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Date : 20150819


Dossier : IMM-3539-14

Référence : 2015 CF 122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2015

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

CHAKHAN KIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

(Motifs prononcés oralement le 28 janvier 2015)

[1]               Dans une décision datée du 27 mars 2014 [la décision], un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, concluant (i) que la demanderesse et son époux étaient interdits de territoire pour une période de deux ans parce qu’ils avaient fait des présentations erronées sur un fait important; et (ii) que, puisque l’époux de la demanderesse avait été jugé interdit de territoire pour criminalité, la demanderesse et son époux était tous les deux interdits de territoire de façon permanente. La présente demande de contrôle judiciaire de la décision a été présentée en application du par. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

I.                   Le contexte

[2]               L’époux de la demanderesse a fait l’objet de deux déclarations de culpabilité en Corée du Sud [les déclarations de culpabilité] :

le 19 décembre 1988 :       déclaré coupable d’avoir renversé une voiture par négligence professionnelle [la première déclaration de culpabilité] et condamné à une amende de 200 000 wons, sous le régime des articles 189 et 187, et 69 et 70 de la Criminal Act de la Corée du Sud.

le 20 novembre 1998 :       déclaré coupable d’avoir conduit avec un permis suspendu [la deuxième déclaration de culpabilité] et condamné à une amende de 500 000 wons sous le régime des articles 40 et 109 de la Road Traffic Act, et des articles 69 et 70 de la Criminal Act.

[3]               Toutefois, dans leur demande de résidence permanente, la demanderesse principale et son époux ont répondu par la négative aux questions relatives à leurs antécédents judiciaires [la non‑divulgation].

[4]               La demanderesse a fourni à l’agent des visas de Los Angeles un certificat de police de la Corée du Sud qui faisait état des déclarations de culpabilité. Par la suite, le 6 janvier 2014, l’agent a envoyé un courriel à la demanderesse pour lui demander des documents concernant les déclarations de culpabilité et une explication quant à la non‑divulgation [la lettre d’équité]. Voici les passages pertinents de la lettre d’équité :

[traduction]

Madame,

La présente porte sur votre demande de résidence permanente au Canada. Après examen de votre dossier, il a été déterminé que vous devez fournir les documents suivants concernant Sewoon Choi :

1. Une explication quant à l’omission indiquer, dans votre demande d’immigration, l’existence des déclarations de culpabilité énumérées dans le relevé des antécédents judiciaires de la Corée.

2. Des documents judiciaires indiquant clairement tous les chefs d’accusation, les verdicts prononcés et les peines infligées.

3. Des documents officiels indiquant clairement la date à laquelle chacune des peines imposées avait pris fin.

4. Un exemplaire de la loi de la Corée du Sud (dans sa version actuelle) en vertu de laquelle avaient été prononcées les accusations et les déclarations de culpabilité.

5. Une explication écrite détaillée des circonstances entourant la perpétration des infractions.

[5]               La demanderesse a fourni en réponse une brève explication quant à la non‑divulgation, selon laquelle les déclarations de culpabilité étaient devenues caduques. La demanderesse a également indiqué qu’elle et son époux avaient répondu incorrectement aux questions en raison d’une mauvaise compréhension.

II.                La décision contestée

[6]               L’agent a examiné les déclarations de culpabilité et s’est demandé s’il y avait l’équivalent au Canada des infractions prévues en droit coréen. Dans le cadre de son analyse, l’agent a comparé les infractions et a établi que les infractions prévues en droit coréen correspondaient aux infractions prévues aux paragraphes 249(1) et (4) du Code criminel du Canada, LRC, 1985, c C‑46 [le Code criminel]. L’agent a donc conclu que, dans ces circonstances, l’époux de la demanderesse était interdit de territoire pour criminalité, au titre de l’alinéa 36(2)b) de la LIPR. L’agent a également conclu que la demanderesse et son époux avaient fait des présentations erronées sur le casier judiciaire de ce dernier en omettant de mentionner les déclarations de culpabilité.

III.             Les questions en litige

[7]               Il y a trois questions en litige. La première porte sur l’équité procédurale, la deuxième consiste à savoir si l’analyse de l’équivalence était raisonnable et la troisième si l’agent aurait dû conclure que l’époux de la demanderesse était une personne présumée réadaptée.

A.                L’équité procédurale

[8]               Selon la demanderesse, l’agent était tenu de préciser dans la lettre d’équité que la non‑divulgation et les déclarations de culpabilité pouvaient emporter interdiction de territoire si les préoccupations qui subsistaient à ce sujet n’étaient pas dissipées. En d’autres termes, la demanderesse reproche à l’agent de ne l’avoir pas informée de la gravité possible des conséquences que pouvaient entraîner ses préoccupations. Par contre, le défendeur fait valoir que, puisque l’agent a informé la demanderesse de ses préoccupations et lui a donné l’occasion d’expliquer la non‑divulgation, les exigences en matière d’équité procédurale avaient été respectées.

