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Date : 20150116


Dossier : IMM-4516-13

Référence : 2015 CF 67

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MINAA IJAZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Madame Minaa Ijaz, est une citoyenne du Pakistan qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de travailleuse qualifiée (fédéral) (TQF) au titre du paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, (LIPR), et du paragraphe 75(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). Un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) (l’agent) a rejeté sa demande. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

Le contexte factuel

[2]               Dans sa demande de résidence permanente du 4 mai 2013, la demanderesse a indiqué qu’elle travaillait comme analyste financière, ce qui correspondait au code 1112 de la Classification nationale des professions du programme TQF. Comme il était demandé, elle a joint à sa demande un rapport d’évaluation et d’authentification de ses diplômes de World Education Services Canada (WES), une organisation désignée pour délivrer des attestations d’équivalence aux termes du paragraphe 75(4) du RIPR.

[3]               En plus d’avoir à se conformer aux autres critères d’admission, les demandeurs de la catégorie TQF sont évalués et se voient attribuer des points sur la base des critères de sélection énoncés à l’alinéa 76(1)a) du RIPR : l’âge, les études, la compétence dans les langues officielles du Canada, l’exercice d’un emploi réservé, l’expérience et la capacité d’adaptation. Les demandeurs doivent obtenir au minimum 67 points pour que leur demande soit approuvée, tel que le prévoit l’alinéa 361(4)b) du RIPR. Dans une lettre du 19 juin 2013, l’agent a informé la demanderesse qu’elle n’avait obtenu que 57 points, dont cinq points – sur vingt-cinq possibles – pour ses études. Par conséquent, elle n’avait pas démontré qu’elle pouvait réussir son établissement économique au Canada.

[4]               La demanderesse fait valoir que l’agent ne lui a accordé à tort que 5 points au chapitre des études, au lieu des 19 points auxquels elle avait droit au minimum; elle prétend que s’il lui avait attribué le bon nombre de points, elle aurait rempli les exigences du programme TQF et sa demande de résidence permanente aurait été accueillie.

Le cadre législatif

[5]               Il est nécessaire d’exposer, de façon assez détaillée, le cadre législatif de la présente affaire. En vertu du Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2012 274, 7 décembre 2012, l’alinéa 75(2)e), l’article 78 (entrés en vigueur le 4 mai 2013) ainsi que les paragraphes 75(4) et 75(8) (entrés en vigueur le 2 janvier 2013), entre autres dispositions du RIPR, ont été modifiés. À l’audition de la présente affaire, les avocats ont noté que c’était la première fois que les dispositions modifiées donnaient lieu à un contrôle judiciaire.

[6]               Le paragraphe 73(1) du RIPR définit ainsi « diplôme canadien » et « attestation d’équivalence » :

« diplôme canadien »

“Canadian educational credential”

« diplôme canadien » Tout diplôme, certificat ou attestation obtenu pour avoir réussi un programme canadien d’études ou un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités provinciales chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements.

“Canadian educational credential” means any diploma, certificate or credential, issued on the completion of a Canadian program of study or training at an educational or training institution that is recognized by the provincial authorities responsible for registering, accrediting, supervising and regulating such institutions.

« attestation d’équivalence »

“equivalency assessment”

« attestation d’équivalence » S’entend d’une évaluation faite par une institution ou organisation désignée en vertu du paragraphe 75(4), à l’égard d’un diplôme, certificat ou attestation étranger, attestant son équivalence avec un diplôme canadien et se prononçant sur son authenticité.

“equivalency assessment” means a determination, issued by an organization or institution designated under subsection 75(4), that a foreign diploma, certificate or credential is equivalent to a Canadian educational credential and an assessment, by the organization or institution, of the authenticity of the foreign diploma, certificate or credential.

[7]               Aux termes de l’alinéa 75(2)e) du RIPR, les étrangers doivent soumettre leur diplôme canadien ou diplôme, certificat ou attestation étranger avec les renseignements requis pour déterminer s’ils sont admissibles en tant que TQF :

Travailleurs qualifiés (fédéral)

Federal Skilled Worker Class

Qualité

Skilled workers

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

(2) A foreign national is a skilled worker if

[…]

[…]

e) il a soumis l’un des documents suivants

(e) they have submitted one of the following :

(i) son diplôme canadien,

(i) their Canadian educational credential, or

(ii) son diplôme, certificat ou attestation étranger ainsi que l’attestation d’équivalence, datant de moins de cinq ans au moment où la demande est faite.

(ii) their foreign diploma, certificate or credential and the equivalency assessment, which assessment must be less than five years old on the date on which their application is made.

[8]               Ces diplômes sont évalués par des organisations ou institutions désignées à cette fin aux termes du paragraphe 75(4) du RIPR et chargées de délivrer les attestations d’équivalence :

Désignation pour les attestations d’équivalence

Designation for equivalency assessment

(4) Pour l’application de l’alinéa (2)e) et du paragraphe (2.1), le ministre peut, en se fondant sur les critères ci-après, désigner, pour la durée qu’il précise, des institutions ou organisations chargées de faire des attestations d’équivalences :

(4) For the purposes of paragraph (2)(e) and subsection (2.1), the Minister may designate, for a period specified by the Minister, any organization or institution to be responsible for issuing equivalency assessments

a) l’institution ou l’organisation est dotée d’une expertise reconnue en matière d’authentification et d’évaluation des diplômes, certificats ou attestations étrangers visant à établir leur équivalence avec les diplômes canadiens;

(a) if the organization or institution has the recognized expertise to assess the authenticity of foreign diplomas, certificates and credentials and their equivalency to Canadian educational credentials; and

b) s’agissant d’un ordre professionnel, ses attestations d’équivalence sont reconnues par au moins deux organismes provinciaux de réglementation professionnelle régissant une profession exigeant un permis délivré par un organisme provincial de réglementation et appartenant au niveau de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions.

