien les éléments factuels sur lesquels Mylan se fonde pour étayer ses allégations, et on ne saurait prétendre que Lilly a été prise par surprise par l’interprétation de la promesse que Mylan a avancée dans son mémoire des faits et du droit. La Cour doit donc se tourner vers les interprétations divergentes de la promesse que proposent les parties et tirer ses propres conclusions quant à la juste interprétation de la promesse faite par la brevetée.

[90]           Bien que le sildénafil soit associé à un certain nombre d’effets indésirables, les experts conviennent tous que le brevet 684 met l’accent sur trois effets secondaires associés au sildénafil : les rougeurs, les anomalies du champ visuel et les effets défavorables liés à l’administration concomitante de dérivés nitrés. Les deux premiers sont bénins et transitoires, en ce sens que les effets secondaires disparaissent quand la personne cesse de prendre le médicament. Le troisième est de loin l’effet secondaire le plus important du sildénafil, car son administration en concomitance avec des dérivés nitrés peut provoquer une hypotension potentiellement mortelle. Comme l’a concédé le Dr Brock : [traduction« la mort l’emporte sur la plupart des autres effets secondaires » (contre-interrogatoire du Dr Brock, page 207, DD, vol. 23, page 5064). Il est donc clair que le brevet 684 ne promet pas uniquement que les doses revendiquées présenteront un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil; la promesse est plus ciblée et vise expressément trois effets secondaires, dont un susceptible de mettre la vie en danger.

[91]           Comme il a été mentionné plus tôt, les parties sont en profond désaccord à propos non seulement des effets secondaires dont il faut tenir compte, mais aussi du degré de réduction des effets secondaires que promet le brevet 684. Malgré le libellé clair de ce dernier, à savoir que les effets secondaires que l’on croyait autrefois associés aux inhibiteurs de la PDE5 [traduction« peuvent être réduits à des niveaux nettement négligeables » par le tadalafil à la dose choisie, Lilly affirme qu’il est impossible d’éliminer complètement ces effets et que la personne versée dans l’art ne croirait pas que le brevet 684 promet de réduire ou d’éliminer tous les effets indésirables du sildénafil. Autrement dit, comme l’a déclaré le Dr Brock : [traduction« la promesse du brevet 684 est l’efficacité à une dose très faible, de pair avec les incidences plus faibles d’effets secondaires que ces doses plus faibles occasionnent » (affidavit du Dr Brock, paragraphe 216, DD, vol. 2, page 226; voir aussi, dans le même ordre d’idées, l’affidavit du Dr Goldstein, paragraphes 384 et 385, DD, vol. 2, pages 335 et 336).

[92]           Après avoir lu avec soin le texte du brevet 684 ainsi que les affidavits des experts, il m’est impossible d’interpréter restrictivement la promesse de ce brevet, comme Lilly le voudrait. Une telle interprétation irait à l’encontre du libellé clair du brevet 684, qui promet explicitement bien plus qu’une amélioration minime par rapport au sildénafil.

[93]           Comme il a été mentionné plus tôt, il est indiqué au tout premier paragraphe du brevet 684 que la forme posologique unitaire décrite présente un avantage dans les domaines thérapeutiques où l’on souhaite inhiber la PDE5, [traduction« avec une réduction ou une élimination des effets secondaires attribuables à l’inhibition d’autres enzymes de la famille des phosphodiestérases ». On y indique ensuite que le produit peut être administré avec des effets secondaires [traduction] « cliniquement négligeables » qui sont associés aux effets combinés d’un inhibiteur de la PDE5 et d’un dérivé nitré organique. Même si l’on peut vraisemblablement dire qu’il s’agit là d’une simple observation tirée d’études cliniques, comme l’a fait valoir Lilly, la phrase suivante va nettement plus loin et se lit clairement comme une promesse : [traduction« [a]insi, la contre-indication que l’on croyait autrefois nécessaire pour un produit contenant un inhibiteur de la PDE5 est inutile […] » [non souligné dans l’original].

[94]           Le brevet réitère de plus (de la page 10, ligne 29, à la page 11, ligne 5) que le choix d’une forme posologique unitaire de 1 à 20 mg de tadalafil réduit les effets secondaires indésirables que l’on croyait autrefois inévitables, dont les rougeurs au visage, les anomalies du champ visuel et une diminution marquée de la tension artérielle lorsqu’on administre un inhibiteur de la PDE5 en combinaison avec des dérivés nitrés. Si on lit ce passage de pair avec la phrase précédente, selon laquelle l’invention repose sur des expériences détaillées et des essais cliniques montrant qu’il est possible de réduire les effets secondaires à des [traduction« niveaux cliniquement négligeables » grâce au choix d’un composé et d’une dose unitaire, il est juste de présumer que la réduction des effets secondaires indésirables grâce aux doses choisies de tadalafil est plus que minime. L’idée d’élimination ou de réduction des effets secondaires indésirables se retrouve également dans l’avant-dernier paragraphe, à la fois pour les anomalies du champ visuel, les rougeurs et les effets défavorables pour les personnes suivant un traitement aux dérivés nitrés.

[95]           En me fondant sur ces énoncés ambitieux et explicites que l’on retrouve dans tout le brevet, je conviens avec Mylan que la promesse n’est pas simplement une amélioration minime par rapport au sildénafil; il ressort clairement du texte de la divulgation que l’amélioration promise, quand il est question des effets secondaires indésirables, n’est pas juste minime, mais importante. À cet égard, je préfère les opinions des experts de Mylan à celles des experts de Lilly sur l’interprétation de la promesse, car ils correspondent davantage au texte du brevet. En conséquence, je ferai mienne la description suivante de la promesse que le Dr Melman a faite dans son affidavit :

[traduction] Selon mon opinion, en se fondant sur une lecture complète du brevet 684, une personne versée dans l’art comprendrait que la brevetée promet que la dose unitaire de tadalafil revendiquée (1 à 20 mg) réduira à des niveaux cliniquement négligeables les trois effets indésirables que l’on associe au sildénafil (rougeurs, anomalies du champ visuel et effets défavorables associés aux interactions avec les dérivés nitrés). À mon avis, réduire les effets indésirables à des « niveaux cliniquement négligeables » voudrait dire que ces effets surviendraient avec une rareté suffisante, ou qu’ils seraient suffisamment bénins, de sorte qu’ils n’influenceraient pas le jugement d’un clinicien prescrivant un traitement contre la dysfonction érectile.

(Affidavit du Dr Melman, paragraphe 88, DD, vol. 18, page 4233. Voir aussi, dans le même ordre d’idées, l’affidavit de M. Siegel, paragraphe 152, DD, vol. 18, page 4299)

[96]           Comme Mylan le fait remarquer, les experts de Lilly ont interprété restrictivement la promesse en prenant pour base des considérations qui sont dénuées de pertinence : ils concluent que le brevet 684 n’a pas promis d’interactions [traduction« cliniquement négligeables » avec les dérivés nitrés parce que, à l’époque, Lilly savait qu’on n’avait pas atteint ce résultat. Quand on leur a demandé comment une personne versée dans l’art interprèterait des énoncés particuliers figurant dans le brevet 684, tant le Dr Brock que le Dr Goldstein ont fait référence aux données que Lilly avait effectivement en main à la date de dépôt plutôt qu’au texte du brevet lui-même (voir, par exemple, le contre-interrogatoire du Dr Brock, DD, vol. 26, pages 5987 et 5988, 5992 à 5994, 5996 à 5999; le contre-interrogatoire du Dr Goldstein, pages 133 à 136, DD, vol. 24, pages 5363 à 5366). Une telle approche est clairement inacceptable : une promesse claire ne peut pas être interprétée de manière restrictive afin qu’elle corresponde à ce qui été démontré; sans cela, l’utilité ne serait jamais un problème. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision AstraZeneca c Apotex, 2014 CF 638, au paragraphe 128 :

Tout d’abord, l’approche d’AstraZeneca en ce qui concerne l’utilité est tautologique. De manière générale, la promesse est le point de référence auquel on se reporte pour juger de l’utilité à des fins de démonstration. Cependant, AstraZeneca propose une approche contraire, qui consiste à déterminer le point de référence en fonction de ce qui est ultimement démontré dans le brevet. En limitant la portée de la promesse en se fondant sur ce qui est démontré dans le brevet, il est impossible de conclure qu’un brevet est invalide pour défaut d’utilité. Peu importe l’ampleur de la portée d’une promesse (p. ex. ce médicament guérit le cancer), il faudrait toujours la réduire à une promesse plus précise, en fonction de ce qui est démontré. Une telle approche irait à l’encontre des objectifs visés par le droit des brevets, qui servent à créer une cohérence et une clarté dans le marché qui est conclu entre les innovateurs et le public. Il ne serait plus possible de se fier à des promesses sans équivoque dans les brevets, et de telles promesses seraient subordonnées aux questions plus complexes de démonstration dans le brevet.

[97]           Pour ce qui est de la question relative aux dérivés nitrés, Lilly s’est concentrée sur le texte de la notice d’accompagnement ainsi que sur l’emploi du mot [traduction« de préférence » dans l’extrait suivant, que l’on trouve à la page 8 du brevet :

[traduction] Détail important, la notice d’accompagnement étaye l’utilisation du produit pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez les patients atteints d’une maladie de la rétine, comme la rétinopathie diabétique ou la rétinite pigmentaire, ou prenant des dérivés nitrés organiques. De ce fait, la notice d’accompagnement est de préférence exempte de contre‑indications associées à ces affections, et plus particulièrement l’administration de la forme posologique avec un dérivé nitré organique.

[98]           Dans son affidavit, le Dr Brock a souligné que les avertissements et les contre-indications qu’imposent les politiques de réglementation en matière de médicaments ne définissent pas forcément les risques ou l’utilité proprement dits, et qu’il appartient à la FDA, à Santé Canada ainsi qu’à l’Agence européenne des médicaments de déterminer s’il devrait y avoir des contre‑indications à la prise de tadalafil avec des dérivés nitrés. Selon Lilly, c’est exactement pour cela que le brevet est exprimé en termes de préférence, et qu’il n’écarte pas la possibilité d’une contre-indication.

[99]           Il ne fait aucun doute que les contre-indications sont des aspects qui relèvent de la réglementation, et je souscris à l’argument de Lilly voulant qu’un breveté ne puisse pas promettre une chose sur laquelle il n’exerce aucun contrôle. Pourtant, on ne peut pas faire abstraction du texte d’un brevet et un breveté peut promettre explicitement qu’une contre‑indication est inutile même si, au bout du compte, il s’agit d’un point qui relève principalement des organismes de réglementation. C’est précisément ce qui a été fait ici. Comme il a été mentionné plus tôt, il y a une promesse explicite que le tadalafil peut être administré en toute sécurité en concomitance avec des dérivés nitrés, de sorte qu’une contre-indication est [traduction« inutile » (voir l’extrait cité au paragraphe 93). On ne peut tout simplement pas faire abstraction de cet énoncé quand on interprète la promesse du brevet, comme semblent le faire les experts de Lilly. Ayant fait la promesse explicite d’un résultat précis dans le brevet, la brevetée a fait de la contre-indication non seulement une question de nature réglementaire, mais aussi une question de brevet. En fait, une telle promesse n’a rien de répréhensible car les contre‑indications ne sont pas l’apanage unique des organismes de réglementation. Des cliniciens et des organismes indépendants recommandent effectivement des contre-indications en se basant sur des preuves expérimentales, et le Dr Goldstein lui-même faisait, semble-t-il partie, d’un groupe d’experts qui a examiné les preuves disponibles et les lignes directrices pratiques publiées à l’intention des médecins qui traitent la DE (contre-interrogatoire du Dr Goldstein, pages 156 à 165, DD, vol. 24, pages 5386 à 5395).

