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Date : 20150119


Dossier : T‑1284‑13

Référence : 2015 CF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

WILLIAM LOUISON

demandeur

et

LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE,

312050 SASKATCHEWAN LTD., ET LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1]               Depuis plus d’une décennie, la Première Nation d’Ochapowace tente d’évincer William Louison des terres qu’il occupe depuis 1997. La tentative la plus récente de la Première Nation compte la signification à M. Louison d’un avis d’éviction en juillet 2013.

[2]               Dans le cadre de la présente demande, M. Louison conteste l’avis d’éviction; il soutient avoir légalement possession des terres en question, à titre de descendant de leurs titulaires originaux et en sa qualité de membre de la Première Nation de Kahkewistahaw. M. Louison sollicite une ordonnance interdisant à la Première Nation d’Ochapowace de le [traduction] « déposséder » des terres qu’il occupe, et fait valoir que la Première Nation d’Ochapowace ne détient aucun intérêt juridique légitime sur les terres en question.

[3]               Comme l’a admis son avocat à l’audience, M. Louison tente essentiellement de faire valoir qu’il détient un titre ancestral sur les terres en question. La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a déjà établi dans d’autres instances entre les parties en l’espèce que le titre ancestral est détenu collectivement et que M. Louison n’a pas qualité pour revendiquer un titre ancestral au nom de la Première Nation de Kahkewistahaw. La Cour d’appel de la Saskatchewan a confirmé cette conclusion et la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision.

[4]               Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que M. Louison tente de remettre en litige une question juridique qui avait déjà fait l’objet d’une décision définitive par les tribunaux de la Saskatchewan. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Louison sera rejetée.

I.                   Contexte

[5]               À l’origine, M. Louison était membre de la Première Nation d’Ochapowace (Bande indienne d’Ochapowace no 71). Le 3 novembre 1997, la Commission agricole de la Première Nation d’Ochapowace a attribué une résidence à M. Louison sur les terres décrites comme NE 3‑17‑3 W2. Le 8 mai 2001, M. Louison a conclu un bail de terres agricoles avec Ochapowace Land & Cattle Division (Division de la gestion des terres et du bétail). Ce bail commençait le 8 mai 2001 et prenait fin le 1er novembre 2003 et concernait les terres suivantes : sections 3‑17‑3 W2, NW et NE 2‑17‑3 W2M, S ½ 11‑17‑3 W2M, NW 11‑17‑3 W2M, N ½ 14‑17‑3 W2M, SW 14‑17‑3 W2M.

[6]               La Première Nation d’Ochapowace détient le seul droit légalement reconnu de posséder ces terres, à titre de terres de réserve ou au moyen de la « Specific Claim Trust » (fiducie liée à une revendication particulière), l’entité de la bande chargée de diriger l’exploitation des terres par l’intermédiaire de la défenderesse 312050 Saskatchewan Ltd., laquelle détient le titre de propriété en fief simple pour certaines des terres en cause en l’espèce.

[7]               Peu de temps après avoir pris possession des terres, M. Louison s’est dérobé à ses obligations aux termes du bail. Ochapowace Lands Office (Bureau de gestion des terres) a par la suite entamé des procédures d’exécution contre lui, sollicitant tout d’abord les arriérés de la location et cherchant finalement à reprendre possession des terres.

[8]               En 2003, M. Louison a intenté une action devant notre Cour contre plusieurs défendeurs, dont le chef à l’époque de la Première Nation d’Ochapowace. M. Louison affirmait être bénéficiaire de fiducies et d’intérêts en vertu de la Proclamation royale liés aux terres en question. M. Louison demandait un paiement au titre de l’utilisation des terres, affirmant que la Première Nation d’Ochapowace avait empiété sur ses terres. À la suite des requêtes présentées par les défendeurs, le juge Rouleau a radié la déclaration de M. Louison et a rejeté l’action. Aucun motif ne semble avoir été fourni à l’appui de cette décision.

[9]               En 2007, M. Louison a demandé et obtenu l’inscription à la Première Nation de Kahkewistahaw (Première Nation de Kahkewistahaw no 72). Selon son avis de demande, M. Louison voulait devenir membre de la Première Nation de Kahkewistahaw [traduction] « après avoir appris l’histoire du territoire ». M. Louison a cessé d’être membre de la Première Nation d’Ochapowace le 8 février 2008.

[10]           Le différend opposant M. Louison et la Première Nation d’Ochapowace quant à l’occupation par celui‑ci des terres en question s’était poursuivi. La Première Nation d’Ochapowace a continué ses efforts afin d’évincer M. Louison des terres, lui signifiant d’autres avis d’éviction en 2008 et de nouveau en 2009, mais rien ne semble avoir changé par la suite.

[11]           En 2009, M. Louison a intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan contre la Première Nation d’Ochapowace et contre 312050 Saskatchewan Ltd. pour revendiquer un « titre autochtone » sur les terres en litige.

