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Date : 20150126


Dossier : IMM-5562-13

Référence : 2015 CF 101

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

THEEPAN KULANAYAGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision d’un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada par laquelle il a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur. Je rejette la demande pour les motifs énoncés ci‑dessous.

II.                Faits

[2]               Theepan Kulanayagam, le demandeur, est un Tamoul originaire du Sri Lanka. Il a prétendu devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) qu’il avait été victime d’extorsion à trois reprises de la part de membres du Parti démocratique populaire de l'Eelam (le PDPE) et de l’armée lorsqu’il tenait seul le magasin de son oncle. Il a également prétendu que, la troisième fois où ces groupes étaient entrés en contact avec lui, il n’avait pas été en mesure de leur donner de l’argent. Par conséquent, ceux-ci croyaient qu’il remettait aussi de l’argent aux Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (les TLET). Ils l’ont enlevé et l’ont détenu pendant trois jours, au cours desquels ils l’ont battu. Il a affirmé que depuis son départ pour le Canada, le PDPE et l’armée continuent de poser des questions précises à son sujet et de le menacer par l’entremise de son oncle et de son père.

[3]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur le 2 février 2012 au motif que celui‑ci manquait de crédibilité. La Commission a pris acte des documents sur la situation dans le pays, qui font état d’enlèvements et d’actes d’extorsion commis par le PDPE, mais n’a pas cru les allégations du demandeur concernant les actes d’extorsion dont il aurait été victime et les questions qui auraient été posées aux membres de sa famille au sujet de ses allées et venues depuis son départ.

[4]               La Commission a pris acte des documents sur la situation dans le pays, qui attestent la résurgence des TLET à l’extérieur du Sri Lanka, y compris au Canada, mais a conclu que le demandeur n'avait pas le profil d'une personne qui serait prise pour cible parce qu’on la soupçonne d’avoir des liens avec les TLET.

[5]               Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR, mais l’autorisation de demander le contrôle judiciaire lui a été refusée.

[6]               Par la suite, le demandeur a présenté une demande d’ERAR à laquelle il a joint les documents suivants : 1) une déclaration solennelle selon laquelle des membres du PDPE et des soldats de l’armée s’étaient présentés à la maison de son père et au magasin de son oncle pour tenter de le retrouver; 2) des lettres de son père et d’un voisin (aussi un proche parent) indiquant que des inconnus avaient posé des questions sur ses activités et ses allées et venues à la mi‑juin 2013; 3) des documents sur la situation dans le pays publiés après la date de la décision de la SPR.

[7]               Le 10 juillet 2013, l’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur (la décision).

III.             Décision

[8]               L’agent a rejeté la demande d’ERAR au motif que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant que, depuis la décision de la SPR, il est exposé à de nouveaux risques en raison soit de la situation dans le pays, soit de sa situation personnelle. L’agent a coché la case indiquant que le demandeur n’avait pas fourni de nouveaux éléments de preuve (dossier du demandeur, page 8).

[9]               L’agent a conclu que la déclaration solennelle du demandeur ainsi que les lettres rédigées par son père et son voisin répétaient les faits importants qui avaient déjà été présentés à la SPR et ne permettaient pas de réfuter les conclusions de la SPR, particulièrement la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas été victime d’extorsion par des membres du PDPE et de l’armée, et celle selon laquelle les membres de la famille du demandeur n’avaient pas été questionnés sur les allées et venues de celui‑ci depuis son départ du Sri Lanka.

[10]           L’agent a ensuite évalué l’allégation du demandeur, à savoir qu’il serait exposé à un risque s’il n’obtenait pas l’asile au Canada. Il a pris acte des éléments de preuve sur la situation dans le pays en ce qui concerne les protocoles de contrôle aux aéroports du Sri Lanka et les incidents de détention et de harcèlement de rapatriés. Il a souligné que les autorités du Sri Lanka s’intéressaient particulièrement aux rapatriés soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET. Cependant, l’agent a tiré les conclusions suivantes : le demandeur n’a pas prouvé qu’il entretenait ou avait déjà entretenu des liens avec les TLET; les documents sur la situation dans le pays étaient de nature générale et ne prouvaient pas l’existence d’un lien avec la situation personnelle du demandeur.