(b) if, in the case of a professional body, their equivalency assessments are recognized by at least two provincial professional bodies that regulate an occupation listed in the National Occupational Classification matrix at Skill Level A or B for which licensing by a provincial regulatory body is required.

[9]               Le paragraphe 75(8) du RIPR concerne la force probante des attestations d’équivalence :

Preuve concluante

Conclusive evidence

(8) Pour l’application de l’alinéa (2)e), du paragraphe (2.1) et de l’article 78, l’attestation d’équivalence constitue une preuve concluante, de l’équivalence avec un diplôme canadien, du diplôme, du certificat ou de l’attestation obtenu à l’étranger.

(8) For the purposes of paragraph (2)(e), subsection (2.1) and section 78, an equivalency assessment is conclusive evidence that the foreign diplomas, certificates or credentials are equivalent to Canadian educational credentials.

[10]           L’alinéa 76(1)a) du RIPR concerne le nombre minimal de points à attribuer suivant les critères de sélection, notamment les études :

Critères de sélection

Selection criteria

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria :

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

[11]           L’article 78 du RIPR précise les modalités d’attribution des points pour le diplôme canadien ou l’attestation d’équivalence soumis par le travailleur qualifié à l’appui d’une demande :

Grille de sélection

Selection Grid

Études (25 points)

Education (25 points)

78. (1) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié pour tout diplôme canadien ou pour toute attestation d’équivalence fournis à l’appui de la demande, selon la grille suivante :

78. (1) Points shall be awarded, to a maximum of 25, for a skilled worker’s Canadian educational credential or equivalency assessment submitted in support of an application, as follows :

a) 5 points, pour le diplôme de niveau secondaire;

(a) 5 points for a secondary school credential;

[…]

[…]

c) 19 points, pour le diplôme de niveau postsecondaire visant un programme nécessitant deux années d’études;

(c) 19 points for a two-year post-secondary program credential;

f) 23 points, pour le diplôme de niveau universitaire de deuxième cycle ou pour le diplôme visant un programme d’études nécessaire à l’exercice d’une profession exigeant un permis délivré par un organisme de réglementation provincial et appartenant au niveau de compétence A de la matrice de la Classification nationale des professions;

(f) 23 points for a university-level credential at the master’s level or at the level of an entry-to-practice professional degree for an occupation listed in the National Occupational Classification matrix at Skill Level A for which licensing by a provincial regulatory body is required; and

[…]

[…]

[12]           Enfin, aux termes de 78(2)b) du RIPR, les demandeurs doivent se voir attribuer, pour leur diplôme, le nombre le plus élevé de points que justifie leur demande :

Plus d’un diplôme

More than one educational credential

(2) Pour l’application du paragraphe (1), les points sont accumulés de la façon suivante :

(2) For the purposes of subsection (1), points

[…]

[…]

b) ils sont attribués en fonction du diplôme canadien ou de l’attestation d’équivalence fournis à l’appui de la demande de visa de résident permanent qui procure le plus de points.

(b) shall be awarded on the basis of the Canadian educational credentials or equivalency assessments submitted in support of an application for a permanent resident visa that result in the highest number of points.

Décision visée par le contrôle

[13]           Dans sa décision, l’agent a indiqué le nombre maximal de points susceptibles d’être attribués, et le nombre de points effectivement accordés à la demanderesse pour son âge, ses études, sa compétence dans les langues officielles, l’exercice d’un emploi réservé, son expérience et sa capacité d’adaptation. S’agissant des études, l’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction

Cinq points vous ont été accordés pour votre diplôme d’études secondaires sur la base du diplôme canadien ou de l’attestation d’équivalence soumis à l’appui de votre demande conformément aux paragraphes 75(8) et 78(1) du Règlement.

Vous avez soumis un diplôme d’études étranger ainsi que l’attestation d’équivalence délivrée par World Education Services (WES), selon laquelle votre diplôme équivaut à un diplôme d’études secondaires, plus deux ans d’études de premier cycle et deux ans d’études professionnelles. Ces deux derniers éléments n’équivalent pas à un diplôme d’études canadien, vous n’avez donc reçu que les points correspondant au niveau secondaire.

[14]           Comme elle n’a accumulé qu’un total de 57 points, sur un minimum requis de 67, l’agent a informé la demanderesse qu’elle n’avait pas obtenu suffisamment de points pour être admissible à l’immigration au Canada.

Questions en litige

[15]           Les questions en litige en l’espèce peuvent être formulées en ces termes :

1.      Quelle est la norme de contrôle?

2.      L’agent a-t-il commis une erreur dans son traitement de l’attestation d’équivalence?

[16]           Dans ses observations écrites, la demanderesse soutenait également que l’agent a commis l’erreur de ne pas réexaminer sa décision, et qu’elle avait droit aux dépens. Cependant, à l’audience qui s’est déroulée devant moi, son avocat a déclaré que ces questions n’étaient plus en litige. Par conséquent, je ne les aborderai pas dans le cadre de la présente décision.

