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Date : 20150105


Dossier : IMM-2500-14

Référence : 2015 CF 6

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JOSEPH REZKO

SAYDI JAJJO

MERIAM REZKO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de l’agente C. Palmer [Agente] de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], datée du 6 février 2014, rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] des demandeurs au motif qu’ils n’ont pas démontré plus d’une simple possibilité de persécution ou établi, selon la balance des probabilités, qu’ils feront face à un risque à leur vie ou à un risque de torture ou de traitement cruel ou inusité s’ils doivent retourner en Syrie.

[2]               Les demandeurs ont quitté leur pays en 2010. Leur demande d’asile a été rejetée le 12 décembre 2011 (autorisation refusée par cette Cour le 11 avril 2012). En mars 2012, les demandeurs ont présenté une demande ERAR, laquelle a été refusée le 7 juin 2013, et qui a donné lieu à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les demandeurs étaient représentés à l’époque par Me Luc R. Desmarais [ancien procureur]. Le 13 décembre 2013, l’ancien procureur s’est désisté de la demande de contrôle après avoir conclu une entente avec le défendeur selon laquelle il y aurait un nouvel examen de la demande ERAR. De fait, le 20 décembre 2013, un agent du bureau de CIC a avisé l’ancien procureur que les demandeurs avaient jusqu’au 12 janvier 2014 pour soumettre toute nouvelle documentation ou information à ajouter à leur demande ERAR. Le 6 février 2014, l’Agente a refusé la demande ERAR.

[3]               Les demandeurs accusent aujourd’hui leur ancien procureur de négligence professionnelle, car ils ignoraient tout, disent-ils, du règlement et du désistement, et de la possibilité de soumettre des nouvelles preuves. De plus, ils affirment que leur ancien procureur n’agissait pas comme représentant désigné des demandeurs dans la demande ERAR; c’était plutôt le consultant en immigration qui avait complété la demande ERAR. Subsidiairement, ils prétendent que la décision contestée est déraisonnable.

[4]               La demande de contrôle judiciaire doit échouer.

[5]               Exceptionnellement, cette Cour pourra considérer que le manquement ou la négligence d’un avocat peut se traduire par un bris de l’équité procédurale et justifier la tenue d’une nouvelle audition devant un décideur administratif, mais uniquement si la faute reprochée relève de l’incompétence professionnelle et que l’issue de la cause aurait été différente, n’eût été le comportement fautif de l’avocat (R c GDB, 2000 CSC 22 aux paras 26-29; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269 aux paras 19-24; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 505 aux paras 23-24).

[6]               D’ailleurs, cette Cour est dotée d’un Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (7 mars 2014, Avis à la communauté juridique, en ligne : Cour fédérale <http://cas-ncr-nter03.cas-satj.gc.ca/portal/page/portal/fc_cf_fr/Notices/procedural-protocol_7mar2014>) [Protocole procédural]. En vertu de ce protocole, l’avocat actuellement saisi d’un dossier doit fournir à l’ancien procureur un avis écrit donnant suffisamment de détails au sujet des allégations d’incompétence ou de négligence envers lui et lui donner sept jours pour présenter une réponse, afin de pouvoir déterminer si les allégations sont fondées avant même de déposer et signifier le dossier de la demande. De plus, si l’autorisation est accordée dans le dossier, l’avocat actuellement saisi du dossier doit informer l’ancien procureur et l’ancien procureur peut déposer une requête en vue d’être autorisé à intervenir.

[7]               Dans le cas présent, les seules informations dont dispose la Cour au sujet de la conduite de l’ancien procureur des demandeurs sont les allégations générales contenues dans l’affidavit du demandeur principal, puisque le Protocole procédural n’a pas été suivi. L’ancien procureur n’a pas reçu d’avis, il n’a pas répondu aux allégations contre lui et il n’a pas demandé d’intervenir. La Cour ne bénéficie donc pas des représentations de l’ancien procureur.

[8]               Dans l’affidavit du demandeur principal, ce dernier indique uniquement que l’ancien procureur ne les a pas avertis ni du désistement, ni de la possibilité de soumettre de nouvelles preuves. Toutefois, le demandeur principal n’indique aucunement qu’il suivait son propre dossier ou qu’il avait lui-même tenté de communiquer avec son avocat dans la période entre le dépôt de la demande de contrôle judiciaire et la réception de la décision ERAR. De plus, les demandeurs prétendent aujourd’hui qu’ils ont subi un préjudice en se référant à divers passages de la décision attaquée faisant état de l’absence de preuves supplémentaires, mais ni dans l’affidavit du demandeur principal, ni dans le mémoire et le mémoire supplémentaire des demandeurs, il n’est fait état de la nature de ces nouvelles preuves et comment leur production pourrait entraîner un résultat différent.

