Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150129


Dossier : IMM-1261-14

Référence : 2015 CF 113

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 29 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Locke

Entre :

NAJMA JALIL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I.                   La nature du litige

[1]               La demanderesse (Najma Jalil) demande le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) d’une agente des visas (l’agente) rejetant sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des candidats des provinces, au sens de l’article 87 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR). Bien que la demanderesse fût candidate (de la province de la Saskatchewan), l’agente n’était pas convaincue qu’elle serait capable de s’établir sur le plan économique au Canada, au sens de l’article 87 du RIPR. En particulier, l’agente était d’avis que la demanderesse n’avait pas les compétences linguistiques nécessaires. Conformément au paragraphe 87(3), l’agente a substitué son appréciation au critère portant sur la probabilité que la demanderesse réussisse à s’établir sur le plan économique au Canada.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision doit être maintenue et que la demande doit être rejetée.

II.                Les questions en litige

[3]               La demanderesse soulève trois questions :

1.      L’agente s’est-elle conformée à l’obligation de consulter le gouvernement provincial avant de refuser le visa, comme le prévoit le paragraphe 87(3) du RIPR?

2.      L’agente a-t-elle mal interprété le critère de l’établissement sur le plan économique au Canada en exigeant que la demanderesse montre qu’elle réussirait à s’établir sur le plan économique immédiatement, plutôt que dans un délai raisonnable?

3.      La décision de l’agente était-elle déraisonnable au vu de la preuve?

III.             Analyse

[4]               Dans mon examen de l’affaire, j’ai l’avantage de pouvoir me fonder sur une décision récente du juge Russell, dans laquelle des questions similaires étaient en litige dans une affaire où les faits sont semblables à ceux en l’espèce : Ijaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 920 (Ijaz). Dans la mesure où les faits en l’espèce sont les mêmes que dans la décision Ijaz, je souscris aux conclusions du juge Russell.

A.                La norme de contrôle

[5]               En ce qui a trait à la première question, l’obligation de consulter la province est une question d’équité procédurale et la norme de la décision correcte s’applique (Ijaz, au paragraphe 15).

[6]               Les deux autres questions reposent sur l’appréciation des faits et c’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Ijaz, au paragraphe 18).

B.                 Question 1 : l’obligation de consulter la province

[7]               Le défendeur soutient qu’il s’est acquitté de son obligation de consulter la province en envoyant une copie de courtoisie de la lettre de [traduction] « pré‑refus » de l’agente (qui avisait la demanderesse des préoccupations de l’agente). En l’absence de réponse de la province, l’agente a conclu que celle-ci n’avait aucun commentaire à formuler.

[8]               La demanderesse note que rien ne prouve que la province a réellement reçu la lettre. En effet, aucune réponse n’a été formulée. La demanderesse note aussi que rien ne prouve que la copie de la lettre a réellement été envoyée, sauf une mention au bas de la lettre même et des notes qui se trouvent dans la base de données du défendeur. La demanderesse propose que, comme le défendeur n’a fourni aucun élément de preuve à ce sujet, je devrais conclure que la copie de courtoisie n’a pas été envoyée. Comme le juge Russell l’a fait dans la décision Ijaz (au paragraphe 49) je refuse de tirer une telle conclusion. Rien ne donne à penser que la province n’a pas reçu la lettre et la preuve laisse entendre que la lettre a bel et bien été envoyée. La décision dans l’affaire Ijaz mentionne aussi des décisions précédentes dans lesquelles il a été satisfait à l’obligation de consulter la province simplement en envoyant une copie de courtoisie de la lettre de pré‑refus (ou de la lettre d’équité) : Hui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1098, et Bhamra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 239.

[9]               Par conséquent, je conclus que le défendeur s’est acquitté de son obligation de consulter la province avant de rejeter la demande de résidence permanente de la demanderesse.