Première question en litige : Quelle est la norme de contrôle?

La position de la demanderesse

[17]           La demanderesse estime que la Cour doit évaluer l’interprétation de la LIPR et du RIPR retenue par l’agent selon la norme de la décision correcte, la Cour d’appel fédérale ayant établi dans les arrêts Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 339, au paragraphe 26 [Khan] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Patel, 2011 CAF 187, au paragraphe 27 [Patel], que c’était la norme applicable à la décision d’un agent des visas. La demanderesse ajoute que ces décisions sont conformes à l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira], d’après lequel il n’y a pas lieu de déterminer à nouveau la norme de contrôle applicable si la jurisprudence l’a déjà définie, comme en l’espèce. La demanderesse cite également, pour étayer sa position, les arrêts récents de la Cour d’appel fédérale Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85 [Kandola] et Kinsel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126 [Kinsel].

[18]           La demanderesse soutient par ailleurs que, même suivant la norme de la décision raisonnable, la décision ne peut être maintenue parce qu’elle manque de justification, de transparence et d’intelligibilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Lozano Vasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1255; Shirazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 306).

La position du défendeur

[19]           Le défendeur fait valoir qu’en interprétant les dispositions du RIPR, l’agent interprète sa propre loi habilitante, qu’il connaît de manière approfondie (Dunsmuir, au paragraphe 54; Agraira, au paragraphe 50; Alberta (Information and Privacy Commission) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 30 et 46 [Alberta Teachers’]). L’agent devait déterminer si les diplômes de la demanderesse remplissaient les exigences réglementaires de l’article 78 du RIPR, ce qui est une question de fait et de droit appelant la norme de la décision raisonnable (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 12 [Zhang]; Wangden c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 344, confirmant 2008 CF 1230). Quand bien même une question de droit serait en jeu, la même norme trouverait à s’appliquer (B010 et al c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, aux paragraphes 68 à 70 [B010], autorisation d’appel devant la CSC accordée, 35388 (17 juillet 2014); Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 18 [Commission canadienne des droits de la personne]; Alberta Teachers’, aux paragraphes 45 et 46). Quoi qu’il en soit, la décision de l’agent ne contient aucune erreur susceptible de contrôle, quelle que soit la norme retenue.

Analyse

[20]           Pour définir la norme de contrôle applicable, comme l’a établi l’arrêt Dunsmuir, la Cour doit d’abord déterminer si la jurisprudence a déjà précisé de manière satisfaisante le degré de déférence qu’appelle une catégorie particulière de questions. Si cette recherche s’avère infructueuse, la Cour doit alors analyser les facteurs permettant de définir la norme de contrôle appropriée (Dunsmuir, au paragraphe 62; Kandola, au paragraphe 32). Par ailleurs, en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la déférence s’impose généralement d’emblée (Dunsmuir, aux paragraphes 53 et 54); lorsqu’un décideur interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie (Dunsmuir, au paragraphe 54; voir aussi Alberta Teachers’, au paragraphe 30), la norme de la décision raisonnable, commandant la déférence, sera réputée s’appliquer (Agraira, au paragraphe 50; Kandola, au paragraphe 40).

[21]           Dans l’arrêt B010, la Cour d’appel fédérale a réitéré ces principes et abordé l’applicabilité de la norme de la décision raisonnable aux questions de droit :

[64]      Plus récemment, par l’arrêt Alberta Teachers, précité, au paragraphe 45, la Cour suprême a réaffirmé le principe général suivant lequel la raisonnabilité est habituellement la norme de contrôle applicable lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi habilitante ou interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à sa mission. Au paragraphe 30 de leurs motifs, les juges majoritaires expliquent ce qui suit :

[…] Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la “délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents” [et] les questions touchant véritablement à la compétence » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 18, les juges LeBel et Cromwell, citant Dunsmuir, par. 58, 60‑61).

[65]      L’application de ces principes à la présente affaire m’amène à la seconde raison pour laquelle je conclus que la Cour fédérale a retenu la bonne norme de contrôle en l’espèce.

[66]      Les commissaires exercent leur mission dans le cadre d’un régime administratif distinct et particulier. Ils possèdent une expertise pour ce qui est de l’interprétation et de l’application de la Loi. La nature de la question de droit en l’espèce est l’interprétation des mots « passage de clandestins ». Cette question d’interprétation de la loi constitutive de la Commission ne soulève pas de question constitutionnelle ou de question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Elle ne soulève pas non plus de question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents ou de question touchant véritablement à la compétence (dans la mesure où ces questions continuent à se poser) (Alberta Teachers, aux paragraphes 33 à 43).

[22]           La Cour a conclu dans cette affaire qu’aucun motif juridique ne justifiait d’écarter la présomption selon laquelle l’interprétation de la LIPR par la Commission appelle une certaine déférence (voir également Commission canadienne des droits de la personne, aux paragraphes 16 à 18).

[23]           La Cour suprême du Canada a évoqué la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 [McLean] :

[21]      Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, notre Cour a maintes fois rappelé que « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (par. 54). Récemment, dans un souci de simplicité accrue, notre Cour a statué qu’« il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de “sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée” [. . .] est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 34).