Questions à trancher

[11]           L’affaire soulève les questions suivantes :

a)         L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant d’accepter comme [traduction] « nouveaux éléments de preuve » les éléments de preuve fournis par le demandeur?

b)        La décision était-elle raisonnable?

c)         L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir une audience?

Dispositions pertinentes

[12]           L’article 113 de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) se trouvent en annexe.

Observations des parties

[13]           Le demandeur fait valoir que les lettres qu’il a soumises auraient dû être acceptées comme de [traduction] « nouveaux éléments de preuve », car elles décrivent des événements qui ont eu lieu après l’audience relative à sa demande d’asile, à savoir que des membres du personnel paramilitaire du Sri Lanka étaient entrés en contact avec des membres de sa famille et des voisins et les avaient harcelés pour connaître ses allées et venues. Il a ajouté que les documents sur la situation dans le pays constituaient de [traduction] « nouveaux éléments de preuve », car leur date était ultérieure à celle de la décision de la SPR et ces documents décrivaient l’évolution de la situation au Sri Lanka. De plus, ces nouveaux éléments de preuve énonçaient de façon plus précise les risques auxquels il s’exposait.

[14]           En outre, le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir une audience. Il soutient que bien que l’agent ait conclu que les [traduction] « éléments de preuve étaient insuffisants » pour établir l’existence d’un risque, la crédibilité constituait en fait un facteur essentiel de la décision de l’agent, et les trois facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement étaient présents, ce qui exigeait la tenue d’une audience aux termes de l’alinéa 113b) de la LIPR.

[15]           Enfin, le demandeur soutient que la décision était déraisonnable, car l’agent a commis les erreurs suivantes : (i) il a conclu que le demandeur avait simplement répété les faits et il a accordé trop d’importance à la conclusion de la SPR relative à la crédibilité; (ii) il a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour étayer le risque allégué; (iii) il n’a pas déterminé si le demandeur s’exposerait à un risque s’il retournait au Sri Lanka en raison de son profil particulier; (iv) il a rejeté les nombreux documents objectifs sur le pays, car ils étaient de nature [traduction] « générale », alors que ces documents portaient précisément sur les risques auxquels s’exposaient les personnes ayant un profil semblable à celui du demandeur. Le demandeur affirme que chacune de ces erreurs justifie à elle seule le renvoi de l’affaire.

[16]           Pour sa part, le défendeur soutient que la conclusion de l’agent, à savoir qu’il n’y avait pas de [traduction] « nouveaux éléments de preuve », était raisonnable. Même s’ils se sont produits après la date de la décision de la SPR, les nouveaux événements doivent être « sensiblement différents » de ceux déjà rejetés par la SPR. Les menaces décrites dans les lettres sont en fait des menaces de la même nature que celles déjà rejetées par la SPR. De même, dans ses observations, le demandeur ne prouve pas en quoi les documents sur le pays dressent un portrait sensiblement différent de celui qui a déjà été présenté à la SPR. Le demandeur soutient que ces éléments de preuve indiquent l’existence d’un risque accru, car ils prouvent qu’il était perçu comme fortuné, que sa famille a été victime de harcèlement de la part de personnes cherchant à connaître ses allées et venues et qu’il a échappé aux autorités en venant au Canada. Ces trois faits ont déjà été présentés à la SPR ou auraient pu l’être.