[100]       Au vu de ce qui précède, je suis donc disposé à conclure que la promesse du brevet 684 ne consiste pas simplement à réduire l’incidence des effets indésirables par rapport au sildénafil, mais aussi à les réduire de façon importante, voire à les éliminer. Cela est vrai pour les trois effets secondaires que vise le brevet 684, mais surtout pour l’administration du tadalafil en concomitance avec des dérivés nitrés; c’est là la conclusion inévitable qu’il faut tirer de l’énoncé selon lequel une contre-indication est inutile quand le tadalafil est administré sous la forme d’une dose unitaire d’environ 1 à environ 20 mg.

[101]       Les avocats de Lilly ont tenté de faire valoir qu’il faudrait interpréter la promesse en mettant l’accent sur les revendications plutôt que sur le mémoire descriptif, et ils fondent cette thèse sur la décision que la Cour a rendue dans Fournier Pharma c Canada (Santé), 2012 CF 741 [Fournier] (laquelle a été suivie par la décision de la juge Kane dans l’affaire Alcon Canada c Apotex, 2014 CF 699). Dans la décision Fournier, le juge Zinn a écrit (aux paragraphes 126 et 127) :

La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, citant l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd.,[1981] 1 R.C.S 504, a déclaré au paragraphe 76 que « lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse ». [Non souligné dans l’original.] La promesse d’un brevet, au sens où ce terme est employé en droit des brevets, n’est rien de plus que l’utilité que l’inventeur revendique pour son invention. Lorsque cette promesse – cette utilité revendiquée – est exprimée clairement et sans équivoque par l’inventeur dans les revendications du brevet, alors cette expression doit être considérée comme la promesse du brevet. Tout énoncé figurant ailleurs devrait être considéré comme un simple énoncé d’avantage, à moins que l’inventeur n’indique clairement et sans équivoque que cela fait partie de l’utilité promise. […]

L’interprétation devrait porter sur les revendications parce que l’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. Si, comme c’est le cas en l’espèce, les revendications mentionnent la promesse de façon certaine et sans ambigüité, il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation à la loupe pour trouver d’autres promesses qui ne sont pas visées par le monopole revendiqué par l’inventeur.

[102]       Cet énoncé ne change rien à la règle générale selon laquelle la promesse doit être interprétée dans le contexte du brevet dans son ensemble, ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a explicitement déclaré plus loin dans cette même décision (voir l’arrêt Olanzapine, précité, au paragraphe 93), lorsque la promesse n’est pas exprimée « clairement et sans équivoque » dans les revendications du brevet. C’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons ici. Les revendications du brevet 684 concernent simplement les formes posologiques unitaires du tadalafil qui visent à traiter la DE, et elles n’expriment pas « clairement et sans équivoque » une promesse. Cela fait contraste avec les revendications du brevet qui étaient en litige dans l’affaire Fournier, où les revendications elles-mêmes présentaient des caractéristiques précises (dans cette affaire, des profils de dissolution) de l’invention revendiquée. Pour cette raison, les revendications du brevet 684 ne peuvent pas être l’aspect central exclusif de l’interprétation de la promesse.

[103]       Quoi qu’il en soit, je conviens avec Mylan que la propre interprétation que fait Lilly de la promesse, laquelle inclut [traduction« un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil », est incompatible avec l’argument voulant que la promesse doive être axée sur les revendications, car aucune des revendications du brevet 684 ne fait référence à des effets secondaires. La propre interprétation que fait Lilly de la promesse est donc fondée sur sa propre lecture du brevet dans son ensemble.

[104]       Le dernier point de discorde entre les parties à propos de la promesse a trait au fait que l’amélioration du tadalafil par rapport au sildénafil est un aspect qui est propre à la gamme posologique revendiquée. Mylan estime que le brevet 684 est antériorisé par le brevet 784, car ce dernier divulguait que le tadalafil traitait la DE, et que les doses unitaires revendiquées dans le brevet 684 (de 1 à 20 mg) se situent toutes dans la gamme posologique que divulguait le brevet 784 (de 0,2 à 400 mg). En conséquence, le seul moyen dont Lilly dispose pour éviter que l’on tire une conclusion d’antériorité est d’interpréter le brevet 684 comme un brevet de sélection.

[105]       Un brevet de sélection n’est différent d’aucun autre brevet; il s’agit simplement d’un moyen de décrire un brevet : Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au paragraphe 9, [2008] 3 RCS 265 [Sanofi-Synthelabo]. Dans le domaine des brevets chimiques (lequel inclut, bien sûr, les composés pharmaceutiques), un brevet de sélection désigne un brevet dans lequel un élément ou un segment unique est choisi à partir d’un groupe, en prenant pour base une caractéristique particulière de cet élément ou de ce segment qui procure un avantage que ne partage pas le grand groupe. Ainsi, un brevet peut revendiquer un groupe de composés, et ensuite un brevet ultérieur – le brevet de sélection – revendique une sélection tirée de ce groupe qui est fondée sur « une propriété particulière imprévue » (arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 9). Le juge Rothstein a adopté les conditions énoncées dans l’affaire In re I G Farbenindustrie AG’s Patents (1930), 47 RPC 289 (Ch D) auxquelles il est nécessaire de répondre pour qu’un brevet de sélection soit valide (arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 10) :

1. L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

2. Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

3. La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

[106]       Dire d’un brevet qu’il s’agit d’un brevet de sélection ne le rend pas, à première vue, plus ou moins valide; en fait, dans l’arrêt Olanzapine (précité, au paragraphe 27), la juge Layden‑Stevenson a décrété que le défaut d’un brevet de répondre aux conditions d’un brevet de sélection ne constitue pas un motif indépendant de contestation ou d’invalidité, mais que ce fait éclaire simplement l’analyse d’autres motifs d’invalidité, soit la nouveauté, l’évidence, le caractère suffisant et l’utilité.

[107]       On a habituellement affaire à la doctrine des brevets de sélection dans le contexte d’une analyse de l’évidence ou de l’antériorité. Par exemple, un brevet de sélection sera nouveau, ou non antériorisé, si l’on découvre que l’espèce a des avantages auparavant inconnus par rapport au genre. Dans le même ordre d’idées, les propriétés spéciales d’un composé, de pair avec ses prétendus avantages, doivent être prises en compte au moment d’entreprendre l’analyse de l’évidence s’il est question d’un composé de sélection (arrêt Olanzapine, précité, au paragraphe 57). Lorsqu’il est question de l’utilité, le brevet de sélection doit promettre un avantage par rapport au brevet de genre. Comme l’a déclaré la juge Layden-Stevenson dans l’arrêt Olanzapine, l’inventivité d’un brevet de sélection « réside dans la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l'avantage ou les avantages qu'il procure par rapport au brevet de genre » (au paragraphe 78). Il va sans dire que la totalité des doses unitaires revendiquées doit répondre aux exigences en matière d’utilité, mais il en serait ainsi, que le brevet 684 soit un brevet de sélection ou non. La question de savoir si l’amélioration par rapport au sildénafil doit être propre à la gamme posologique revendiquée est peu pertinente pour les besoin d’une analyse de l’utilité, et elle ne fera qu’éclairer l’analyse de l’antériorité et de l’évidence.

[108]       Il est effectivement assez révélateur qu’aucun des experts n’ait interprété la promesse sous l’angle de la doctrine des brevets de sélection, et il ne semble pas que les avocats leur aient donné d’instructions à cet effet. Dans la mesure où ils sont arrivés à des interprétations différentes de la promesse, ils l’ont fait sans jamais faire de références ou de commentaires quant à la nature exacte du brevet 684. C’est ce qu’il convient de faire, car il ressort de la jurisprudence qu’un brevet de sélection est semblable à tous les autres brevets et qu’il est régi par les mêmes principes de droit.

[109]       En tout état de cause, on ne m’a pas convaincu que le brevet 684 est un brevet de sélection. Quoi que Lilly ait pu avoir dit au Bureau des brevets, ce brevet ne satisfait pas au troisième critère énoncé dans l’affaire In re I G Farbenindustrie AG’s Patents et adopté par le juge Rothstein dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo. Bien que la gamme posologique revendiquée soit nettement plus restrictive par rapport à la vaste gamme divulguée dans le brevet 784 et que l’amélioration réalisée par rapport au sildénafil soit considérée comme une caractéristique de la gamme posologique complète de 1 à 20 mg, rien dans le mémoire descriptif (et à plus forte raison dans les revendications elles-mêmes) ne dénote que l’avantage promis est propre à cette gamme posologique particulière, à l’exclusion de toute autre dose unitaire. La première phrase de la section [traduction« Résumé de l’invention » indique que l’invention offre [traduction« une forme posologique pharmaceutique […] comprenant environ 1 à environ 20 mg de [tadalafil] », ainsi que [traduction] « un moyen de traiter des troubles dans le cadre desquels une inhibition de la PDE5 est souhaitable » (page 5), et l’on retrouve une formulation semblable dans tout le brevet. La brevetée revendique clairement qu’une gamme posologique de 1 à 20 mg procure un avantage important par rapport au sildénafil pour le traitement de la DE, mais elle n’affirme pas qu’un nombre plus important de doses non sélectionnées ne possèdent pas le même avantage. Comme il s’agit là d’une caractéristique essentielle d’un brevet de sélection, je suis donc d’avis que le brevet 684 n’en est pas un.

[110]       En conclusion, je suis d’avis que le brevet 684 promet que les doses unitaires revendiquées de 1 à 20 mg de tadalafil, administrées à des patients souffrant de DE, seront efficaces et représentent une amélioration par rapport au sildénafil en réduisant considérablement ou en éliminant trois effets secondaires (rougeurs, anomalies du champ visuel et effets indésirables associés à une administration en concomitance avec des dérivés nitrés). Reste maintenant à déterminer si le brevet répond à cette promesse.

b)         La démonstration et la prédiction valable

[111]       Mylan soutient que le brevet 684 est invalide parce qu’il ne répond pas à l’utilité promise, et ce, de quatre manières différentes :

                     une amélioration quelconque des effets secondaires n’est pas un effet propre à la gamme posologique revendiquée;

                     l’interaction avec les dérivés nitrés n’a pas été réduite à des [traduction« niveaux cliniquement négligeables » parce que le tadalafil est absolument contre-indiqué s’il est pris avec des dérivés nitrés;

                     il n’y a aucune amélioration dans l’interaction avec les dérivés nitrés par rapport au sildénafil;

                     la dose de 1 mg de tadalafil n’est pas efficace.

