Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150205


Dossier : IMM-5615-14

Référence : 2015 CF 152

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 5 février 2015

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

EVER ADONAY LUCERO ECHEGOYEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation de présentation d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) de la décision de Lucinda Bruin de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), datée du 7 juillet 2014, selon laquelle la demande de réouverture de la demande d’asile d’Ever Adonay Lucero Echegoyen (le demandeur) est rejetée en vertu de l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012‑256) (les Règles de la SPR).

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Salvador. Il est arrivé au Canada le 4 mars 2009 et a demandé l’asile le même jour.

[3]               En septembre ou octobre 2009, le demandeur a déménagé de sa résidence à Burnaby (Colombie‑Britannique) pour aller vivre dans un appartement à Surrey (Colombie‑Britannique). L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) connaissait la nouvelle adresse du demandeur.

[4]               Le 8 avril 2010, la SPR a envoyé à l’ancienne adresse du demandeur un avis de convocation à une audience, fixée au 21 mai 2010, relativement à sa demande d’asile. Par conséquent, le demandeur n’a pas reçu l’avis de convocation.

[5]               La SPR connaissait l’adresse du demandeur à Surrey depuis mai 2010 parce que l’information lui avait été communiquée par des employés de l’ASFC dans un échange de courriels. Une lettre que la SPR a envoyée au demandeur à son adresse actuelle, concernant un avis de convocation à une audience relative au désistement de sa demande, a été renvoyée à la SPR par Postes Canada le 12 mai 2010, parce que l’adresse était incomplète. Par conséquent, le demandeur ne s’est pas présenté à l’audience, et la SPR a prononcé le désistement de sa demande d’asile le 26 mai 2010. Le demandeur n’a pas non plus reçu l’avis de décision, toujours parce que la SPR n’avait pas inscrit l’adresse au complet sur l’enveloppe.

[6]               Le demandeur a appris la décision de la SPR le 3 juin 2010, lorsqu’il s’est présenté à l’ASFC.

[7]               Monsieur Costantino, qui était alors l’avocat du demandeur, a écrit à la SPR le 6 juillet 2010 pour lui faire savoir que ses services avaient été retenus. Il a indiqué à la SPR qu’il avait l’intention de présenter une demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur. Toutefois, aucune demande de réouverture n’a été reçue de M. Costantino.

[8]               Le demandeur a été arrêté le 24 juillet 2010 et détenu en vue de son extradition jusqu’au 3 mars 2014. Après cette date, le demandeur a été détenu par l’ASFC jusqu’au 5 mai 2014.

[9]               Le 5 juin 2014, M. Huzel, qui est désormais l’avocat du demandeur, a présenté une demande de réouverture de la décision du 26 mai 2010 prononçant le désistement de la demande d’asile.

[10]           La SPR a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur le 9 juillet 2014. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

III.             Décision contestée

[11]           La SPR soutient qu’elle a pris en compte l’article 62 des Règles de la SPR et les Directives no 6 du président de la CISR pour rendre sa décision.

[12]           La SPR explique que la Commission a obtenu de l’ASFC une adresse exacte et à jour concernant le demandeur quelque deux semaines avant la date d’audience fixée au 21 mai 2010. Elle reconnaît que, à cause d’une erreur administrative, les communications de suivi destinées au demandeur ont été envoyées à une adresse incomplète. Le demandeur a toutefois été informé de la situation lorsqu’il s’est présenté à l’AFSC le 3 juin 2010. Le même jour, le demandeur a retenu les services d’un avocat pour présenter une demande de réouverture de sa demande d’asile. Cette procédure a cependant été annulée lorsque le demandeur n’a pas pu acquitter le solde à payer et a été arrêté et détenu pour une question d’extradition.

[13]           Le demandeur s’est par la suite vu refuser les services de la Legal Services Society (la LSS) pendant que l’affaire d’extradition était en instance. La SPR écrit que le demandeur n’a pas demandé avant mai 2014, à la LSS de lui fournir un avocat pour déposer une demande de réouverture, parce qu’il a supposé qu’elle refuserait en raison de la procédure d’extradition. Pour la SPR, cela n’explique pas pourquoi le demandeur n’a pris aucune disposition de sa propre initiative pour présenter une demande de réouverture au cours des quatre années suivant le désistement de sa demande d’asile.

[14]           La SPR souligne le retard du demandeur à présenter la demande de réouverture et invoque l’arrêt Tepordei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 108, pour rejeter la demande du demandeur sur le seul motif du temps écoulé. La demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur est par conséquent rejetée.