[22]      Or, la présomption adoptée dans Alberta Teachers n’est pas immuable. D’abord, notre Cour reconnaît depuis longtemps que certaines catégories de questions, même lorsqu’elles emportent l’interprétation d’une loi constitutive, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, par. 58‑61). Ensuite, elle affirme également qu’une analyse contextuelle peut « écarter la présomption d’assujettissement à la norme de la raisonnabilité de la décision qui résulte d’une interprétation de la loi constitutive » (Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, par. 16) […]

[24]           Dans l’arrêt McLean, la Cour suprême a conclu que la présomption relative à la norme de la décision raisonnable n’avait pas été réfutée. Elle ajoute :

[31]      […] Bien qu’un tel point de vue ait pu avoir un certain fondement dans le passé, ce n’est plus le cas. L’approche moderne en matière de contrôle judiciaire reconnaît qu’une cour de justice « [n’est] peut‑être pas aussi bien qualifié[e] qu’un organisme administratif déterminé pour donner à la loi constitutive de cet organisme des interprétations qui ont du sens compte tenu du contexte des politiques générales dans lequel doit fonctionner cet organisme » (National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, p. 1336, la juge Wilson; voir également Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, par. 92; Mowat, par. 25).

[32]      En clair, une disposition législative fera parfois l’objet de plusieurs interprétations raisonnables, car le législateur ne s’exprime pas toujours de manière limpide et les moyens d’interprétation législative ne garantissent pas toujours l’obtention d’une seule solution précise (Dunsmuir, par. 47; voir également Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405). Tel est effectivement le cas en l’espèce, comme je l’explique ci‑après. Il faut donc se demander à qui il appartient de choisir entre ces interprétations divergentes raisonnables?

[33]      Comme l’a maintes fois rappelé notre Cour depuis l’arrêt Dunsmuir, mieux vaut généralement laisser au décideur administratif le soin de clarifier le texte ambigu de sa loi constitutive. La raison en est que le choix d’une interprétation parmi plusieurs qui sont raisonnables tient souvent à des considérations de politique générale dont on présume que le législateur a voulu confier la prise en compte au décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire d’interprétation relève en effet de l’« expertise » du décideur administratif.

[25]           En l’espèce, la demanderesse invoque les arrêts Khan et Patel et soutient que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer à la présente affaire, car des décisions d’agents des visas ont déjà été soumises à cette norme de contrôle. Cependant, ces deux arrêts sont antérieurs à l’évolution jurisprudentielle concernant la déférence à accorder aux décisions du ministre et qui découle de l’arrêt Agraira de la Cour suprême du Canada (au paragraphe 63). Une question peut être réexaminée lorsque la norme est devenue incompatible avec l’évolution de la jurisprudence (Kandola, au paragraphe 35; Agraira, au paragraphe 48). Et, bien qu’elle soit réfutable, la Cour d’appel fédérale a indiqué que la présomption de déférence s’appliquait également aux délégués du ministre, en l’espèce à l’agent TQF (Kandola, au paragraphe 42).

[26]           De plus, comme nous l’avons déjà noté, c’est la première fois que la Cour est saisie de cette question, qui intéresse les modifications récentes apportées au RIPR. Il faut d’ailleurs signaler que la Cour a déjà décidé, quoique relativement à une question qui n’est pas exactement celle dont elle est saisie aujourd’hui, que l’évaluation d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés est un exercice discrétionnaire regardant des questions mixtes de fait et de droit, qui appelle une grande déférence (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 678, au paragraphe 9; Khanoyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 446, au paragraphe 3; Tabanag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1293, aux paragraphes 11 et 12 [Tabanag]; Ekladious Mansour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 343, au paragraphe 11).

[27]           Tout ce qui précède laisse entendre que la jurisprudence n’a pas défini de manière satisfaisante la norme de contrôle qui s’applique à cette question. Par conséquent, elle peut être réexaminée.

[28]           La demanderesse soutient aussi que la situation présente est comparable à celle que la Cour d’appel fédérale a traitée dans l’arrêt Kandola, dans lequel elle a établi que la norme de la décision correcte devait s’appliquer à une question d’interprétation législative. Dans cette affaire, la demanderesse avait sollicité le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de citoyenneté canadienne. La question était de savoir si le père canadien d’un enfant conçu grâce à une technique de procréation assistée, sans lien génétique avec lui ou avec la mère naturelle étrangère, obtient la citoyenneté par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.

[29]           Ayant réexaminé la jurisprudence relative à la norme de contrôle, la Cour d’appel fédérale a reconnu que l’analyse devait partir de la prémisse selon laquelle l’interprétation par l’agent de citoyenneté de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté doit être soumise à la norme de la décision raisonnable. La Cour d’appel a toutefois estimé que la présomption avait été réfutée dans cette affaire :

[42]      […] Toutefois, comme l’indique l’affaire Takeda (aux paragraphes 28 et 29), cette présomption peut être aisément réfutée (McLean, paragraphe 22; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, au paragraphe 16).

[43]      Plus précisément, il n’y a pas de clause privative en jeu et l’agent de citoyenneté était saisi d’une pure question d’interprétation de la loi qui ne comportait aucun élément discrétionnaire. La question sur laquelle il était appelé à se prononcer est difficile et l’agent de citoyenneté ne peut prétendre qu’il possède une expertise supérieure à celle de la Cour d’appel, qui a été créée précisément pour résoudre de telles questions.