[112]       Il n’est pas nécessaire que je consacre un temps important au premier motif qu’évoque Mylan, car j’ai conclu qu’il ne fait pas partie de la promesse par rapport à laquelle l’utilité du brevet 684 doit être évaluée, à savoir qu’une amélioration des effets secondaires comparativement au sildénafil est un effet propre à la gamme posologique choisie de 1 à 20 mg. Dans le même ordre d’idées, aucune revendication relative à une dose de 1 mg n’a été formulée dans la présente instance, pour la raison évidente qu’aucune preuve n’a été produite (ni par Mylan, ni par Lilly) sur l’efficacité d’une telle dose dans le traitement de la DE. En conséquence, le quatrième motif qu’invoque Mylan pour contester la validité du brevet 684 ne sera pas examiné.

[113]       Les attaques les plus sérieuses au sujet de l’utilité du brevet 684 sont manifestement les deuxième et troisième motifs, et ils sont interdépendants. Je traiterai néanmoins de ces derniers séparément, en commençant par le deuxième.

[114]       Je conviens avec Mylan que, à la date de dépôt, la promesse de réduire considérablement ou d’éliminer les effets indésirables que l’on associe à une administration en concomitance avec des dérivés nitrés n’a été ni démontrée ni valablement prédite. La seule étude portant sur la coadministration du tadalafil avec des dérivés nitrés organiques dont on disposait à l’époque (l’étude LVAB, décrite dans l’exemple 5) était loin d’être suffisante pour établir qu’une contre‑indication était inutile, comme il est indiqué dans le brevet. Tout d’abord, cette étude avait fait appel à un petit groupe (22) de volontaires en bonne santé et relativement jeunes; l’âge moyen et médian était d’environ 40 ans, ce qui est nettement inférieur à l’âge du groupe des patients souffrant de DE, et seuls quatre hommes sur les vingt-deux avaient plus de 50 ans. En contre-interrogatoire, le Dr Brock a soutenu que cela était approprié si l’objectif consistait à découvrir s’il existait une interaction potentiellement dangereuse entre la nitroglycérine et un inhibiteur de la PDE5. Et, a-t-il ajouté avec insistance :

[traduction] [S]i vous choisissez un groupe de types âgés souffrant d’une DE sérieuse et dont les vaisseaux sanguins durs comme du plomb n’ont qu’une pression artérielle tout juste limite, la première chose serait que l’étude ne serait pas approuvée par un comité d’éthique, parce qu’il serait potentiellement dangereux que ces types subissent une variation quelconque de leur tension artérielle et que les variations de la tension artérielle qu’ils pourraient subir seraient davantage dus à la pathologie de leurs artères qu’à l’interaction véritable entre les médicaments

(Contre-interrogatoire du Dr Brock, pages 311 et 312, DD, vol. 23, pages 5168 et 5169)

Bien qu’il n’existe aucune autre preuve sur ce qui constituerait une cohorte valable pour ce genre d’étude, on peut dire sans se tromper que ni les sujets de l’étude LVAB, ni l’option bidon présentée comme une solution de rechange par le Dr Brock, ne seraient représentatifs du groupe général des personnes qui souffrent de DE.

[115]       Par ailleurs, cette étude n’a utilisé qu’une seule dose de tadalafil (10 mg). Comme l’a admis lui-même le Dr Goldstein, une personne versée dans l’art n’aurait aucun moyen d’appliquer le résultat aux doses supérieures revendiquées dans le brevet 684, comme celle de 20 mg (contre-interrogatoire du Dr Goldstein, DD, vol. 24, page 5526; voir également l’affidavit de M. Siegel, paragraphes 164 et 177, DD, vol. 19, pages 4425 et 4430). En contre‑interrogatoire, le Dr Pullman a également reconnu qu’avant le mois d’avril 2000 Lilly n’avait aucune preuve qu’une contre-indication était inutile (contre-interrogatoire du Dr Pullman, page 186, DD, vol. 28, page 6552). Il convient également de signaler que les documents de la FDA qui ont été produits en tant que pièces jointes à l’affidavit de Mme Potter indiquent que Lilly avait décidé d’exclure tous les utilisateurs de dérivés nitrés des études de la phase III en se fondant sur les résultats de l’étude LVAB, qui avaient démontré l’interaction potentiellement grave qui était prévue avec les dérivés nitrés.

[116]       Lilly n’a pas tenté d’établir que l’utilité de son brevet, si elle n’était pas démontrée, aurait été valablement prédite par une personne versée dans l’art. Elle n’aurait pas dû non plus essayer de le faire, car une telle prévision ne reposait sur aucun fondement factuel et il n’existe aucune preuve que l’inventeur n’avait aucun raisonnement clair et « valable » qui permettait d’inférer le résultat souhaité à partir d’un tel fondement factuel.

[117]       Quoi qu’il en soit, et peu importe ce que l’on aurait pu prédire à la date de dépôt, un brevet est invalide s’il est démontré plus tard que la prédiction n’est pas valable ou s’il existe une preuve d’absence d’utilité à l’égard d’une partie du domaine visé : arrêt AZT, précité, aux paragraphes 56 et 76. Même aujourd’hui encore, il existe une contre-indication absolue à l’égard de la coadministration du tadalafil et de dérivés nitrés, tant dans la monographie canadienne que dans l’étiquette de produit des États-Unis qui se rapportent au tadalafil (affidavit de Mme Potter, pièce « D », doc. no 2, DD, vol. 10, pages 2344 et 2345; affidavit du Dr Melman, pièce 11, DD, vol. 20, pages 4624, 4625, 4630, 4633 à 4634). La contre-indication concerne toutes les doses de tadalafil commercialisées (2, 5, 10 et 20 mg) et peu importe que le tadalafil soit administré quotidiennement ou [traduction« au besoin ». La partie pertinente de la monographie canadienne indique :

On a démontré que CIALIS (tadalafil) potentialisait les effets hypotenseurs des dérivés nitrés, vraisemblablement en raison des effets conjugués des dérivés nitrés et du tadalafil sur la voie monoxyde d’azote/GMPc. Par conséquent, l’administration de CIALIS à des patients prenant une forme quelconque de dérivé nitré organique (p. ex., par voie orale, sublinguale ou transdermique ou en inhalation), de façon continue ou intermittente, est contre-indiquée en raison du risque d’hypotension pouvant menacer le pronostic vital.

CIALIS ne doit pas être prescrit aux patients à qui on a prescrit un dérivé nitré, même si ces patients ne le prennent pas.

Si un dérivé nitré est jugement médicalement nécessaire en raison d’un trouble mettant la vie en danger chez un patient recevant CIALIS, il doit s’écouler au moins 48 heures entre la dernière prise de CIALIS et la prise du dérivé nitré. Dans de telles circonstances, le dérivé nitré doit être administré sous surveillance médicale et en assurant une surveillance hémodynamique appropriée.

(Affidavit de Mme Potter, pièce « D », doc. no 2, DD, vol. 10, pages 2344 et 2345 [souligné dans l’original])

[118]       Lilly a tenté de faire valoir que la contre-indication consignée est une question réglementaire et non de brevetabilité, que cette contre-indication est d’une prudence excessive et qu’il s’agit d’une contre-indication de « classe » qui vise tous les inhibiteurs de la PDE5. Rien n’est plus loin de la réalité. Comme il a été mentionné plus tôt, une contre-indication peut être une question de nature clinique, tout autant qu’une question de nature réglementaire. Quand Santé Canada ou la FDA décident d’inclure une contre-indication dans une notice d’accompagnement ou une étiquette, ils le font en se basant sur des études cliniques. Par exemple, une étude parrainée par Lilly en 2003 et réalisée par six cardiologues (dont trois étaient des employés de Lilly) a conclu que [traduction« [à] l’instar d’autres inhibiteurs de la PDE5, le tadalafil ne devrait pas être pris en combinaison avec des dérivés nitrés organiques ». Les auteurs ont également conclu que [traduction] « [s]i le patient a pris du tadalafil dans les 48 heures précédentes, il ne faudrait donc pas lui donner de dérivés nitrés organiques » (RA Kloner et coll., « Time Course of the Interaction Between Tadalafil and Nitrates », J Am Coll Cardi, 2003, 42(10), page 1855, affidavit de Mme Potter affidavit, pièce « D », doc. no 19, DD, vol. 10, pages 2589 et 2590). En contre-interrogatoire, le Dr Brock a convenu que cette étude faisait état d’une [traduction« interaction cliniquement significative » entre le tadalafil et les dérivés nitrés (contre-interrogatoire du Dr Brock, pages 347 et 348, DD, vol. 23, pages 5204 et 5205). Ces résultats semblent être la justification des 48 heures de contre‑indication concernant l’administration concomitante du tadalafil et de dérivés nitrés (voir le contre-interrogatoire du Dr Goldstein, pages 182 et 185, DD, vol. 24, pages 5412 et 5415; affidavit du Dr Melman, paragraphes 124-128, DD, vol. 18, pages 4240 à 4242; affidavit de M. Siegel, paragraphe 210, DD, vol. 18, page 4316).

[119]       Dans son mémoire des faits et du droit, Lilly s’est fondée sur une réponse donnée par le Dr Goldstein en contre-interrogatoire pour laisser entendre que l’étude Kloner de 2003 présente le [traduction« pire des scénarios » parce qu’elle utilisait un régime posologique de 20 mg par jour, durant sept jours. Comme le tadalafil a une longue demi-vie, il s’accumule et, après cinq jours, il équivaut à une dose de 32 mg. Toutefois, comme l’a fait remarquer M. Siegel dans son affidavit (à l’alinéa 219d)), ce régime tombe entièrement sous le coup de la revendication 10 du brevet 684. Par ailleurs, les auteurs de cette étude recommandent de ne pas administrer de dérivés nitrés aux patients qui prennent une dose quelconque de tadalafil à n’importe quelle fréquence, et pas seulement d’éviter les dérivés nitrés chez les patients qui prennent tous les jours 20 mg de tadalafil. En réponse à une question posée par un médecin à la suite de la publication de l’article de 2003, les auteurs renforcent ce point en signalant que, d’après d’autres études menées sur des doses uniques de tadalafil (5 mg et 10 mg), [traduction« les interactions hémodynamiques avec des dérivés nitrés, après la prise d’une dose unique de tadalafil, étaient comparables à celles relevées après un dosage de tadalafil à l’état stationnaire », et ils ont réitéré que [traduction] « les dérivés nitrés sont contre-indiqués, qu’un patient prenne une dose quotidienne ou intermittente de n’importe quel inhibiteur de la PDE5 » (affidavit du Dr Melman, pièce 13, DD, vol. 20, page 4654). Dans une étude elle aussi publiée en 2003, le Dr Kloner et d’autres rendent compte de ces études : voir « Cardiovascular Effects of Tadalafil », affidavit du Dr Goldstein, pièce 60, DD, vol. 14, page 3390 [la revue de Kloner].

