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Date : 20150122


Dossier : IMM‑6168‑13

Référence : 2015 CF 86

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

RAUHA NDESHIPAN SHILONGO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire et contexte

[1]               La demanderesse sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de l’évaluation des risques avant renvoi [ERAR] à l’issue de laquelle sa demande de protection fondée sur le paragraphe 112(1) de la Loi a été refusée. La demanderesse demande à la Cour d’infirmer la décision d’ERAR et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il la réexamine.

[2]               La demanderesse est une citoyenne namibienne de 35 ans originaire du village d’Onambone. Avant d’arriver au Canada, elle a vécu pendant presque sept ans au Royaume‑Uni où elle bénéficiait d’un statut juridique comme conjointe accompagnant son petit ami. Lorsque ce dernier est retourné en Namibie pour s’occuper des affaires de sa famille, la demanderesse a perdu son statut au Royaume‑Uni. Elle craignait, si elle retournait avec lui, d’être [traduction« forcée de marier son oncle, et qu’il lui fasse subir des violences physiques, la viole et la tue, avec l’accord et la complicité de son père ». Elle est donc arrivée au Canada le 23 août 2010, où elle a immédiatement présenté une demande d’asile.

[3]               Le 25 octobre 2011, la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SPR n’a pas mis en doute le récit de la demanderesse selon lequel son père avait promis sa main à son oncle, ni que ce dernier l’avait violée et battue à plusieurs reprises après qu’elle eut refusé de le marier. Cependant, la SPR a jugé que la demanderesse jouissait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Windhoek, où l’État pouvait la protéger.

[4]               La demanderesse a sollicité l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la SPR devant la Cour, mais sa demande a été rejetée le 9 février 2012 (Shilongo c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑8437‑11 (CF)).

[5]               Le 16 novembre 2012, la demanderesse a présenté la demande d’ERAR qui fait l’objet du présent contrôle, au soutien de laquelle elle invoquait en substance les mêmes allégations liées au risque. Son renvoi du Canada par la suite fixé au 24 octobre 2013 a été reporté, la Cour lui ayant accordé un sursis jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit tranchée.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               Le 26 juin 2013, un agent d’immigration supérieur [l’agent] a rejeté l’ERAR de la demanderesse. Bien que son avocat ait demandé une entrevue, il n’y a pas eu d’audience.

[7]               Comme la demande de protection avait déjà été rejetée par la SPR, l’alinéa 113a) de la Loi s’appliquait, et la demanderesse ne pouvait présenter « que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande [par la SPR] ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances ».

[8]               S’appuyant sur cet alinéa de la Loi, l’agent a écarté plusieurs documents datés du 4 juin 2003, y compris des rapports médicaux et une déclaration personnelle de la demanderesse faisant état d’une demande de protection policière. L’avocat de la demanderesse a précisé que le frère de la demanderesse avait cherché à obtenir ces documents il y a plusieurs années et qu’ils ne lui avaient été transmis que récemment, mais l’agent n’a pas accepté cette explication. Quoi qu’il en soit, il a estimé que tous ces documents étaient sans pertinence puisque la SPR n’avait pas mis en doute le récit de la demanderesse ni sa crédibilité. L’agent a d’ailleurs déterminé que certaines des lettres des frères et sœurs de la demanderesse ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve, puisqu’elles ne faisaient que confirmer que l’oncle et le père étaient toujours à sa recherche, ce qui d’après lui ne changerait rien à la conclusion de la SPR selon laquelle Windhoek offrait une PRI à la demanderesse.

[9]               Il n’en allait pas nécessairement de même des déclarations solennelles de la mère et du frère de la demanderesse, datées chacune du 15 novembre 2012. D’après celles‑ci, l’oncle de la demanderesse s’était rendu chez son frère à Windhoek le 26 août 2012 pour savoir où elle se trouvait, et ses gardes du corps avaient attaqué la famille. Cependant, l’agent a écarté ces déclarations pour les raisons suivantes :

[traduction]

Je constate que ces attestations émanent de parties ayant un intérêt direct à ce que le dossier de la demandeure connaisse une issue favorable. De plus, rien n’indique que sa mère et son frère aient tenté de signaler les menaces et les attaques à la police de Windhoek. On peut raisonnablement penser que s’ils avaient été attaqués et menacés chez eux ils se seraient adressés à l’État pour obtenir réparation, et je ne suis pas convaincu, le cas échéant, que la protection de l’État ne pouvait être raisonnablement assurée.

[…] Accepter la preuve de la demandeure concernant les menaces constantes n’équivaut pas à réfuter les conclusions ayant trait à l’existence d’une protection de l’État dans la PRI de Windhoek.

[…] J’estime que la preuve dont je dispose est insuffisante pour parvenir à une autre conclusion que celle de la Commission, d’autant que la demandeure n’a pas réfuté les conclusions de cette dernière concernant la protection de l’État dans la PRI de Windhoek.

[10]           La demanderesse a également fait valoir devant l’agent qu’il était notoire que des personnes dans une situation analogue à la sienne, comme sa cousine, avaient disparu ou avaient été assassinées pour avoir refusé de contracter un mariage forcé, mais celui‑ci a conclu que les éléments de preuve à sa disposition étaient insuffisants pour corroborer ces déclarations et que la disparition de sa cousine n’était mentionnée nulle part dans les lettres des membres de sa famille.