[17]           Le défendeur prétend que l’agent n’était pas tenu d’accorder une audience au demandeur. Il ressort clairement des motifs de l’agent que celui‑ci ne s’est pas appuyé sur les conclusions relatives à la crédibilité pour refuser l’ERAR, mais bien sur le fait que les éléments de preuve concernant les autres visites du PDPE et de l’armée n’étaient pas nouveaux. De plus, même si tous les éléments de preuve soumis par le demandeur avaient été acceptés, compte tenu de leur caractère insuffisant, il n’étaient pas suffisants pour qu’il soit justifié de rendre une décision favorable à l’égard de l’ERAR.

[18]           Enfin, le défendeur soutient que la décision était raisonnable. Contrairement aux allégations du demandeur, l’agent n’avait pas besoin d’obtenir une corroboration objective des éléments de preuve soumis par le demandeur, il a clairement évalué le profil du demandeur à titre de demandeur d’asile débouté et a raisonnablement conclu que les documents sur la situation dans le pays n’indiquaient pas l’existence d’un quelconque lien avec la situation personnelle du demandeur.

Norme de contrôle

[19]           La décision d’un agent d’ERAR de rejeter des éléments de preuve au motif qu’ils ne sont pas nouveaux aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR est une question mixte de fait et de droit contrôlable selon la norme de la décision raisonnable : Ponniah c MCI, 2013 CF 386, au paragraphe 23; Perera c MCI, 2010 CF 699, au paragraphe 22.

[20]           Malgré certains désaccords quant au traitement de la norme de contrôle en ce qui a trait à la question de savoir si un agent d’ERAR a commis une erreur en omettant de tenir une audience, la Cour a conclu, dans la jurisprudence récente, que la norme déférente de la raisonnabilité s’applique également : Ibrahim c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 6; Bicuku c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 339, aux paragraphes 16-20; Ponniah c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 386, au paragraphe 24; Mosavat c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 647, au paragraphe 9.

[21]           La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait de l’agent, aux questions mixtes de fait et de droit, et à la question de savoir si l’agent a pris dûment en considération la totalité des éléments de preuve au moment de rendre une décision est la norme de la décision raisonnable : Alvarez c MCI, 2014 CF 564, au paragraphe 19.

[22]           Après avoir conclu que les trois questions en l’espèce doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, la Cour effectuera une analyse qui s’attachera à « la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il s’agit d’une norme déférente, car la Cour ne doit intervenir que si la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14.

Analyse

A.                L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que la déclaration solennelle, les affidavits et les documents sur la situation dans le pays ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve?

[23]           Il est bien établi qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR (Raza c MCI, 2007 CAF 385, au paragraphe 12; Singh c MCI, 2014 CF 11, aux paragraphes 22-24; Aboud c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1019, au paragraphe 20). L’ERAR a plutôt pour objet d’évaluer les nouveaux risques qui peuvent apparaître entre la date de l’audience devant la SPR et la date du renvoi afin de veiller à ce que les demandeurs ne soient pas renvoyés du Canada dans un pays où ils risqueraient d’être persécutés, torturés, tués ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités (Raza, au paragraphe10; Ponniah, précité, au paragraphe 27).

[24]           Pour atténuer le risque de multiplication inutile, voire abusive, des recours, les agents d'ERAR doivent prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement (Raza, au paragraphe 13; Aboud, au paragraphe 20; Singh, aux paragraphes 22-24).

[25]           L’alinéa 113a) de la LIPR précise que le demandeur ne peut présenter à l’agent d’ERAR que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande d’asile ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles lorsque l’audience a eu lieu ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur les ait présentés à la SPR (alinéa 113a) de la LIPR).

[26]           Dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, les agents d’ERAR doivent seulement tenir compte des « preuves nouvelles [...] survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (Raza, au paragraphe 13). Par conséquent, les agents d’ERAR doivent tenir compte de tous les éléments de preuve qui leur sont présentés, sauf si ces éléments de preuve sont exclus pour l’un des motifs énoncés ci-dessous.