[120]       Dans un autre article publié à la suite de la Second Princeton Consensus Conference tenue en 2004, vingt-quatre (24) scientifiques ont passé en revue de récentes données sur l’innocuité et l’interaction médicamenteuse concernant trois inhibiteurs de la PDE5 (sildénafil, tadalafil et vardénafil) en mettant l’accent sur l’innocuité de ces agents chez les hommes souffrant de DE ainsi que sur une maladie cardiovasculaire concomitante. Ce document est conçu pour fournir des directives pratiques aux médecins qui traitent la DE chez des patients ayant des problèmes cardiaques. Ils sont arrivés à la conclusion que les dérivés nitrés organiques [traduction« sont absolument contre-indiqués chez les patients qui prennent des inhibiteurs de la PDE5 » (John B Kostis et coll., « Sexual Dysfunction and Cardiac Risk (the Second Princeton Consensus Conference) », Am J Cardiology 2005, 96 :313-321, page 317, DD, vol. 29, page 6841).

[121]       Les propres experts de Lilly conviennent qu’il ne faut pas administrer de dérivés nitrés à une personne qui prend du tadalafil avant qu’il se soit écoulé au moins 48 heures depuis la dernière dose (voir le contre-interrogatoire du Dr Goldstein, pages 145 et 146, DD, vol. 24, pages 537 à 5376; contre-interrogatoire du Dr Brock, pages 325-327, DD, vol. 23, pages 5182 à 5184). Le Dr Brock a effectivement admis qu’à l’instar d’autres cliniciens il prescrit parfois du tadalafil à des patients qui reçoivent des dérivés nitrés dans le cadre d’une pratique qu’il qualifie [traduction« [d’]utilisation hors indication », mais que cela ne suffit pas pour démontrer que le tadalafil peut être administré sans danger en concomitance avec des dérivés nitrés, non seulement parce qu’il le fait pour moins de 1 % de ses patients, mais aussi parce que cela contredit les preuves des deux autres urologues experts, les Drs Goldstein et Melman, de même que celles de M. Siegel (affidavit de M. Siegel, paragraphe 70, DD, vol. 18, page 4278). Selon le Dr Melman, en particulier, une contre-indication est un [traduction« témoin d’avertissement brillant » et [traduction« [u]n médecin ne devrait jamais coadministrer sciemment du tadalafil et des dérivés nitrés à un patient, quelles que soient les circonstances » (affidavit du Dr Melman, paragraphe 122, DD, vol. 18, page 4240). Enfin, il ressort clairement du texte de l’étiquette américaine et de la monographie canadienne que la contre-indication est basée sur des études propres au tadalafil et qu’il ne s’agit pas simplement d’une [traduction« contre‑indication de classe » qui s’applique automatiquement à tous les inhibiteurs de la PDE5.

[122]       Pour toutes les raisons qui précèdent, le brevet 684 ne réussit pas à répondre à la promesse de réduire considérablement les effets de l’interaction avec les dérivés nitrés (ou de les amener à un niveau cliniquement négligeable), de sorte qu’il n’est pas nécessaire de contre‑indiquer la prise concomitante du tadalafil et de dérivés nitrés.

[123]       Je suis également d’avis qu’à la date de dépôt il n’y avait aucune démonstration ou prédiction valable d’une amélioration quelconque, par rapport au sildénafil, d’une interaction de doses revendiquées de tadalafil avec les dérivés nitrés.

[124]       Dans son mémoire des faits et du droit, Lilly soutient qu’il était [traduction« évident », d’après les dix études cliniques décrites dans l’affidavit du Dr Pullman, qu’il avait été [traduction« démontré » que les survenues d’effets indésirables étaient meilleures dans le cas du tadalafil que dans celui du sildénafil à la date pertinente, au chapitre des rougeurs, des anomalies du champ visuel et de l’hypotension causée par la prise concomitante avec des dérivés nitrés. C’est là une prétention surprenante, étant donné que, dans neuf de ces dix études, les dérivés nitrés étaient totalement interdits ou n’avaient en fait été administrés à aucun des sujets. Comme il a été signalé plus tôt, la seule étude dans le cadre de laquelle des dérivés nitrés ont été administrés avec du tadalafil et du sildénafil est l’étude LVAB, dont il est fait état dans l’exemple 5 du brevet 684. J’en dirai plus sur cette étude sous peu.

[125]       Lilly fait aussi la déclaration douteuse selon laquelle il n’était pas nécessaire de faire des essais comparatifs directs entre le tadalafil et le sildénafil, premièrement parce qu’il aurait été possible de faire des comparaisons raisonnables à partir de données facilement disponibles dans la documentation spécialisée qui avait été publiée à l’époque du dépôt de la demande relative au brevet 684 et, deuxièmement, parce que les études comparatives directes mettant en cause des inhibiteurs de la PDE5 sont rares. C’est là un argument surprenant de la part d’une brevetée qui promet que son produit est une amélioration par rapport à un autre sur le marché. On s’attendrait, au contraire, à ce que l’élément de preuve le plus crucial pour étayer une telle promesse soit une comparaison directe entre les deux composés dans le cadre d’études cliniques faisant appel à des méthodes semblables.

[126]       L’étude LVAB comportait un objectif principal et deux objectifs secondaires. L’objectif principal consistait à comparer les effets hémodynamiques de l’administration de nitroglycérine au cours d’un régime de doses quotidiennes multiples et de courte durée de tadalafil aux effets subis sous placebo chez des volontaires en bonne santé; les objectifs secondaires étaient les suivants : 1) comparer les effets hémodynamiques de la nitroglycérine lors de l’administration d’une dose unique de tadalafil aux effets subis après la prise d’une dose unique de sildénafil, et 2) comparer les effets hémodynamiques de la nitroglycérine après une première dose orale quotidienne de tadalafil aux effets consécutifs à de multiples doses quotidiennes et de courte durée de tadalafil. Dans cette mesure, l’étude LVAB était la seule étude comparative directe par rapport au sildénafil qui avait été réalisée avant la date de dépôt. Pourtant, l’exemple 5 fait état d’une [traduction« analyse préliminaire » de la première partie seulement de l’étude LVAB, et omet de traiter de la partie comparative de l’étude.

[127]       J’ai déjà mentionné que l’étude LVAB n’avait fait appel qu’à un petit nombre de volontaires en bonne santé plutôt qu’à des personnes souffrant de DE, et que ces volontaires étaient relativement plus jeunes que le groupe de personnes souffrant de DE. Cependant, l’aspect le plus troublant est que la partie non divulguée de l’étude, où l’on comparait la coadministration du tadalafil et de dérivés nitrés à la coadministration du sildénafil et de dérivés nitrés, n’a montré aucune différence statistiquement significative entre le tadalafil et le sildénafil.

[128]       Dans cette étude, les chercheurs ont procédé à une analyse fondée sur un [traduction« facteur de fragilité » en vue d’examiner les effets de traitements différents sur la sensibilité à la nitroglycérine intraveineuse. À la page 32 de leur rapport (DD, vol. 17, page 4044), les auteurs expliquent que cette analyse rend compte des variations relevées parmi les sujets de l’étude sur le plan de la sensibilité inhérente à la nitroglycérine; les personnes qui avaient le plus de risques de subir une chute marquée de la tension artérielle lorsqu’elles prenaient de la nitroglycérine avec un placebo avaient également plus de risques de subir une chute de tension importante lorsqu’elles prenaient de la nitroglycérine avec un médicament à l’étude.

[129]       Les résultats de cette analyse fondée sur un [traduction« facteur de fragilité » sont examinés à la page 48 et présentés au tableau 11.7 de la page 50 de cette étude (DD, vol. 17, pages 4060 à 4062). À la page 48, le rapport indique : 1) il n’y a pas eu de différences marquées entre une dose unique de tadalafil et de placebo; 2) des tendances ont dénoté une différence entre de multiples doses de tadalafil et de placebo, mais cette différence n’était pas statistiquement significative; 3) une dose unique de sildénafil était nettement différente du placebo. Ce que le rapport de l’étude LVAB omet d’analyser cependant, même si ce résultat ressort clairement d’un examen du tableau 11.7 qui figure à la page 50, c’est qu’il n’y avait aucune différence statistiquement significative entre la comparaison directe du tadalafil et du sildénafil, tant dans le cas des doses uniques que dans celui des doses multiples. Ces résultats sont fondés sur une analyse de survie, mesurant la réponse du pouls cardiaque à la nitroglycérine et l’apparition de symptômes d’hypotension cliniquement significatifs. Les sujets ont reçu une injection graduée, consistant en un maximum de sept doses croissantes de nitroglycérine, administrées chacune pendant une période d’environ cinq minutes. La tension artérielle et le rythme cardiaque étaient mesurés à intervalles de 2 minutes et de 4 minutes après l’injection de chaque dose successive. L’injection de nitroglycérine s’était poursuivie jusqu’à ce que survienne une chute de la tension artérielle systolique de 300 mm Hg par rapport à la moyenne des valeurs de base avant l’injection, ou une chute à une tension artérielle systolique absolue de 85 mm Hg. Lors de l’injection de nitroglycérine par voie intraveineuse, les sujets étaient maintenus la tête relevée à 70°. Après l’administration sublinguale de nitroglycérine, les sujets restaient en position allongée et étaient relevés à 70° deux minutes avant les points de mesure dans le temps, à intervalles de cinq minutes pendant une période de trente minutes.

[130]       Les résultats de cette analyse de survie reposent sur les différences observées. Une différence observée est considérée comme statistiquement significative si la chance d’avoir observé cette différence (ou une différence encore plus marquée) est inférieure au seuil de signification prédéfini, lequel est habituellement fixé à 0,05 dans les études cliniques (voir l’affidavit du Dr Melman, paragraphe 112 et NBP 16, DD, vol. 19, page 4360). La « valeur p », qui est la chance d’avoir observé une différence s’il n’y en a véritablement aucune, est essentiellement la probabilité d’obtenir un résultat faussement positif. Plus la valeur p est petite, plus il y a de chances que la différence observée soit attribuable à une différence réelle, par opposition à un élément aléatoire. Autrement dit, une différence observée est souvent définie comme statistiquement significative si la probabilité d’avoir observé cette différence (s’il n’y en a véritablement aucune) est inférieure à 5 % (ou 0,05). Lorsqu’on a comparé une dose unique de sildénafil avec le placebo, la valeur p était de 0,007 (donc significative), mais, dans le cas de la comparaison d’une dose unique et d’une dose multiple de tadalafil par opposition à une dose unique de sildénafil, la valeur p était, respectivement, de 0,166 et de 0,353 (donc non significative). C’est donc dire que la différence observée entre une dose unique de sildénafil et une dose unique de tadalafil, de même que la différence observée entre une dose unique de sildénafil et une dose multiple de tadalafil, n’est pas statistiquement significative, comme l’a signalé M. Siegel dans son affidavit (paragraphe 144, DD, vol. 19, page 4419).

