Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150105


Dossier : IMM-2853-14

Référence : 2015 CF 7

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

IRMA KURKHULISHVILI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 19 mars 2014, par laquelle la SPR a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]               La demanderesse est une citoyenne géorgienne qui a quitté son pays pour le Canada en mai 2012. Elle réclame le statut de réfugiée en se fondant sur des menaces qu’elle allègue avoir reçues de son ancien employeur. En février 2008, la demanderesse – qui est également avocate – a commencé à travailler comme capitaine de police au département des fraudes et des crimes du Ministère des Affaires intérieures à Tbilissi, un poste qu’elle a gardé jusqu’au 18 novembre 2011. Elle allègue que ses supérieurs lui ont demandé de fabriquer des preuves afin de procéder à l’arrestation de membres du parti politique de l’opposition, ce que la demanderesse a refusé de faire. Durant cette période, la demanderesse et sa famille auraient été menacées d’arrestation et la demanderesse aurait été harcelée par ses collègues et supérieurs, et menacée de viol par le chef de la police. Après avoir quitté son emploi, la demanderesse a ouvert un bureau d’avocat dont les clients étaient des victimes de harcèlement policier. Elle aurait alors été prise en filature et reçu des menaces l’avisant de ne pas parler à des membres de l’opposition. En janvier 2012, la demanderesse a fait un voyage d’une semaine en Angleterre, puis elle est retournée en Géorgie. Elle a quitté son pays à nouveau en mai 2012 pour venir au Canada, où elle a réclamé le statut de réfugiée.

[3]               La demande d’asile a été rejetée. En substance, la SPR détermine que la demanderesse n’est pas crédible et n’a pas une crainte subjective de persécution. Elle n’a pu expliquer de façon satisfaisante pourquoi elle était retournée en Géorgie suite à son voyage en Angleterre, tandis qu’il existe plusieurs contradictions dans son récit, notamment concernant les circonstances entourant la fin de son emploi auprès de la police et celles entourant son départ du pays. Qui plus est, la SPR est également d’avis que la demanderesse a une possibilité de refuge interne [PRI] à Kutaisi et à Zugdidi.

[4]               La demanderesse s’attaque à la raisonnabilité des diverses conclusions de fait de la SPR. Or, il est bien établi par la jurisprudence que cette Cour doit faire preuve d’une grande déférence envers les conclusions de la SPR en ce qui concerne les questions de crédibilité et d’évaluation de la preuve, de même que la possibilité de refuge interne [PRI], qui est essentiellement une question de fait : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 aux paras 35-38 [Mugesera]; Trevino Zavala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 370 au para 5; Hernandez Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 583 au para 28. En l’espèce, la décision de la SPR m’apparaît raisonnable, de sorte que la demande de contrôle judiciaire doit échouer.

[5]               La demanderesse reproche essentiellement à la SPR de s’être trompée en omettant de distinguer la période allant jusqu’au 18 novembre 2011 – où elle travaillait pour la police – et la période après le 18 novembre 2011 – où elle travaillait pour son compte comme avocate. Lorsque la demanderesse explique être retournée en Géorgie après avoir voyagé en Angleterre parce qu’elle avait seulement été menacée une fois, le 20 décembre 2011, elle faisait référence aux menaces ayant eu lieu après qu’elle a commencé à travailler comme avocate et elle ne se contredisait donc pas. Selon la demanderesse, il s’agissait d’un événement isolé et ne pouvait donc pas constituer de la persécution, ce qui fait en sorte que la SPR ne pouvait pas reprocher à la demanderesse de ne pas avoir fui dès cet événement isolé. De plus, même si le carnet de travail de la demanderesse indique que c’est elle qui a démissionné, et même si la demanderesse a indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] qu’elle avait quitté son poste, la SPR aurait dû accepter l’explication de la demanderesse que dans les faits, on l’avait plutôt congédiée, sinon forcée à démissionner de son poste pour éviter qu’elle ne puisse poursuivre son ancien employeur.

[6]               Mais pour le défendeur, le témoignage de la demanderesse est ponctué de contradictions et d’invraisemblances. Il est également manifeste qu’elle n’a pas le comportement d’une personne craignant réellement pour sa vie. Ainsi, elle a témoigné à l’audience qu’elle avait peur pour sa vie depuis le 20 décembre 2011, ce qui contredit sa déclaration antérieure à l’effet puisqu’elle craignait la police depuis janvier 2011. Il n’empêche, le fait pour la demanderesse de ne pas demander l’asile en Angleterre en janvier 2012, alors qu’elle venait d’être menacée par la police le 20 décembre 2011, mine sérieusement sa crainte subjective. D’autre part, les éléments de preuve au dossier contredisent le témoignage de la demanderesse quant aux circonstances entourant la cessation de son lien d’emploi auprès de la police. Enfin, il est invraisemblable que la demanderesse ait pu quitter l’aéroport si elle était vraiment recherchée ou menacée par des individus puissants au sein de la police géorgienne. L’ensemble de ces éléments fait en sorte qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse n’était pas crédible. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion de la SPR concernant la PRI dans une ville située à 200 kilomètres de la capitale où la demanderesse travaillait.

[7]               Dans le cas présent, l’absence de crédibilité m’apparaît déterminante. Je suis d’accord avec le défendeur qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse n’était pas crédible. Même s’il n’est pas impossible qu’un autre décideur ait pu en arriver à une conclusion différente, il n’en demeure pas moins qu’il existe des contradictions et des invraisemblances importantes dans le témoignage de la demanderesse. En l’espèce, la SPR appuie son raisonnement sur les éléments de preuve disponibles et il n’y a pas d’incohérence manifeste entre la conclusion de la SPR et la preuve au dossier (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 60). D’une part, la demanderesse dit que l’incident du 20 décembre 2011 devrait être considéré comme un incident isolé, mais pourtant, elle se fonde également sur les menaces qu’elle aurait subies avant le 18 novembre 2011 pour appuyer sa demande d’asile. Il m’apparaît raisonnable de considérer que le retour de la demanderesse en Géorgie suite à son voyage en Angleterre en janvier 2012 mine grandement sa crédibilité. Au demeurant, si l’on accepte que la police soit assez puissante pour fabriquer des preuves pour arrêter des personnes innocentes, rien ne l’empêchait d’arrêter la demanderesse à l’aéroport en invoquant des fausses accusations.

[8]               Au risque de me répéter, il ne m’appartient pas de réévaluer l’ensemble de la preuve pour en venir à une conclusion de fait différente. Il ne s’agit pas d’un appel, mais d’un contrôle judiciaire; en conséquence, une grande déférence doit être accordée aux conclusions de fait de la SPR qui est un tribunal spécialisé (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF) au para 4; Mugesera, précité aux paras 35-38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux paras 61 et 64; Canada (Procureur général) c Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193 au para 62; Nimer Obeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 503 aux paras 9-11). Vu que la conclusion d’absence de crédibilité de la SPR est en soi suffisante pour rejeter la demande d’asile, il n’y a donc pas lieu d’examiner la raisonnabilité de la conclusion de la SPR concernant la PRI.

[9]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les procureurs n’ont proposé aucune question d’importance générale et aucune question ne sera certifiée par la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2853-14

 

INTITULÉ :

IRMA KURKHULISHVILI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Cecilia Ageorges

 

Pour la demanderesse

 

Me Pavol Janura

Pour lE défendeUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Cecilia Ageorges

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.