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Date : 20150123


Dossier : T‑1557‑13

Référence : 2015 CF 93

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

DHARAMJIT SINGH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE HENEGHAN

I.                   INTRODUCTION

[1]               Monsieur Dharamjit Singh (le demandeur) sollicite, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le contrôle judiciaire d’une décision du juge en chef J. Michael MacDonald, président (le président) du comité sur la conduite de juges du Conseil canadien de la magistrature (le Conseil). Dans cette décision, datée du 23 août 2013, le président a rejeté la plainte que le demandeur avait déposée contre plusieurs juges de la Cour supérieure de justice et de la Cour d’appel de l’Ontario.

[2]               Le président est représenté par le procureur général du Canada dans la présente demande de contrôle judiciaire, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

II.                CONTEXTE

[3]               Le demandeur est avocat et exerce sa profession à Toronto. Il représente un ancien employé de Federal Express Canada ltée. dans une action intentée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, le 19 octobre 2007, dans le dossier no 07‑CV‑342097 PD3, entre Nazir Ghany, le requérant, et Federal Express Canada ltée., Pina Starnino, Norm Jaschinski, Murray Uren, Connie De Fino, Donald Box et Chinh Tang, les mis en cause.

[4]               De façon générale, le requérant allègue dans sa déclaration avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé par Federal Express. Il affirme être un « dénonciateur » de nombreuses violations par Federal Express de la législation canadienne et américaine en matière douanière et commerciale. Selon lui, les violations commises par Federal Express portent préjudice à la sécurité nationale du Canada et des États‑Unis. Le requérant affirme que ces violations étaient tolérées en raison de la collusion avec les agences des services frontaliers des deux pays.

[5]               Par avis de requête daté du 7 juillet 2008, le requérant a sollicité l’autorisation de modifier sa déclaration, en y ajoutant Frederick Smith et David Bronczek comme mis en cause, ainsi que ses actes de procédure visant le congédiement injuste en guise de représailles. La requête a été entendue par la protonotaire McAfee de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, durant plusieurs jours entre octobre 2008 et mars 2009.

[6]               Dans sa décision du 10 août 2009, la protonotaire McAfee a refusé au requérant l’autorisation d’apporter plusieurs modifications, essentiellement au sujet de l’ajout de certaines parties à titre de mis en cause. La protonotaire a autorisé quelques modifications, dont la plupart convenues par l’avocat des mis en cause.

[7]               En sa qualité d’avocat du requérant, le demandeur a porté en appel la décision de la protonotaire devant la Cour divisionnaire de l’Ontario. Dans une décision datée du 20 avril 2010, le juge McCombs a rejeté l’appel. Le demandeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision à la Cour d’appel de l’Ontario. Le 20 août 2010, les juges Rosenberg, Goudge et Feldman de la Cour d’appel de l’Ontario ont rejeté la demande d’autorisation d’appel sans donner des motifs.

[8]               Le 5 février 2013, le demandeur a déposé une plainte auprès du Conseil contre la protonotaire McAfee, les juges McCombs, Rosenberg, Goudge, Feldman et le juge Winkler, ancien juge en chef de l’Ontario. La plainte a été présentée au nom du demandeur, de son propre chef, et non au nom de son client.

[9]               Dans sa plainte, le demandeur affirmait que les juges ont fait abstraction de la jurisprudence ayant force obligatoire, ils se sont fondés sur des décisions antérieures non pertinentes, n’ont pas tenu compte des faits et des arguments, ont truqué l’instance et agi de manière corrompue et arbitraire au bénéfice du gouvernement dans l’instruction de la requête et de l’appel du requérant à l’encontre de la décision rendue par la protonotaire McAfee. Le demandeur soutenait en outre que les juges désignés faisaient partie d’une société secrète composée de juges corrompus sur laquelle comptait l’ancien juge en chef de l’Ontario pour rendre des décisions favorables au gouvernement.