[131]       Lilly a tenté de contrer ces constatations par deux stratégies, ni l’une ni l’autre convaincantes. Tout d’abord, elle a tenté de faire valoir que l’étude LVAB n’était pas [traduction« assez puissante » pour déceler une différence entre le tadalafil et le sildénafil, ce qui veut dire, si je comprends bien, que, pour une étude de comparaison entre deux médicaments, il faudrait une conception différente et un échantillon de plus grande taille. La seule preuve sur laquelle Lilly se fonde à l’appui de cette thèse est une brève réponse que le Dr Pullman a donnée en contre-interrogatoire, où il a simplement fait cette déclaration sans donner d’autres explications (contre-interrogatoire du Dr Pullman, page 172, DD, vol. 28, page 6538). Non seulement ce dernier n’est-il pas un expert en analyse statistique et n’a-t-il pas témoigné à titre de témoin expert, mais aucun des deux experts appelés par Lilly (qui ne sont pas qualifiés comme des statisticiens experts non plus) n’a offert cette explication pour atténuer l’effet de la comparaison entre deux médicaments dans l’étude LVAB. Le Dr Brock a tout de même émis l’hypothèse, en contre-interrogatoire, qu’il serait impossible de générer une valeur p de moins de 0,05 pour la partie B parce qu’il n’y avait pas assez de patients, mais il a reconnu qu’il n’avait pas fait l’analyse (contre-interrogatoire du Dr Brock, page 301 à 303, DD, vol. 26, pages 6071 à 6073). De plus, rien dans cette étude elle-même ne dénote que la partie B manquait de puissance statistique.

[132]       Comme l’ont fait remarquer les avocats de Mylan, Lilly a cherché à rejeter la partie B pour son peu de fiabilité, tout en se fondant sur des résultats tirés de cette même partie de l’étude. En fait, les seules données rapportées au tableau 11.7 qui viennent de la partie A sont celles qui ont trait à de multiples doses de tadalafil. La seule comparaison dans ce tableau qui est exclusivement tirée de la partie A est celle qui est faite entre le placebo et de multiples doses de tadalafil; la comparaison entre le placebo et la dose unique de sildénafil, en particulier, est tirée elle aussi de la partie B. Il se peut bien que la partie B soit suffisamment puissante, sauf pour les comparaisons entre deux médicaments, mais là encore les experts de Lilly n’ont fourni aucune explication ou aucune preuve de cette nature.

[133]       La seconde stratégie à laquelle les avocats de Lilly ont eu recours pour contrebalancer les essais comparatifs directs du tadalafil et du sildénafil dans l’étude LVAB a été d’essayer de se fonder sur une comparaison indirecte entre les essais faits avec le tadalafil dans l’étude LVAB et les essais faits avec le sildénafil dans une étude distincte dont ont rendu compte Webb et ses collaborateurs (« Sildenafil Citrate and Blood-Pressure-Lowering Drugs : Results of Drug Interaction Studies with an Organic Nitrate and a Calcium Antagonist », Am J of Cardiology, 1999, 83 (5A), pages 21C-28C, DD, vol. 6, page 1434). Cette étude est citée dans le brevet 684, elle était connue dans l’art antérieur et elle était citée dans l’étude sur les dérivés nitrés (LVAB) que Lilly a menée, ainsi que dans l’AA de Mylan. Dans cette étude, on a administré aux sujets des doses de 25 mg de sildénafil trois fois par jour pendant quatre jours. Le cinquième jour, ils ont reçu un comprimé sublingual de trinitroglycérine une heure après la prise du sildénafil ou du placebo. Dans les sept minutes suivant la prise de ce comprimé, les sujets qui avaient pris le sildénafil ont présenté une baisse moyenne de la tension artérielle systolique qui était quatre fois plus élevée qu’au cours du traitement sous placebo. Par ailleurs, onze des douze sujets ont cessé de prendre le comprimé de trinitroglycérine après une période de deux à sept minutes à cause d’une hypotension symptomatique ou d’une baisse de la tension artérielle systolique de >25 mm Hg.

[134]       À première vue, cette étude semble confirmer les constatations de l’étude LVAB, même si cette dernière a eu recours à une gamme d’âges meilleure et plus valable ainsi qu’à un meilleur nombre de sujets. Le problème, cependant, c’est qu’aucun des experts n’a tenté de comparer les deux études, et ce n’est qu’à M. Siegel qu’on a explicitement demandé de les comparer en contre-interrogatoire. Ce dernier a émis l’opinion que les résultats ne pouvaient pas être comparés à cause des difficultés que pose la comparaison d’études différentes, surtout quand elles font appel à un nombre très restreint de sujets (contre-interrogatoire de M. Siegel, page 61, DD, vol. 32, page 7173).

[135]       Il y avait, en fait, un certain nombre de différences méthodologiques entre les deux études, dont la dose de dérivés nitrés administrée, le fait de savoir si les sujets avaient été examinés au préalable en vue de déterminer leur tolérance aux dérivés nitrés, la durée de l’étude, la question de savoir si les sujets prenaient les dérivés nitrés en position « tête relevée » ou en position allongée, les règles d’interruption et les mécanismes de sécurité, ainsi que la manière dont les résultats étaient analysés. À part l’opinion de M. Siegel sur les risques que présente la comparaison d’études, aucune preuve d’expert n’indique comment - et si - les résultats de l’étude Webb peuvent être comparés à ceux de l’étude LVAB, sans parler du fait que l’étude Webb peut servir à montrer une amélioration du tadalafil par rapport au sildénafil.

[136]       Je suis donc d’avis qu’à la date de dépôt, Lilly n’était pas parvenue à montrer que des doses de 1 à 20 mg de tadalafil représentaient une amélioration quelconque par rapport au sildénafil au chapitre de l’interaction avec les dérivés nitrés. La seule étude comparative directe sur l’interaction du tadalafil et du sildénafil avec les dérivés nitrés, l’étude LVAB, ne montre aucune différence statistiquement significative entre les deux composés. Les avocats de la demanderesse ont fait valoir qu’il est rare que l’on procède à des essais comparatifs directs dans l’industrie pharmaceutique, mais il n’existe aucune preuve à l’appui de cette thèse. Plus troublant encore, peut-être, est le fait que Lilly, ayant déposé un brevet qui compare les effets secondaires du tadalafil et du sildénafil, n’a même pas traité directement de la question; il n’y a tout simplement aucune raison crédible pour expliquer pourquoi les experts de Lilly ont omis de mentionner dans leurs affidavits que de tels essais comparatifs directs avaient été réalisés avant la date de dépôt. Quant à leur explication imprévue et de dernière minute, à savoir que la partie B de cette étude n’est pas fiable parce qu’elle n’a pas la puissance statistique nécessaire pour pouvoir faire une comparaison entre deux médicaments, elle semble être fondée sur une simple hypothèse et ne repose sur aucune preuve.

[137]       Évidemment, l’utilité peut aussi être valablement prédite si elle n’a pas été démontrée au moment du dépôt. Au moins trois exigences doivent être remplies pour pouvoir établir une prédiction valable : 1) la prédiction doit avoir un fondement factuel; 2) l’inventeur, à la date de la demande de brevet, doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; 3) il doit y avoir divulgation suffisante (arrêt AZT, précité, au paragraphe 70). Selon Lilly, une personne versée dans l’art peut conclure que l’invention était valablement prédite en examinant seulement la divulgation du brevet 684, et en particulier les exemples 5, 6 et 7 ainsi que le tableau figurant à la page 32. Après un examen attentif de la question, il m’est impossible de souscrire à cet argument.

[138]       Comme il a été souligné plus tôt, le seul fondement factuel de la prédiction d’une amélioration de l’interaction avec les dérivés nitrés se limite à l’exemple 5 du brevet 684 (par opposition à l’étude LVAB dans son ensemble). Je conviens avec les experts de Mylan que les informations divulguées dans cet exemple auraient été insuffisantes pour amener une personne versée dans l’art à ne pas s’attendre à ce que le tadalafil, en tant qu’inhibiteur de la PDE5, ait avec les dérivés nitrés une interaction semblable à celle constatée dans le cas du sildénafil. Premièrement, il n’y a aucune preuve qu’une personne versée dans l’art puisse prédire une amélioration de l’incidence en se fondant sur l’énoncé qualitatif fait dans l’exemple 5 au sujet des effets moyens sur la tension artérielle. L’incidence représente la proportion de personnes qui subissent des variations potentiellement significatives sur le plan clinique de la tension artérielle; ces personnes sont parfois appelées des « cas isolés ». D’un point de vue clinique, la proportion de cas isolés est la mesure la plus importante, car elle donne une estimation du nombre de membres d’un groupe qui risquent de subir un effet indésirable. Comme l’a fait remarquer M. Siegel dans son affidavit, les effets indésirables peu fréquents peuvent se traduire par un nombre absolu relativement important de personnes qui subiraient de tels effets indésirables si l’on prescrivait un médicament à un grand groupe de personnes. Par exemple, si un million de personnes reçoivent un médicament et que 1 % d’entre elles subissent un effet indésirable, cela se traduit donc par 10 000 « cas isolés » qui subiront cet effet (affidavit de M. Siegel, paragraphe 216, DD, vol. 18, pages 4319 et 4320). C’est sans doute ce qui a réellement incité les organismes de réglementation à faire cette déclaration au sujet des interactions avec les inhibiteurs de la PDE5 et la nitroglycérine (contre-interrogatoire du Dr Brock, pages 339 et 340, DD, vol. 23, pages 5196 et 5197; contre-interrogatoire du Dr Goldstein, page 152, DD, vol. 24, page 5382). Par contraste, la moyenne mesure l’effet moyen sur l’ensemble du groupe étudié, et elle est nettement moins significative parce que la réaction moyenne de l’ensemble d’un groupe ne reflète pas la sensibilité individuelle à un médicament.

[139]       Je conviens également avec les experts de Mylan qu’une personne versée dans l’art ne pourrait pas extrapoler à d’autres doses les résultats obtenus avec les doses de 10 mg. Le Dr Goldstein lui-même semble admettre qu’il faut faire des essais pour le savoir, et il fait référence à une étude dans laquelle les données ont montré qu’une dose de 5 mg créait un problème, mais pas une dose de 10 mg (contre-interrogatoire du Dr Goldstein, page 296, DD, vol. 24, page 5526). Lilly a fait valoir que même si la dose de 20 mg n’avait pas été mise à l’essai, elle était [traduction« encadrée » par des doses de 10 mg et de 25 mg, de sorte que les inventeurs auraient pu prédire l’utilité d’une dose de 20 mg en se servant de leur modèle pharmacocinétique. Là encore, les effets indésirables dus à un traitement sont très difficiles à prédire, comme Lilly l’a reconnu elle-même dans son mémoire des faits et du droit au moment de traiter de la question de l’évidence (au paragraphe 115); quoi qu’il en soit, un essai comparatif direct d’un comprimé de 25 mg de tadalafil et d’un comprimé de 50 mg de sildénafil pris avec des dérivés nitrés n’a pas été divulgué dans le brevet et n’avait pas non plus été effectué à la date de dépôt. Dans le même ordre d’idées, le Dr Melman a fait remarquer qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas été capable d’extrapoler les résultats observés dans l’exemple 5 à des issues probables dans le groupe des personnes plus âgées souffrant de dysfonction érectile, compte tenu surtout du manque de détails dans l’exemple 5 (affidavit du Dr Melman, paragraphe 182, DD, vol. 18, page 4255; voir aussi l’affidavit de M. Siegel, paragraphe 163, DD, vol. 18, page 4302). En toute justice, le Dr Brock et le Dr Goldstein ont une opinion contraire sur la question. Néanmoins, je préfère les avis du Dr Melman et de M. Siegel, ne serait-ce que parce que la divulgation de l’étude LVAB dans l’exemple 5 est très sommaire. En présentant une [traduction« analyse préliminaire » de cette étude et en ne décrivant les résultats que de manière qualitative, le brevet n’offrirait vraisemblablement pas un fondement valable pour faire une prédiction concernant un groupe plus âgé.