1.         Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

2.        Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d'ERAR, c'est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d'asile? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

3.       Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c'est-à-dire sont‑elles aptes :

a)         à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l'audition de la demande d'asile?

b)         à établir un fait qui n'était pas connu du demandeur d'asile au moment de l'audition de sa demande d'asile?

c)         à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

4.         Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c'est-à-dire la demande d'asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

5.        Conditions légales explicites :

a)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s'est produit ou des circonstances qui ont existé avant l'audition de la demande d'asile, alors le demandeur a‑t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l'audition de la demande d'asile, ou qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'il les ait présentées lors de l'audition de la demande d'asile? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

b)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s'est produit ou les circonstances qui ont existé après l'audition de la demande d'asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu'elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

(Raza, aux paragraphes 13 et 15)

En l’espèce, le demandeur a joint les documents suivants à sa demande d’ERAR : (i) sa propre déclaration solennelle; (ii) une lettre de son père; (iii) une lettre d’un voisin (aussi un [traduction] « proche parent »); (iv) des documents sur la situation dans le pays comptant quelque 1 400 pages. La déclaration solennelle, les lettres et certains documents sur la situation dans le pays ont été rédigés après le rejet de sa demande à la SPR.

[27]           L’agent a conclu que les documents personnels, à savoir les éléments (i) à (iii), sont visés par l’exception prévue à l’alinéa 3c) de Raza, et donc qu’ils ne sont pas de [traduction] « nouveaux éléments de preuve ». Voici ce qu’il a déclaré à la page 3 de la décision :

[traduction]

Après avoir examiné ces éléments, je conclus que le demandeur répète essentiellement les faits qui ont déjà été présentés à la SPR. Les renseignements décrits dans les documents susmentionnés sont sensiblement les mêmes que ceux déjà examinés par la SPR et ne permettent pas de réfuter l’une ou l’autre des conclusions de la SPR, à savoir que le demandeur n’a pas été victime d’extorsion par des membres de l’armée et du PDPE, et par conséquent, que les membres de sa famille n’ont jamais été questionnés sur les allées et venues du demandeur depuis son départ du Sri Lanka (paragraphe 15, SPR).

[28]           La SPR a conclu, d’une part, que le témoignage du demandeur manquait de cohérence à plusieurs égards, et d’autre part, que le demandeur n’était pas crédible, car il avait modifié sa version des faits et avait fait des déclarations évasives à maintes reprises. Comme l’a mentionné l’agent, la Commission n’a tout simplement pas cru que le demandeur avait été victime d’extorsion ou que des membres de sa famille avaient été menacés après son arrivée au Canada.

[29]           L’agent n’a pas rejeté d’emblée les éléments de preuve. Il a plutôt évalué les éléments de preuve et expliqué les motifs pour lesquels la déclaration solennelle et les deux lettres ne permettaient pas de renverser les conclusions tirées par la Commission. L’agent a résumé les motifs sur lesquels s’appuient les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité, a conclu que les nouveaux faits exposés dans les documents n’étaient pas très différents de ceux déjà présentés à la SPR et a expliqué que ces faits ne permettaient pas de réfuter les conclusions de la SPR, car ils étaient sensiblement les mêmes que ceux qui avaient déjà été soumis à l’examen de la SPR. Dans sa décision, la Commission s’est penchée sur les menaces que des membres du personnel paramilitaire auraient proférées à l’endroit du demandeur, puis les a rejetées. Les lettres et l’affidavit contenaient seulement d’autres détails sur les risques déjà évalués.

