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Date : 20150116


Dossier : IMM‑3910‑14

Référence : 2015 CF 70

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 16 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ALONDRA ANAHI DELGADO LOPEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour estime que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, à l’égard desquelles elle doit faire preuve d’une retenue considérable, ont un fondement rationnel (Dunsmuir, précité, au paragraphe 41). Il était loisible à la SPR de conclure que le défaut de la demanderesse de fournir des explications raisonnables pour les omissions et les contradictions importantes dans sa demande d’asile minait sa crédibilité. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont raisonnables et ne constituent pas un fondement permettant à la Cour d’intervenir.

II.                Introduction

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision datée du 22 avril 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) conclut que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique âgée de 19 ans, qui allègue une crainte fondée de persécution en raison des opinions politiques qu’on lui impute ainsi qu’un risque personnalisé à son retour au Mexique.

[4]               La demanderesse allègue les faits suivants. Le 25 décembre 2013, la demanderesse et son époux sont arrivés en voiture à un point de contrôle au Mexique, et cinq policiers ont battu et enlevé l’époux de la demanderesse. En dépit du fait que les policiers se sont approchés du côté du véhicule où elle prenait place, la demanderesse a réussi à s’échapper et à courir au supermarché le plus près, tout en évitant les projectiles que les policiers tiraient en sa direction.

[5]               La demanderesse a quitté le Mexique le 26 décembre 2013, est arrivée au Canada le 7 janvier 2014 et a demandé l’asile en février 2014. Une audience a eu lieu par vidéoconférence le 14 avril 2014.

[6]               Le 17 mars 2014, la demanderesse a donné naissance à une fille née au Canada.

IV.             Décision contestée

[7]               La SPR a établi que la question déterminante pour rejeter la demande d’asile de la demanderesse était la crédibilité. Elle a tiré les conclusions suivantes.

i)                    La demanderesse a affirmé dans ses formulaires d’immigration n’avoir jamais été refoulée. C’est seulement à la suite de l’intervention du ministre et après un interrogatoire serré que la demanderesse a affirmé qu’elle s’était rendue aux États‑Unis le 15 septembre 2013. La SPR a jugé que le défaut de la demanderesse de révéler cette entrée dans un autre pays et que son manque d’explication quant à cette omission montraient que la demanderesse  était disposée à faire de fausses déclarations ou à cacher des faits aux autorités canadiennes de l’immigration, ce qui diminuait sa crédibilité;

ii)                  La demanderesse a affirmé que, lorsqu’elle est entrée aux États‑Unis en septembre 2013, elle n’avait pas de sac, de passeport ni d’argent; toutefois, elle avait auparavant affirmé qu’elle était allée aux États‑Unis pour acheter des vêtements. La SPR a estimé que cette contradiction minait la crainte subjective alléguée de la demanderesse, étant donné que celle-ci avait auparavant quitté le Mexique pour d’autres raisons, en septembre 2013;

iii)                La demanderesse a fourni des dates contradictoires concernant la délivrance de son passeport. Elle a affirmé qu’elle avait demandé son passeport en septembre 2013, malgré le fait que celui‑ci ait été délivré le 29 août 2013. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette incohérence, la demanderesse a soutenu qu’elle ne savait pas à quel moment son passeport avait été délivré. La SPR a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse sache à quel moment elle avait demandé son passeport, étant donné qu’elle avait fait la demande elle‑même;

iv)                L’exposé circonstancié de la demanderesse quant aux événements qui sont au cœur de sa demande d’asile du 25 décembre 2013 est vague, ce qui mine sa crédibilité. La SPR a tiré une inférence négative du défaut de la demanderesse de fournir des précisions se rapportant à l’événement et a jugé que l’allégation de la demanderesse selon laquelle des policiers la poursuivaient n’était pas étayée par des éléments de preuve crédibles. La SPR a jugé que, en l’absence d’explication raisonnable, il était improbable que la demanderesse, qui était alors enceinte de six mois, ait pu échapper à quatre ou cinq policiers quand ceux‑ci se sont approchés de son côté de la voiture et réussir à s’enfuir, tout en évitant les projectiles tirés dans sa direction;

v)                  La demanderesse a fourni des éléments de preuve contradictoires sur ses interactions précédentes avec des policiers. Elle a affirmé que, avant le 25 décembre 2013, ni elle ni aucun membre de sa famille n’avaient eu d’interactions avec des policiers; toutefois, dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), la demanderesse a affirmé que deux policiers étaient venus à son domicile en décembre 2013 et avaient parlé à son époux. Aux questions qui lui ont été posées sur cette contradiction, la demanderesse a répondu qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait oublié de mentionner cette rencontre;

vi)                Interrogée au sujet des raisons pour lesquelles les autorités mexicaines s’intéresseraient à elle, elle a affirmé qu’elle l’ignorait.

[8]               De plus, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi de lien avec le motif des opinions politiques prévu à la Convention et qu’elle n’avait pas qualité de « personne à protéger » aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

V.                Dispositions législatives pertinentes

[9]               Les dispositions législatives suivantes de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a)   soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a)   is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b)   soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b)   not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a)   soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a)   to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b)   soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b)   to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)    elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)    the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)   elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii)   the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)  la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii)  the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)  la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv)  the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

      (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

      (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Arguments

[10]           La demanderesse soutient qu’elle risque la persécution en raison de ses opinions politiques perçues, et qu’elle est exposée à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[11]           La demanderesse soutient que la SPR a commis des erreurs  :

i)                    en formulant ses conclusions quant à la crédibilité, qui sont déraisonnables;

ii)                  en effectuant son analyse du motif des opinions politiques prévu à de la Convention aux termes de l’article 96;

iii)                en fournissant des motifs insuffisants et omettant de mener une analyse aux termes de l’article 97.