[140]       Pour toutes les raisons qui précèdent, je suis d’avis qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas pu prédire valablement que des doses unitaires de 1 à 20 mg de tadalafil auraient été une amélioration par rapport au sildénafil au chapitre des interactions avec les dérivés nitrés. Non seulement n’existe-t-il aucun fondement factuel pour la prédiction ni aucun raisonnement clair et valable qui permettent d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité, mais le brevet 684 ne comporte même pas une divulgation appropriée. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AZT, précité, au paragraphe 83 : « [l]a population a droit à un enseignement exact et utile en contrepartie du monopole que lui impose le brevet. » L’exemple 5 ne décrit qu’une partie de l’étude LVAD, et il omet même de faire référence (voire d’expliquer) les résultats des essais comparatifs directs avec le sildénafil. Cette omission est clairement inacceptable dans un brevet qui promet non seulement d’être efficace pour traiter l’ADE, mais aussi de présenter un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil, et une brevetée ne devrait pas pouvoir tirer profit d’une divulgation partielle, sinon trompeuse.

[141]       Même si l’utilité aurait pu être valablement prédite à la date de dépôt, il convient d’annuler le brevet 684 si, à ce jour, il ressort de la preuve clinique que le tadalafil ne présente pas d’amélioration notable par rapport au sildénafil au chapitre des interactions avec les dérivés nitrés. Dans une étude comparative directe réalisée par des employés et des consultants de Lilly (l’étude LVCM), et dont les résultats ont été rapportés dans un article de revue du Dr Kloner et d’autres spécialistes (la revue de Kloner, précitée), il semble qu’un nombre semblable de personnes avait subi des variations cliniquement significatives de la tension artérielle à la suite de l’administration d’une dose de 10 mg de tadalafil plus des dérivés nitrés, comme dans le cas de l’administration de sildénafil plus des dérivés nitrés, et que cela représentait environ le double de l’incidence du groupe qui avait reçu un placebo plus des dérivés nitrés. Les auteurs de la revue Kloner résument comme suit les résultats de cette étude (voir la revue de Kloner, pages 41M‑42M, DD vol. 14, pages 3394‑3395) :

[traduction] Le tadalafil et le sildénafil ont tous deux fait augmenter modérément la baisse de tension artérielle maximale moyenne induite par la nitroglycérine sublinguale, comparativement au placebo. Cependant, comparativement au traitement sous placebo, la fréquence des cas isolés au jour 1 a été supérieure lors des périodes de traitement sous tadalafil et sildénafil. Ces résultats donnent à penser que, dans un sous‑ensemble de sujets, tant le tadalafil que le sildénafil ont pour effet d’intensifier la baisse de tension artérielle provoquée par les dérivés nitrés.

[142]       Sur ce fondement, ils ont conclu que [traduction] « […] la fréquence des effets potentiellement importants sur la tension artérielle indique que, comme dans le cas du sildénafil, il ne faudrait pas prendre le tadalafil en combinaison avec des dérivés nitrés » (p. 45M, DD vol. 14, page 3398). Cette étude, de pair avec deux autres analysées par Kloner et ses collaborateurs et montrant que des doses uniques de 5 ou de 10 mg de tadalafil ont des interactions indésirables cliniquement significatives avec les dérivés nitrés, semblent peut-être expliquer les 48 heures de contre‑indication qui s’appliquent à l’administration concomitante du tadalafil et de dérivés nitrés (voir « FDA Review for the NDA for CIALIS (tadalafil), DD vol. 7, page 1692; voir aussi l’affidavit de M. Siegel, paragraphe 210, DD vol. 18, page 4316; affidavit du Dr Melman, paragraphes 124 à 128, DD vol. 18, pages 4240 à 4242; contre‑interrogatoire du Dr Goldstein, page 185, DD vol. 24, page 5415).

[143]       Dans son affidavit (aux paragraphes 244 à 248), le Dr Goldstein traite de la revue de Kloner et ne s’attache qu’aux variations de la tension artérielle moyenne tout en faisant abstraction du nombre de patients ayant subi des variations cliniquement significatives de la tension artérielle (les prétendus « cas isolés »). Pour les raisons susmentionnées, je conviens avec le Dr Melman et M. Siegel que les données les plus importantes ne sont pas les résultats liés aux variations moyennes de la tension artérielle dans le groupe étudié dans son ensemble, mais le nombre réel de personnes qui subissent une baisse marquée de la tension artérielle (voir l’affidavit du Dr Melman, paragraphe 166, DD vol. 18, page 4252; affidavit de M. Siegel, paragraphe 219(e)(i), DD vol. 18, page 4324).

[144]       En conséquence, je suis d’accord avec les avocats de Mylan que, à ce jour, il n’y a aucune amélioration de l’interaction du tadalafil avec les dérivés nitrés par rapport au sildénafil, lorsqu’on prend en compte l’incidence d’une chute marquée de la tension artérielle. Par ailleurs, dans la mesure où il n’y a aucune différence entre le tadalafil et sildénafil, le tadalafil est contre‑indiqué avec des dérivés nitrés pendant un temps plus long (48 heures par opposition à 24 heures) à cause de sa demi‑vie plus longue. Par conséquent, même à ce jour, le brevet 684 ne parvient pas à répondre à la promesse de réaliser une amélioration notable de l’interaction avec les dérivés nitrés, comparativement au sildénafil. En me fondant sur cette conclusion, je signale que même si j’avais souscrit à la manière dont Lilly interprète la promesse – à savoir que le brevet promet une réduction d’effets secondaires, comparativement au sildénafil – j’aurais conclu que cette promesse plus restrictive n’est ni démontrée ni valablement prédite.

2)         L’allégation selon laquelle les revendications sont invalides pour cause d’antériorité du brevet 784 est-elle justifiée?

[145]       Conformément à l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, un brevet est invalide pour cause d’antériorité si les éléments essentiels de l’invention revendiquée ont été divulgués de telle manière que celle-ci est devenue accessible au public plus d’un an après la date de dépôt, et s’ils sont réalisables aux yeux d’une personne versée dans l’art : arrêt Olanzapine, précité, aux paragraphes 43 à 45. La Cour suprême a examiné avec soin cette question dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, précité, et elle a clairement indiqué qu’il n’est pas nécessaire que la divulgation soit une description exacte de l’invention revendiquée; elle doit être suffisante, de telle sorte que, lue par une personne versée dans l’art et désireuse de comprendre ce qui est dit, elle peut être comprise sans essais successifs (au paragraphe 32). Comme l’a fait remarquer le juge Hughes dans la décision Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359, au paragraphe 75 : « [s]i l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité » (conf. par 2009 CAF 94).

[146]       Au stade de la divulgation, il n’y a pas de place pour que la personne versée dans l’art puisse faire des essais successifs ou des expériences; cette personne lit simplement le brevet antérieur dans le but de le comprendre. Cependant, si l’exigence de la divulgation est remplie, il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement. En analysant la question de la réalisation, le juge Rothstein a écrit, au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo :

Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés.  Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

[147]       Il n’y a pas de désaccord entre les parties au sujet du droit applicable en matière d’antériorité. Mylan soutient que si le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection (ce que j’ai conclu), il est dans ce cas antériorisé par le brevet 784 parce que l’invention revendiquée a été divulguée et réalisée par le brevet 784. Je suis d’accord.

[148]       Le brevet 784 a divulgué : 1) des formes posologiques unitaires de tadalafil, telles que des comprimés ou des capsules, dans la gamme posologique variant de 0,2 à 400 mg; 2) lesdites formes posologiques unitaires étant administrables par voie orale; 3) pour le traitement de la DE. Il semble donc que l’invention revendiquée du brevet 684 a été divulguée dans le brevet 784, car la totalité des éléments essentiels des revendications du brevet 684 sont divulgués dans le brevet 784. Je ne crois pas que l’on puisse contester de quelque manière que les doses de tadalafil mentionnées dans les revendications 2 à 6 et 10 du brevet 684 (1 à 20 mg) se situent entièrement dans la gamme posologique divulguée dans le brevet 784. En fait, ce dernier lui‑même indique que [traduction] « dans la pratique le médecin déterminera le régime posologique qui conviendra le mieux à un patient particulier, et ce régime variera selon l’âge, le poids et la réaction de ce patient » (brevet 784, page 5, lignes 9 à 11, DD vol. 21, page 4785). Comme le profil d’effets secondaires réduit ne fait pas partie de l’invention revendiquée, mais est simplement l’un des résultats de cette invention, il semble que le brevet 684 ait été divulgué par le brevet 784. Quand un second brevet n’est pas interprété comme un brevet de sélection, les avantages qu’il procure ne sont pas pris en compte dans l’examen de l’antériorité et il n’est pas nécessaire qu’ils aient été divulgués dans un brevet antérieur pour qu’il soit antériorisé.

[149]       Non seulement le brevet 784 a-t-il divulgué tous les éléments essentiels du brevet 684, mais il procure aussi à la personne versée dans l’art suffisamment d’informations pour réaliser sans trop de difficultés l’invention revendiquée dans le brevet 684. Le dossier ne comporte aucune preuve montrant qu’une personne versée dans l’art aurait à procéder à des expériences ou à des essais successifs prolongés pour en arriver à des formes posologiques unitaires de 1 à 20 mg de tadalafil, administrées par voie orale, pour le traitement de la DE. De ce fait, je conclus que l’invention revendiquée du brevet 684 a été à la fois divulguée et réalisée par le brevet 784, et que le brevet 684 était donc antériorisé.

[150]       Les avocats de Lilly ont tenté de faire valoir qu’une dose quotidienne maximale de 20 mg est un autre élément essentiel des revendications que comporte le brevet 684 et fait partie de l’invention revendiquée, et que cela n’a pas été divulgué dans le brevet 784. Selon Lilly, le mémoire descriptif du brevet 684 fait qu’il est [traduction] « parfaitement clair » que quand les inventeurs parlent d’une [traduction] « forme posologique unitaire », il doit s’agir d’une forme posologique unitaire qui se limite à celle que l’on administre jusqu’à une quantité maximale de 20 mg par jour. Plus précisément, Lilly se fonde sur la page 8 du brevet, où le mémoire descriptif indique qu’il y a des doses préférables mais précise que la dose quotidienne maximale est de 20 mg, et sur l’énoncé figurant à la fin de la divulgation, que [traduction] « une dose unitaire d’environ 1 à environ 20 mg […] administrée jusqu’à une dose maximale de 20 mg par période de 24 heures, traite efficacement la DE et réduit ou élimine l’apparition d’effets secondaires indésirables » (brevet 684, page 32).

