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Date : 20150121


Dossier : IMM‑8294‑14

Référence : 2015 CF 79

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

ZHENHUA WANG et CHUNXIANG YAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PHELAN

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration [SI ou commissaire] de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés datée du 11 décembre 2014 dans laquelle la commissaire ordonnait le maintien en détention des demandeurs.

[2]               La décision relative à la présente demande de contrôle judiciaire est particulièrement urgente puisque le contrôle des motifs de détention est prévu pour le vendredi 23 janvier 2015, ce qui pourrait rendre théorique la décision du 11 décembre 2014. La Cour a pris les mesures nécessaires pour que la présente affaire soit examinée rapidement de façon à éviter qu’elle devienne théorique. Un dossier qui concerne une personne en détention à la suite d’une décision qui n’est pas définitive doit faire l’objet d’un examen approfondi, mais rapide. Les motifs de la présente décision sont nécessairement brefs.

II.                Bref aperçu

[3]               Les demandeurs sont des citoyens chinois ainsi que des citoyens de la République dominicaine. Ils sont entrés au Canada en septembre 2012 avec des visas de résident temporaire. [RT]. Ils disposent de moyens financiers importants au Canada et ils avaient l’intention de demander la résidence permanente dans le cadre du programme des candidats des provinces.

[4]               En novembre 2013, l’ASFC a reçu des renseignements indiquant que Mme Yan possédait plusieurs identités et que M. Wang était un fugitif recherché par la justice en Chine parce qu’il était accusé d’avoir mis sur pied une opération pyramidale et de commercialisation multi‑niveaux. Il est allégué qu’il a fraudé environ 60 000 personnes qui ont perdu 180 000 000 $ en devises canadiennes.

[5]               Les demandeurs ont donc été détenus par le ministre défendeur. Ils sont détenus depuis le 7 mars 2014.

[6]               Les demandeurs ont été détenus au départ en vertu de l’article 55 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], pour le motif qu’ils se soustrairont vraisemblablement à l’enquête au sens des alinéas 58(1)b) et c), étant donné que le ministre poursuit son enquête sur les allégations de criminalité en Chine comme il est prévu à l’alinéa 58(1)c). La SI a décidé à six reprises de les maintenir en détention jusqu’à aujourd’hui.

[7]               Le ministre a préparé des rapports aux termes de l’article 44 de la LIPR indiquant que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada pour fausses déclarations. Les rapports ont été transmis à la SI aux fins de l’enquête.

[8]               Le contrôle des motifs de détention du 27 mai 2014 était uniquement fondé sur le risque de fuite en raison de l’application de l’alinéa 58(1)c) de la LIPR.

[9]               En juin 2014, les demandeurs ont présenté des demandes d’asile.

[10]           Les demandes d’asile ont eu pour effet de transformer les mesures de renvoi en mesures d’interdiction de séjour conditionnelles. Les demandeurs ont été maintenus en détention pour le motif que le risque de fuite subsistait et que le plan de mise en liberté proposé n’était pas satisfaisant.

[11]           L’ordonnance de détention examinée en l’espèce a été rendue huit jours après les audiences de la fin de l’été 2014, au cours desquelles de nombreux témoins ont été entendus, notamment M. Ansley, au sujet du cautionnement et du droit pénal en Chine, et une caution, M. Lin. Les représentants des sociétés qui devaient fournir des services de surveillance et de contrôle, conformément au plan de mise en liberté proposé, ont aussi témoigné.

[12]           Le plan de mise en liberté décrit dans la décision comprenait trois éléments :

1.                  Un cautionnement en espèces de 20 000 $ et une garantie (bon de garantie d’exécution) de 35 000 $. Ces sommes devaient être déposées par M. Lin qui s’engageait à vivre avec les demandeurs dans leur maison de Markham.

2.                  Une surveillance électronique effectuée par Jemtec Limited qui devait fournir le matériel et les logiciels connexes nécessaires au fonctionnement d’un système de surveillance par radio fréquence ou d’un système localisation par GPS, mais pas pour les deux. L’emploi de bracelets – émetteurs à la cheville qui sont portés 24 heures par jour était prévu.