[10]           Le demandeur a déposé dans le cadre de sa plainte plusieurs pièces censées étayer ses allégations. Ces pièces consistent principalement en articles de journaux, actes de procédure, transcriptions de contre‑interrogatoires se rapportant à la poursuite intentée en Ontario ou déposés dans le cadre de cette poursuite, ainsi qu’en décisions portant sur la requête visant à modifier la déclaration. Par courriel envoyé au Conseil le 14 février 2013, le demandeur a présenté d’autres pièces, dont la transcription du contre‑interrogatoire de Susan Foster, divers documents portant sur les infractions douanières alléguées, la déclaration modifiée et les décisions rendues par la protonotaire McAffee et le juge McCombs.

[11]           Dans une lettre datée du 23 août 2013, Me Sabourin, directeur exécutif du Conseil canadien de la magistrature, a communiqué au demandeur la décision du président, le juge en chef MacDonald. Le demandeur était ainsi informé que le Conseil n’avait pas la compétence nécessaire pour examiner la plainte portée contre la protonotaire McAfee. On avisait aussi le demandeur que la plainte contre les autres personnes désignées serait rejetée.

[12]           Dans sa décision, le président a pris acte des éléments de preuve présentés par le demandeur à l’appui de sa thèse voulant que les décisions défavorables sur la requête et les appels ultérieurs en litige soient attribuables au trucage de l’instance et à l’influence exercée par le gouvernement sur la magistrature. Le président a indiqué qu’il n’existait aucun élément de preuve confirmant les allégations de corruption formulées par le demandeur. En outre, rien ne permettait d’établir que les juges saisis des requêtes et des appels du demandeur avaient agi de façon répréhensible.

[13]           Le président a également indiqué que rien dans la preuve ne permettait d’établir un lien entre le juge en chef Winkler et les requêtes et les appels en litige. Selon le juge en chef MacDonald, la preuve présentée par le demandeur démontrait que les arguments de son client avaient été soumis aux juges, lesquels les avaient examinés de façon indépendante, conformément aux procédures habituelles. Le président a conclu que la plainte du demandeur découlait uniquement d’un différend concernant une décision défavorable. Rien n’indiquait qu’il convenait d’examiner les arguments du demandeur, avancés au nom de son client, et de se prononcer sur leur bien‑fondé.

[14]           Maître Sabourin informait aussi le demandeur que l’allégation formulée contre le juge en chef Winkler exigeait un examen dans le cadre d’un processus différent, aux termes de l’article 6.1 des Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale (les Procédures relatives aux plaintes). Un avis juridique a été demandé à un avocat externe. Le directeur exécutif a indiqué que l’avocat externe avait souscrit à la décision de rejeter la plainte.

[15]           Le demandeur a tout d’abord soulevé la question du bien‑fondé de la décision du Conseil de ne pas communiquer l’avis juridique donné par un avocat externe. À la suite du refus de la Cour suprême du Canada d’autoriser le pourvoi dans l’affaire Slansky c Canada (Procureur général) et al., [2013] C.S.C.R. 452, l’avocat du demandeur a indiqué que cette question serait abandonnée.

[16]           De même, le demandeur a retiré sa contestation de la validité constitutionnelle de la décision rendue et des procédures relatives aux plaintes. À cet égard, le demandeur a fait valoir que la décision contestée et les procédures relatives aux plaintes contreviennent aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[17]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

(1)               Quelle est la norme de contrôle applicable?

(2)               Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour instruire la plainte du demandeur?

IV.             OBSERVATIONS

A.                La norme de contrôle

[18]           Le demandeur et le défendeur s’entendent pour dire que la décision du président de ne pas instruire la plainte en raison du défaut de compétence est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir Akladyous c Conseil canadien de la magistrature (2008), 325 F.T.R. 240, au paragraphe 42.

(1)               Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour instruire la plainte du demandeur?