[12]           Les défenderesses ont présenté une requête en radiation de la déclaration de M. Louison au motif qu’il n’avait pas qualité pour revendiquer un titre ancestral ou un « titre autochtone ». La requête a été accueillie : Louison c. Ochapowace Indian Band #71, 2011 SKQB 87, 369 Sask. R. 258 (Louison no 1), conf. par 2011 SKCA 119, 377 Sask. R. 19, autorisation de pourvoi refusée [2011] C.S.C.R. no 533.

[13]           En accueillant la requête en radiation des défenderesses, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a noté la prétention de M. Louison selon laquelle le « titre autochtone » se distinguait du titre ancestral en ce qu’il conférait à la fois un droit individuel et un droit collectif. La Cour a noté également que M. Louison entendait poursuivre les défenderesses, non seulement en sa qualité personnelle, mais aussi [traduction] « à titre de représentant de tous les peuples autochtones de la Saskatchewan » : Louison no 1, précitée, au par. 3.

[14]           La Cour a néanmoins conclu que la déclaration de M. Louison portait [traduction] « d’abord et avant tout sur un différend opposant le demandeur et la bande indienne d’Ochapowace au sujet de l’occupation continue des terres désignées dans la déclaration » : Louison no 1, précitée, au par. 4.

[15]           En outre, la Cour a examiné l’argument de M. Louison portant que la Première Nation d’Ochapowace ne jouissait d’aucun droit exécutoire de l’évincer, et que les terres en question avaient été occupées par ses ancêtres.

[16]           Citant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, au par. 115, 153 DLR (4th) 193, la Cour a fait observer qu’« [u]ne dimension […] du titre aborigène est le fait qu’il est détenu collectivement » : Louison no 1, précitée, au par. 8. La Cour a pris acte de la nouvelle déclaration de M. Louison, selon laquelle le « titre autochtone » était en quelque sorte différent du titre ancestral, mais a conclu que M. Louison n’avait [traduction] « présenté aucun fondement factuel permettant à la Cour de tirer une telle conclusion » : Louison no 1, précitée, au par. 8.

[17]           La Cour a également noté que la Première Nation d’Ochapowace [traduction] « jouit du seul droit légalement reconnu de posséder les terres en question », et que [traduction] « la prétention de [M. Louison] voulant qu’il représente les intérêts d’autrui ne repose sur aucun fondement juridique » : Louison no 1, précitée, aux par. 6 et 7.

[18]           La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a donc conclu que la déclaration de M. Louison était [traduction] « manifestement non fondée et qu’elle [était] vouée à l’échec » : Louison no 1, précitée, au par. 9. Par conséquent, la Cour a accueilli la requête en radiation des défenderesses, a rejeté l’action intentée par M. Louison et a accordé aux défenderesses le double des dépens. Comme il a déjà été mentionné, la Cour d’appel de la Saskatchewan a par la suite confirmé cette décision et la Cour suprême a refusé la demande d’autorisation de pourvoi.

[19]           Par la suite, un quorum composé du chef et de membres du conseil de la Première Nation d’Ochapowace a émis un nouvel avis d’éviction demandant à M. Louison de quitter les terres au plus tard le 17 juillet 2013. L’avis qui a été signifié à M. Louison le 10 juillet 2013 faisait état des motifs suivants à l’appui de la décision :

[traduction]

a.                   M. Louison a cessé d’être membre de la Première Nation d’Ochapowace en février 2008, et ce, de son propre gré;

b.                  M. Louison a reçu des lettres lui demandant de quitter les terres en 2008 et en 2009, mais il a refusé d’y donner suite;

c.                   M. Louison ne détient pas de bail valide sur les terres qu’il revendique, dont les sections NW & NE 2‑17‑3 W2, SE &SW 11‑17‑3 W2, NW 11‑17‑3 W2, NE & NW 14‑17‑3 W2, SW 14‑17‑3 W2, SW & NW 13‑17‑3 W2;

d.                  La Cour suprême du Canada a refusé d’accorder l’autorisation de pourvoi à l’encontre de l’arrêt par lequel la Cour d’appel de la Saskatchewan avait rejeté la revendication de M. Louison sur les terres en question;

e.                   M. Louison a enfreint l’article 4 du règlement no 2005.01 de la Première Nation d’Ochapowace portant sur la violation du droit de propriété.

[20]           C’est cet avis qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire de M. Louison.

[21]           Avant de terminer le survol des questions opposant les parties en l’espèce, il importe également de noter que les défenderesses ont introduit une action devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan contre M. Louison pour évincer celui‑ci des terres en litige. Le 6 décembre 2013, l’action a été ajournée sine die, en attendant que notre Cour tranche la présente affaire : Ochapowace Indian Band #71 c. Louison, 2013 SKQB 428, [2013] S.J. No. 764.

II.                Arguments avancés par M. Louison au regard de la présente demande de contrôle judiciaire

[22]           À titre préliminaire, il convient de noter que, bien qu’il ait initialement désigné le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien comme défendeur dans la présente demande, M. Louison a depuis abandonné la poursuite contre celui‑ci.