3.                  L’installation d’un système de surveillance et d’alarme dans la résidence qu’Investigative Solutions Network Inc [ISN] surveillerait à partir de son centre de communications 24 heures par jour. Il était prévu qu’ISN fournirait également un enquêteur sur les lieux et des moyens de transport avec escorte. Les gardes de service devaient être des policiers à la retraite et les demandeurs consentaient à ce qu’ils utilisent la force pour les contrôler et les détenir.

[13]           La décision de 64 pages de la commissaire a été rendue le 11 décembre 2014; dans cette décision, la commissaire rejetait le plan de mise en liberté et ordonnait le maintien en détention.

III.             Analyse

[14]           Les demandeurs contestent trois volets de la décision :

                     Le refus de la commissaire de prendre en compte la probabilité qu’ils se présentent lors de la prochaine comparution prévue (audience sur la demande d’asile) et de prendre en compte uniquement la probabilité qu’ils comparaissent pour le renvoi;

                     Le rejet par la commissaire du plan de mise en liberté;

                     Le rejet par la commissaire du témoignage d’expert de M. Ansley.

[15]           Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable à toutes ces questions était celle de la décision raisonnable. Aux fins de la présente affaire et étant donné l’absence d’arguments sur la question de savoir si les questions juridiques que soulève une affaire de détention appellent l’application de la norme de la décision correcte, la Cour tient pour acquis que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.

[16]           Voici les dispositions légales pertinentes :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

55. (1) L’agent peut lancer un mandat pour l’arrestation et la détention du résident permanent ou de l’étranger dont il a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire et qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2).

55. (1) An officer may issue a warrant for the arrest and detention of a permanent resident or a foreign national who the officer has reasonable grounds to believe is inadmissible and is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, for an admissibility hearing, for removal from Canada or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2).

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality, criminality or organized criminality;

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger — autre qu’un étranger désigné qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause — n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger;

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national — other than a designated foreign national who was 16 years of age or older on the day of the arrival that is the subject of the designation in question — has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity; or

e) le ministre estime que l’identité de l’étranger qui est un étranger désigné et qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause n’a pas été prouvée.

(e) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national who is a designated foreign national and who was 16 years of age or older on the day of the arrival that is the subject of the designation in question has not been established.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR]

244. Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation :

244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique;

(b) is a danger to the public; or

c) de la question de savoir si l’intéressé est un étranger dont l’identité n’a pas été prouvée.

(c) is a foreign national whose identity has not been established.

245. Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :

245. For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following :

a) la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale;

(a) being a fugitive from justice in a foreign jurisdiction in relation to an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament;

b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;

(b) voluntary compliance with any previous departure order;

c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle;

(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration or criminal proceeding;

d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

(d) previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release or a stay of removal;

e) le fait de s’être dérobé au contrôle ou de s’être évadé d’un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;

(e) any previous avoidance of examination or escape from custody, or any previous attempt to do so;

f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;

(f) involvement with a people smuggling or trafficking in persons operation that would likely lead the person to not appear for a measure referred to in paragraph 244(a) or to be vulnerable to being influenced or coerced by an organization involved in such an operation to not appear for such a measure; and

g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.

(g) the existence of strong ties to a community in Canada.

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci‑après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release :

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

 

A.                Instance / Renvoi

[17]           La commissaire a effectivement conclu qu’aucune autre procédure, mis à part la mesure de renvoi, devait être prise en considération dans l’évaluation du risque de fuite, de sorte qu’à cet égard elle a jugé que l’audience sur la demande d’asile en cours n’était pas pertinente.