C.                 Question 2 : l’exigence de s’établir sur le plan économique au Canada

[10]           La demanderesse soutient qu’en mettant l’importance sur ses compétences linguistiques limitées au moment de la décision et sur les exigences en matière linguistique de sa profession visée (enseignante), l’agente a, de façon erronée, exigé que la demanderesse s’établisse immédiatement sur le plan économique au Canada. La demanderesse soutient qu’il est suffisant qu’elle montre qu’elle parviendra à s’établir sur le plan économique au Canada dans un délai raisonnable. Elle fait valoir qu’elle a clairement précisé à l’agente qu’elle ne s’attendait pas à devenir une enseignante immédiatement et qu’elle avait l’intention d’occuper d’autres emplois et d’améliorer ses compétences linguistiques tout en se qualifiant pour enseigner en Saskatchewan.

[11]           Le défendeur note que la demanderesse n’a fourni aucune preuve au sujet du délai dont elle aurait besoin pour s’établir sur le plan économique au Canada ; elle n’a pas non plus précisé qu’elle avait reçu, ou même cherché à obtenir, une offre d’emploi au Canada. L’agente était par conséquent incapable d’apprécier si le temps nécessaire pour que la demanderesse s’établisse sur le plan économique au Canada serait raisonnable. Le défendeur soutient aussi que la question de savoir si un demandeur réussira à s’établir sur le plan économique est un domaine dans lequel les agents d’immigration ont beaucoup d’expérience et d’expertise. Cela justifie qu’on fasse preuve de déférence envers la décision de l’agente.

[12]           Je suis du même avis que le défendeur à ce sujet. L’extrait suivant du juge Russell dans la décision Ijaz, au paragraphe 52, s’applique également en l’espèce :

L’agent n’insiste pas sur l’établissement économique immédiat, mais tente de voir comment la demanderesse pourrait [traduction] « parvenir à réussir son établissement économique » avec le temps, et non si elle sera autonome sur le plan économique à son arrivée. […] Le mot [traduction] « parvenir » signifie manifestement que l’établissement sur le plan économique ne doit pas obligatoirement se réaliser dans l’immédiat, mais qu’il peut être atteint avec le temps.

[13]           Par conséquent, je suis convaincu que l’agente a compris et a raisonnablement appliqué les exigences en ce qui a trait à l’établissement sur le plan économique au Canada.

D.                Question 3 : le caractère raisonnable de la décision

[14]           La demanderesse a présenté plusieurs arguments à l’appui de son allégation selon laquelle la décision était déraisonnable. Certains arguments sont répétitifs et se recoupent, mais je les ai résumés ainsi :

1.      L’agente a omis de tenir compte des facteurs établis dans la décision Wai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 780, au paragraphe 44 (Wai), pour déterminer la probabilité de s’établir sur le plan économique : « l’âge, l’instruction, les qualités, l’expérience professionnelle antérieure, les avis de la province, ainsi que la motivation et l’esprit d’initiative. »

2.      L’agente s’est fondée de façon déraisonnable sur sa propre évaluation des compétences linguistiques de la demanderesse.

3.      L’agente a déraisonnablement mis l’importance sur la profession envisagée de la demanderesse lorsqu’elle a examiné sa capacité de s’établir sur le plan économique au Canada.

4.      L’agente n’était pas en position de conclure que la demanderesse n’était pas apte à travailler au Canada à titre d’enseignante.

5.      L’agente a agi de façon déraisonnable lorsqu’elle a conclu que les compétences linguistiques de la demanderesse étaient insuffisantes, malgré le fait que la demanderesse avait démontré que ses compétences linguistiques dépassaient le seuil minimal recommandé par la province de la Saskatchewan afin de réussir dans la majorité des emplois.

[15]           En ce qui a trait aux facteurs établis dans la décision Wai, je ne suis pas convaincu que l’agente n’en a pas tenu compte au point où la décision aurait été différente si ces facteurs avaient été examinés en détail. L’agente était principalement préoccupée par les compétences linguistiques limitées de la demanderesse et l’absence de détails au sujet de ses plans pour se trouver un emploi et se qualifier au Canada dans sa profession envisagée. Je ne vois aucun motif de conclure que l’agente n’a pas examiné si d’autres facteurs l’emportaient sur ses préoccupations importantes. L’absence de mention de ces autres facteurs dans la décision ne signifie pas que l’agente n’en a pas tenu compte. La demanderesse avait le fardeau de prouver que les autres facteurs l’emportaient sur les lacunes citées. De plus, la demanderesse a le fardeau d’établir que l’agente n’a pas correctement tenu compte de ces autres facteurs. Je ne suis pas convaincu qu’elle se soit acquittée de l’un ou l’autre fardeau.