[44]      À cet égard, je note que, pour interpréter l’alinéa 3(1)b), il faut prendre en considération la règle de la signification commune lors de l’application de lois bilingues; il faut aussi prendre en considération l’utilisation qui peut être faite du texte français compte tenu du fait qu’il est le fruit d’une révision. Rien n’indique qu’on ait jamais demandé à un agent de citoyenneté de tenir compte de l’une ou de l’autre de ces questions, et il n’y a rien dans la structure ou l’esprit de la Loi qui donne à penser que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision d’un agent de citoyenneté sur une telle question.

[45]      Par conséquent, je conclus que la présomption est réfutée.

[30]           La Cour d’appel fédérale a également estimé que la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable avait été réfutée dans l’arrêt ultérieur Kinsel. Dans cette affaire, la Cour d’appel a conclu en outre, sur la base de l’arrêt McLean, que lorsque les outils ordinaires d’interprétation législative mènent à une interprétation raisonnable unique et que le décideur administratif en adopte une différente, cette interprétation-là sera nécessairement déraisonnable (Kinsel, au paragraphe 32). Ayant effectué une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la législation pertinente, la Cour d’appel était convaincue qu’il n’existait qu’une seule interprétation raisonnable. Que ce soit parce que la présomption liée à la norme de la décision raisonnable a été réfutée, ou parce qu’il n’existait qu’une seule interprétation raisonnable, la Cour a donc dû interpréter la législation pertinente et s’assurer que la lecture du délégué s’accordait avec la sienne (Kinsel, au paragraphe 34).

[31]           En l’espèce, la question sous-jacente concerne l’interprétation législative. Plus spécifiquement, l’attestation d’équivalence effectuée aux fins de l’attribution des points pour les études au titre de l’article 78 du RIPR exige-t-elle que le diplôme, l’attestation ou le certificat étranger équivaille à un diplôme d’études obtenu au Canada? Si l’on applique l’analyse de l’arrêt Dunsmuir, l’agent interprétait sa loi habilitante et des règlements connexes – la LIPR et le RIPR. Par conséquent, la prémisse doit être que son interprétation est soumise à la norme de la décision raisonnable. La déférence sera généralement de mise lorsque le tribunal interprète sa propre loi habilitante ou des lois étroitement liées à son mandat et dont il a une connaissance approfondie (Dunsmuir, au paragraphe 54; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, au paragraphe 28).

[32]           À mon avis, la présomption n’a pas été réfutée en l’espèce et les circonstances de la présente affaire se rapprochent davantage des arrêts B010 et McLean que des arrêts Kandola et Kinsel. L’absence d’une clause privative ne commande pas en soi l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 21 et 25). Par ailleurs, les agents d’immigration font partie d’un régime administratif spécial et distinct dans lequel les décideurs jouissent d’une expertise spéciale (Philbean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 487, au paragraphe 7; Debnath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 904, au paragraphe 8; Roohi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1408, au paragraphe 33). Dans le cas présent, cette expertise entre en jeu au moment de déterminer si les exigences techniques de la LIPR et du RIPR ont été remplies. Plus spécifiquement, il s’agit de savoir si, dans les circonstances, le nombre de points requis a été obtenu pour que le demandeur soit admissible dans la catégorie des TQF. Le fait d’évaluer la composante des études aussi bien que les résultats des attestations d’équivalence suppose l’interprétation des articles 78 et 73 du RIPR. À mon avis, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui appelle une certaine déférence. Par ailleurs, l’ambiguïté législative au cœur du présent contrôle judiciaire ne relève pas d’une des catégories de questions à l’égard desquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer – les questions constitutionnelles, les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui échappent au domaine d’expertise de l’arbitre, les questions liées à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents ainsi que les véritables questions de compétence (Commission canadienne des droits de la personne, au paragraphe 18, Dunsmuir, aux paragraphes 58, 60 et 61; Alberta Teachers’, au paragraphe 30).

[33]           La norme de la décision raisonnable tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

Deuxième question en litige : L’agent a-t-il commis une erreur dans son traitement de l’attestation d’équivalence?

La position de la demanderesse

[34]           La demanderesse soutient que pour évaluer le nombre de points à lui attribuer, l’agent était tenu de se reporter à l’attestation d’équivalence d’études qu’elle a fournie et qui établissait de façon concluante que ses diplômes, attestations et certificats étrangers équivalaient à des diplômes d’études canadiens. Par conséquent, l’agent ne peut pas remettre en question l’attestation d’études et doit accorder les points correspondant aux diplômes canadiens équivalents mentionnés dans l’attestation. L’attestation d’études remise à la demanderesse indiquait qu’elle avait effectué l’équivalent de deux années d’études universitaires de premier cycle et de deux années d’études de niveau professionnel. Dès lors, en vertu de l’alinéa 78c) du RIPR, ses deux années d’études de premier cycle auraient dû lui mériter 19 points et, son diplôme professionnel, 23 points, en vertu de l’alinéa 78f). Rien n’exige que l’attestation démontre que le diplôme étranger soit l’équivalent d’un titre ou diplôme canadien bien précis.

[35]           L’agent n’a pas appliqué correctement les alinéas 78c) et f) et, compte tenu de l’attestation d’études de WES, a commis une erreur en concluant que les deux années d’études de premier cycle et les deux années d’études professionnelles de la demanderesse n’équivalaient pas à un diplôme canadien.