[151]       Cette lecture du brevet 684 est loin d’être convaincante. Tout d’abord, il n’y a aucune mention d’un total maximal quotidien dans les revendications elles‑mêmes. Plus important encore, je ne vois pas comment on peut considérer que l’expression [traduction] « forme posologique unitaire pharmaceutique » peut impliquer une dose maximale quotidienne; elle fait référence, selon toute vraisemblance, à la façon particulière dont le produit est administré. En fait, l’expression connexe [traduction] « forme posologique orale » est définie dans le brevet 684 en ces termes :

[traduction] L’expression « forme posologique orale » est employée dans un sens général pour désigner les produits pharmaceutiques que l’on administre par voie orale. Les personnes versées dans l’art savent que ces formes posologiques orales comprennent des formes telles que les formulations liquides, les comprimés, les capsules et les gélules.

(Brevet 684, page 7)

[152]       C’est exactement de cette façon que l’expression [traduction] « forme posologique unitaire » est employée dans le brevet 684 pour décrire ce qui a été divulgué dans un brevet des États-Unis analogue au brevet 377 (à la page 3, lignes 26 à 28), ainsi que dans la revendication 7 (à la page 34 : [traduction] « [l]a forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6, où la dose unitaire se présente sous une forme choisie parmi le groupe formé d’un liquide, d’un comprimé, d’une capsule et d’une gélule »).

[153]       De plus, je conviens avec Mylan que la dose totale maximale quotidienne se rapporte à une instruction sur la manière d’administrer une forme posologique unitaire plutôt qu’à un aspect de la forme posologique unitaire elle‑même. Cela concorde avec la description de la notice d’accompagnement que l’on trouve dans le brevet 684, laquelle fait référence à la dose totale maximale quotidienne séparément de la [traduction] « forme posologique unitaire » elle‑même :

[traduction] « la notice d’accompagnement donne aussi comme instruction d’administrer une ou plusieurs doses unitaires d’environ 1 à environ 20 mg au besoin, jusqu’à concurrence d’une dose totale maximale de 20 mg par jour.

(Brevet 684, page 8)

[154]       Enfin, l’historique du dossier canadien confirme que la dose totale maximale quotidienne est un élément distinct de la forme posologique unitaire elle‑même. Le dossier du Traité de coopération en matière de brevets (TCB) qui correspond au brevet 684, c’est-à-dire la demande initialement déposée au Bureau des brevets canadien, contenait des revendications citant la méthode pour traiter la dysfonction sexuelle, dont l’administration d’environ 1 à 20 mg de tadalafil, jusqu’à une dose totale maximale de 20 mg par jour. En réponse au fait que l’examinateur des brevets avait conclu que ces revendications n’étaient pas valides pour ce qui était de revendiquer une méthode de traitement médical (citant Tennessee Eastman c Commissaire des Brevets, (1974) RCS 111; Imperial Chemical Industries c Commissaire des brevets, (1986) 3 CF 40; voir l’affidavit de Mme Potter, pièce « C », doc. no 2, DD vol. 4, page 654), Lilly a reformulé ces revendications sous la forme de revendications d’« utilisation » et elle a supprimé toute mention d’une dose totale maximale par jour. Bien que l’historique du dossier d’une demande de brevet soit généralement considéré comme une preuve extrinsèque et non admissible, j’ai déjà conclu qu’un changement dans le libellé d’une revendication à la suite d’une objection du Bureau des brevets est un fait objectif qui peut être pris en considération et d’où il est possible de tirer une inférence : Distrimedic c Dispill, 2013 CF 1043, aux paragraphes 209 et 210.

[155]       Je conclus donc que le brevet 684 est antériorisé par le brevet 784.

3)         L’allégation selon laquelle les revendications sont invalides pour cause d’évidence est-elle justifiée?

[156]       L’évidence était un élément implicite de la notion d’« invention » et elle est aujourd’hui codifiée à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets :

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[157]       Conformément à l’article 28.1, l’évidence doit être évaluée à la date de priorité, soit le 30 avril 1999.

[158]       La Cour suprême a énoncé, pour l’évidence, un critère à quatre volets dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, précité, au paragraphe 67; ce critère peut être résumé comme suit :

a)                  identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

b)                  définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

c)                  recenser les différences, s’il en est, entre les connaissances générales courantes et l’idée originale;

d)                 ces différences exigent-elles un certain degré d’inventivité ou sont-elles plus ou moins évidentes en soi?

[159]       Pour évaluer la question de l’« essai allant de soi », à la quatrième étape le critère consiste à savoir s’il est très clair ou plus ou moins évident que ce que l’on met à l’essai devrait fonctionner. La seule possibilité que l’on puisse obtenir quelque chose ne suffit pas : arrêt Sanofi‑Synthelabo, au paragraphe 65. S’il est justifié de procéder à une analyse fondée sur un essai allant de soi, particulièrement dans des domaines où les progrès sont réalisés par voie d’expérimentation, il faudrait prendre en considération les facteurs qui suivent :

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?  Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur*** fournit‑elle [sic] un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

(Arrêt Sanof‑Synthelabo, précité, au paragraphe 69)

[160]       J’ai déjà décrit la personne versée dans l’art au paragraphe 83 des présents motifs : il s’agit d’une personne ou d’une équipe de mise au point d’un médicament ayant, d’une part, une expertise dans des domaines qui se rapportent au dosage des médicaments, comme la pharmacologie ou la pharmacocinétique, la physiologie, la détermination des doses et l’évaluation de l’innocuité de nouveaux traitements et, d’autre part, une expérience en matière de traitement de la DE.

[161]       Les parties s’entendent dans une large mesure sur l’état de la technique à la date de priorité (30 avril 1999). Comme il a été décrit plus tôt, le brevet 784 divulguait le tadalafil, dans la gamme posologique de 0,2 à 400 mg, pour le traitement de la DE, par administration orale. On savait que les doses approuvées de 25 mg, de 50 mg et de 100 mg de sildénafil étaient efficaces pour le traitement de la DE et que l’efficacité du composé était proportionnelle à la dose. Les experts de Lilly conviennent aussi que les effets secondaires du sildénafil étaient reconnus pour être proportionnels à la dose (plus la dose est faible, moins il y a d’effets secondaires). Contre‑interrogatoire du Dr Goldstein, pages 293 et 294, DD vol. 24, pages 5523 et 5524; contre‑interrogatoire du Dr Brock, page 358, DD vol. 23, page 5215.

[162]       Selon M. Siegel (affidavit de M. Siegel, paragraphe 237, DD vol. l 18, pages 4330 et 4331), la puissance in vitro comparative du tadalafil et du sildénafil était également connue. L’IC50 du tadalafil par rapport à la PDE5 a été signalée comme étant de 2 nM dans le brevet 784, tandis que dans le cas du sildénafil l’IC50 à l’encontre de la PDE5 a été signalé comme étant de 3 nM et de 3,9 nM (brevet 684, page 2). Cela indiquerait à l’équipe de mise au point du médicament qu’une certaine quantité de tadalafil serait tout aussi puissante qu’une quantité supérieure de sildénafil. De plus, les poids moléculaires du sildénafil et du tadalafil étaient également connus en 1999, le premier étant de 474,6 g/mol et le second de 389,4 g/mol. Il serait donc connu que 1 mg de tadalafil produirait plus de molécules d’agent actif dans l’organisme que 1 mg de sildénafil. En combinant les poids moléculaires relatifs et les données in vitro sur la puissance, on aurait estimé qu’une dose de 25, de 50 ou de 100 mg de sildénafil aurait été tout aussi puissante que des doses d’environ 11 à 55 mg de tadalafil (suivant la valeur de puissance du sildénafil que l’on choisit).

[163]       En contre‑interrogatoire, M. Siegel a reconnu qu’il n’est pas rare que les valeurs d’IC50 présentent une certaine variabilité. Sur ce fondement, les avocats de Lilly lui ont soumis des valeurs d’IC50 nettement supérieures pour le tadalafil et émanant de sources non publiques, qui auraient eu pour résultat que le tadalafil aurait été légèrement plus puissant que le sildénafil (contre‑interrogatoire de M. Siegel, pages 105 à 108, DD vol. 32, pages 7217 à 7220). Cependant, ces valeurs n’ont absolument aucune pertinence pour l’analyse de l’évidence, car des valeurs d’IC50 internes et non publiées ne font pas partie des connaissances générales courantes.

[164]       L’idée originale est décrite de manière ambiguë dans les observations de Lilly. Tant dans leurs arguments écrits que de vive voix, les avocats ont défini l’idée originale [traduction] « comme une forme posologique unitaire de tadalafil qui traite efficacement la DE au moyen d’une dose quotidienne maximale de 20 mg et, pour la forme posologique unitaire, d’une concentration de 2 à 20 mg » (mémoire des faits et du droit de Lilly, paragraphe 108). Il est ensuite mentionné que le profil d’effets secondaires atténué ne fait pas partie de l’invention revendiquée, mais qu’il est le résultat ou un avantage de l’invention (paragraphe 109). Pourtant, en appliquant le cadre de l’évidence, Lilly semble prendre en considération les effets secondaires réduits, car elle conclut qu’il n’aurait pas été évident que les limites de dose [traduction] « seraient quand même efficaces pour traiter la DE et donneraient lieu à un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil » (paragraphe 122). En fin de compte, je ne crois pas qu’il soit important pour l’analyse de l’évidence que l’on considère ou non que le profil d’effets secondaires amélioré fait partie de l’idée originale. La véritable question consiste à savoir s’il aurait été évident aux yeux de la personne versée dans l’art qu’une forme posologique unitaire de tadalafil de 2 à 20 mg, ou plus précisément les doses de 2,5 et de 5 mg revendiquées par Lilly à l’audience, traiteraient efficacement la DE.

[165]       Il ne fait aucun doute que le sildénafil, en tant que seul médicament oral et approuvé contre la DE, aurait guidé l’orientation de la recherche concernant de futurs médicaments contre la DE et agissant par la voie d’une inhibition de la PDE5. La thèse de Lilly est qu’une personne versée dans l’art aurait cru que le tadalafil, à en juger par son activité inhibitrice sur la PDE5, aurait chez l’humain une efficacité semblable à celle du sildénafil. Une fois que l’efficacité chez l’humain a été confirmée aux mêmes niveaux de dose que le sildénafil dans les premiers essais cliniques, il n’y aurait eu aucune raison de faire des recherches sur des doses inférieures, compte tenu surtout de l’ampleur des dépenses et des engagements en matière de recherche supplémentaire qu’implique une entreprise de nature aussi hypothétique. Cet argument n’est pas convaincant, et ce, pour un certain nombre de raisons.

[166]       Tout d’abord, une équipe de mise au point d’un médicament qui aurai suivi les étapes ordinaires d’un tel travail aurait vraisemblablement pris en compte les informations accessibles au public sur le poids moléculaire et la puissance in vitro du tadalafil et du sildénafil et, même avant de procéder à un essai quelconque, aurait commencé par des doses d’environ 11 à 55 mg de tadalafil, car celles‑ci équivaudraient à des doses de 25 à 100 mg de sildénafil. En fait, le Dr Brock a déclaré en contre‑interrogatoire qu’il existait une étude selon laquelle le sildénafil était efficace à des doses de 10 à 50 mg, ce qui veut dire qu’il aurait été dans l’ordre des choses d’utiliser comme dose de départ une concentration aussi faible que 5 mg (contre‑interrogatoire du Dr Brock, page 170, DD vol. 23, page 5027; voir l’affidavit de Mme Potter, pièce « C », doc. no 20, DD vol. 6, page 1374).