[9]               Étant donné que l’obligation d’équité procédurale dans ce contexte était faible (voir Obeta c Canada (MCI), 2012 CF 1542, au paragraphe 15, et Wang c Canada (MCI), 2006 CF 1298, au paragraphe 20), j’estime que, dans le cadre d’une demande d’admission au Canada, l’agent n’était pas tenu de préciser que ses préoccupations pouvaient entraîner l’interdiction de territoire. Au vu des faits de l’espèce, il aurait été manifeste pour la demanderesse que l’existence de préoccupations pouvait avoir des conséquences sur son admissibilité au Canada. Pour tous ces motifs, je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

B.                 Le caractère raisonnable de l’analyse de l’équivalence

[10]           En ce qui concerne la première déclaration de culpabilité, l’agent a établi une équivalence entre l’article 187 de la Criminal Act de la Corée du Sud et l’article 249(1) du Code criminel. Voici le libellé de ces dispositions :

[traduction]

Article 187 – Quiconque renverse, écrase, détruit un train, un tramway, un véhicule routier, un bateau ou un aéronef, avec des personnes à bord, ou cause son ensevelissement, est passible d’un emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de trois ans.

249. (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

249. (1) Every one commits an offence who operates

(a) a motor vehicle in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature, condition and use of the place at which the motor vehicle is being operated and the amount of traffic that at the time is or might reasonably be expected to be at that place;

[11]           Pour ce qui est de la deuxième déclaration de culpabilité, il ressort de ses notes que l’agent a établi une équivalence entre l’article 40 de la Road Traffic Act de la Corée du Sud et le paragraphe 249(4) du Code criminel. Or, il s’agit d’une erreur typographique. Il est évident que l’agent avait l’intention de mentionner le paragraphe 259(4) du Code criminel. Ces dispositions prévoient ce qui suit :

[traduction]

Article 40 – Il est interdit de conduire une automobile ou un autre véhicule sans détenir un permis de conduire délivré par le chef d’un service de police régional (y compris lorsque le permis de conduire est suspendu), en application de l’article 68.

259. (4) À moins d’être inscrit à un programme d’utilisation d’antidémarreurs avec éthylomètre institué sous le régime juridique de la province où il réside et d’en respecter les conditions, quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire au Canada pendant qu’il lui est interdit de le faire est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

259. (4) Every offender who operates a motor vehicle, vessel or aircraft or any railway equipment in Canada while disqualified from doing so, other than an offender who is registered in an alcohol ignition interlock device program established under the law of the province in which the offender resides and who complies with the conditions of the program,

(a) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

(b) is guilty of an offence punishable on summary conviction.

[12]           Il convient de souligner que les infractions prévues au Code criminel sont mixtes, en ce sens qu’elles sont punissables par mise en accusation ou par procédure sommaire. Or, suivant l’alinéa 36(3)a) de la LIPR, les infractions de cette nature sont assimilées aux infractions punissables par mise en accusation. En voici le libellé :

36. (3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

36. (3) The following provisions govern subsections

(1) and (2):

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;

[13]           Les notes de l’agent montrent qu’il a examiné les éléments de chacune des infractions. À mon avis, l’analyse de l’agent correspond au premier volet de la méthode énoncée dans l’arrêt Hill c Canada (MEI) (1987), 73 NR 315, à la page 320, où la Cour d’appel fédérale affirmait que l’équivalence entre les infractions peut être établie de trois manières :

[...] tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[14]           Enfin, la demanderesse affirme qu’il était nécessaire de présenter une preuve d’expert, mais à mon avis, tel n’est pas le cas en l’espèce. Le libellé des lois de la Corée du Sud est clair. L’avocat de la demanderesse n’a pu indiquer aucun énoncé nécessitant une preuve d’expert.

C.                 La réadaptation présumée

[15]           La demanderesse affirme que son époux est une personne présumée réadaptée et que la décision est déraisonnable au motif que l’agent n’a pas examiné cette question. La conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité se fonde sur l’alinéa 36(2)b) de al LIPR, dont voici le libellé :

36. (2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

36. (2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

[16]           En l’espèce, c’est la deuxième partie de cette disposition qui s’applique étant donné que l’époux de la demanderesse a été déclaré coupable, en Corée du Sud, de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions au Code criminel.

[17]           L’alinéa 36(3)c) de la LIPR porte sur la réadaptation présumée et prévoit ce qui suit :

36. (3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

36. (3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

(c) the matters referred to in paragraphs (1) (b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

[18]           L’article 18 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, définit la catégorie des personnes présumées réadaptées. Voici les dispositions visant les personnes déclarées coupables, à l’extérieur du Canada :

18. (2) Font partie de la catégorie des personnes présumées réadaptées les personnes suivantes :

a) la personne déclarée coupable, à l’extérieur du Canada, d’au plus une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation si les conditions suivantes sont réunies :

[...]

b) la personne déclarée coupable, à l’extérieur du Canada, de deux infractions ou plus qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à une loi fédérale punissables par procédure sommaire si les conditions suivantes sont réunies :

[...]

18. (2) The following persons are members of the class of persons deemed to have been rehabilitated:

(a) persons who have been convicted outside Canada of no more than one offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, if all of the following conditions apply, namely,

[...]

(b) persons convicted outside Canada of two or more offences that, if committed in Canada, would constitute summary conviction offences under any Act of Parliament, if all of the following conditions apply, namely,

[...]

[19]           Compte tenu de ces dispositions, j’estime que, puisque l’époux de la demanderesse ne satisfaisait pas au critère de l’article 18, du fait qu’il avait été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, de deux infractions punissables par mise en accusation, l’agent n’était pas tenu de déterminer si celui‑ci était une personne présumée réadaptée.

[20]           Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée.

IV.             Question certifiée

[21]           Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3539-14

 

INTITULÉ :

CHAKHAN KIM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 28 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AOÛT 2015

COMPARUTIONS :

Leonides F. Tungohan

POUR LA DEMANDERESSE

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Learlaw Tungohan & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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