Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150116


Dossier : IMM-3952-13

Référence : 2015 CF 59

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

Entre : 

VAN HOI NGUYEN

THI BICH THUY PHAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) d’une décision rendue le 28 février 2013 par un agent d’examen des risques avant envoi (l’agent d’ERAR), par laquelle l’agent d’ERAR a rejeté la demande de protection des demandeurs au sens de l’article 112 de la Loi;

ET VU les observations écrites et orales des parties et le Dossier certifié du tribunal;

ET VU le fait que les demandeurs sont mari (M. Nguyen) et femme (Mme Pham), qu’ils sont citoyens du Vietnam et qu’ils ont quitté ce pays en 1999 pour se rendre aux États-Unis, où ils ont habité cinq ans avant d’arriver au Canada en décembre 2004 et de demander l’asile au sens des articles 96 et 97 de la Loi;

ET VU que la demande d’asile des demandeurs a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en 2006, et que les demandeurs ont par la suite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) dans laquelle ils soutenaient qu’ils étaient à risque parce que M. Nguyen avait été dénoncé à titre d’[traduction] « élément réactionnaire », qu’ils avaient été mis en assignation à résidence et qu’on leur avait interdit de quitter le Vietnam, et parce qu’ils avaient été pris alors qu’ils tentaient de quitter le pays (la première demande d’ERAR);

ET VU que la première demande d’ERAR a été rejetée en juin 2009 et que les demandeurs ont présenté une deuxième demande d’ERAR le 25 novembre 2011, dans laquelle ils soutenaient qu’ils craignaient un risque de traitements ou peines cruels et inusités en raison d’un refus délibéré et discriminatoire de fournir des soins de psychiatrie à Mme Pham, qui souffre de dépression majeure, et qu’ils craignaient d’être persécutés en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, soit les personnes atteintes de maladies mentales, qui sont punies et isolées au Vietnam et qui, par conséquent, subissent de la discrimination et des préjudices importants sous forme de détérioration psychiatrique imposée par l’État;

ET VU que l’agent d’ERAR, dans une décision rendue le 28 février 2013, a rejeté la deuxième demande d’ERAR des demandeurs au motif que ceux-ci n’avaient pas fourni une preuve objective suffisante établissant (1) que Mme Pham serait détenue ou subirait de la persécution en raison de son état de santé mentale, (2) que Mme Pham n’aurait pas accès à un traitement psychiatrique pourtant disponible dans ce pays ou (3) que les demandeurs seraient détenus dans un camp de rééducation en raison de leur statut de personnes expulsées du Canada;

ET VU que la question en litige dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce est celle de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur susceptible de révision au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, ch F-7, lorsqu’il a rejeté la deuxième demande d’ERAR des demandeurs;

ET VU ma conclusion selon laquelle la demande de contrôle judiciaire des demandeurs devrait être rejetée pour les motifs suivants :

[1]               À l’appui de leur deuxième demande d’ERAR, les demandeurs ont présenté les documents qu’ils avaient présentés avec leur première demande d’ERAR, ainsi que des preuves portant sur l’état de santé mentale de Mme Pham, qui constituaient de nouveaux éléments de preuve survenus depuis le rejet de la première demande d’ERAR, c’est-à-dire (1) une « lettre d’opinion » de M. Tom Pham, le chef de l’équipe des admissions et de gestion des cas de la Hong Fook Mental Health Association à Toronto (l’Association de la santé mentale), (2) une lettre du Dr Lo, un psychiatre consultant à l’Association de la santé mentale et psychiatre de Mme Pham, (3) une lettre de référence du médecin des demandeurs au sujet de Mme Pham et (4) des lettres d’appui de deux travailleurs en santé mentale de l’Association de la santé mentale (collectivement, les lettres d’appui).

[2]               L’agent d’ERAR a d’abord conclu qu’il n’y avait eu aucun changement entre la première décision d’ERAR en 2009 et le réexamen des risques dans la deuxième demande d’ERAR. Par conséquent, l’agent d’ERAR a conclu que seul le nouveau risque portant sur l’état de santé mentale de Mme Pham devait être examiné. À ce sujet, l’agent d’ERAR a conclu que la preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle Mme Pham n’aurait pas accès à des soins et des médicaments n’était pas suffisante, parce que les déclarations dans les lettres d’appui n’étaient pas étayées par la preuve objective disponible. Quant à l’allégation selon laquelle les demandeurs seraient envoyés à un camp de rééducation, l’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve objective de ce risque et que cette allégation n’était pas non plus étayée par la preuve objective disponible.

[3]               Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent d’ERAR est déraisonnable parce que l’agent (1) a omis d’examiner correctement la lettre d’opinion de M. Pham au sujet des conditions au Vietnam pour les personnes atteintes de maladies mentales qui sont détenues dans des camps de rééducation après avoir été expulsées, (2) a omis d’expliquer pourquoi il était d’avis que cette lettre manquait d’objectivité et (3) a fondé sa conclusion sur une documentation sur le pays qui était désuète.

[4]               Les questions portant sur le traitement de la preuve par un agent d’ERAR doivent être examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable parce que de telles questions reposent sur les faits et commandent la retenue (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 FTR 53, au paragraphe 16; Chekroun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 737, 436 FTR 1, au paragraphe 39; Yousef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, 296 FTR 182, au paragraphe 19).

