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Date : 20150106


Dossier : IMM-3613-13

Référence : 2015 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JULIE EGBUFOR EBI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de substitution d’appréciation et, par conséquent, la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

II.                Faits

[2]               Julie Egbufor Ebi [la demanderesse] a présenté une demande de visa de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés en mai 2006.

[3]               Le 14 janvier 2009, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC ou le Ministère] a envoyé une lettre à la demanderesse pour aviser celle‑ci qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences énoncées à l’article 11 de la LIPR et à l’article 10 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] parce qu’elle n’avait pas fourni les codes de la Classification nationale des professions relatifs à son expérience de travail. CIC a demandé à la demanderesse de remplir la partie pertinente et de la lui renvoyer dans les 60 jours.

[4]               Le 13 mai 2009, n’ayant pas reçu les renseignements demandés, CIC a avisé la demanderesse que les exigences de l’article 10 du Règlement n’étaient pas respectées et que son dossier avait été fermé. Les lettres de janvier et de mai mentionnaient toutes les deux l’alinéa 10(1)c) du Règlement, selon lequel toute demande au titre du Règlement doit comporter les renseignements et documents exigés par le Règlement et être accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la LIPR.

[5]               Le conseil de la demanderesse a écrit à CIC pour dire que ni lui ni sa cliente n’avaient reçu la lettre du 14 janvier 2009 dans laquelle des documents étaient demandés. Il a demandé la réouverture du dossier.

[6]               La demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[7]               En octobre 2009, la demanderesse et le défendeur sont parvenus à une entente : la demanderesse a accepté de déposer un avis de désistement à la Cour fédérale, et le défendeur a accepté d’annuler la décision du 13 mai 2009 par laquelle la demande de la demanderesse avait été rejetée et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision. La demanderesse a donc déposé l’avis de désistement, et son dossier a été rouvert.

[8]               Le 31 janvier 2013, CIC a écrit à la demanderesse pour lui demander de fournir certains renseignements et documents dans les 60 jours, y compris une preuve de compétences linguistiques.

[9]               Le 18 avril 2013, CIC a avisé la demanderesse qu’elle n’avait pas cumulé le nombre minimal de points requis pour obtenir un visa de résidence permanente. CIC a informé la demanderesse qu’étant donné qu’elle n’avait pas produit les pièces justificatives et les documents demandés par l’agent le 31 janvier 2013, sa demande avait été évaluée en fonction des renseignements disponibles.

[10]           Le 22 mai 2013, la demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[11]           Le 8 août 2013, CIC a envoyé des motifs modifiés à la demanderesse, selon lesquels il avait été mis fin à sa demande de résidence permanente par effet de la loi à la suite de l’entrée en vigueur, le 29 juin 2012, de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

III.             Question en litige

[12]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.         En l’espèce, l’article 87.4 de la LIPR a‑t‑il pour effet de mettre fin à la demande de la demanderesse?

2.         Si l’article 87.4 de la LIPR n’a pas pour effet de mettre fin à la demande de la demanderesse, CIC a‑t‑il commis une erreur en exigeant que la demanderesse fournisse les résultats du Système international de tests de la langue anglaise (IELTS)?

IV.             Dispositions pertinentes

[13]           L’article 87.4 de la LIPR est rédigé comme suit :

 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent en application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

(4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor.

(5) Nul n’a de recours contre sa Majesté ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin en vertu du paragraphe (1).

[14]           Les autres dispositions pertinentes de la LIPR et du Règlement sont jointes à l’annexe A.

V.                Observations des parties

[15]           La demanderesse soutient que CIC a manqué à un principe d’équité procédurale et de justice naturelle quand il a mis fin à sa demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Étant donné que CIC a conclu une entente à l’amiable avec elle après avoir décidé par erreur de fermer son dossier en 2009, affirme la demanderesse, elle peut s’attendre légitimement à ce que CIC respecte ses obligations y afférentes. Comme CIC a mis plus de 30 mois à traiter sa demande par la suite, sa demande a été visée par l’effet de l’article 87.4.

[16]           La demanderesse ajoute que l’article 87.4 ne s’applique pas à sa demande parce que le rejet de sa demande en 2009 constituait en soi une décision ou, subsidiairement, parce que sa demande avait fait l’objet d’une entente à l’amiable prévoyant un nouvel examen.