IV.             Observations des parties

[15]           Le demandeur soutient que la version de l’article 55 des Règles de la SPR qui était en vigueur de 2006 à 2012 diffère de la version de l’article 62 des Règles qui est aujourd’hui en vigueur étant donné que la justification du retard n’entrait pas en ligne de compte dans les demandes de réouverture. Pour sa part, le défendeur explique que, selon l’article 62 des Règles de la SPR, une demande d’asile ne peut être rouverte que lorsqu’une décision a été rendue de façon injuste ou lorsqu’il y a eu manquement à un principe de la justice naturelle.

[16]           De plus, le demandeur soutient qu’il y a eu manquement implicite de respecter un principe de la justice naturelle parce que la SPR ne l’a pas informé de la date à laquelle l’audience devait se tenir en raison d’une erreur administrative dans son adresse. Le défendeur affirme à cet égard que la SPR n’a pas pris uniquement le retard en considération, mais aussi la justification du retard, pour rendre sa décision.

[17]           Le demandeur soutient aussi que la SPR a commis un manquement en ne tenant pas compte du fait qu’une demande de réouverture d’une demande d’asile doit être accompagnée d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle énonçant les éléments de preuve à prendre en considération. Étant donné que le demandeur n’avait pas les moyens de se payer les services d’un avocat, il ne les avait pas non plus pour faire assermenter un affidavit ou une déclaration solennelle, pendant sa détention, par un avocat ou un notaire public. Pour sa part, le défendeur soutient que le droit à un avocat n’est pas absolu.

[18]           Pour sa part, le demandeur soutient que, pendant sa détention, il lui a été impossible d’obtenir copie du dossier de la SPR et qu’il lui aurait été difficile d’envoyer les documents originaux relatifs à la requête et d’en signifier copie au ministre. Il précise que les Directives no 6 du président de la CISR auxquelles renvoie la SPR ne s’appliquent aucunement aux demandes de réouverture d’une demande d’asile.

V.                Réponse du demandeur

[19]           Dans sa réponse, le demandeur explique que, même si la SPR n’avait pas expressément indiqué qu’il y a eu manquement à un principe de la justice naturelle en ce qui concerne l’envoi des avis à une adresse incomplète à cause d’une erreur administrative, le fait que la SPR ait reconnu qu’elle a obtenu et mis à jour l’adresse du demandeur deux semaines avant la date de l’audience, mais qu’elle n’a pas réussi à informer le demandeur parce qu’elle avait omis d’inscrire son numéro d’appartement sur l’enveloppe suppose un manquement à l’équité dans la procédure. De plus, contrairement à ce que prétend le défendeur dans son mémoire des arguments, il ressort clairement de la décision de la SPR que celle‑ci a refusé la réouverture de la demande d’asile du demandeur uniquement à cause du retard.

VI.             Question en litige

[20]           J’ai examiné les observations des parties et les questions soumises, et j’estime que la question en litige est la suivante :

  • La décision de la SPR de rejeter la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur est‑elle raisonnable?

VII.          Norme de contrôle

[21]           La question énoncée plus haut soulève des questions mixtes de fait et de droit et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Posada Arcila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 210, au paragraphe 15 [Arcila]; De Lourdes Diaz Ordaz Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1185, au paragraphe 3 [Castillo]; Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1270, au paragraphe 21 [Yin]). La Cour ne doit intervenir que si elle conclut que la décision est déraisonnable et n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 2008 ACS no 9, au paragraphe 47).

VIII.       Analyse

[22]           Le premier argument du demandeur concerne la différence entre l’article 55 des Règles de la SPR, qui était en vigueur de 2006 à 2012, et l’article 62, qui est en vigueur depuis 2012. Le demandeur n’a jamais soutenu devant la SPR que l’article 55 s’appliquait à son cas, mais, plutôt, que l’article 62 s’appliquait (RD, page 44, paragraphe 14, et page 47, paragraphe 23). Il n’est par conséquent pas nécessaire d’examiner cet argument dans le présent contrôle judiciaire.