B.                 Les observations du demandeur

[19]           En ce qui concerne la deuxième question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur invoque essentiellement la décision rendue par le juge McCombs de la Cour divisionnaire de l’Ontario. De manière générale, il fait valoir que cette décision ne respecte pas le principe de la primauté du droit. Le demandeur soutient en outre que le juge a fait preuve de partialité en appliquant le mauvais critère juridique et en n’examinant pas correctement la preuve.

[20]           Le demandeur fait valoir que le Conseil a commis une erreur en concluant au défaut de compétence quant à l’examen de la preuve et au contrôle des décisions judiciaires au regard des faits et du droit. Selon lui, le Conseil a compétence pour sanctionner les juges en cas d’abus de pouvoir, de partialité ou de crainte raisonnable de partialité.

[21]           Le demandeur fait valoir que la jurisprudence du Conseil étaye sa thèse, à savoir que le Conseil a compétence pour procéder à la révision du processus décisionnel judiciaire. Il invoque à cet égard les décisions rendues par le Conseil à la suite des enquêtes sur la conduite des juges Matlow et Cosgrove ainsi que la décision du comité constitué pour faire enquête sur la conduite des cinq juges de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse qui ont infirmé la déclaration de culpabilité injustifiée de Donald Marshall fils.

[22]           Selon le demandeur, il ressort de ces décisions que les juges peuvent être révoqués pour incompétence en raison des décisions rendues ou s’il existe une preuve de partialité ou une crainte raisonnable de partialité dans le processus décisionnel judiciaire.

[23]           Le demandeur fait valoir que le défaut du juge McComb d’appliquer la règle du stare decisis, qui sert de fondement au système de common law, constitue une conduite répréhensible et contrevient au principe de la primauté du droit.

[24]           Le demandeur ajoute que la conclusion du président quant au défaut de compétence du Conseil pour instruire la plainte n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, sa décision est déraisonnable; voir l’arrêt Hunter c Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.

[25]           Selon le demandeur, même si le Conseil n’a pas compétence pour instruire sa plainte, au regard des faits soulevés, il était déraisonnable de conclure que celui‑ci n’avait jamais eu compétence pour procéder à la révision du processus décisionnel judiciaire. Le demandeur affirme que le président a omis de se prononcer sur cette question et que sa décision est donc déraisonnable.

C.                 Les observations du défendeur

[26]           Le défendeur fait valoir que le demandeur confond, dans ses arguments, les notions de conduite des juges et de processus décisionnel judiciaire. Il affirme que le mandat du Conseil se limite à l’enquête sur les allégations de conduite répréhensible des juges. La plainte du demandeur porte sur des décisions judiciaires, ce qui échappe à la compétence du Conseil.

[27]           Le défendeur admet que les notions de conduite des juges et de processus décisionnel irrégulier ne s’excluent pas toujours mutuellement et qu’il arrive, comme dans le cas du juge Cosgrove, que la conduite répréhensible coexiste avec le processus décisionnel judiciaire et porte atteinte à celui‑ci. Il soutient que l’espèce se distingue de l’affaire mentionnée, vu l’absence d’allégations de conduite répréhensible des juges.

[28]           Selon le défendeur, il appartient aux cours d’appel de corriger les erreurs de droit. Le défendeur ajoute qu’en l’absence d’allégations de conduite répréhensible, le Conseil n’est pas appelé à examiner la décision rendue par un juge. Le défendeur invoque à cet égard l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, au paragraphe 58.

[29]           Le défendeur fait valoir que l’examen des décisions judiciaires par la Conseil correspondrait au contrôle judiciaire exercé par un organisme autre qu’une cour d’appel. Le défendeur ajoute qu’une telle éventualité va à l’encontre de la primauté du droit et du principe de l’indépendance judiciaire qui exige que les juges instruisent et tranchent des affaires sans crainte de sanction externe.

[30]           Enfin, le défendeur soutient que la décision du président est raisonnable. Celui‑ci a examiné attentivement la plainte et a ensuite conclu que le demandeur tentait de faire réexaminer des questions qui avaient déjà été tranchées de manière définitive.