[17]           En ce qui concerne le rejet de sa demande en avril 2013, la demanderesse soutient que CIC a appliqué le mauvais critère d’évaluation et a manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en exigeant qu’elle passe le test de langue IELTS pour deux raisons : le test n’était pas exigé au moment où elle avait présenté sa demande en 2006, et le test est devenu obligatoire seulement en mai 2013.

[18]           Enfin, la demanderesse allègue que CIC, en mettant fin à sa demande – dans le contexte du rejet de 2009, du délai subséquent de trois ans, du test d’anglais exigé, mais non nécessaire, et du rejet de sa demande au motif qu’elle avait produit ses documents 14 jours après la fin d’une courte période restrictive de 60 jours – a pris une mesure qui soulève une crainte raisonnable de partialité.

[19]           Pour sa part, le défendeur soutient qu’il a été valablement mis fin par effet de la loi à la demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés présentée par la demanderesse. L’article 87.4 de la LIPR a éteint tout droit au traitement de sa demande que pouvait avoir la demanderesse. L’article 87.4 a été confirmé comme une disposition rétrospective valide et constitutionnelle (Tabingo, 2014 CAF 191). Mettre fin à une demande sous le régime de l’article 87.4 ne constitue pas une décision, et nul n’a de recours ni droit à une indemnité relativement à une demande à laquelle il est mis fin (LIPR, paragraphe 87.4(5); Tabingo c MCI, 2013 CF 377, aux paragraphes 18 et 23 à 37, confirmée par 2014 CAF 191). Bien que la demanderesse puisse considérer inéquitable le fait qu’il a été mis fin à sa demande avant qu’elle ne soit traitée, et bien qu’il soit regrettable que CIC ait envoyé de la correspondance par erreur à la demanderesse en 2013, rien ne permet de contourner la loi et la volonté clairement exprimée du législateur.

[20]           Le défendeur soutient que la thèse de la demanderesse selon laquelle le rejet de 2009 constituait en soi une décision n’est pas fondée, car le rejet ne reposait pas sur une décision de sélection défavorable. Aucune décision de sélection n’avait été rendue avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4.

[21]           Enfin, rien n’indique que le fait d’avoir demandé à la demanderesse de produire les résultats d’un test d’anglais de l’IELTS a causé un manquement à l’obligation d’équité ou soulevé une crainte raisonnable de partialité. La demanderesse n’a jamais eu l’obligation absolue de produire les résultats d’un test de l’IELTS. De plus, elle n’a pas communiqué avec CIC pour demander une prorogation du délai de 60 jours.

VI.             Norme de contrôle

[22]           La principale question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la décision de fermer le dossier de la demanderesse prise par CIC en 2009, ou alors l’entente à l’amiable intervenue entre CIC et la demanderesse, suffisait à empêcher qu’il soit mis fin à la demande de la demanderesse par l’effet de l’article 87.4 de la LIPR. Il s’agit essentiellement d’une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Tabingo c MCI, 2014 CAF 191, au paragraphe 54; Liu c MCI, 2014 CF 42, aux paragraphes 13 et 14; Kun c MCI, 2014 CF 90, au paragraphe 13).

[23]           La question d’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Khosa c MCI, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Sidhu c MCI, 2012 CF 515, au paragraphe 38).

VII.          Analyse

L’article 87.4 a‑t‑il pour effet de mettre fin à la demande de la demanderesse?

[24]           Le 29 juin 2012, la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable est entrée en vigueur, modifiant la LIPR par l’adjonction de l’article 87.4. Selon l’article 87.4, il est mis fin à une demande faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

[25]           Voici les principaux points sur lesquels repose la présente affaire :

1.             Le dossier de la demanderesse a été fermé sans qu’une décision finale ne soit rendue en 2009 (lettre du 13 mai 2009 envoyée à la demanderesse, dossier certifié du tribunal [DCT], p. 42).

2.             Après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire en 2009, le dossier a été rouvert par suite de l’offre de règlement faite par CIC (dossier de la demanderesse, p. 16 à 18).

3.             La Cour n’a rendu aucune ordonnance. Le Ministère a plutôt déclaré simplement que le rejet serait annulé, et qu’une nouvelle décision serait rendue par un autre agent.