[23]           Dans son avis de demande, M. Louison soutient qu’il a [traduction] « légalement possession des terres [en litige], en sa qualité de membre de la Première Nation de Kahkewistahaw et à titre de descendant des titulaires originaux de ces terres ». Après avoir passé en revue ce qui constitue, à son avis, l’historique des terres, M. Louison affirme, entre autres, que les intérêts que les défendeurs conservent sur les terres sont [traduction] « illégitimes » puisqu’il s’agit des [traduction] « terres ancestrales [des prédécesseurs] de la Première Nation de Kahkewistahaw ».

[24]           Dans son affidavit du 25 juillet 2013, M. Louison explique qu’il revendique le droit d’occuper et d’utiliser les terres en litige [traduction] « en raison de [ses] liens historiques, en sa qualité de membre de la bande du chef Kahkewistahaw, connue maintenant sous le nom de la Première Nation de Kahkewistahaw no 72, et en raison de l’occupation antérieure par [sa] famille » : au par. 17.

[25]           Monsieur Louison explique que son arrière‑arrière‑grand‑père était le chef héréditaire des Kahkewistahaw, qui étaient signataires du Traité no 4, et que les terres en question font partie des terres ancestrales des Kahkewistahaw.

[26]           Dans son mémoire des faits et du droit, M. Louison affirme que les terres en litige avaient été retirées illégalement à la Première Nation de Kahkewistahaw, ce qui contrevenait au Traité no 4 et à l’Acte relatif aux Sauvages, S.C. 1880, ch. 28. Selon M. Louison, le chef Kahkewistahaw n’avait jamais cédé ces terres, de sorte que le transfert subséquent des terres à un prédécesseur de la Première Nation d’Ochapowace était illégal. Par conséquent, M. Louison soutient que [traduction] « la Première Nation d’Ochapowace n’a pas compétence pour [l’]évincer, puisque c’est [la] Première Nation de Kahkewistahaw qui est l’administrateur légitime des terres ».

[27]           Au cœur de la présente demande de M. Louison se trouve donc la prétention selon laquelle la Première Nation d’Ochapowace n’a pas compétence pour l’évincer parce que c’est la Première Nation de Kahkewistahaw qui détient le titre ancestral sur les terres en question. En effet, en réponse à une question de la Cour, l’avocat de M. Louison a admis que celui‑ci tentait essentiellement de faire valoir, au moyen de sa demande, qu’il détenait un titre ancestral sur les terres en question.

[28]           Les terres en litige font actuellement partie des terres de réserve de la Première Nation d’Ochapowace ou des terres détenues en fief simple par une société dirigée par la Première Nation d’Ochapowace. Pour obtenir gain de cause, M. Louison devrait démontrer qu’en dépit de cet état des choses, c’est la Première Nation de Kahkewistahaw qui détient le titre ancestral sur les terres.

[29]           Or, le chef de la Première Nation de Kahkewistahaw a confirmé que la Première Nation de Kahkewistahaw n’a formulé aucune revendication à l’égard des terres en litige et a d’ailleurs refusé de donner suite à la demande de M. Louison et de participer à la présente instance.

[30]           En outre, le chef de la Première Nation de Kahkewistahaw a confirmé au chef de la Première Nation d’Ochapowace que la Première Nation de Kahkewistahaw ne contesterait pas la revendication du titre ancestral sur les terres en question formulée par la Première Nation d’Ochapowace ni l’utilisation de ces terres par celle‑ci, mais qu’il est possible que la Première Nation de Kahkewistahaw demande au gouvernement fédéral une indemnité au titre de la politique sur les revendications particulières.

[31]           Dans ces circonstances, M. Louison ne peut obtenir gain de cause que s’il a qualité pour revendiquer l’existence d’un titre ancestral sur les terres en litige. Or, cette question a déjà été tranchée de manière définitive, entre les parties, par les tribunaux de la Saskatchewan et la Cour suprême du Canada a refusé d’intervenir. M. Louison n’a d’ailleurs pas démontré pourquoi les conclusions formulées par les tribunaux de la Saskatchewan ne sauraient s’appliquer en l’espèce : Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, [2013] 2 R.C.S. 125.

[32]           M. Louison pourrait bien se sentir étroitement lié aux terres de ses ancêtres, mais il n’a pas la qualité requise pour agir en justice en vue de revendiquer un titre ancestral sur les terres en question au nom de la Première Nation de Kahkewistahaw. En conséquence, la présente demande est rejetée.

III.             Dépens

[33]           Monsieur Louison disposera d’une semaine pour fournir des observations sur la question des dépens et les défendeurs disposeront d’une semaine pour y répondre, à la suite de quoi une ordonnance sera rendue.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 janvier 2015

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1284‑13

 

INTITULÉ :

WILLIAM LOUISON c LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE, 312050 SASKATCHEWAN LTD., ET LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2015

 

mOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Adam N. Crocker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mervin C. Phillips

 

POUR LES DÉFENDERESSES

LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE ET

312050 SASKATCHEWAN LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stephaniuk Law Office

Avocats

Yorkton (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Phillips & Co.

Phillips Legal Professional Corporation

Avocats

Regina (Saskatchewan)

POUR LES DÉFENDERESSES

LA PREMIÈRE NATION D’OCHAPOWACE ET

312050 SASKATCHEWAN LTD.

 

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