[31]           Le défendeur fait valoir que le caractère raisonnable de la décision doit être évalué dans le contexte de la plainte, laquelle comportait des allégations de corruption judiciaire et de trucage de l’instance qui s’ajoutaient aux allégations d’irrégularité du processus décisionnel. Le ministre soutient que la décision du président était raisonnable puisqu’elle reposait sur les éléments de preuve dont celui‑ci disposait.

V.                ANALYSE ET DÉCISION

[32]           En ce qui a trait à la question de la norme de contrôle applicable, je conviens avec les parties que la décision du président de ne pas instruire la plainte du demandeur est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans Akladyous, précitée, la Cour a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable, suivant la jurisprudence en la matière.

[33]           Dans son arrêt ultérieur, Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 45, la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’y a que deux normes de contrôle au regard desquelles les décisions des organismes d’origine législative peuvent être révisées, soit la décision correcte pour ce qui est des questions de droit et d’équité procédurale et la décision raisonnable pour ce qui est des conclusions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. En outre, la Cour suprême a statué qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive lorsque la jurisprudence avait déjà arrêté la bonne norme de contrôle; voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 57.

[34]           Le président a été saisi d’une question mixte de fait et de droit, à savoir s’il y avait eu inconduite judiciaire pouvant justifier une enquête par le Conseil. La conclusion du président portant que le Conseil n’avait pas compétence pour instruire la plainte reposait sur la conclusion de fait selon laquelle aucun des juges désignés dans la plainte du demandeur n’avait pas fait preuve d’inconduite.

[35]           Les questions mixtes de fait et de droit commandent la retenue. La jurisprudence a déjà établi que ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir Taylor c Canada (Procureur général) (2001), 212 F.T.R. 246, aux paragraphes 32 et 38, conf. par [2003] 3 C.F. 3, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, (2004), 321 N.R. 399 (note); Cosgrove c Conseil canadien de la magistrature (2007), 361 N.R. 201, au paragraphe 25 (C.A.F.), et Akladyous, précitée, aux paragraphes 40 à 43.

[36]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême explique, au paragraphe 47, que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[37]           Le demandeur a fait valoir que les décisions du Conseil s’inscrivent dans la jurisprudence et que le président a commis une erreur en omettant de suivre cette « jurisprudence ». Cet argument doit à mon avis être rejeté.

[38]           Selon le Black’s Law Dictionary, 10e éd, le terme « jurisprudence » signifie dans son acception moderne [traduction] « 4. Ensemble des décisions judiciaires […] 6. Système juridique, règles de droit ou source du droit […] 7. DROIT JURISPRUDENTIEL ». Ce dernier terme est défini comme [traduction] « l’ensemble des règles de droit qui se dégagent des décisions juridiciaires publiées et qui forment en tout ou en partie le droit applicable d’un ressort donné »; voir Black’s Law Dictionary, op. cit., sous l’entrée « caselaw ».

[39]           Le Conseil est un office fédéral; voir la décision Douglas c Procureur général du Canada et al., 2014 CF 299, au paragraphe 92. Malgré leur formation et expérience professionnelle, les membres du Conseil et des comités d’enquête constitués sous le régime de la partie II de la Loi sur les juges, L.R.C. 1985 ch. J‑1, ne siègent pas en tant que juges. Ils agissent plutôt en tant que membres d’un tribunal administratif; voir Douglas, précitée, au paragraphe 86.

[40]           Par conséquent, les décisions du Conseil doivent être assimilées aux décisions de tout office constitué par le gouvernement fédéral. Ses décisions ne constituent pas des précédents faisant autorité et le Conseil n’est pas non plus lié par la règle du stare decisis; voir l’arrêt Domtar Inc. c Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756.

[41]           J’estime donc que les décisions prononcées par le Conseil ne s’inscrivent pas dans la « jurisprudence » au sens ordinaire du terme et ne font aucunement autorité, suivant l’arrêt Domtar, précité.