[18]           Les deux parties invoquent des passages de la décision du juge de Montigny dans 2010 CF 1314, [2012] 3 RCF 575 [B157], et en particulier, les paragraphes 44 et 45 :

[44]      […] l’alinéa 58(1)b) suggère que la commissaire n’a pas à examiner chacune des instances procédurales qui y sont mentionnées, et qu’il suffit plutôt qu’il examine celle qui est pertinente dans les circonstances.

[45]      Le commissaire était justifié de mettre l’accent sur la prochaine étape du processus d’immigration plutôt que sur le renvoi. […]

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Selon la décision B157, la commissaire doit mettre l’accent sur l’instance ou les instances d’immigration pertinentes aux fins de l’évaluation du risque de fuite. Rien ne permet de dire que l’instance pertinente est dans tous les cas celle à laquelle il doit être d’abord donné suite ou qu’il ne pourrait y avoir plus d’une instance pertinente ou que certaines instances pertinentes peuvent justifier de penser qu’il y a un risque de fuite et qu’une autre instance atténue le risque de fuite. Comme le juge de Montigny conclut – cela dépend des circonstances.

[20]           La commissaire a déclaré au paragraphe 70 :

[traduction] La probabilité de comparaître à l’audience sur la demande d’asile, qui est une instance devant la SPR, n’est pas une des instances énumérées en lien avec l’alinéa 58(1)b) de la LIPR à l’alinéa 244a) du RIPR.

[21]           La commissaire arrive à cette conclusion en procédant à une analyse législative imprécise et sans jamais appliquer la règle d’or qui figure dans la Loi d’interprétation, ainsi résumée dans le traité de Driedger intitulé Construction of Statutes :

[traduction] De nos jours, il n’y a qu’un seul principe ou qu’une seule approche, à savoir, il convient d’interpréter les termes d’une loi dans leur contexte et selon leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’économie générale de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur.

[22]           J’ai eu de la difficulté à suivre l’analyse que la commissaire fait de la loi, et celle‑ci me paraît incomplète. Elle n’a pas adopté une approche téléologique et elle n’a pas pris en compte l’article 7 de la Charte ni les facteurs qu’il fait entrer en jeu ou les objets de la LIPR.

10        […] considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

(Voir Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 au paragraphe 10)

[23]           À la lumière de ce qui précède et compte tenu du fait que la commissaire a jugé que la demande d’asile n’était pas pertinente, l’alinéa 248a) du RIPR est une disposition pertinente. La commissaire était tenue de prendre en compte « le motif de la détention ». Le motif de la détention était l’existence d’une mesure de renvoi – mesure qui est devenue conditionnelle à la suite du dépôt de la demande d’asile. Le fait de déclarer non pertinente la demande d’asile dans le cadre de cette analyse juridique, et en particulier, dans les circonstances de l’espèce, constitue une erreur. Il convient en effet d’accorder un certain poids favorable à l’existence d’une demande d’asile par contraste, par exemple, avec le cas d’une personne qui représente un danger pour le public ou qui fait l’objet d’une enquête pour des motifs de criminalité – les demandeurs n’ayant été reconnus coupable d’aucun crime.

[24]           En résumé, l’analyse juridique à laquelle a procédé la commissaire est incomplète et elle a omis de prendre en compte, ou de prendre en compte suffisamment, des aspects pertinents.

B.                 Le plan de mise en liberté

[25]           Il existe des raisons d’avoir des doutes quant au caractère raisonnable du rejet par la commissaire du plan de mise en liberté. Sur le plan conceptuel, le plan de mise en liberté contenait des mécanismes de contrôle plus rigoureux que ceux que l’on impose dans les affaires concernant des personnes que l’on considère être des menaces à notre sécurité nationale ou susceptibles de l’être. Pour ce qui est de la surveillance par caméra vidéo dans la résidence, la présence de gardes dans celle‑ci assure un niveau de sécurité bien supérieur à celui qui est assuré par le type de surveillance électronique ayant été imposée dans les ordonnances publiques visant des personnes posant un risque pour la sécurité nationale. Ce facteur n’a pas été pris en compte par la commissaire.