[16]           En ce qui a trait au deuxième point ci-dessus, je suis convaincu que l’agente possède l’expérience et l’expertise nécessaire pour tirer la conclusion de savoir si les résultats de l’examen fourni par la demanderesse montraient qu’elle avait les compétences linguistiques nécessaires pour s’établir sur le plan économique au Canada. Il était raisonnable pour l’agente de conclure que pour travailler dans sa profession envisagée, et même pour se qualifier dans cette profession, la demanderesse aurait besoin de compétences linguistiques supérieures à celles qu’elle avait pu démontrer.

[17]           Les notes électroniques de l’agente au sujet de la demanderesse montrent que la proposition de la demanderesse de reprendre l’examen linguistique afin d’améliorer ses résultats n’a pas eu de suivi et l’agente sous-entend [traduction] « qu’elle n’a peut-être pas compris le contenu de la lettre [de pré-refus] – ce qui renforce les préoccupations au sujet de ses compétences linguistiques en anglais ». Ce raisonnement semble erroné et déraisonnable. Cependant, il n’a pas été mentionné dans la décision et je ne crois pas qu’il s’agissait d’un élément important qui a motivé la décision.

[18]           Le troisième argument soulevé par la demanderesse dans le but de prouver que la décision était déraisonnable est que l’agente aurait donné trop d’importance à la profession envisagée de la demanderesse. À mon avis, la décision était raisonnable à ce sujet parce que c’est dans cette profession envisagée que la demanderesse a déclaré qu’elle prévoyait s’établir sur le plan économique. Les autres emplois qu’elle a mentionnés (p. ex. Tim Hortons ou McDonalds) visaient simplement à financer ses efforts de se qualifier au Canada. Il ne semble pas que la demanderesse ait prévu de s’établir sur le plan économique grâce à ces autres emplois.

[19]           Le quatrième argument de la demanderesse à l’appui de l’allégation de déraisonnabilité de la décision est que l’agente n’était pas en position de conclure que la demanderesse n’était pas apte à travailler au Canada à titre d’enseignante. Une fois de plus, la question porte sur les compétences linguistiques de la demanderesse pour travailler ou se qualifier comme enseignante. Il semble que les parties s’entendent sur le fait que l’expérience à l’étranger de la demanderesse est telle qu’elle doit se qualifier si elle veut travailler comme enseignante au Canada. Par conséquent, je ne peux pas souscrire à l’argument de la demanderesse.

[20]           Enfin, la demanderesse soutient que l’agente a déraisonnablement conclu que ses compétences linguistiques étaient insuffisantes. La demanderesse fait valoir que ses compétences linguistiques dépassaient le minimum recommandé par la province de la Saskatchewan pour réussir dans la majorité des emplois. Quant à lui, le défendeur soutient que l’agente pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse avait besoin de plus que les compétences linguistiques minimales pour s’établir sur le plan économique au Canada. Le défendeur note que le fait de satisfaire à l’exigence minimale a simplement permis d’éviter que la candidature de la demanderesse soit rejetée dès le départ. Comme il l’a déjà été mentionné, l’agente avait l’expérience et l’expertise nécessaires pour apprécier les exigences de l’établissement sur le plan économique au Canada.

[21]           À mon avis, le passage suivant de la décision Ijaz, au paragraphe 63 s’applique (pour l’essentiel) à l’affaire en l’espèce :

Somme toute, la demanderesse n’avait pas de plan en vue de poursuivre une carrière d’enseignante, elle n’avait pas fourni l’offre d’emploi pour un poste de caissière, et elle n’avait qu’une connaissance modeste de l’anglais. Il n’est pas difficile de voir pourquoi l’agent avait des réserves vu le fait que la demanderesse n’avait pas montré de quelle façon elle réussirait son établissement économique si elle venait au Canada.

IV.             Conclusion

[22]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la demande doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1261-14

 

INTITULÉ :

NAJMA JALIL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Haidah Amirzadeh

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marcia Jackson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amirzadeh Law Office

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.