4.             Il y a eu ensuite d’importants délais dans le traitement de la deuxième demande, entre 2009 et 2013.

5.             Le traitement a commencé pour de bon le 31 janvier 2013, par une lettre dans laquelle des documents étaient demandés, dont une preuve de compétence en anglais (DCT, p. 12 à 13). Les résultats des tests n’ont jamais été reçus.

6.             La lettre de refus initiale du 18 avril 2013 (fondée sur le fait que la demanderesse n’avait pas cumulé les points nécessaires) a été remplacée par la lettre de refus du 8 août 2013 fondée sur la disposition qui mettait fin à la demande et sur l’effet de la loi (DCT, p. 1).

[26]           Malheureusement pour la demanderesse, la disposition en question mettait fin à sa demande par effet de la loi, conformément à la législation et comme le confirmait la jurisprudence, résumée et reproduite ci‑dessous.

[27]           Dans Tabingo c MCI, 2014 CAF 191, la Cour d’appel (et, auparavant, la présente Cour) a conclu que l’article 87.4 était constitutionnel et s’appliquait rétroactivement pour annuler tout droit des demandeurs à l’examen de leur demande, sans égard à l’équité procédurale. Le Bulletin opérationnel 442 [BO 442] explique comment le ministre interprète l’article 87.4 :

La décision en matière de sélection a été prise avant le 29 mars 2012 si, avant cette date :

•          on a entré une décision en matière de sélection dans le système de traitement […];

•          on a inscrit clairement dans les notes au dossier que le demandeur répond ou pas aux critères de sélection, sans qu’une décision de sélection ait encore été entrée dans le système de traitement;

•          on a rouvert le dossier – qui avait été fermé à la suite d’une décision défavorable – pour un nouvel examen en vertu d’une ordonnance d’une cour supérieure (y compris de la Cour fédérale) ou d’un règlement à l’amiable intervenu par le truchement d’une ordonnance judiciaire délivrée avant le 29 mars 2012.

(1)               Une décision de sélection a‑t‑elle été prise?

[28]           La décision Tabingo rendue par la Cour fédérale est utile pour l’interprétation du concept de décision de sélection finale. Dans cette décision‑là, le juge Rennie a expliqué ceci :

26        L’expression « critères de sélection » est employée ailleurs dans la LIPR et dans le Règlement. L’article 70 du Règlement prévoit qu’un agent des visas doit délivrer un visa de résident permanent s’il est établi qu’un étranger satisfait à différentes conditions, notamment aux « critères de sélection ». L’article 76 du Règlement s’intitule « Critères de sélection », et il prévoit les critères en fonction desquels les demandeurs seront évalués. Lorsqu’il est lu dans son contexte, comme il se doit, ce terme n’est pas vague.

27        L’expression « autres exigences applicables à cette catégorie » n’est pas étrangère elle non plus au Règlement. Satisfaire à de telles autres exigences est une condition préalable à l’obtention de visas et du statut de résident permanent prévue aux articles 65.1, 70 et 72 du Règlement. Les « autres exigences » comprendraient, par exemple, les exigences minimales énoncées à l’article 75 du Règlement.

28        Il ressort à l’évidence d’une lecture de l’article selon le sens ordinaire des mots que seule la décision finale rendue par un agent constitue une décision quant à la sélection. Lorsqu’une demande est choisie pour être traitée, il est demandé aux demandeurs de communiquer des formulaires et des pièces justificatives mis à jour. À ce stade, le personnel du bureau des visas procède à un examen administratif initial du dossier. Celui-ci est ensuite transmis à un agent qui décide si le demandeur satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables à la catégorie des TQF. Le libellé du paragraphe 87.4(1) renvoie expressément cette décision, puisqu’il s’agit de la seule qui soit rendue par un agent en vertu de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

Cette approche a été suivie par la Cour depuis l’affaire Tabingo : voir Yu c MCI, 2014 CF 253, une décision rendue par le juge Russell; Kun c MCI, 2014 CF 90, aux paragraphes 32 à 35.