[26]           La commissaire a porté son attention sur l’insuffisance des garanties, compte tenu, plus  particulièrement, du fait que les demandeurs étaient fortunés et qu’il était donc permis de penser que ces sommes ne représentaient pas grand‑chose pour eux. Bien que les demandeurs n’aient pas insisté sur cet aspect, la Cour craint que les commentaires de la commissaire reflètent une incompréhension du rôle de la caution, ce qui l’aurait ultimement amenée à ne pas juger le plan de mise en liberté adéquat sur le plan technique.

[27]           La caution a pour rôle de veiller au respect des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Ce qui garantit qu’il va accomplir cette tâche, en plus de l’obligation habituelle d’avoir une bonne réputation, c’est le « risque que court » la caution si la personne libérée ne respecte pas les conditions de sa mise en liberté. L’élément pécuniaire est le « risque que court » la caution du fait de son engagement.

Par conséquent, lorsque les demandeurs ne déposent pas leur propre argent, la question n’est pas de savoir si leur omission de respecter les conditions entraînera pour eux une perte financière, mais si cette omission nuira suffisamment à la caution pour que le risque d’inobservation des conditions soit très réduit. La commissaire a posé la mauvaise question et n’a pas considéré la situation du point de vue de la bonne personne.

[28]           La commissaire n’a pas examiné de façon appropriée le plan de mise en liberté, elle a tiré des hypothèses non étayées, et n’a pas compris le plan global et son fonctionnement. Cette affaire comporte des ressemblances regrettables avec l’affaire Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 504, 409 FTR 176 [Tursunbayev]. La commissaire a établi une distinction déraisonnable entre les circonstances de la présente espèce de celles de l’affaire Tursunbayev.

[29]           Dans la décision Tursunbayev, le juge Mactavish a fait des observations qui sont également applicables en l’espèce.

[95]      Je suis toutefois d’accord avec M. Tursunbayev pour dire que la Commission ne semble pas avoir compris la nature de l’engagement offert par le chef de l’entreprise d’agents de sécurité privée comme moyen de s’assurer que son entreprise respecte les obligations qui lui étaient imposées pour surveiller les allers et venues de M. Tursunbayev.

[96]      Je suis également convaincue que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas comme elle aurait dû le faire l’acceptabilité de l’offre globale soumise par M. Tursunbayev comme solution de rechange à sa détention.

[97]      Bien qu’elle discute assez longuement des limites que comporte le port d’un bracelet‑émetteur à la cheville, la Commission n’aborde pas dans ses motifs l’efficacité des caméras vidéo comme moyen de surveiller les allers et venues de M. Tursunbayev.

[98]      Mais ce qui est probablement plus important, c’est le fait que la Commission n’aborde pas dans ses motifs la question de savoir si la surveillance physique jour et nuit de M. Tursunbayev serait suffisante pour gérer les risques de fuite.

[99]      M. Tursunbayev a soumis à la Commission une offre qui comportait plusieurs volets en vue d’assurer sa surveillance après sa remise en liberté. La Commission devait évaluer individuellement chacun des éléments du plan de remise en liberté proposé et les analyser en combinaison avec les autres méthodes proposées pour assurer la conformité afin de déterminer s’il existait des solutions de rechange au maintien en détention de M. Tursunbayev. Le défaut de la Commission d’examiner comme elle le devait certains des éléments du plan proposé par M. Tursunbayev rend déraisonnable l’appréciation que la Commission a faite de la justesse du plan de mise en liberté proposé dans son ensemble.

[30]           La commissaire a supposé que les demandeurs étaient suffisamment riches pour payer quelqu’un qui serait chargé de déjouer le système de surveillance électronique ou visuelle sans disposer d’éléments de preuve établissant que cela pourrait se faire sans qu’une telle manœuvre soit détectée. Cette capacité hypothétique d’« acheter » des gens est une menace tout aussi réelle (s’il en est) qu’il s’agisse de personnes se trouvant dans un lieu de détention ou des demandeurs dans leur résidence. La commissaire a émis une pure hypothèse.