[30]           La conclusion de la SPR selon laquelle les membres de la famille du demandeur n’ont pas reçu de menaces de la part du PDPE et de l’armée découle de la conclusion selon laquelle le demandeur n’a jamais été détenu ou victime d’extorsion. Par conséquent, pour réfuter la conclusion de la Commission au sujet des menaces, la preuve devrait être suffisante pour réfuter la conclusion de la Commission relative à la crédibilité ou la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas été victime d’extorsion de la part du PDPE et de l’armée. Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient fondées sur un certain nombre de facteurs, notamment sur sa conclusion selon laquelle les réponses données par le demandeur pendant son contrôle à l’aéroport étaient évasives et n’étaient pas crédibles et qu’il y avait plusieurs différences importantes, qu’il s’agisse d’omission ou de contradictions, entre l’exposé circonstancié présenté dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur et les déclarations qu’il avait faites aux autorités de l’immigration au sujet des craintes et des expériences qu’il aurait vécues au Sri Lanka. À mon avis, pour que l’agent puisse conclure que les documents étaient assez convaincants (ou suffisants) pour réfuter les conclusions de la SPR, ces documents auraient dû apporter une preuve plus convaincante, et non faire simplement état d’une autre visite des forces paramilitaires ou de la crainte que le demandeur soit exposé à un risque à l’aéroport à son retour au pays.

[31]           Selon l’agent, ce n’était pas le cas. Le rôle de la Cour ne consiste pas à réévaluer la preuve, mais plutôt à établir si la décision de l’agent était raisonnable. Je conclus qu’elle l’était.

[32]           La Cour a examiné une situation semblable dans l’arrêt Ponniah, précité. Le demandeur dans cette affaire soutenait qu’il avait été enlevé et battu par un groupe paramilitaire et qu’il risquait d’être la cible des TLET s’il retournait au Sri Lanka. La SPR a rejeté ces allégations en raison du manque de crédibilité du demandeur et d’incohérences figurant dans son témoignage. Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve, à savoir des éléments de nature personnelle et des documents objectifs sur le pays. Comme en l’espèce, ces éléments de preuve comprenaient sa propre déclaration sous serment et des lettres rédigées par des membres de sa famille (son épouse et sa soeur). Le juge de Montigny s’est exprimé en ces termes :

[31]     Enfin, l’affidavit personnel du demandeur et les lettres de son épouse et de sa sœur évoquaient le même risque que celui qui avait été allégué devant la SPR et que la SPR avait jugé non crédible. Bien entendu, le demandeur souligne à juste titre que les nouveaux éléments de preuve ne peuvent être rejetés au seul motif qu’ils concernent le même risque. Cela étant dit, l’arrêt Raza établit nettement que l’agent peut validement rejeter de telles preuves « si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR » (au paragraphe 17). Voilà précisément pourquoi l’agent d’ERAR a rejeté l’affidavit du demandeur et les lettres de son épouse et de sa sœur. 

[32]     Le demandeur soutient que son affidavit et les lettres portent sur de nouveaux éléments ayant trait au risque prospectif qu’il courra à son retour au Sri Lanka et corroborent les éléments de preuve établissant le risque qu’il a présentés auparavant. Plus particulièrement, les lettres indiquent que le demandeur était encore poursuivi et menacé, que son épouse avait été menacée et que les bijoux qu’elle portait lui avaient été arrachés par les extorqueurs, éléments qui montreraient tous que le demandeur était sincère en parlant de son épreuve. 

[33]     Toutefois, la demande d’asile n’aurait probablement pas été accueillie même si les lettres et la déclaration sous serment du demandeur avaient été présentées à la SPR. La SPR a conclu que le demandeur avait manqué de cohérence quant aux dates de divers événements importants et aux endroits où ils s’étaient produits, ou quant au contenu des appels téléphoniques avec les extorqueurs allégués, et que le comportement du demandeur ne concordait pas toujours avec sa crainte subjective alléguée. Pour accepter que le demandeur fût encore menacé par le groupe Karuna, la SPR aurait d’abord dû conclure qu’il l’avait déjà été, ce qui n’est pas le cas. Comme mon collègue le juge Barnes l’a statué dans des circonstances semblables, l’arrêt Raza ne signifie pas que « dans le cadre du processus d’ERAR, on puisse procéder à un nouvel examen de la preuve déjà soumise à la CISR ou qui aurait dû lui être soumise, mais qui ne l’a pas été. Un ERAR n’est pas un appel d’une décision de la CISR et ne donne pas la possibilité de prétendre que la CISR a mal interprété la preuve dont elle disposait » : Kadjo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1050 [Kadjo], au paragraphe 12.

