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Date : 20150115


Dossier : IMM-1720-14

Référence : 2015 CF 60

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SALVADOR ANTONIO COREAS VILLALOBOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés rendue le 21 février 2014 par le commissaire Michel Colin qui a conclu que le demandeur était « exclu du droit à la protection du Canada aux termes de l’article 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention]. Le demandeur demande à la présente Cour d’annuler la décision rendue par la SPR et de retourner le dossier devant un panel différemment constitué.

[2]               Pour les raisons exposées ci-dessous, la demande sera rejetée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur est citoyen du Mexique. Comme il était orphelin, il a été élevé par la famille Hernandez. En 2011, alors que le demandeur était âgé de 15 ans, sa garde a été confiée à Pedro Gomez et son épouse Alicia qui lui ont fourni un emploi dans leur commerce de vente de vêtements.

[4]               La famille Gomez était impliquée dans le trafic de drogue et M. Gomez était le « chef de la région ». Le demandeur a ainsi été impliqué dans le trafic de drogue en récoltant l’argent dû à la famille Gomez.

[5]               En août 2008, le demandeur a accompagné M. Gomez à une réunion de chefs de bandes au cours de laquelle trois personnes considérées comme traîtres ont été assassinées et le demandeur a été menacé par un ex-agent fédéral qui lui a posé un fusil sur la tempe. Trois jours plus tard, le demandeur ainsi qu’un autre collaborateur du nom d’Edgar ont été enlevés et battus. Edgar a été tué et le demandeur s’est évanoui. Le lendemain, le demandeur a consulté un prêtre qui lui a conseillé de s’enfuir au Canada. Le 5 septembre 2008, le demandeur a quitté le Mexique pour le Canada.

[6]               Le demandeur est arrivé au Canada le 8 septembre 2008. En avril 2011, après que l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] se soit rendue compte de la présence du demandeur au Canada, une mesure de renvoi a été émise contre ce dernier. Le sursis de cette mesure de renvoi a été autorisé par la Cour fédérale. En mars 2012, l’ASFC a annulé la mesure d’expulsion prise contre le demandeur. Ainsi, le 26 mars 2012, le demandeur a déposé une demande d’asile au Canada.

III.             Décision en litige

[7]               La SPR a jugé que le demandeur était généralement crédible malgré certaines contradictions portant principalement sur des points d’intérêt secondaires. La SPR a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il a une possibilité raisonnable de subir de la persécution en raison de son appartenance au groupe social de la famille Gomez, au sens de l’art. 96 de la LIPR. La crainte pour les membres de la famille Gomez face à leur vie est rattachée à leur défaut de payer une cote part de leur revenu à certains de leurs complices narcotrafiquants et cette crainte n’a aucun lien avec la Convention.

[8]               La SPR a conclu que la preuve démontrait que le demandeur serait ciblé personnellement d’une menace à sa vie en raison d’un conflit entre des narcotrafiquants et leurs complices et donc qu’il était visé par l’alinéa 97(1)b).

[9]               La SPR a aussi conclu que le demandeur ne pouvait demander la protection de l’État sans s’exposer à un très grand risque pour sa vie et qu’au surplus, ce dernier n’a pas de possibilité de refuge intérieur.

[10]           La SPR s’est aussi penchée sur la question de l’exclusion du demandeur de la protection du Canada, suite à l’intervention du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, sur la base qu’il y aurait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis à l’étranger le crime de trafic de cocaïne ou celui de complot de trafic de cocaïne, substance inscrite à l’annexe 1, décrit au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch 19. Appliquant les critères établis dans Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara] et dans Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], la SPR a statué que le demandeur était exclu sous l’alinéa 1b) de la Convention.

IV.             Questions en litige

[11]           Le demandeur soutient que le présent dossier soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que la SPR a erré en appliquant la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) sans que les éléments constitutifs de l’infraction ne soient établis?
  2. Est-ce que l’analyse relative aux circonstances atténuantes est déraisonnable?
  3. Est-ce que la SPR a erré dans son application du test établi par la Cour suprême dans Ezokola, supra?
  4. Est-ce que la SPR a erré en n’interprétant pas la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) restrictivement?