[31]           La commissaire craignait que les demandeurs puissent quitter la zone couverte par le système de surveillance, mais ne s’est pas demandé si le déclenchement d’une alarme constituerait une protection suffisante ou pourquoi il serait insuffisant.

[32]           La commissaire n’a pas dûment considéré le fait qu’il s’agissait d’un système multi‑niveaux complexe, et que la présence sur les lieux d’anciens agents de police ainsi qu’un système de vidéo surveillance venaient renforcer la surveillance électronique.

[33]           L’évaluation du plan de mise en liberté à laquelle la commissaire a procédé n’était pas raisonnable et, pour ce motif à lui seul, il y aura lieu de faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

C.                 Le témoignage de l’expert

[34]           La dernière question soulevée est le fait que la commissaire a rejeté le témoignage d’expert de M. Ansley. Cette question n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision de la commissaire, mais elle a entaché de façon injuste la réputation du témoin expert.

[35]           J’aborde cet aspect avec prudence. Il convient de faire preuve d’une grande déférence envers le juge des faits lorsqu’il s’agit de retenir et d’apprécier les témoignages, y compris ceux des experts. Le raisonnement utilisé par la commissaire montre toutefois que celle‑ci n’a pas compris les commentaires que la Cour suprême a formulés dans l’arrêt R c Mohan [1994] 2 RCS 9 [Mohan] ni la nature du rôle d’un expert.

[36]           La commissaire a pris ombrage du fait que M. Ansley n’avait pas fourni des réponses satisfaisantes au sujet des lois chinoises concernant les demandes de passeport et les passeports en général. M. Ansley n’était toutefois pas un témoin qualifié pour témoigner dans ce domaine et il n’a pas non plus prétendu l’être.

[37]           La commissaire a refusé de retenir le témoignage d’opinion de M. Ansley concernant le système de justice pénale en Chine, en particulier les arrestations et le cautionnement. La commissaire a agi de cette façon pour les raisons suivantes :

a)                  M. Ansley [traduction] « a adopté une position partisane en déclarant que ses services n’avaient pas été retenus par le ministre et qu’il n’était pas tenu d’effectuer de la recherche pour le compte du ministre »  et ce faisant, il n’a pas « correctement compris et respecté son rôle de témoin expert »;

b)                  Le témoignage de M. Ansley au sujet des règles relatives aux passeports était incompatible avec les preuves documentaires présentées par l’avocat précédent des demandeurs, à savoir une opinion juridique émanant d’un cabinet chinois.

[38]           Il n’est pas exigé que l’expert d’une partie fasse de la recherche ou exprime une opinion pour le compte d’une autre partie, en particulier pour celui de la partie adverse. L’arrêt Mohan ne permet pas de faire une telle affirmation. Il était injuste et déraisonnable d’écarter l’expertise de M. Ansley pour ce motif.

[39]           Un expert est uniquement autorisé, au titre des exceptions à la règle qui interdit la preuve par ouï‑dire, à exprimer des opinions dans les domaines dans lesquels il possède de l’expertise. Étant donné qu’il n’a jamais prétendu être un expert en ce qui concerne la législation chinoise relative aux passeports, M. Ansley n’était pas en mesure de faire un commentaire sur ces lois et, dans la mesure où il l’a fait, son témoignage devrait être déclaré inadmissible ou non pertinent.

[40]           La conclusion de la commissaire à l’égard de M. Ansley et de son témoignage d’expert est déraisonnable et ne peut être confirmée.

IV.             Conclusion

[41]           Pour les présents motifs, il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire, la décision sera annulée et le dossier renvoyé à un autre commissaire de la Section de l’immigration.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 21 janvier 2015

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8294‑14

 

INTITULÉ :

ZHENHUA WANG et CHUNXIANG YAN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2015

 

MOTIFS DU JUGeMENT :

LE JUGE PHELAN

 

DATE :

LE 21 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR Les demandeurs

 

Brad Gotkin

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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