[29]           De même, dans la décision Liu c MCI, 2014 CF 42, le juge Phelan devait déterminer si une décision de sélection prise avant le 29 juin 2012 suffisait à empêcher qu’une demande prenne fin par l’effet du paragraphe 87.4(1) :

18        Je ne peux souscrire à l’argument principal du demandeur selon lequel le fait qu’une décision quant à la sélection avait été rendue suffisait pour répondre aux exigences en vertu desquelles, selon la loi, le processus de visa ne prendrait pas fin.

L’article 87.4 prévoit clairement que le fait de répondre aux critères de sélection n’est que l’un des éléments exigés pour obtenir un visa au titre de la TQF. Le demandeur doit répondre à toutes les exigences applicables à la catégorie des TQF. En l’espèce, ces exigences n’ont pas été satisfaites, que ce soit en date du 29 mars 2012 ou en date du 29 juin 2012.

[…]

22        Il n’y a aucune lacune dans la loi en ce qui concerne l’application de la loi entre le 29 mars 2012 et le 29 juin 2012. Un demandeur qui s’est conformé à toutes les exigences applicables en matière de visa avant le 29 juin 2012 et qui avait droit à une décision favorable est régi par « l’ancienne » loi. En ce qui concerne les demandeurs qui n’ont pas répondu aux exigences de « l’ancienne » disposition, tous les droits obtenus en date du 29 juin 2012 prennent rétroactivement fin le 29 mars 2012.

[…]

26        Pour conclure, l’objet de la disposition était de mettre fin, rétroactivement au 29 mars 2012, à tous les droits existants à l’égard des demandes de visa présentées avant le 27 février 2008, à moins qu’un demandeur ne se soit pleinement conformé aux exigences applicables en matière de visa des TQF à cette date. Ce n’était pas le cas du demandeur lorsque l’article 87.4 est entré en vigueur le 29 juin 2012. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[30]           Dans la décision Shukla c MCI, 2012 CF 1461, aux paragraphes 26 et 28, le juge Russell a donné une explication semblable de l’effet du paragraphe 87.4(1) :

26.       Il est acquis aux débats que la demande de résidence permanente du demandeur a été présentée avant le 27 février 2008.

27.       Il est également acquis aux débats qu’« au 29 mars 2012, un agent n’a[vait] pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables » à la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés.

28.       Il s’ensuit que, par application du paragraphe 87.4(1) de la Loi, une loi fédérale a mis fin à la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Il s’ensuit également qu’aux termes du paragraphe 87.4(5) de la Loi, le demandeur n’a aucun droit de recours contre Sa Majesté ou droit d’être indemnisé en rapport avec sa demande devenue caduque.

[Non souligné dans l’original.]

[31]           J’ai soigneusement examiné l’ensemble du dossier dans la présente affaire, et je conclus que rien n’indique que l’agent ou le bureau des visas a rendu une décision finale en 2009, ni à un moment quelconque avant le 29 mars 2012. La demanderesse n’avait satisfait à toutes les exigences de la Loi à aucun moment avant le 29 mars 2012 et n’avait donc pas droit à une décision favorable avant cette date. La lettre de refus initiale exprimait assurément ce fait, tout comme les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI). Comme il n’y avait jamais eu de décision finale lorsque le dossier a été fermé en 2009, ni avant les deux lettres de refus de 2013, je conclus qu’une décision finale n’a pas été rendue.

(2)               Un règlement à l’amiable est‑il intervenu par le truchement d’une ordonnance judiciaire?

[32]           La demande de la demanderesse serait à l’abri des effets de la loi si la demanderesse avait conclu un règlement à l’amiable par le truchement d’une ordonnance judiciaire avant le 29 mars 2012 : voir la LIPR, paragraphe 87.4(2); BO 442.

[33]           Dans ce cas‑ci, il y a bien eu un règlement, mais il est intervenu entre le Ministère et la demanderesse sans ordonnance judiciaire. Les parties ont convenu entre elles que le traitement du dossier se poursuivrait sous réserve de certaines conditions.

[34]           Le règlement à l’amiable n’était donc pas visé par l’exception énoncée au paragraphe 87.4(2), selon lequel il n’est pas mis fin « aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date ». Pour clarifier davantage, le BO 442 confirme que, même s’il y a eu règlement, l’exception s’applique seulement si le règlement est intervenu par le truchement d’une ordonnance judiciaire :

La décision en matière de sélection a été prise avant le 29 mars 2012 si, avant cette date :

[…]

•           on a rouvert le dossier – qui avait été fermé à la suite d’une décision défavorable – pour un nouvel examen en vertu d’une ordonnance d’une cour supérieure (y compris de la Cour fédérale) ou d’un règlement à l’amiable intervenu par le truchement d’une ordonnance judiciaire délivrée avant le 29 mars 2012.