[12]           En l’espèce, la Cour est d’avis que ces questions peuvent être reformulées en une seule, comme suit :

  1. Est-ce que la SPR a erré en concluant que le demandeur était exclu au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention?

V.                Norme de contrôle

[13]           La détermination de l’exclusion de la Convention en application de l’alinéa 1Fb) constitue une question mixte de fait et de droit et doit donc faire l’objet d’un contrôle judiciaire sous l’angle de la décision raisonnable (Roberts c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 632 aux paras 26-27; Jayasekara, supra).

[14]           En conséquence, la Cour doit examiner si la décision de la SPR satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité et si sa conclusion fait partie des issues possibles eu égard aux faits et au droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

VI.             Position des parties

[15]           Le demandeur soutient d’abord que les éléments constitutifs de l’infraction de trafic de cocaïne ne sont pas établis et qu’en conséquence, la SPR fait erreur en appliquant la clause 1Fb) de la Convention. Selon le demandeur, la SPR conclut erronément qu’une fois que le demandeur a appris que le réseau avec lequel il collaborait s’adonnait au trafic de drogue, il a continué d’agir comme avant, soit de collaborer sans chercher à s’en sortir. Le demandeur allègue que la preuve soutient plutôt qu’à cette époque, il poursuivait ses activités quotidiennes avec peur, fréquentait de plus en plus l’Église et ne souhaitait plus rester avec M. Gomez. Selon le demandeur, la preuve en l’espèce ne permet pas d’établir qu’il avait l’intention réelle de conclure une entente en vue de participer au trafic de cocaïne. En ce sens, la SPR ne pouvait raisonnablement appliquer les tests prévus dans les arrêts Ezokola, supra et Jayasekara, supra. Au surplus, le demandeur allègue que la SPR a appliqué un test erroné lorsqu’elle indique au paragraphe 47 de sa décision que la norme de preuve applicable en matière d’exclusion est celle des « motifs raisonnables de soupçonner », alors qu’il s’agit plutôt des « raisons sérieuses de penser ». Le demandeur allègue aussi que la SPR n’a pas réellement pris en considération les circonstances atténuantes. Finalement, le demandeur soutient que la SPR devait interpréter la clause 1Fb) de façon restrictive et qu’une telle interprétation n’aurait pas mené à l’exclusion du demandeur, surtout qu’il existe une menace à sa vie au Mexique.

[16]           Le défendeur soutient de son côté que l’analyse des facteurs pertinents par la SPR quant à la gravité du crime en application des facteurs établis dans Jayasekara, supra est raisonnable. Étant donné que le demandeur à l’époque des faits reprochés était majeur et considérant sa décision de continuer de collaborer avec les trafiquants même après avoir assisté à l’assassinat de trois personnes lors d’une réunion, il était raisonnable pour la SPR de conclure que les circonstances dans lesquelles se trouvait le demandeur ne constituaient pas des circonstances atténuantes significatives. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur « avait fait sien le projet criminel de sa famille » puisque ce n’est que lorsque sa propre sécurité a été gravement menacée que ce dernier a cherché des moyens de vivre ailleurs.

[17]           Le défendeur a souligné que la Cour suprême dans Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 a statué que les clauses d’exclusion ne devaient pas être interprétées de façon trop étroite. De même, le défendeur soutient que bien que la SPR a fait erreur dans la formulation du critère au paragraphe 47 lorsqu’elle mentionne que la norme de preuve pour l’exclusion tel qu’énoncée dans Ezokola, supra est celle des « motifs raisonnables de soupçonner », cela est sans importance, car la SPR a répété à cinq reprises dans sa décision la bonne norme, soit celle des « raisons sérieuses de penser » et qu’elle a au surplus effectué une bonne application de ce critère (Kadiosha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 FTR 153). Finalement, le défendeur soutient que la SPR énonce clairement ses conclusions de fait et statue raisonnablement que le demandeur doit être exclu de la protection offerte par le Canada au sens de la Convention.

