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Date : 20150128


Dossier : IMM-2735-14

Référence : 2015 CF 109

Montréal (Québec), le 28 janvier 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

SALIM RAMOUL
LAMIA BOUKERMA
MOHAMED SALAH RAMOUL
MOHAMED ISLEM RAMOUL
MOHAMED RANI RAMOUL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

CONSIDÉRANT que la Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une décision datée du 14 mars 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] a statué que les demandeurs n’étaient, aux fins des articles 96 et 97 de la Loi, ni réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger;

APRÈS LECTURE FAITE des mémoires des parties et du dossier du tribunal;

APRÈS AVOIR ENTENDU les plaidoiries des parties;

CONSIDÉRANT que les demandeurs (Monsieur Salim Ramoul, son épouse, Lamia Boukerma, et leurs trois enfants, Mohamed Salah Ramoul, Mohamed Islem Ramoul et Mohamed Rani Ramoul) sont citoyens algériens;

CONSIDÉRANT que la SPR n’a pas remis en cause la crédibilité des demandeurs, mais a estimé qu’ils n’étaient pas parvenus à réfuter la présomption de protection de l’État algérien;

CONSIDÉRANT que la présente demande soulève la question suivante : la décision de la SPR rejetant la demande d’asile des demandeurs parce que ces derniers n’ont pas repoussé la présomption de protection de l’État algérien est-elle raisonnable ?

CONSIDÉRANT que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux questions relatives à la protection de l’État car il s’agit de questions mixtes de fait et de droit relevant de l’expertise de la SPR (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 aux paras 51-55 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au para 25; Rusznyak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 255, au para 23; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 1004, 440 FTR 106, au para 22 [Ruszo]).

CONSIDÉRANT que la demande de révision judiciaire des demandeurs doit être rejetée pour les raisons suivantes :

[1]               Monsieur Ramoul craint, pour lui et sa famille, les représailles d’un commerçant influent qui n’aurait pas accepté de faire l’objet d’un contrôle fiscal initié par la direction que dirigeait M. Ramoul alors qu’il était à l’emploi d’une agence gouvernementale algérienne responsable de la perception des impôts. Ce commerçant aurait tenté en vain de se soustraire à ce contrôle, tant en intimidant M. Ramoul avec l’aide de ses deux fils qu’en faisant jouer ses influences. Poursuivi par le gouvernement pour impôts impayés, il se serait retrouvé en prison pour insolvabilité et, lui et ses fils [les Agents persécuteurs], auraient accentué leurs menaces à l’endroit de M. Ramoul. Ces événements se seraient produits entre janvier et juillet 2012, date à laquelle M. Ramoul et sa famille ont quitté l’Algérie pour chercher refuge au Canada.

[2]               M. Ramoul reconnaît ne pas avoir eu recours à la protection de l’État algérien pour contrer ces menaces, car il estime que cette protection ne lui aurait été d'aucun secours compte tenu du niveau de corruption des institutions judiciaires et policières dans ce pays, et de l’influence de ses Agents persécuteurs auprès des autorités publiques.

[3]               La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs sur la base qu’ils n’avaient pas, par une preuve claire et convaincante, repoussé la présomption que l’Algérie pouvait assurer leur protection. En outre, elle a conclu que le refus de porter plainte au motif que celle-ci ne serait pas prise en considération ne suffit pas à renverser ladite présomption, car une telle preuve ne démontre pas que les institutions policières et judiciaires laissent des faits criminels impunis quand elles sont tenues au courant.

[4]               Dans leur mémoire, les demandeurs soutiennent que l’Algérie n’est pas un État démocratique au sens établi par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], et qu’ils n’ont, par conséquent, pas à réfuter la présomption de protection de l’État en l’espèce. À l’audience, la procureure des demandeurs a pris une position plus nuancée en reconnaissant que ladite présomption s’appliquait dans le cas de l’Algérie, mais que les problèmes de corruption qui frappent toujours ce pays faisaient en sorte de réduire le fardeau s’imposant aux demandeurs pour repousser cette présomption. Elle soutient à cet égard que le témoignage du demandeur sur ses expériences antérieures avec les autorités algériennes et sur ce qu’il connaît de l’efficacité de l’encadrement légal et procédural policier prévalant dans ce pays constituait, suivant l’arrêt Ward, précité, une preuve suffisante devant conduire la SPR à conclure à l’incapacité de l’État algérien de protéger les demandeurs et à l’inutilité d’une démarche de protection auprès des autorités.