(BO 442) [Non souligné dans l’original.]

[35]           La loi, nous enseigne‑t‑on, doit être interprétée de manière stricte. Tout comme elle a souscrit à la manière d’aborder le concept de « décision finale » adoptée dans Tabingo, la Cour a aussi retenu l’interprétation législative de l’article 87.4 faite par le juge Rennie. En effet, dans la décision Kun c MCI, 2014 CF 90, le juge Heneghan s’est exprimé ainsi :

32        S’il y a une question d’interprétation législative soulevée dans la présente affaire quant au sens du paragraphe 87.4(1), j’approuve l’approche adoptée par mon collègue le juge Rennie dans l’affaire Tabingo, précitée, lorsqu’il a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 19 et 20 :

19        La méthode moderne d’interprétation des lois est exposée par E. A. Driedger dans Consruction of Statutes (2e édition, 1983), à la page 87 : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. » Comme corollaire à ce qui précède, lorsque le libellé d’une loi est précis et sans équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle dominant dans le processus d’interprétation : Celgene Corp c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1 (CanLII), 2011 CSC 1, [2011] 1 RCS 3, au paragraphe 21.

[...]

33        Par l’application de ces principes, je conclus que le « sens ordinaire et grammatical » du langage utilisé au paragraphe 87.4(1) de la Loi démontre que le Parlement du Canada a ajouté un moyen de mettre fin aux demandes de statut de résidence permanente au titre de la catégorie des TQ(F) ayant été reçues avant une date précise, soit le 27 février 2008 et à l’égard desquelles il n’avait pas été statué avant une autre date précise, à savoir le 29 mars 2012.

34        Cette interprétation est conforme à l’esprit de la Loi, qui consiste à régir l’admission des immigrants et des réfugiés au Canada. Cette interprétation est également conforme à l’objet de la Loi, énoncé à l’article 3.

35        Enfin, cette interprétation respecte l’intention du législateur. En vertu du paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 et 31 Vict., ch. 3, réimprimée dans les L.R.C. de 1985, app. II, no 5, le Parlement a compétence en matière d’immigration. Ainsi, il a le pouvoir d’adopter des lois en matière d’immigration et de modifier d’anciens processus et d’anciennes procédures. Personne n’est en faveur d’un droit acquis qui n’évolue pas. Voir la décision dans l’affaire Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national), [1977] 1 R.C.S. 271. Ce principe a été appliqué dans le contexte juridique de l’immigration dans l’affaire McAllister c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 108 F.T.R. 1.

[Non souligné dans l’original.]

[36]           Aucune ordonnance judiciaire n’a été rendue en l’espèce. Le règlement est intervenu en privé entre les parties, et aucune ordonnance judiciaire n’a été délivrée. Je ne peux donc pas conclure que la demande était visée par l’exception énoncée au paragraphe 87.4(2) par suite du règlement à l’amiable intervenu en 2009, et je ne trouve pas non plus de précédent qui appuierait cette proposition – ni dans l’arrêt Tabingo rendu par la Cour d’appel fédérale, ni dans les décisions rendues par mes collègues de la Cour fédérale citées ci‑dessus.

[37]           Je conclus qu’il a été mis fin à la demande présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés par effet de la loi, en date du 29 mars 2012.

VIII.       Réparation

[38]           La demanderesse soutient qu’elle avait droit au traitement en temps opportun de sa demande, et qu’elle a donc droit à une ordonnance de mandamus pour forcer le traitement de sa demande. Toutefois, la Cour ne peut délivrer une ordonnance de mandamus à l’égard d’une demande à laquelle il a été mis fin. Voici ce que le juge Rennie a conclu, au paragraphe 23 de la décision Tabingo, confirmée en appel :

[…] Le sens et l’effet des mots « mis fin » sont clairs. L’article 87.4, de par son libellé, est expressément conçu pour s’appliquer rétrospectivement aux demandes antérieures au 27 février 2008 et pour éliminer l’obligation de continuer de traiter les demandes pendantes. Le sens ordinaire et évident de l’article 87.4 exige que la disposition soit rétrospective et qu’elle porte atteinte à des droits acquis, indépendamment de toute injustice perçue. Les trois présomptions invoquées par les demandeurs sont écartées par la clarté de l’intention du législateur.