[167]       M. Siegel a reconnu qu’il existe un certain nombre de facteurs, autres que le poids moléculaire, qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur la puissance, comme la demi‑vie, la sélectivité, la structure, l’hydrophobicité et d’autres paramètres pharmacocinétiques (contre‑interrogatoire de M. Siegel, pages 108 et 09, DD vol. 32, pages 7220 et 7221). C’est exactement pour cette raison qu’il est nécessaire de faire des essais, comme M. Siegel l’admet aisément. Cela dit, il serait exagéré de prétendre qu’il y avait un nombre infini de solutions prévisibles, ou que c’est un [traduction] « processus long et ardu comportant la conception et l’exécution d’études cliniques complexes et l’analyse d’énormes quantités de données découlant de ces études » qui a permis aux inventeurs d’arriver à leurs conclusions, comme le Dr Goldstein voudrait qu’on le croie (affidavit du Dr Goldstein, paragraphe 366, DD vol. 2, page 330).

[168]       Tout d’abord, le point de départ pourrait être facilement vérifiable, en prenant pour base une comparaison entre la puissance et le poids moléculaire relatif du tadalafil et du  sildénafil. Deuxièmement, abaisser la dose est un moyen courant d’atténuer les effets secondaires. En contre‑interrogatoire, le Dr Pullman a affirmé que la mentalité de l’industrie pharmaceutique est de trouver la dose efficace optimale, ce qui veut dire, selon lui, la dose la plus élevée avec laquelle [traduction] « on peut s’en tirer impunément » et qui est quand même sans risque, car il s’agit là de la dose qui, tout en étant la plus efficace, reste sûre (contre‑interrogatoire du Dr Pullman, page 77, DD vol. 28, page 6443). À cet égard, je préfère l’opinion de M. Siegel, non seulement parce que ce dernier a participé à la création de plus de 150 médicaments dans de nombreux domaines thérapeutiques et qu’il a une vaste expérience de la mise au point de régimes posologiques, mais aussi parce qu’il est un témoin expert indépendant quant à la manière d’aborder le dosage des médicaments sous l’angle de l’état de la technique, tandis que le Dr Pullman est l’inventeur et qu’il a témoigné sur sa propre prétendue invention.

[169]       De l’avis de M. Siegel, le processus de détermination d’une dose appropriée suit une approche bien établie, qui n’a pas changé depuis 20 à 30 ans :

[traduction] Pour ce qui est du dosage, le but ultime de l’équipe de mise au point d’un médicament est de trouver la gamme posologique qui est la plus efficace et qui comporte le moins d’effets indésirables dans la cohorte des patients auxquels le traitement est destiné. À cet égard, l’équipe cherchera la dose minimale efficace et la dose maximale tolérée, c’est‑à‑dire que la dose minimale efficace est la dose la plus faible à laquelle un effet approprié est mesuré au sein d’une proportion suffisamment importante du groupe de patients visé, et la dose maximale tolérée est la dose la plus élevée que l’on peut administrer avant qu’apparaissent des effets désirables intolérables au sein du même groupe de patients.

(Affidavit de M. Siegel, paragraphe 40, DD vol. 18, page 4272)

[170]       Même en prenant au pied de la lettre l’affidavit du Dr Pullman, il semble donc que l’équipe chargée de la mise au point du tadalafil s’est nettement écartée du processus ordinaire de mise au point d’un médicament, en débutant par une dose de 100 mg plutôt que de faire des rajustements pour tenir compte des puissances différentes du tadalafil et du sildénafil de même que des données pharmacocinétiques in vitro et des données sur la toxicité chez les animaux. Je conviens avec M. Siegel qu’en raison de cet écart l’équipe de mise au point du tadalafil a commencé à tester sur des humains une dose nettement supérieure à celle qu’aurait choisie une personne versée dans l’art. Ayant débuté par une dose inutilement élevée, l’équipe chargée du tadalafil ne peut prétendre avoir découvert [traduction] « avec surprise » qu’elle pouvait utiliser une dose inférieure. Je conclus donc qu’une personne versée dans l’art aurait vraisemblablement conçu une étude à dose initiale croissante et débuté par une dose d’environ 5 mg de tadalafil pour ensuite l’augmenter progressivement jusqu’à une concentration d’environ 50 mg; il existait donc un nombre déterminé de solutions prévisibles.

[171]       Quant à la démarche concrète qui a été suivie, l’affidavit du Dr Pullman que Lilly a produit est vicié à de nombreux égards et comporte de nombreuses lacunes. Premièrement, le Dr Pullman n’avait aucune connaissance des premiers essais cliniques du tadalafil sur des humains, car il n’a commencé à participer à la mise au point de ce composé qu’à la fin de 1998. Par exemple, les premières études d’efficacité chez l’humain (l’étude LVBI) ont été réalisées avant que le Dr Pullman se joigne à Lilly (voir l’affidavit du Dr Pullman, pièce « B », DD vol. 15, page 3486). C’est la raison pour laquelle les premières études cliniques qui ont été menées en vue de déterminer la dose de départ appropriée chez l’humain ne sont mentionnées que brièvement dans son affidavit, sans trop de détails. Ne serait‑ce que pour cette raison, la preuve du Dr Pullman a peu de poids. Par ailleurs, Mylan a produit quelques preuves qui donnent à penser qu’ICOS avait prévu d’inclure des doses se situant dans la gamme revendiquée dans le brevet 684 avant d’effectuer concrètement des essais quelconques sur le tadalafil en vue du traitement de la DE (affidavit de Mme Potter, pièce « D », doc. no 1, DD vol. 9, pages 2295 et 2296; affidavit du Dr Pullman, pièce « F », DD vol. 16, page 3730); cependant, les avocats de Lilly ont refusé de produire les protocoles d’essais cliniques qu’ICOS avait établis. Étant donné que le propre expert de Lilly a convenu qu’il serait impossible de faire des commentaires sur la démarche d’ICOS sans examiner de tels documents (contre‑interrogatoire du Dr Brock, pages 264 et 266 à 276, DD vol. 26, pages 6034, 6036 à 6046), il serait manifestement irrégulier que la Cour le fasse.

[172]       En définitive, je conclus qu’il allait plus ou moins de soi que les doses plus retreintes et à concentration plus faible de tadalafil dont il est question dans le brevet 684 seraient efficaces pour traiter la DE chez l’humain et donneraient lieu à un profil d’effets secondaires réduit. Les réalisations antérieures fournissaient clairement un motif pour chercher la solution au problème que sous‑tendait le brevet, car une personne versée dans l’art serait à la recherche d’une dose minimale efficace et d’une dose maximale tolérée. Il n’existe aucune preuve sur la quantité d’efforts requis pour réaliser l’invention, mais, d’après la puissance relative et le poids moléculaire relatif du sildénafil et du tadalafil, ainsi que le processus ordinaire de mise au point d’un médicament, il existait un nombre déterminé de solutions prévisibles.

VI.             La conclusion

[173]       En résumé, je conclus que les allégations d’invalidité qui suivent à propos du brevet 684 sont justifiées : 1) il est dénué d’utilité, car sa promesse n’était ni démontrée ni valablement prédite à la date de dépôt, et elle ne l’est toujours pas; 2) il est antériorisé par le brevet 784, car les doses qu’il revendique se situent entièrement dans la gamme divulguée dans ce brevet; 3) il était évident qu’une dose unitaire de 1 à 20 mg serait efficace pour traiter la DE et donnerait lieu à un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil.



JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  Les allégations d’invalidité qui suivent à propos du brevet 684 sont justifiées :

a)                  il est dénué d’utilité, car sa promesse n’était ni démontrée ni valablement prédite à la date de dépôt, et elle ne l’est toujours pas;

b)                  il est antériorisé par le brevet 784, car les doses qu’il revendique se situent entièrement dans la gamme divulguée dans ce brevet;

c)                  il était évident qu’une dose unitaire de 1 à 20 mg serait efficace pour traiter la DE et donnerait lieu à un profil d’effets secondaires meilleur que celui du sildénafil;

2.                  La demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Mylan avant l’expiration du brevet canadien n2 371 684 est rejetée;

3.                  La défenderesse Mylan a le droit de recouvrer de la demanderesse ses dépens afférents à la demande; aucuns dépens ne sont adjugés à l’égard de la requête; si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant, la question des dépens peut être soumise par la voie d’un avis de requête;

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur ou à l’encontre du ministre.

« Yves de Montigny »

Juge

 


ANNEXE

1. Une forme posologique unitaire pharmaceutique comprenant environ 1 à environ 20 mg d’un composé dont la formule de constitution est la suivante :

ladite forme posologique unitaire étant administrable par voie orale.

2. La forme posologique de la revendication 1 comprenant environ 2 à environ 20 mg du composé sous forme de dose unitaire.

3. La forme posologique de la revendication 1 comprenant environ 5 à environ 20 mg du composé sous forme de dose unitaire.

4. La forme posologique de la revendication 2 comprenant environ 2,5 mg du composé sous forme de dose unitaire.

5. La forme posologique de la revendication 3 comprenant environ 5 mg du composé sous forme de dose unitaire.

6. La forme posologique de la revendication 3 comprenant environ 10 mg du composé sous forme de dose unitaire.

7. La forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6, où la dose unitaire se présente sous une forme choisie dans le groupe formé d’un liquide, d’un comprimé, d’une capsule et d’une gélule.

8. La forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6, où la dose unitaire se présente sous la forme d’un comprimé.

9. La forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6, en vue du traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait.

10. La forme posologique de la revendication 9, où la dysfonction sexuelle est la dysfonction érectile.

11. La forme posologique de la revendication 9, où la dysfonction sexuelle est un trouble de l’excitation chez la femme.

12. L’utilisation d’une dose unitaire contenant environ 1 à environ 20 mg d’un composé dont la structure est la suivante :

en vue du traitement de la dysfonction sexuelle d’un patient.

13. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 2 à environ 20 mg du composé.

14. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 5 mg du composé.

15. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 10 mg du composé.

16. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 20 mg du composé.

17. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire se présente sous une forme choisie dans le groupe formé d’un liquide, d’un comprimé, d’une capsule et d’une gélule.

18. L’utilisation d’une dose unitaire contenant environ 1 à environ 20 mg d’un composé dont la structure est la suivante :

en vue de la fabrication d’un médicament destiné au traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient qui en a besoin.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-298-13

 

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC. c MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET ICOS CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 20, 21, 22 ET 23 octobre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 2 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Jamie Mills

Adrian Howard

Chantal Saunders

 

pour la demanderesse et la
défenderesse/BREVETÉE

Sana Halwani

Andrew Moeser

Zarya Cynader

 

pour la défenderesse

mylan pharmaceuticals ulc

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

pour la demanderesse et la
défenderesse/BREVETÉE

Gilbert's LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

mylan pharmaceuticals ulc

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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