La position du défendeur

[36]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur en n’accordant que cinq points à la demanderesse pour ses études.

[37]           Le défendeur avance qu’aux termes du paragraphe 73(1) du RIPR, un « diplôme canadien » s’obtient après la réussite d’un programme d’études et qu’une attestation d’équivalence doit préciser si le diplôme étranger équivaut à un diplôme canadien. Comme la définition de l’« attestation d’équivalence » se réfère au « diplôme canadien », les critères de définition du « diplôme canadien » doivent être remplis pour qu’un diplôme étranger soit tenu pour équivalent. Ainsi, le diplôme étranger doit être jugé l’équivalent d’un programme d’études complété au Canada pour se voir attribuer des points. Le défendeur souligne la nouveauté des dispositions en cause du RIPR, et fait valoir que leur interprétation est étayée par le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagnait la publication initiale des dispositions modifiées, ainsi que par le Guide OP 6-C – Travailleurs qualifiés (fédéral) – Demandes reçues à compter du 4 mai 2013 (Guide OP 6-C).

[38]           L’évaluation de WES indique bien que le diplôme d’études postsecondaires pakistanais de la demanderesse équivaut à deux années d’études postsecondaires et à deux années d’études professionnelles au Canada, mais elle ne précise pas qu’il correspond à un diplôme délivré après deux années d’études postsecondaires au Canada. Le seul diplôme mentionné dans la demande de la demanderesse qui équivaille à un diplôme obtenu au Canada est son certificat d’études secondaires supérieures pakistanais, lequel correspond, d’après l’évaluation de WES, à un diplôme d’études secondaires canadien. Par conséquent, l’agent n’a pas commis d’erreur et son interprétation du degré de conformité des études de la demanderesse au critère réglementaire intéresse les faits et le droit et mérite déférence.

Analyse

[39]           Le point de départ de cette analyse est le contenu véritable du Rapport d’évaluation et d’authentification des diplômes de WES, qui se lit ainsi :

[traduction

RÉSUMÉ DES ÉQUIVALENCES CANADIENNES

Deux années d’études de premier cycle et deux années d’études professionnelles

ANALYSE DES DIPLÔMES

1. Authentification des diplômes :

Des relevés de notes officiels ont été envoyés directement par l’établissement

Pays :

Pakistan

Diplôme :

Certificat d’études secondaires supérieures

Année :

1996

Octroyé par :

Federal Board of Intermediate and Secondary Education, Islamabad

Exigences relatives à l’admission :

Certificat d’études secondaires

Durée du programme :

Deux ans

Matière principale/Spécialisation :

Filière scientifique

Équivalence canadienne :

Diplôme d’études secondaires

2. Authentification des diplômes :

Les relevés de notes ont été vérifiés par l’établissement

Pays :

Pakistan

Diplôme :

Baccalauréat ès sciences

Année :

1999

Octroyé par :

Université du Pendjab

Statut de l’établissement :

Reconnu

Exigences relatives à l’admission :

Certificat d’examen intermédiaire

Durée du programme :

Deux ans

Matière principale/Spécialisation :

Sciences

Équivalence canadienne :

Deux années d’études de premier cycle

3. Authentification des diplômes :

Les relevés de notes ont été vérifiés par l’établissement

Pays :

Pakistan

Diplôme :

Résultats d’examens intermédiaires et professionnels

Année :

2006

Octroyé par :

Institute of Cost and Management Accountants of Pakistan

Statut de l’établissement :

Reconnu

Exigences relatives à l’admission :

Baccalauréat

Durée du programme :

Sans objet

Matière principale/Spécialisation :

Comptabilité

Équivalence canadienne :

Deux années d’études professionnelles

Remarques :

 

Lorsqu’elle a terminé le programme, Mme Ijaz a obtenu un certificat de membre

[40]           Comme le fait remarquer le défendeur, un « diplôme canadien » est défini par le paragraphe 73(1) du RIP comme tout diplôme, certificat ou attestation obtenu pour avoir réussi un programme canadien d’études offert par un établissement d’enseignement et reconnu par les autorités provinciales chargées d’accréditer et de réglementer de tels établissements. L’« attestation d’équivalence » s’entend d’une évaluation faite par une organisation désignée à l’égard d’un diplôme, certificat ou attestation étranger, attestant son équivalence avec un diplôme canadien. À mon avis, cela laisse clairement entendre que les diplômes, certificats ou attestations étrangers délivrés à un demandeur sont comparés à ceux qui sont délivrés par une institution canadienne afin de déterminer si les premiers équivalent aux seconds.

[41]           Le rapport de WES indique bien que la demanderesse a complété l’équivalent de deux années d’études de premier cycle au Canada, mais ne précise nulle part que ces deux années équivalaient à un baccalauréat canadien ou à deux années de programme d’études postsecondaires canadien.