[9]               Les allégations générales des demandeurs ne sont pas suffisantes en l’espèce. Les demandeurs n’ont pas suivi le Protocole procédural, ce qui fait en sorte que la Cour ne dispose pas des représentations de l’ancien procureur. De plus, les demandeurs n’ont aucunement démontré que la conduite reprochée à l’ancien procureur a mené à un préjudice. La Cour ne sait toujours pas quelles sont les véritables intentions des demandeurs. Pourtant, ils ont un nouveau procureur, alors que ce dernier n’a pas jugé opportun de demander une prorogation du délai pour soumettre un nouvel affidavit, ou demander une remise de l’audition pour mettre en cause l’ancien procureur (sinon pour confirmer que ces clients n’avaient porté aucune plainte au Barreau du Québec contre leur ancien procureur). La Cour ne peut donc pas conclure que les actions de l’ancien procureur ont mené à un manquement à l’équité procédurale qui justifierait de casser la décision attaquée.

[10]           Les demandeurs font également valoir qu’ils ont désigné M. Raed Makho [consultant] auprès de CIC comme leur représentant dans la demande ERAR (voir formulaires IMM 5476 datés du 18 février 2013). Ils prétendent que toute communication entre CIC et les demandeurs devait obligatoirement passer par le consultant, et non l’ancien procureur. Rien n’indique que les demandeurs ont modifié ou retiré l’autorisation du consultant. Le fait que Me Desmarais avait été mandaté par les demandeurs pour les représenter devant cette Cour n’implique pas qu’il avait également été mandaté par les demandeurs pour les représenter auprès de CIC.

[11]           Je suis d’accord avec le défendeur que CIC n’a pas mal agi dans les circonstances. Suite à la correspondance échangée après le désistement avec Me Desmarais en décembre 2013 – ce dernier n’a jamais demandé à CIC de rediriger la correspondance au consultant – CIC pouvait raisonnablement croire que c’est lui qui agissait comme représentant des demandeurs. D’ailleurs, je ne suis pas non plus convaincu que le guide opérationnel Traitement des demandes au Canada au chapitre 9 Recours aux services d’un représentant [IP 9] de CIC soit déterminant, puisque la demande d’ERAR pour laquelle le consultant avait été désigné avait fait l’objet d’une décision finale. Selon la doctrine du mandat apparent, tout indiquait vis-à-vis les tiers, incluant CIC, que l’ancien procureur des demandeurs agissait avec l’assentiment des demandeurs qui l’avaient autorisé à se désister de la demande de contrôle (voir par exemple Wandlyn Motels Limited et al c Commerce General Insurance Co et al, [1970] RCS 992, 1970 CanLII 162 (CSC) aux pp 1003-1004; Bois Expansion inc c Yaraghi, 2008 QCCA 739 au para 27). L’ancien procureur représentait les demandeurs lors du règlement de la demande déposée à cette Cour, et CIC pouvait donc faire parvenir à l’ancien procureur la lettre indiquant que les demandeurs avaient jusqu’à une certaine date pour déposer de nouvelles preuves, puisqu’il s’agissait d’une communication directement liée au règlement intervenu avec le défendeur.

[12]           Sur le fond, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision n’était pas raisonnable. Dans la décision contestée, l’Agente a fait une analyse complète et bien motivée de la preuve soumise par les demandeurs dans leur demande d’ERAR en mars 2012 ainsi que de la preuve objective la plus récente. L’Agente a évalué de façon approfondie les conditions présentes en Syrie, de façon générale et plus spécifiquement pour les chrétiens, et son analyse démontre qu’elle a considéré l’ensemble des éléments de preuve, incluant ceux supportant les prétentions des demandeurs.  L’Agente a conclu que selon la preuve devant elle, les chrétiens en Syrie ne font pas face à de la persécution à travers le pays, mais que les chrétiens faisaient face à un risque sous l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, dans la ville de Homs, tandis que des possibilités de refuge interne existaient à Damas, Alep et dans d’autres régions. C’est une issue acceptable compte tenu du droit applicable et de la preuve dont disposait l’Agente.

[13]           Comme les demandeurs n’ont pas démontré qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale ou que la décision est déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les procureurs conviennent qu’aucune question d’importance générale n’est soulevée dans ce dossier et, en conséquence, aucune question ne sera certifiée par la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est refusée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2500-14

 

INTITULÉ :

JOSEPH REZKO, SAYDI JAJJO, MERIAM REZKO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Rami Kaplo

 

Pour les demandeurs

 

Me Isabelle Brochu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Kaplo

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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