VII.          Analyse

A.                Les critères pour le complot de trafic

[18]           Afin d’apprécier la gravité du crime commis par le demandeur, la SPR  devait examiner les critères pour complot de trafic énoncés dans l’arrêt Jayasekara, supra soit : les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue et les faits et circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (Jayasekara, supra au para 44).

[19]           Le demandeur prétend qu’il n’avait pas l’intention de conclure une entente en vue de poursuivre une fin illégale parce qu’il n’avait pas la volonté libre, et ce, pour deux motifs : il a d’abord suivi les conseils du premier prêtre consulté qui l’a encouragé à garder le silence quant à sa situation face aux autorités ou à quiconque et il était au surplus soumis à la contrainte de violence auprès de M. Gomez et de son réseau de narcotrafiquants.

[20]           En ce qui concerne le premier motif allégué par le demandeur, soit qu’il suivait les conseils du premier prêtre, je note les motifs de la SPR au paragraphe 45 où le commissaire a indiqué qu’après avoir consulté le prêtre, « le demandeur a continué à venir en aide à un réseau immense de trafiquants, et ce, même après avoir vu procéder à plusieurs assassinats sommaires lors d’une réunion. Il dit qu’il ne savait pas quoi faire, mais dans les faits, il a choisi de collaborer sans faire d’efforts sérieux pour cesser de le faire avant qu’il soit personnellement enlevé et que sa vie soit menacée de façon imminente ». Selon l’avis de la Cour, il était raisonnable pour la SPR de conclure, tel qu’étayé au paragraphe 38 de la décision que le demandeur avait l’intention requise et avait apporté une contribution volontaire au dessein criminel de M. Gomez.

[21]           En ce qui concerne la contrainte de violence, je suis d’avis que le tribunal avait raison d’indiquer que la défense de contrainte n’est pas admise lorsque l’accusé a participé à un complot ou à une association. À cet égard, je distingue la décision La Reine c Kéophokham, [2003] JQ no 4651 où la cour a précisé que la défense de la contrainte morale, de la nature d’une excuse, est une défense de common law ouverte lorsque sont établies certaines conditions telles que décrites aux paragraphes 51 à 53 de cette décision. Toutefois, ces conditions prévoient qu’il doit exister un lien temporel étroit entre la menace de préjudice et la perpétration de l’infraction et qu’il ne doit pas y avoir d’autre façon raisonnable de s’en sortir sans danger. Ces conditions ne sont pas remplies en l’instance.

B.                 L’analyse relative aux circonstances atténuantes et déraisonnables.

[22]           Le demandeur soutient que la caractérisation de sa situation comme « difficile » par la SPR au paragraphe 45 de sa décision est déraisonnable, vu qu’il faisait alors face à des menaces imminentes contre sa vie. Dans le même ordre d’idées, il prétend qu’il était peu réaliste de conclure qu’il avait le choix de collaborer ou non avec M. Gomez et les autres membres de l’organisation de narcotrafiquants. Selon le demandeur, la SPR aurait, par son analyse, évacué des enjeux déterminants les circonstances atténuantes du crime, alors qu’elles étaient incontournables en l’espèce.

[23]           Je ne suis pas d’accord. Le tribunal a nettement décrit le danger significatif et imminent auquel le demandeur faisait face, et a néanmoins été « d’avis que ces circonstances [n’atténuaient] pas de façon significative les crimes commis compte tenu de la gravité de ceux-ci ». Les motifs de la SPR sont également raisonnables en ce qui concerne la description du choix que le demandeur avait de poursuivre sa conduite illégale ou de la cesser tel que cela s’est produit une fois qu’il a personnellement été enlevé et que sa vie soit menacée de façon imminente.

VIII.       Conclusion

[24]           Pour les raisons ci-haut énoncées, la Cour est d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Les conclusions de la SPR sont raisonnables en ce qu’elles appartiennent aux issues possibles en regard des faits et du droit et la décision de la SPR est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir, au para 47). Les parties n’ont soumis aucune question aux fins de certification et le cas en l’espèce n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1720-14

 

INTITULÉ :

VILLALOBOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Farchid Mochirian

 

pour le demandeur

 

Me Patricia G. Nobl

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Farchid Mochirian

Avocat

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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