[5]               Je ne peux accepter cet argument. Selon l’arrêt Ward, précité, à la page 725, l’on doit présumer qu'un État est capable de protéger ses citoyens, sauf en cas d’effondrement complet de l'appareil étatique. Les demandeurs ne prétendent pas que l’Algérie est dans un état d’effondrement de son appareil étatique. Le contraire aurait été étonnant, à la lumière des jugements récents de cette Cour concernant des demandeurs d’asile provenant de ce pays, où l’on a jugé que la présomption de protection de l’État s’appliquait pleinement (Amrane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 12, 424 FTR 255, au paragraphe 30; Bagui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1527, au paragraphe 17; Baraka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1118, au paragraphe 11).

[6]               Dans ce contexte, il appartenait aux demandeurs de présenter une preuve « claire et convaincante » de l'incapacité de l'État d'assurer leur protection. Ils se devaient de démontrer qu’il s’avérait « objectivement déraisonnable », dans leur cas, de solliciter la protection de leur pays d’origine (Ward, précité, à la page 724). Il est important de rappeler ici que la sécurité des ressortissants constitue l’essence de la souveraineté, et que la présomption de protection de l’État sert à renforcer la raison d’être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire n’entrant en jeu que lorsque le revendicateur du statut de réfugié ne dispose d'aucune solution de rechange, et non dans le but de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà (Ward, précité, pp. 725-726).

[7]               En l’espèce, les demandeurs, tel qu’indiqué précédemment, n’ont fait aucune tentative pour solliciter la protection de l’État algérien contre les agissements des Agents persécuteurs. Ils ont justifié leur réticence à le faire par un manque de confiance envers les institutions algériennes et par l’influence que leurs Agents persécuteurs leur semblaient capables d’exercer sur lesdites institutions.

[8]               Or, il est bien établi que de remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve, ou en faisant valoir une réticence purement subjective à faire intervenir l’État, ne suffit pas à réfuter la présomption de protection étatique (Ruszo, précité, au paragraphe 33; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1214, au paragraphe 28; Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1126, au paragraphe 10; Huntley c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 573, au paragraphe 136). Cette réticence, comme on l’a vue, doit être « objectivement raisonnable ».

[9]               Comme l’a dit monsieur le juge en Chef Crampton dans l’affaire Ruszo, précité, au paragraphe 51 :

[…] l’impression subjective qu’une personne perdrait son temps en demandant la protection de la police ou en essayant de corriger les manquements de la police locale en soumettant l’affaire à d’autres sources de protection policière ne constituerait pas une preuve convaincante, sauf si le demandeur avait demandé sans succès la protection de la police à de multiples reprises, comme dans l’affaire Ferko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1284, au paragraphe 49.

[10]           Le témoignage de M Ramoul sur ses expériences antérieures avec les autorités algériennes et sur ce qu’il connaît de l’efficacité de l’encadrement légal et procédural policier prévalant dans ce pays ne rencontre pas ce critère d’objectivité raisonnable. Rien dans cette preuve n’indique que ces expériences et connaissances résultent de tentatives infructueuses visant à obtenir la protection des autorités policières. Cette preuve demeure largement subjective et pour le moins contradictoire dans la mesure où l’agent persécuteur principal des demandeurs, le commerçant faisant l’objet du contrôle fiscal, a été, malgré toute l’influence que les demandeurs lui prêtent, jugé et sanctionné par les autorités algériennes, au point de recevoir une peine d’emprisonnement.

[11]           Il appartenait aux demandeurs de fournir une preuve claire et convaincante de leur incapacité à obtenir une protection adéquate de l’État algérien. Cette incapacité devait être « objectivement raisonnable » et non purement subjective. La SPR a jugé que ce fardeau n’avait pas été rencontré. À la lumière de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, j’estime que cette conclusion appartient aux « issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est, dès lors, raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[12]           Ni l’un ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale, tel que le prévoit le paragraphe 74(d) de la Loi.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2735-14

 

INTITULÉ :

SALIM RAMOUL ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 janvier 2015

 

ORDONNANCE ET motifs:

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 janvier 2015

 

COMPARUTIONS :

Mélanie Calisto Azevedo

 

Pour les demandeurs

 

Sonia Bédard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mélanie Calisto Azevedo

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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