[5]               La Cour doit présumer que les agents d’ERAR ont tenu compte de toute la preuve dont ils étaient saisis (Sokol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1257, au paragraphe 28; Townsend c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 371, 231 FTR 116, au paragraphe 26; Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 164, au paragraphe 33; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. No 741 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15).  Par conséquent, la Cour ne doit intervenir que si l’agent a omis de mentionner ou d’analyser une preuve importante ou qu’il a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve dont il était saisi (Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 FTR 312, [1993] ACF No 497 (QL); Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF No 1425, aux paragraphes 16 et 17).

[6]               Par conséquent, l’argument des demandeurs selon lequel l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte de la preuve de M. Pham n’est pas valide parce que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption susmentionnée. L’agent d’ERAR a mentionné les lettres d’appui et en a même cité des extraits, y compris la lettre d’opinion de M. Pham, qui provenaient de personnes dans l’entourage des demandeurs qui connaissaient toutes bien la situation de Mme Pham au Canada et, à leur avis, les conditions auxquelles elle serait possiblement exposée au Vietnam. Cela démontre que l’agent d’ERAR a tenu compte de toute la preuve dans son analyse et dans sa prise de décision.

[7]               L’argument des demandeurs selon lequel l’agent d’ERAR n’a pas expliqué pourquoi il était d’avis que la lettre d’opinion de M. Pham n’était pas objective doit aussi être rejeté. L’agent d’ERAR a expliqué, après avoir examiné la lettre, qu’il n’était pas d’avis qu’elle était suffisamment objective, c’est pourquoi il a accordé plus d’importance aux autres éléments de preuves documentaires, tels que des rapports sur les droits de la personne, qui selon lui, étaient plus objectifs. À mon avis, cette conclusion était raisonnable puisque les lettres d’appui, y compris la lettre d’opinion de M. Pham, avaient été écrites par des personnes dans l’entourage des demandeurs et pouvaient donc raisonnablement être considérées comme manquant d’objectivité. En particulier, la lettre de M. Pham au sujet des conditions au Vietnam présentait ses observations directes au sujet de ce qu’il avait vu dans ce pays ainsi qu’au sujet de ce que d’autres personnes du Vietnam lui avaient dit. Par conséquent, l’agent d’ERAR pouvait raisonnablement considérer que cette lettre en particulier était moins objective que les renseignements qu’il avait relevés dans les rapports sur les droits de la personne dont il était saisi.

[8]               Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 24, la question de savoir si la preuve satisfait au fardeau légal dépendra du poids que l’agent d’ERAR a accordé à cette preuve. Dans Ferguson, précité, la Cour ajoute au paragraphe 33 :

Le poids que le juge des faits accorde à la preuve présentée dans une instance ne relève pas de la science. Différentes personnes peuvent accorder un poids différent à la preuve, mais l’évaluation du poids de la preuve devrait entrer à l’intérieur de certains paramètres raisonnables. La retenue s’impose lorsque les agents d’ERAR évaluent la valeur probante de la preuve dont ils disposent. Si leur évaluation entre dans les paramètres de la raisonnabilité, elle ne devrait pas être modifiée.

[9]               En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’agent d’ERAR a examiné la preuve dont il était saisi, mais il a conclu qu’il fallait accorder moins de poids aux lettres d’appui qu’à la preuve documentaire sur le pays en ce qui a trait à la situation au Vietnam. Il a pris cette décision principalement parce qu’il était d’avis que les lettres d’appui n’étaient pas étayées par la preuve objective. À mon avis, cette évaluation entre dans les paramètres de la raisonnabilité et elle ne sera donc pas modifiée.

[10]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent d’ERAR était fondée sur des documents objectifs sur le pays datant de 2006 et qu’il aurait dû se fonder sur des documents plus récents. Cependant, dans ses motifs, l’agent d’ERAR mentionne aussi des documents de 2011, 2012 et 2013 et rien ne donne à penser que ses conclusions ne découlent pas d’une évaluation de la totalité de la preuve. Bien que l’agent d’ERAR ait noté que certaines parties de la documentation disponible au public qu’il a examinée nécessitaient des améliorations, il a néanmoins conclu que la documentation ne démontrait pas qu’une personne dans une situation semblable à celle de Mme Pham ne pourrait pas obtenir de traitement médical.

[11]           Dans les observations écrites qu’ils ont présentées à la Cour, les demandeurs se sont fiés à [traduction] « de la documentation sur le pays disponible au public » provenant de l’organisme Cittadinanza. Bien qu’il soit écrit dans cette documentation que seule une petite partie du Vietnam offre des services en santé mentale, en raison d’un manque de ressources, il est aussi précisé que c’est le cas [traduction] « dans la majorité des pays à faible revenu ». Je suis d’avis que ce renseignement n’est pas suffisant pour que les demandeurs puissent se prévaloir de la protection prévue à l’alinéa 113c) et au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi, qui exige que le risque auquel un demandeur d’asile fait face ne soit pas de nature généralisée. De plus, le sous-alinéa 97(1)b)(iv) précise que le risque ne doit pas être causé par l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Par conséquent, je conclus que cette documentation n’aide pas les demandeurs.

[12]           Pour ces motifs, je conclus que la décision de l’agent d’ERAR appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

[13]           Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale et aucune ne sera certifiée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3952-13

INTITULÉ :

VAN HOI NGUYEN, THI BICH THUY PHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 SEPTEMBRE 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

POUR LES DEMANDEURS

Charles Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.