[23]           Cela dit, je conviens avec le demandeur que la SPR a rendu une décision déraisonnable lorsqu’elle a refusé de rouvrir sa demande d’asile. Les démarches entreprises par le demandeur montrent que celui‑ci avait toujours l’intention de faire rouvrir sa demande d’asile. Il a fourni des éléments de preuve à l’égard des trois avis qu’il a envoyés à la SPR concernant son changement d’adresse. De plus, il a précisé dans son affidavit qu’il prétend qu’il a communiqué à la SPR sa nouvelle adresse à Surrey (RD, pages 25 à 27). Sa crédibilité n’est pas en cause. Le demandeur n’a jamais reçu l’avis d’audience sur le désistement parce qu’il avait été envoyé à la mauvaise adresse à cause d’une erreur administrative, ce qui a eu pour conséquence le prononcé du désistement de sa demande d’asile. Dans les deux semaines après avoir appris la décision de la SPR prononçant le désistement de sa demande d’asile, le 3 juin 2010, lorsqu’il s’est rapporté à l’ASFC, le demandeur a retenu les services d’un avocat pour déposer une demande de réouverture. Le demandeur a toutefois été arrêté le 24 juillet 2010 et détenu jusqu’au 3 mars 2014 en vue de son extradition . Après cette date, le demandeur a été détenu par l’ASFC jusqu’au 5 mai 2014. Il explique que, à cause de son arrestation, de sa détention jusqu’au 3 mars 2014 en vue de son extradition et du refus de la LSS de lui fournir un avocat, il n’a produit et signifié la requête en réouverture de sa demande d’asile que le 27 juin 2014 (RD, pages 12 et 13, aux paragraphes 11 à 13). Par conséquent, le demandeur a pris des dispositions en vue de la réouverture de son dossier dès sa remise en liberté.

[24]           Par conséquent, cette série d’événements, combinés avec les dispositions prises par le demandeur, montre que celui‑ci a toujours eu l’intention de faire rouvrir sa demande d’asile, et il a fourni une explication raisonnable pour avoir tardé à présenter sa demande; des événements indépendants de sa volonté l’ont empêché de demander la réouverture de sa demande d’asile plus tôt. On a soutenu, comme la SPR l’a écrit dans sa décision, que le demandeur aurait pu produire sa demande de réouverture en son propre nom et que le droit à un avocat, dans les procédures relevant de la SPR, n’est pas absolu. Il était toutefois déraisonnable d’imposer au demandeur le fardeau de présenter une demande de réouverture de sa demande d’asile en son propre nom, pendant qu’il faisait l’objet de procédures d’extradition. En fait, il ne parle pas l’anglais, doit recourir aux services d’interprètes et ne connaît pas nos lois sur l’immigration. À la lumière de ces circonstances exceptionnelles, le fait de s’attendre à ce que le demandeur se renseigne auprès de la SPR, pendant sa détention, sur la marche à suivre pour demander la réouverture de sa demande d’asile était déraisonnable. Le demandeur s’est bel et bien adressé à la LSS pendant sa détention, mais ses services lui ont été refusés à cause des procédures d’extradition en instance. Dès qu’il a pu obtenir l’aide juridique, il a produit sa demande en réouverture par l’intermédiaire d’un avocat. Du 3 juin 2010 au 5 juin 2014, le demandeur a manifesté une intention claire de déposer une demande de réouverture. Il ne l’a pas fait en son propre nom. Il avait besoin d’un avocat

[25]           De plus, contrairement aux faits propres à l’arrêt Tepordei précité, auquel la SPR a renvoyé pour rejeter la demande en réouverture du demandeur pour le seul motif du temps écoulé, le demandeur a entrepris ses premières démarches pour la réouverture de son dossier deux semaines après avoir été informé de la décision prononçant le désistement du 26 mai 2010 et, par la suite, en juin 2014, dès que la LSS lui a apporté son aide. Dans l’arrêt Tepordei, les demandeurs ont produit leur demande en réouverture des demandes d’asile seulement après s’être fait signifier une directive leur enjoignant de se présenter en vue de leur renvoi, deux ans après le rejet de leur demande de contrôle judiciaire de la décision relative à leur demande d’asile. Les faits dans l’arrêt Tepordei rendent cette décision inapplicable au cas du demandeur. L’intervention de la Cour est justifiée.

IX.             Conclusion

[26]           La décision de la SPR est déraisonnable. Aucune question de portée générale n’a été proposée et, par conséquent, aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision de Lucinda Bruin, datée du 7 juillet 2014, est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5615-14

INTITULÉ :

EVER ADONAY LUCERO ECHEGOYEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (cOLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 FÉVRIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NOËL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Adrian D. Huzel

POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Huzel Immigration Law

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.