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Date : 20150115


Dossier : IMM-3220-14

Référence : 2015 CF 61

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 15 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JIAHONG YU

ET

JIAWEN ZHANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Afin d’établir l’existence d’une crainte fondée de persécution aux fins de l’article 96 de la LIPR, les demandeurs doivent établir qu’ils ont à la fois une crainte subjective et une crainte objective de persécution. Le caractère individualisé de la crainte de persécution doit être établi (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] ACS 74).

II.                Introduction

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Contexte

[3]               Mme Zhang (la demanderesse principale) et M. Yu forment un couple marié. Ils ont deux enfants qui sont nés le 23 octobre 2011 et le 13 janvier 2013, respectivement. À l’audience devant la SPR, la demanderesse principale attendait son troisième enfant.

[4]               En tant que résidents inscrits d’une zone urbaine de la province chinoise de Guangdong, les demandeurs sont assujettis à la politique de l’enfant unique du Bureau de la planification des naissances (BPF) du gouvernement chinois. Par conséquent, la demanderesse principale devait porter un dispositif intra‑utérin (DIU), à titre de moyen de contraception, et se soumettre régulièrement, dans une clinique gouvernementale, à un examen visant à confirmer que le DIU était toujours en place.

[5]               En avril 2012, la demanderesse principale a découvert qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Craignant que les représentants de l’État forcent la demanderesse principale à se faire avorter ou la stérilisent contre son gré, les demandeurs ont fui la ville de Guangzhou. Avec l’aide d’un passeur de clandestins, les demandeurs ont pris des arrangements pour venir au Canada, en passant par les États‑Unis.

[6]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 19 août 2012 et ils ont présenté une demande d’asile le 4 septembre 2012. Une audience a eu lieu devant la SPR le 22 janvier 2014.

IV.             Décision contestée

[7]               Dans sa décision du 3 avril 2014, la SPR conclut que les demandeurs n’ont pas réussi à établir l’existence d’un fondement objectif pour leur demande.

[8]               La SPR conclut que les allégations des demandeurs, à savoir que Mme Zhang serait forcée de se faire avorter ou de subir une stérilisation à leur retour, et que les autorités chinoises se serviraient de M. Yu pour obliger Mme Zhang à rentrer en Chine, sont incohérentes, conjecturales et non étayées par la preuve. La SPR accorde par ailleurs peu de valeur probante aux lettres déposées par les demandeurs, au motif qu’elles ne sont pas crédibles.

[9]               La SPR conclut qu’à leur retour en Chine, les demandeurs pourraient recevoir une amende pour avoir eu un enfant sans autorisation, conformément au règlement en matière de planification des naissances de la province de Guangdong. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour, la SPR conclut que l’imposition de tels frais ou d’une telle amende ne constitue pas de la persécution aux fins de l’article 96 de la LIPR.

V.                Question en litige

[10]           Les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’ont pas établi qu’ils craignaient avec raison la persécution sont‑elles déraisonnables?

VI.             Dispositions législatives applicables

[11]           Les dispositions applicables de la LIPR sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a)   soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a)   is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b)   soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b)   not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a)   soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a)   to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b)   soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b)   to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)    elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)    the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)   elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii)   the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)  la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii)  the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)  la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv)  the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

      (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

      (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII.          Analyse

[12]           La conclusion de la SPR quant à la question de savoir si les demandeurs ont établi qu’ils craignaient avec raison la persécution est susceptible de contrôle selon la norme déférente de la décision raisonnable (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 610, au paragraphe 8 (Li)).

[13]           Les demandeurs fondent leur demande de contrôle judiciaire sur les motifs suivants :

i)                    la SPR n’a pas appliqué la bonne norme de preuve pour établir l’existence d’une crainte fondée de persécution;

ii)                  la SPR n’a pas évalué convenablement le risque auquel s’exposaient les demandeurs;

iii)                la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve contredisant directement ses conclusions.

[14]           La Cour est d’avis que les arguments des demandeurs n’ont aucun fondement. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

[15]           Afin d’établir l’existence d’une crainte fondée de persécution aux fins de l’article 96 de la LIPR, les demandeurs doivent établir qu’ils ont à la fois une crainte subjective et une crainte objective de persécution. Le caractère individualisé de la crainte de persécution doit être établi (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] ACS 74).

[16]           Dans ses motifs, la SPR reconnaît que bien que la stérilisation forcée et les avortements forcés soient illégaux en Chine, de telles pratiques y existent. S’appuyant sur la preuve concernant la situation dans le pays, la SPR conclut néanmoins à l’existence de mesures de protection suffisantes contre la stérilisation et les avortements forcés à Guangdong. La SPR convient que la preuve montre que certaines catégories de travailleurs migrants qui ne respectent pas la politique de planification des naissances à Guangdong risquent de perdre leur emploi et leur logement, mais elle est d’avis que les demandeurs ne sont pas ciblés par de telles mesures, eux qui, de leur propre aveu, avaient un revenu confortable à Guangzhou. (Si, sur le fond, la situation des demandeurs avait été différente, le raisonnement aurait pu être tout autre; cela dit, chaque cas doit être examiné en fonction de la preuve subjective et objective qui lui est propre.)

[17]           En outre, comme en témoignent les documents sur la situation dans le pays, les citoyens qui ont des enfants sans autorisation, comme les demandeurs, doivent payer une amende appelée [traduction] « frais d’assistance sociale », lesquels sont déterminés par les différents gouvernements provinciaux. À la lumière de la jurisprudence de la Cour, la SPR conclut que les sanctions pécuniaires visant à assurer le respect de la loi ne constituent pas de la persécution (décision Li, précitée; Lin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 66 FTR 207, au paragraphe 6).

[18]           La Cour conclut que la SPR a soigneusement examiné et soupesé la preuve subjective et objective dans son examen de la demande des demandeurs. En somme, les conclusions de la SPR sont fondées sur la preuve et jugées raisonnables.

VIII.       Conclusion

[19]           Compte tenu de ce qui précède, la demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Il existe une question de portée générale à certifier (voir ci‑après).

Question à certifier

La Cour présente la question de portée générale suivante aux fins de certification; elle soumet ainsi la question suivante à la Cour d’appel fédérale :

« La politique de l’enfant unique, lorsqu’elle est appliquée par un État, constitue‑t‑elle une forme de “persécution” au sens de la Convention sur les réfugiés à l’encontre des couples qui souhaiteraient avoir, ont conçu, ou ont eu plus d’un enfant? »

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉRÉDALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3220-14

 

INTITULÉ :

JIAHONG YU ET JIAWEN ZHANG C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Iven K.S. Tse

POUR LES DEMANDEURS

Ryan Dawodharry

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Iven K.S. Tse Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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