[42]           Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait la publication des dispositions modifiées du RIPR énonçait ce qui suit :

Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) établit les critères de sélection pour la CTQF et détermine l’importance accordée à chacun de ces critères […] Les demandeurs éventuels seront tenus de présenter soit les diplômes qu’ils ont obtenus au Canada soit les résultats d’une évaluation effectuée par une organisation désignée attestant de l’équivalence du diplôme étranger avec un diplôme canadien. Des points seront attribués en fonction du diplôme canadien équivalent […]

[…]

•    Exiger l’évaluation des diplômes étrangers et modifier les points pour les études […]. Les organismes désignés évalueront les attestations, certificats ou diplômes étrangers au cas par cas pour en vérifier l’authenticité et déterminer ce à quoi ils équivalent au Canada. Cette mesure permet à CIC de profiter d’une meilleure évaluation de la valeur d’un diplôme étranger au Canada. Les demandeurs titulaires de diplômes pour lesquels aucun programme d’études canadien ne fournit d’équivalent et ceux qui ne possèdent pas de diplôme équivalant à une attestation d’études au Canada ne sont pas admissibles à la CTQF. Des points seront accordés en fonction de l’équivalence que présente le diplôme étranger avec un diplôme canadien.

[Non souligné dans l’original.]

[REIR relatif au Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, CP 2012-1643 Le 6 décembre 2012, Gazette du Canada, vol. 146, no 26, 19 décembre 2012].

[43]           Le REIR peut servir d’outil d’interprétation, mais non l’emporter sur le langage clair du règlement (Teva Canada Limitée c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2014 CAF 67, au paragraphe 77). Cependant, je ne relève en l’espèce ni contradiction ni ambiguïté entre le libellé du RIPR et le REIR. Par ailleurs, encore une fois, ce résumé laisse bien entendre que l’évaluation a pour objet de déterminer si le diplôme, le certificat ou l’attestation octroyé par un établissement étranger équivaut à un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu au Canada.

[44]           Le défendeur se reporte également au Guide OP 6-C. Les guides opérationnels sont des documents stratégiques ministériels qui n’ont pas force de loi, mais ils peuvent servir d’outils d’interprétation pour aider la Cour à déterminer si une issue particulière est raisonnable (Singh Sran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 791, au paragraphe 17; Agraira, au paragraphe 60; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 72). Le Guide OP 6-C prévoit :

11.1 Études

Pour obtenir des points à l’égard des études, le demandeur doit fournir un diplôme d’études secondaires ou postsecondaires canadien ET (OU) soumettre un diplôme étranger avec une attestation d’équivalence (rapport d’évaluation du diplôme étranger) délivrée par une institution ou une organisation désignée. Le rapport d’évaluation du diplôme étranger doit établir l’équivalence avec le diplôme canadien.

Pour se voir attribuer le maximum de points pour les études, le demandeur peut soumettre plus d’un diplôme. Le diplôme étranger, cependant, doit être accompagné d’une attestation d’équivalence. Par exemple, le demandeur peut avoir terminé un programme d’études postsecondaires canadien et l’équivalent d’un programme d’études postsecondaires canadien d’au moins trois ans dans un établissement d’enseignement à l’étranger. Dans ce cas, le demandeur doit fournir le diplôme canadien, le diplôme étranger et l’attestation établissant l’équivalence avec un diplôme canadien d’études postsecondaires d’au moins trois ans.

L’alinéa R78(2)b) établit que les points sont attribués en fonction du diplôme canadien ou de l’attestation d’équivalence fournis à l’appui de la demande de résidence permanente qui procure le plus de points.

[…]

Pour l’application du paragraphe R78(1), l’agent évaluera la demande et pourra attribuer au demandeur un maximum de 25 points à l’égard des études, de la façon suivante [...]

[Non souligné dans l’original.]

[45]           En l’espèce, WES a déterminé que le certificat d’études secondaires supérieures de la demanderesse équivalait à un diplôme d’études secondaires canadien, son baccalauréat en sciences étranger de deux ans, à deux années d’études de premier cycle au Canada, et ses résultats d’examens intermédiaires et professionnels, à deux ans d’études professionnelles au Canada. WES a indiqué en résumé que cela équivalait à [traduction« deux ans d’études de premier cycle et deux années d’études professionnelles » au Canada.

[46]           À mon avis, compte tenu de ce qui précède, il était loisible à l’agent d’interpréter l’attestation d’équivalence de WES et le RIPR comme il l’a fait, à savoir que les deux années d’études de premier cycle plus deux années d’études professionnelles n’équivalaient pas à un diplôme canadien. L’attestation d’équivalence de WES n’indique pas que les diplômes de la demanderesse équivalaient à des diplômes canadiens, ce que l’agent a tenu pour une preuve concluante, telle que requise par le paragraphe 75(8) du RIPR. Ainsi, même s’il jouissait d’un certain pouvoir discrétionnaire pour interpréter le langage ambigu du rapport de WES, l’agent ne disposait pas d’un tel pouvoir pour ce qui est des points à accorder une fois le sens du rapport établi.

[47]           L’agent a expliqué dans sa lettre quels points il avait attribués pour les études, il s’est reporté à l’évaluation de WES déposée au dossier dont il disposait et a indiqué que l’estimation de deux années d’études de premier cycle plus deux années d’études professionnelles de WES n’équivalaient pas à un diplôme canadien, ce qui est conforme et à l’évaluation de WES et au paragraphe 73(1) du RIPR. C’est pour cette raison qu’il n’a accordé à la demanderesse que des points correspondant au niveau secondaire. Par conséquent, j’estime que l’évaluation de l’agent était raisonnable.