[Non souligné dans l’original.]

[33]           Autrement dit, la preuve comportait simplement d’autres éléments de la même nature, même si elle se rapportait à de nouveaux événements. Il convient de rappeler les propos du juge Mosley dans la décision rendue par le tribunal d’instance inférieure dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 22, en ce qui a trait à l’évaluation de nouveaux éléments de preuve : « Ce n’est pas seulement la date du document qui est importante, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment. » [Non souligné dans l’original.]

[34]           Dans Perez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, au paragraphe 5, la juge Judith Snider a fait la déclaration suivante :

Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR [...] Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision.

[Non souligné dans l’original.]

[35]           Compte tenu du dossier dont je dispose et des critères établis dans Raza, la conclusion de l’agent selon laquelle la déclaration solennelle et les lettres n’étaient pas suffisantes pour réfuter les conclusions défavorables de la Commission sur la crédibilité était raisonnable.

[36]           Enfin, en ce qui a trait à la question des [traduction] « nouveaux éléments de preuve », le demandeur soutient que les documents sur le pays annexés à l’ERAR, qui comptent 1 400 pages, ont eux aussi été rejetés de manière déraisonnable. Là encore, j’estime que l’agent a tiré une conclusion raisonnable lorsqu’il a établi que ces documents ne prouvaient pas que le demandeur était exposé à de nouveaux risques en raison soit de la situation dans le pays, soit de sa situation personnelle.

[37]           Je le répète, les conclusions de l’agent à cet égard concordaient avec Raza et la jurisprudence portant sur la pertinence et le caractère substantiel des [traduction] « nouveaux éléments de preuve ». En ce qui concerne les documents de nature personnelle, la conclusion de l’agent selon laquelle ceux-ci ne faisaient pas état de risques différents de ceux examinés par la SPR est légitime et respecte les critères juridiques énoncés dans Dunsmuir. L’agent a notamment pris en compte le risque auquel s’exposerait le demandeur à titre de demandeur d’asile débouté et de sympathisant présumé des TLET.

B.                 La décision était-elle raisonnable?

[38]           Je vais maintenant examiner le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[39]           L’agent a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Dans l’ensemble, le demandeur n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant l’apparition de nouveaux risques, afférents à la situation nationale ou à sa situation personnelle, depuis la date de la décision de la SPR. » (Décision, page 3.)

[40]           Comme je l’ai conclu au sujet de la façon dont l’agent a traité les documents soumis avec la demande d’ERAR, j’estime que la conclusion générale de l’agent appartient aux issues possibles acceptables et s’accorde avec la jurisprudence relative à l’ERAR. Par exemple, voir Aboud, précité; Santheesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1196; Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 997.

[41]           Contrairement à ce que soutient le demandeur, je conclus que l’agent a tenu compte des documents sur la situation dans le pays présentés par celui-ci. L’agent a particulièrement examiné la question de la crainte du demandeur d’être un demandeur d’asile débouté au Canada. L’agent a examiné les documents sur la situation dans le pays portant sur cette question. Il a pris acte des faits suivants : il existe des protocoles d’examen dans les aéroports pour les rapatriés; les rapatriés ayant un certain profil peuvent être victimes de harcèlement de la part des autorités du Sri Lanka; les rapatriés soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET sont plus susceptibles de faire l’objet d’un contrôle plus important à leur arrivée. Cependant, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait déjà entretenu des liens avec les TLET.

[42]           Comme les documents sur la situation dans le pays ne suffisent pas à eux seuls à établir l’existence d’un risque personnel (Ponniah, précité, au paragraphe 43), il était raisonnable que l’agent conclue qu’en l’absence de preuves sur l’existence de liens entre le demandeur et les TLET, le demandeur n’appartenait pas au groupe de demandeurs d’asile déboutés visés par les autorités à leur retour en raison de leur profil.