[Non souligné dans l’original.]

[39]           Le juge Rennie a ajouté ce qui suit, au paragraphe 140, en réponse à des arguments semblables à ceux présentés en l’espèce :

Les demandeurs ont soutenu que, même avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4, le défendeur avait déjà violé les droits des demandeurs au traitement de leurs demandes en temps opportun, et que cette violation passée devait pouvoir donner lieu à une mesure de redressement. Cet argument échoue puisqu’un mandamus ne peut pas remédier à une violation passée alors qu’il n’y a actuellement aucune obligation.

[40]           Enfin, au paragraphe 147, qui s’applique aussi aux arguments soulevés en l’espèce, le juge Rennie s’est exprimé ainsi :

[L]es demandeurs ont attendu en file pendant de nombreuses années pour finalement découvrir que la porte d’entrée était fermée. Ils considèrent que la fin de leur espoir d’une nouvelle vie au Canada résulte d’une mesure injuste, arbitraire et inutile. Cependant, l’article 87.4 est une disposition légale valide, conforme au principe de la primauté du droit, à la Déclaration des droits et à la Charte. Il a été mis fin aux demandes par effet de la loi, et la Cour ne peut pas ordonner un mandamus.

[Non souligné dans l’original.]

[41]           Le juge Phelan abonde dans le même sens dans la décision Liu c MCI, 2014 CF 42, où il conclut ceci, au paragraphe 22 : « ce résultat pourrait être considéré comme injuste aux yeux de plusieurs, mais il s’agit du résultat visé par le législateur et expressément prévu par ce dernier. » Le juge Russell est parvenu à la même conclusion dans la décision Shukla, au paragraphe 42 :

À mon avis, rendre cette ordonnance, pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Trecothic Marsh [(1905), 37 RCS 79], précité, [traduction] « irait clairement à l’encontre de la loi et de la volonté du législateur ». En agissant ainsi, la Cour étendrait en fait sa compétence et irait à l’encontre de la loi et de la volonté claire du législateur.

IX.             Conclusion

[42]           Aucun fondement ne me permet de tirer une conclusion différente des conclusions que la Cour a déjà tirées dans des situations analogues. Comme il a été mis fin au processus de demande de visa, la question d’équité procédurale touchant le test d’anglais disparaît également, tout comme la question de la partialité soulevée par la demanderesse en raison des longs délais de traitement.

[43]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3613-13

 

INTITULÉ :

JULIE EGBUFOR EBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 NovembRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

John A. Agwuncha

POUR LA DEMANDERESSE

 

Martin Anderson

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John A. Agwuncha

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR Le défendeur


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

PARTIE 1 IMMIGRATION AU CANADA

Section 1 Formalités et sélection

Formalités

Visa et documents

Application before entering Canada

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Sélection des résidents permanents

Regroupement familial

Selection of Permanent Residents

Family reunification

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

Immigration économique

Economic immigration

(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

Réfugiés

Refugees

(3) La sélection de l’étranger, qu’il soit au Canada ou non, s’effectue, conformément à la tradition humanitaire du Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées, selon qu’il a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.

(3) A foreign national, inside or outside Canada, may be selected as a person who under this Act is a Convention refugee or as a person in similar circumstances, taking into account Canada’s humanitarian tradition with respect to the displaced and the persecuted.

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Section 2 Demandes

10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d) et 139(1)b), toute demande au titre du présent règlement :

10. (1) Subject to paragraphs 28(b) to (d) and 139(1)(b), an application under these Regulations shall

a) est faite par écrit sur le formulaire fourni par le ministère, le cas échéant;

(a) be made in writing using the form provided by the Department, if any;

b) est signée par le demandeur;

(b) be signed by the applicant;

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

(c) include all information and documents required by these Regulations, as well as any other evidence required by the Act;

d) est accompagnée d’un récépissé de paiement des droits applicables prévus par le présent règlement;

(d) be accompanied by evidence of payment of the applicable fee, if any, set out in these Regulations; and

e) dans le cas où le demandeur est accompagné d’un époux ou d’un conjoint de fait, indique celui d’entre eux qui agit à titre de demandeur principal et celui qui agit à titre d’époux ou de conjoint de fait accompagnant le demandeur principal.