[48]           Il convient également de noter que les attributions de points prévues au paragraphe 78(1) du RIPR se rapportent au « diplôme » lié au programme concerné. Aux termes du paragraphe 78(1), les points sont attribués au travailleur qualifié pour toute attestation d’équivalence reposant sur le « diplôme » identifié. Comme WES n’a pas déterminé que deux années d’études de premier cycle équivalent à un « diplôme » d’études postsecondaires de deux ans, j’estime qu’il était loisible à l’agent de conclure qu’il n’était pas permis d’attribuer 19 points au titre de l’alinéa 78(1)c).

[49]           La demanderesse fait également valoir que l’interprétation du RIPR par l’agent était erronée parce qu’elle aboutit à un résultat absurde (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27; Wise c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1027) en ce sens qu’elle n’a reçu aucun point alors qu’elle a clairement démontré qu’elle détient un baccalauréat en sciences de deux ans et un certificat professionnel, et que l’attestation d’équivalence de WES lui reconnaît deux années d’études de premier cycle et deux années d’études professionnelles.

[50]           Cependant, si l’attestation d’équivalence a pour objet de déterminer si un diplôme, un certificat ou une attestation étranger « est équivalent à » un diplôme canadien – c’est-à-dire un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu pour avoir réussi un programme d’études canadien ou un cours de formation –, le résultat n’est plus absurde, mais voulu. En d’autres termes, si son baccalauréat en sciences de deux ans n’équivaut pas à un diplôme canadien obtenu après avoir terminé un programme d’études, mais seulement à deux années d’études de premier cycle au Canada, il n’est pas absurde de ne pas attribuer de points à la demanderesse puisqu’elle n’a peut-être pas les compétences scolaires requises pour être admissible en tant que TQF.

[51]           Ayant conclu que la décision de l’agent était raisonnable, j’ajouterais que l’autre interprétation suggérée par la demanderesse était également une issue possible. Cependant, lorsque plus d’une issue raisonnable est ouverte, la décision de l’agent doit recevoir une certaine déférence (McLean, aux paragraphes 39 à 41; Commission canadienne des droits de la personne, au paragraphe 30).

Question certifiée

[52]           La demanderesse soutient, et je suis d’accord avec elle, que le libellé de l’attestation d’équivalence de WES dans cette affaire était loin d’être un modèle de clarté. À l’avenir, il se pourrait que les organisations désignées comme WES soient sommées de délivrer des évaluations claires et sans ambiguïté. Il est vrai que le libellé de l’article 78 pourrait être plus explicite et, comme je l’ai déjà noté, que les dispositions pertinentes du RIPR peuvent recevoir plus d’une interprétation. Conscientes de ce fait, les parties ont donc proposé chacune une question à certifier.

[53]           La demanderesse soumet la question suivante :

[traduction

Au moment d’attribuer des points pour les études relativement à une demande présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) au titre de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, le Règlement exige-t-il qu’un rapport d’attestation d’équivalence précise que les études effectuées à l’étranger équivalent à un type spécifique de diplôme obtenu au Canada, ou une équation de la valeur relative des années d’études suffit-elle?

[54]           Le défendeur propose la question suivante :

[traduction

Au moment d’attribuer des points pour les études relativement à une demande présentée dans la catégorie des TQF au titre de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, le Règlement exige-t-il qu’une attestation d’équivalence concernant un diplôme, certificat ou attestation étranger, dans le cadre d’un rapport d’évaluation des études, équivaille à un diplôme obtenu au Canada?

[55]           Le critère de certification d’une question au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR a récemment été réitéré par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zhang, au paragraphe 9 :

[9]        Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l'issue de l'appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d'instance inférieure, et elle doit découler de l'affaire, et non des motifs du juge (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

[56]           Le critère me paraît rempli en l’espèce et je certifie donc la question suivante :

Au moment d’évaluer une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et de déterminer les points à attribuer pour les études au titre de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), l’attestation d’équivalence, requise par le paragraphe 75(2) et définie au paragraphe 73(1) du RIPR, concernant un diplôme, un certificat ou une attestation étranger, doit-elle être évaluée et mentionner explicitement l’équivalence à un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu pour avoir réussi un programme d’études canadien ou un cours de formation, au sens de la définition de « diplôme canadien » énoncé au paragraphe 73(1)?

Ou, une détermination et une déclaration d’équivalence du diplôme, du certificat ou de l’attestation étranger exprimées en nombre d’années d’études au Canada suffisent-elles pour attribuer des points aux termes du paragraphe 78(1)?

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      La question suivante est certifiée aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR :

Au moment d’évaluer une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et de déterminer les points à attribuer pour les études au titre de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), l’attestation d’équivalence, requise par le paragraphe 75(2) et définie au paragraphe 73(1) du RIPR, concernant un diplôme, un certificat ou une attestation étranger, doit-elle être évaluée et mentionner explicitement l’équivalence à un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu pour avoir terminé avec succès un programme canadien d’études ou un cours de formation, au sens de la définition de « diplôme canadien » énoncé au paragraphe 73(1)?

Ou, une détermination et une déclaration d’équivalence du diplôme, du certificat ou de l’attestation étranger exprimées en nombre d’années d’études au Canada et une déclaration à cet effet suffisent-elles pour attribuer des points aux termes du paragraphe 78(1)?

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4516-13

 

INTITULÉ :

MINAA IJAZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

POUR LA demanderesse

 

Margherita Braccio

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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