[42]           Je passe maintenant au bien‑fondé de la demande. J’examinerai le caractère raisonnable de la décision visée, eu égard à la nature du processus décisionnel et à la preuve soumise au décideur.

[43]           En l’espèce, la demande de contrôle judiciaire porte sur la décision par laquelle le président a rejeté la plainte du demandeur à l’étape préliminaire.

[44]           Dans l’affaire Douglas, précitée, le juge Richard Mosley a examiné le processus suivi par le Conseil pour donner suite à une plainte contre des juges de nomination fédérale. Aux paragraphes 9 à 19, le juge Mosley décrit le processus qui fait suite à la réception d’une plainte.

[45]           Le juge Mosley énonce un processus en cinq étapes. Les paragraphes 13 et 14 de sa décision sont pertinents en l’espèce et prévoient ce qui suit :

13.       Premièrement, tel qu’indiqué à l’article 2.2 des Procédures relatives aux plaintes, le directeur exécutif du Conseil examine d’abord toutes les plaintes et décide si l’une ou l’autre plainte justifie l’ouverture d’un dossier. Si aucun dossier n’est ouvert, le plaignant en est avisé et l’affaire ne va pas plus loin. Cet examen préliminaire sert à éviter que le Conseil consacre du temps à des plaintes non justifiées.

14.       Deuxièmement, si un dossier est ouvert, le président ou le vice‑président du Comité sur la conduite des juges examine la plainte et peut fermer le dossier, demander des renseignements supplémentaires au plaignant, ou demander des commentaires au juge et à son juge en chef, comme le prévoient les articles 3 à 8 des Procédures relatives aux plaintes.

[46]           Suivant les Procédures relatives aux plaintes, le Conseil peut rejeter une plainte à la deuxième étape, s’il estime « que la plainte n’est pas du ressort du Conseil, parce qu’elle ne met pas en cause la conduite d’un juge ».

[47]           La plainte du demandeur a été tranchée à la deuxième étape, à la suite de l’examen par le président du comité sur la conduite de juges. La plainte a d’abord fait l’objet d’un examen par le directeur exécutif qui l’a renvoyée par la suite au président du comité sur la conduite de juges. Selon la décision communiquée par le directeur exécutif, le président a conclu qu’il n’y avait aucune raison pour instruire la plainte. Le président indiquait également que la plainte du demandeur portait sur la manière dont les tribunaux en question avaient instruit la requête visant à modifier une déclaration.

[48]           Pour répondre aux arguments du demandeur, il faut examiner le mandat du Conseil.

[49]           Le Conseil a été constitué aux termes du paragraphe 59(1) de la partie II, Conseil canadien de la magistrature, de la Loi sur les juges. Le Conseil avait été créé pour régler les problèmes liés au fait que le Sénat et la Chambre des communes étaient auparavant chargés de s’occuper des audiences disciplinaires; voir l’analyse dans Douglas, précitée, aux paragraphes 5 et 6.

[50]           Suivant le paragraphe 60(1) de la Loi sur les juges, le Conseil a pour mission d’améliorer le fonctionnement et la qualité des services judiciaires et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice. Aux termes de l’alinéa 60(2)c), le Conseil est habilité à procéder aux enquêtes en matière de révocation des juges. Les motifs justifiant la révocation d’un juge sont énoncés au paragraphe 65(2) de la Loi sur les juges, dont voici le libellé :

65.(2) Le Conseil peut, dans son rapport, recommander la révocation s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

65.(2) Where, in the opinion of the Council, the judge in respect of whom an inquiry or investigation has been made has become incapacitated or disabled from the due execution of the office of judge by reason of

a) âge ou invalidité;

(a) age or infirmity,

b) manquement à l’honneur et à la dignité;

(b) having been guilty of misconduct,

c) manquement aux devoirs de sa charge;

(c) having failed in the due execution of that office, or

d) situation d’incompatibilité, qu’elle soit imputable au juge ou à toute autre cause.