[12]           Le défendeur soutient que la crédibilité est au cœur de la compétence de la SPR et qu’il était loisible à celle-ci de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Il affirme que les conclusions de la SPR sont raisonnables et que la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve crédible à l’appui de sa demande d’asile.

VII.          Questions en litige

[13]           La demande fait ressortir les questions en litige qui suivent :

i)                    Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont‑elles déraisonnables?

ii)                  La SPR a‑t‑elle commis des erreurs dans son application des articles 96 et 97 de la LIPR?

VIII.       Norme de contrôle

[14]           Conformément à la jurisprudence, la Cour doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de la SPR quant à la crédibilité, qui entrent dans la sphère de compétence de la SPR et sont, par conséquent, susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993, 160 NR 315; Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 979, au paragraphe 14 [Herrera]).

IX.             Analyse

a)                  Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont‑elles déraisonnables?

[15]           Les contradictions relevées par la SPR, comme on l’a vu plus haut, sont au cœur de la demande d’asile de la demanderesse en ce sens qu’elles minent les allégations de crainte subjective et de risque au retour au Mexique de celle‑ci.

[16]           La SPR a apprécié les éléments de preuve concernant des liens possibles entre l’époux de la demanderesse et Sergio Torres, politicien local qui serait proche de narcotrafiquants, et leur a conféré peu de poids, étant donné qu’ils ne corroborent pas les éléments au cœur de la demande d’asile de la demanderesse et sont de nature hypothétique. La SPR a également conféré peu de valeur probante à la lettre de la mère de la demanderesse, étant donné qu’elle n’est pas datée, qu’elle est vague et qu’elle fournit de l’information indirecte.

[17]           La Cour estime que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, à l’égard desquelles elle doit faire montre de retenue considérable, ont un fondement rationnel (Dunsmuir, précité, au paragraphe 41). Il était loisible à la SPR de juger que le défaut de la demanderesse de fournir des explications raisonnables pour les omissions et contradictions importantes relevées dans sa demande d’asile minait sa crédibilité. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont raisonnables et ne constituent pas un fondement permettant à la Cour d’intervenir.

b)                  La SPR a‑t‑elle commis des erreurs dans son application des articles 96 et 97 de la LIPR?

[18]           La demanderesse soutient que la SPR a commis des erreurs dans son analyse du motif des opinions politiques prévu à la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR.

[19]           Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, la Cour est convaincue que l’analyse effectuée par la SPR aux termes de l’article 96 est ancrée dans les éléments de preuve objectifs et subjectifs. Dans ses motifs, la SPR s’est exprimée ainsi :

Même si le tribunal comprend que la demandeure d’asile n’a peut‑être pas beaucoup d’information concernant les motifs pour lesquels son époux pourrait avoir été enlevé, elle n’a pas établi qu’elle serait perçue comme s’opposant à l’État en raison de l’enlèvement de son époux par des policiers corrompus. Même si le conseil du demandeur d’asile a présenté une importante preuve documentaire concernant les disparitions forcées au Mexique qui concorde avec la preuve documentaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), il incombe à l’appelante d’établir un lien entre ses circonstances et la preuve documentaire et le tribunal conclut qu’elle ne l’a pas fait. Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la demandeure d’asile n’a pas établi un lien et ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’elle sera exposée à davantage qu’une simple possibilité de persécution si elle retourne au Mexique.

(Décision de la SPR, au paragraphe 23)

[20]           De plus, la SPR a renvoyé aux directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans son évaluation des circonstances particulières de la demanderesse. Elle a noté que, vu l’âge et le sexe de la demanderesse et le contexte socioculturel, il était possible que celle-ci ne soit guère au courant des fréquentations et des activités professionnelles de son époux ainsi que de ses liens possibles avec des narcotrafiquants ou des fonctionnaires corrompus. Qui plus est, la SPR a évalué la question de savoir si les persécuteurs allégués de la demanderesse étaient en mesure de voir en la demanderesse une opposante à l’État du Mexique (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux paragraphes 81 à 83).

[21]           En outre, la demanderesse soutient qu’il incombait à la SPR de mener une analyse séparée aux termes de l’article 97 de la LIPR.

[22]           Comme l’a souligné la SPR, la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve solides pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle s’expose à une menace à sa vie ou à un risque de peines ou traitements cruels et inusités à son retour au Mexique. Compte tenu des conclusions de la SPR quant à la crédibilité, une analyse distincte aux fins de l’article 97 n’est pas justifiée (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1710, au paragraphe 16; Herrera, précité, au paragraphe 28).

X.                Conclusion

[23]           Compte tenu de tout ce qui précède, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.             Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3910‑14

 

INTITULÉ :

ALONDRA ANAHI DELGADO LOPEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑bRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Maria Sokolova

 

POUR LA DEMANDERESSE

Cheryl Mitchell

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maria Sokolova

Avocate

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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