(e) if there is an accompanying spouse or common-law partner, identify who is the principal applicant and who is the accompanying spouse or common-law partner.

Renseignements à fournir

Required information

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

(2) The application shall, unless otherwise provided by these Regulations,

a) les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d’immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l’accompagnent ou non, ainsi que la mention du fait que le demandeur ou l’un ou l’autre des membres de sa famille est l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une autre personne;

(a) contain the name, birth date, address, nationality and immigration status of the applicant and of all family members of the applicant, whether accompanying or not, and a statement whether the applicant or any of the family members is the spouse, common-law partner or conjugal partner of another person;

b) la mention du visa, du permis ou de l’autorisation que sollicite le demandeur;

(I) indicate whether they are applying for a visa, permit or authorization;

c) la mention de la catégorie réglementaire au titre de laquelle la demande est faite;

(c) indicate the class prescribed by these Regulations for which the application is made;

c.1) si le demandeur est représenté relativement à la demande, le nom, l’adresse postale, le numéro de téléphone et, le cas échéant, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique de toute personne ou entité — ou de toute personne agissant en son nom — qui le représente;

(c.1) if the applicant is represented in connection with the application, include the name, postal address and telephone number, and fax number and electronic mail address, if any, of any person or entity — or a person acting on its behalf — representing the applicant;

c.2) si le demandeur est représenté, moyennant rétribution, relativement à la demande par une personne visée à l’un des alinéas 91(2)a) à c) de la Loi, le nom de l’organisme dont elle est membre et le numéro de membre de celle-ci;

(c.2) if the applicant is represented, for consideration in connection with the application, by a person referred to in any of paragraphs 91(2)(a) to (c) of the Act, include the name of the body of which the person is a member and their membership identification number;

c.3) si le demandeur a été conseillé, moyennant rétribution, relativement à la demande par une personne visée à l’un des alinéas 91(2)a) à c) de la Loi, les renseignements prévus aux alinéas I) et I) à l’égard de cette personne;

(c.3) if the applicant has been advised, for consideration in connection with the application, by a person referred to in any of paragraphs 91(2)(a) to (c) of the Act, include the information referred to in paragraphs (c.1) and (c.2) with respect to that person;

c.4) si le demandeur a été conseillé, moyennant rétribution, relativement à la demande par une entité visée au paragraphe 91(4) de la Loi — ou une personne agissant en son nom —, les renseignements prévus à l’alinéa c.1) à l’égard de cette entité ou personne.

(c.4) if the applicant has been advised, for consideration in connection with the application, by an entity — or a person acting on its behalf — referred to in subsection 91(4) of the Act, include the information referred to in paragraph (I) with respect to that entity or person; and

d) une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts et complets.

(d) include a declaration that the information provided is complete and accurate.

Demande du membre de la famille

Application of family members

(3) La demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l’accompagnent.

(3) The application is considered to be an application made for the principal applicant and their accompanying family members.

Demande de parrainage

Sponsorship application

(4) La demande faite par l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial doit être précédée ou accompagnée de la demande de parrainage visée à l’alinéa 130(1)c).

(4) An application made by a foreign national as a member of the family class must be preceded or accompanied by a sponsorship application referred to in paragraph 130(1)(c).

Demandes multiples

Multiple applications

(5) Le répondant qui a déposé une demande de parrainage à l’égard d’une personne ne peut déposer de nouvelle demande concernant celle-ci tant qu’il n’a pas été statué en dernier ressort sur la demande initiale.

(5) No sponsorship application may be filed by a sponsor in respect of a person if the sponsor has filed another sponsorship application in respect of that same person and a final decision has not been made in respect of that other application.

Demande de parrainage non valide

Invalid sponsorship application

(6) Pour l’application du paragraphe 63(1) de la Loi, la demande de parrainage qui n’est pas faite en conformité avec le paragraphe (1) est réputée non déposée.

(6) A sponsorship application that is not made in accordance with subsection (1) is considered not to be an application filed in the prescribed manner for the purposes of subsection 63(1) of the Act.

 

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