[43]           Enfin, je ne souscris pas à la déclaration du demandeur selon laquelle l’agent n’a pas évalué adéquatement son profil de risque. L’agent a évalué le risque auquel serait exposé le demandeur à titre de demandeur d’asile débouté du Canada (avec toutes les perceptions de richesse que cela implique), comme l’avait déjà fait la SPR au palier de la Commission. Ce ne serait certainement pas la première fois que la Commission décide qu’il ne suffit plus d’être un jeune Tamoul de sexe masculin originaire du nord ou de l’est du Sri Lanka pour obtenir le statut de réfugié. De nombreuses décisions de la Cour vont en ce sens. Voir, par exemple, Velummayilum c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 742, au paragraphe 8.

[44]           J’ai cité la juge Snider dans l’arrêt Perez, susmentionné. Dans une autre décision importante qu’elle a rendue au cours de l’année suivante, Cupid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, elle s’est exprimée en ces termes :

[4] [...] le gouvernement canadien a pris des mesures pour que le demandeur d’asile puisse bénéficier d’un processus dans le cadre duquel une modification des conditions et des circonstances peut être évaluée. Il s’ensuit que si les conditions dans le pays ou la situation personnelle du demandeur d’asile sont demeurées les mêmes depuis la date de la décision de la SPR, la décision de la SPR sur la question de la protection offerte par l’État – qui est une décision définitive et exécutoire rendue au terme d’un processus quasi-judiciaire – doit être maintenue à l’égard du demandeur d’asile. Autrement dit, il incombe au demandeur d’asile dont la demande a été rejetée de prouver que les conditions de son pays ou ses circonstances personnelles ont changé depuis la décision de la SPR au point que celui-ci, dont la SPR a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque, est maintenant exposé à un risque. Si le demandeur d’ERAR ne s’acquitte pas de ce fardeau, la demande d’ERAR sera (et devrait être) rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[45]           En l’espèce, les conclusions de l’agent, à savoir que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour réfuter les conclusions de la Commission et que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il serait exposé à un risque à titre de demandeur d’asile débouté au Canada, étaient raisonnables.

C.                 L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir une audience?

[46]           Le demandeur soutient que l’agent a brimé son droit à l’équité procédurale, car l’agent, qui a vraiment contesté la crédibilité des éléments de preuve fournis par le demandeur, n’a pas tenu d’audience. Je ne souscris pas à cette déclaration.

[47]           D’abord, je ne peux pas souscrire à l’opinion du demandeur, qui soutient que la décision de l’agent reposait en fait sur la crédibilité. Sa décision se fondait sur le caractère insuffisant des éléments de preuve, comme il l’a déclaré dans le dernier paragraphe de sa décision cité précédemment. Je ne crois pas que l’agent a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité. Il a simplement affirmé que certains éléments de preuve n’étaient pas nouveaux, sur le plan du caractère substantiel, et a conclu que d’autres éléments de preuve (situation dans le pays) ne suffisaient pas à prouver que le demandeur était exposé à de nouveaux risques en raison soit de la situation dans le pays, soit de sa situation personnelle

IV.             Conclusions

[48]           J’estime que les conclusions de l’agent appartiennent aux issues possibles acceptables et que la décision était justifiable. Elle était donc dans les limites du caractère raisonnable. Le rôle de la Cour ne consiste pas à évaluer de nouveau la preuve pour tirer une conclusion différente de celle revenant légitimement au décideur administratif. En outre, je conclus qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience en l’espèce. La demande est rejetée.

V.                Jugement

[49]           La demande est rejetée.

[50]           Les parties n’ont soumis aucune question aux fins de certification et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-5562-13

INTITULÉ :

THEEPAN KULANAYAGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 2 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Diner

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 26 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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