(d) having been placed, by his or her conduct or otherwise, in a position incompatible with the due execution of that office,

the Council, in its report to the Minister under subsection (1), may recommend that the judge be removed from office.

[51]           À mon avis, il ressort clairement de cette disposition que le mandat du Conseil se limite à l’examen de la conduite répréhensible des juges qui nuit à leur capacité de remplir leurs fonctions. Cette disposition ne confère pas au Conseil le vaste pouvoir d’examiner les décisions des juges.

[52]           En l’espèce, le président a constaté que la preuve au dossier ne lui permettait pas de conclure à l’existence d’une conduite répréhensible des juges. J’estime donc que le Conseil n’a pas commis d’erreur en concluant au défaut de compétence pour examiner la décision prononcée par le juge McCombs.

[53]           La conclusion du président quant au bien‑fondé de la plainte est énoncée dans le paragraphe suivant :

[traduction] Pour ces motifs, le juge en chef MacDonald conclut que votre plainte est entièrement dénuée de fondement. Le juge en chef estime que vous faites appel aux procédures du Conseil relatives aux plaintes pour contester à nouveau les décisions judiciaires rendues et pour réitérer vos arguments juridiques, selon lesquels aucune personne sensée ne saurait être en désaccord. Or, le Conseil n’a pas pour mandat d’examiner les conclusions formulées par les juges à la suite des audiences, lesquelles relèvent de leur pouvoir décisionnel. Ces conclusions ne peuvent être contestées que par voie d’appel.

[54]           Dans sa décision, le président a qualifié la plainte de mécontentement quant au déroulement du litige civil. Il a examiné les allégations de conduite répréhensible formulées par le demandeur et a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve confirmant ces allégations. Le président a manifestement abordé l’allégation de « trucage de l’instance » et a estimé qu’elle était dénuée de fondement.

[55]           Selon le demandeur, l’omission du juge McComb de suivre la jurisprudence contrevient au principe de la primauté du droit et constitue une conduite répréhensible dont l’examen relève de la compétence du Conseil.

[56]           Le demandeur conteste en l’espèce des décisions relatives aux étapes interlocutoires dans le cadre de l’action intentée par son client. Je conviens avec le défendeur et le président que la voie à suivre pour contester ces décisions est d’interjeter appel. Le demandeur a demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour d’appel de l’Ontario, mais sa requête a été rejetée.

[57]           À mon avis, les questions soulevées par le demandeur dans sa plainte ont été tranchées de manière définitive. En l’absence de preuve concernant la conduite répréhensible, la décision du juge McCombs ne peut être contestée par voie d’enquête menée par le Conseil.

[58]           Je note que le défendeur sollicite des dépens d’un montant élevé, au motif que le demandeur a poursuivi, sans succès, plusieurs recours relatifs à l’objet de sa plainte, à savoir la requête visant à modifier la déclaration. Le défendeur mentionne à cet égard l’appel interjeté par le demandeur devant la Cour divisionnaire, sa demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour d’appel de l’Ontario, sa plainte auprès du Conseil ainsi que la présente demande de contrôle judiciaire.

[59]           Je ne suis pas disposée à adjuger des dépens élevés en l’espèce. Le demandeur avait le droit d’interjeter appel dans le cadre du système judiciaire de l’Ontario et de se prévaloir de ses droits en vertu de la Loi sur les juges, ainsi que de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[60]           Le demandeur a assumé ainsi les risques habituels liés aux litiges, soit la possibilité d’être débouté et celle d’être appelé à payer des dépens.

[61]           Suivant la règle générale selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur, conformément au jugement rendu le 19 décembre 2014.

« E. Heneghan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 janvier 2015

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1557‑13

 

INTITULÉ :

DHARAMJIT SINGH c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JUIN 2014

 

mOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Joseph Cheng

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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