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Date : 20150203


Dossier : IMM-6996-13

Référence : 2015 CF 137

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

JINFENG ZHUANG

(alias JINFENG ZHUANG)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Survol

[1]               M. Jinfeng Zhuang a présenté une demande d’asile au Canada fondée sur sa crainte d’être persécuté pour des motifs d’ordre religieux en Chine. Il a allégué que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente dans la maison‑église qu’il fréquentait en juin 2008. Le BSP l’aurait arrêté, interrogé, détenu et battu; le demandeur a été remis en liberté uniquement après avoir payé une amende. M. Zhuang soutient qu’il a fréquenté une autre maison‑église pendant quelque temps par la suite et que celle‑ci a aussi fait l’objet d’une descente par le BSP. Bien qu’il ait réussi à fuir la Chine et à se diriger au Canada, il craint d’être persécuté s’il retourne en Chine.

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de M. Zhuang en raison du manque d’éléments de preuve crédibles. M. Zhuang soutient que les inférences défavorables tirées par la Commission en ce qui a trait à la crédibilité n’étaient pas étayées par la preuve et que par conséquent, ses conclusions étaient déraisonnables. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal de la Commission de réexaminer sa demande.

[3]               Je conviens que la décision de la Commission était déraisonnable. Plusieurs des inférences défavorables en matière de crédibilité n’étaient pas appuyées par la preuve dont le tribunal disposait. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]               La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                La décision de la Commission

[5]               La Commission a résumé le récit des faits de M. Zhuang. Il a allégué qu’il recherchait une église chrétienne, en raison de sa dépression suivant l’expropriation des terres familiales. Il s’est présenté à l’église en juin 2008, et il a fui la Chine en direction des États­Unis cette année‑là. Cependant, la Commission n’a relevé aucune preuve démontrant que M. Zhuang était bel et bien en Chine au cours de cette période.

[6]               M. Zhuang s’est caché après que le BSP eut effectué une descente dans l’église qu’il fréquentait le 29 juin 2008. M. Zhuang a allégué que le BSP s’était présenté à son domicile en vue de le trouver, mais la Commission était préoccupée du fait qu’il n’a pu expliquer pourquoi le BSP savait qu’il était à l’église ce jour‑là. De plus, le dossier d’emploi de M. Zhuang relevait qu’il travaillait pour la société Internet de son oncle d’août 2007 à août 2008, ce qui, selon la Commission, était contraire à son allégation selon laquelle il se cachait du BSP.

[7]               La Commission a aussi tiré une référence défavorable du fait que M. Zhuang n’a pas produit le mandat d’arrêt que, selon lui, le BSP aurait montré à ses parents. La Commission doutait, en l’absence de quelque preuve corroborante que ce soit, que M. Zhuang était réellement recherché par le BSP.

[8]               La Commission a aussi fait remarquer que, lorsque M. Zhuang est arrivé aux États­Unis, on lui a demandé pourquoi il avait quitté la Chine. Il avait répondu qu’il voulait travailler à New York; il n’a pas fait mention du fait qu’il était recherché par le BSP.

[9]               M. Zhuang a demandé l’asile aux États­Unis, mais il n’y est pas resté assez longtemps pour qu’une décision soit rendue quant à sa demande. Il a plutôt voyagé au Canada en vue d’y présenter une demande d’asile. Étant donné que M. Zhuang a été baptisé et qu’il fréquentait l’église aux États­Unis, sa décision de ne pas poursuivre sa demande d’asile dans ce pays a fait en sorte que la Commission s’est questionnée sur l’authenticité de sa demande d’asile.

[10]           En dernier lieu, la Commission avait des doutes quant au fait que M. Zhuang était réellement un chrétien.

[11]           Compte tenu de ces préoccupations, la Commission a conclu que la demande d’asile de M. Zhuang n’était pas crédible.

III.             La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

[12]           Le ministre concède que certaines des conclusions tirées par la Commission sont douteuses, mais il prétend que la conclusion définitive de la Commission peut être confirmée, car elle repose sur bon nombre d’inférences valides.

[13]           Je ne souscris pas à cette prétention. Je conclus que la plupart des inférences tirées par la Commission en matière de crédibilité ne sont pas étayées par la preuve.

[14]           Comme il a été mentionné, la Commission n’a aucune preuve quant à la question de savoir si M. Zhuang était bel et bien en Chine entre juin et août 2008. Cependant, la preuve au dossier renfermait deux éléments démontrant qu’il était présent en Chine en juin 2008. La Commission n’en a pas fait mention et elle n’a pas expliqué pourquoi cet élément de preuve n’était pas satisfaisant.

[15]           La Commission a reproché à M. Zhuang de ne pas avoir expliqué comment le BSP avait su qu’il était à la maison‑église le 29 juin 2008. Toutefois, dans son témoignage devant la Commission, M. Zhuang a déclaré que les membres du BSP qui avaient visité ses parents leur avaient mentionné qu’ils avaient suivi M. Zhuang à l’église. La Commission n’a pas abordé cette explication dans sa décision.

[16]           Selon les documents présentés par M. Zhuang, il avait travaillé pour son oncle d’août 2007 jusqu’à août 2008. La Commission a conclu que cette preuve contredisait l’allégation de M. Zhuang selon laquelle il se cachait du BSP à compter de juin 2008. Cependant, M. Zhuang vivait en fait chez son oncle à ce moment‑là : il n’est pas invraisemblable qu’il ait pu continuer à travailler alors qu’il résidait chez son oncle.

[17]           La Commission a reproché à M. Zhuang de ne pas avoir produit au dossier un mandat d’arrestation pour corroborer son récit. Il a mentionné que le BSP avait montré à ses parents un mandat en 2009, mais l’organisme ne leur en avait pas donné une copie. On ne sait pas trop comment M. Zhuang ou des parents auraient pu obtenir une copie de ce document.

[18]           Il est vrai que, lorsque M. Zhuang était arrivé aux États­Unis, on lui avait demandé pourquoi il avait quitté la Chine et qu’il avait répondu qu’il voulait travailler à New York. Cependant, il a aussi énoncé qu’il était effrayé à l’idée de retourner en Chine et qu’on lui causerait du tort s’il devait y retourner. La Commission n’a pas fait mention de ces déclarations.

[19]           M. Zhuang a expliqué qu’il n’était pas resté aux États­Unis pour poursuivre sa demande d’asile, parce qu’on lui avait dit qu’il serait arrêté si sa demande devait être rejetée. De plus, on lui a mentionné que ses probabilités de succès étaient plus élevées au Canada. La Commission n’a pas fait mention de ses explications.

[20]           Je conclus, à la lumière de ces conclusions dans leur ensemble, que les inférences défavorables tirées par la Commission en matière de crédibilité ont été formées sans regard à la preuve dont elle disposait. Par conséquent, sa conclusion finale était déraisonnable.

IV.             Conclusion et décision

[21]           La conclusion de la Commission selon laquelle la demande d’asile de M. Zhuang n’était pas étayée par une preuve crédible ne constituait pas une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle était déraisonnable. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner à un autre tribunal de la Commission de réexaminer sa demande d’asile. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à des fins de certification, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

2.                            Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6996-13

 

INTITULÉ :

JINFENG ZHUANG (alias JINFENG ZHUANG) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JANVIER 2015

 

jUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTION :

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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