[11]           Enfin, l’agent a évalué les éléments de preuve documentaire présentés par la demanderesse, même s’ils ne la concernaient pas personnellement. Ces preuves n’attestaient pas que la situation dans le pays avait changé depuis la décision de la SPR et, de fait, elles confirmaient qu’il était possible de compter sur la protection de l’État, car il arrivait effectivement que des actes de violence fondée sur le sexe soient perpétrés, mais leurs auteurs étaient condamnés. L’agent ne voyait donc aucune raison de déroger à la décision de la SPR, et il a conclu que la demanderesse pouvait bénéficier d’une protection adéquate de l’État à Windhoek.

III.             Les observations des parties

A.                Les arguments de la demanderesse

[12]           D’après la demanderesse, la conclusion de l’agent selon laquelle les nouveaux éléments de preuve ne réfutaient pas les conclusions concernant la protection de l’État dans la PRI de Windhoek est déraisonnable. Elle invoque la décision Suduwelik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 326 au paragraphe 23, et soutient que l’agent n’aurait pas dû écarter les déclarations solennelles simplement parce qu’elles émanaient de parties intéressées. Il lui incombait de considérer son profil de risque personnel à la lumière de l’ensemble de la preuve, et de ne pas s’appuyer simplement sur les éléments de preuve ayant trait à la situation générale du pays.

[13]           En outre, la demanderesse affirme que l’agent n’a pas appliqué les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les directives] qui étaient applicables compte tenu de la nature de ses revendications. Elle fait remarquer que les directives ne sont mentionnées nulle part dans la décision de l’agent, et que ce dernier ne s’est pas montré réceptif à ce que celles‑ci présentent comme une approche raisonnable. À cet égard, elle cite la décision Talo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 478 au paragraphe 5, 408 FTR 102.

[14]           Par ailleurs, la demanderesse fait valoir que la conclusion de l’agent ayant trait à la vraisemblance n’appelle pas la retenue que commandent les autres conclusions en matière de crédibilité. Selon elle, il n’était pas raisonnable de la part de l’agent de présumer que sa mère et son frère seraient allés ou auraient dû aller voir la police après que les gardes du corps de son oncle les eurent attaqués à Windhoek. Elle fait valoir que cette conclusion concernant la vraisemblance n’était pas étayée par la preuve (citant, p. ex., Lozano Pulido c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 209 au paragraphe 37, et Gjelaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 37 aux paragraphes 3 et 4).

[15]           La demanderesse demande instamment à la Cour de prendre du recul et de considérer le dossier dans son ensemble. Sa mère l’avait emmenée voir la police à deux reprises avant son départ de Namibie, sans qu’elle obtienne de protection adéquate de l’État dans l’un ou l’autre cas. D’après la demanderesse, il est tout aussi vraisemblable que sa mère ait réalisé, compte tenu de leurs expériences antérieures, que la protection offerte par l’État allait être probablement inefficace ou inadéquate. La demanderesse fait valoir que l’agent aurait dû analyser cet aspect de sa situation plus attentivement qu’il ne l’a fait.

[16]           Quant à la décision Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 61 [Obeng], invoquée par le défendeur, la demanderesse affirme que ce précédent peut être écarté au motif que la demanderesse dans cette affaire n’était pas crédible et que les nouveaux éléments de preuve comportaient des renseignements contradictoires. De plus, dans la décision Obeng, les preuves n’ont pas été rejetées en raison des personnes desquelles elles émanaient. La demanderesse soutient qu’en l’espèce, les nouveaux éléments de preuve montrent clairement que l’agent de persécution s’est déjà rendu dans la PRI proposée de Windhoek, pour y rechercher la demanderesse.

B.                 Les arguments du défendeur

[17]           Le défendeur affirme que la décision de l’agent est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (suivant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 aux paragraphes 47, 48 et 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[18]           Le défendeur fait valoir qu’il était clairement loisible à l’agent d’accorder peu de poids aux nouveaux éléments de preuve. Sa conclusion relative à la vraisemblance est raisonnable et résiste à un examen poussé (suivant Perea Duran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 43 au paragraphe 15). Par ailleurs, le défendeur soutient que la demanderesse peut encore se prévaloir d’une protection de l’État à Windhoek, malgré la preuve concernant les menaces renouvelées de son oncle. Le défendeur demande à la Cour de conclure que la demanderesse devait présenter des preuves plus objectives des menaces auxquelles elle disait être exposée (suivant Obeng, au paragraphe 31). Il demande aussi à la Cour de suivre la décision rendue dans Obeng, une affaire analogue concernant une citoyenne du Ghana.

[19]           Quoi qu’il en soit, le défendeur fait valoir que l’analyse touchant la protection de l’État effectuée par la SPR et l’agent était raisonnable. Il ajoute que la nature des nouveaux éléments de preuve concernant la PRI dont disposait la demanderesse n’obligeait pas l’agent à tenir compte expressément des directives (suivant Obeng, au paragraphe 35, et Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 232 au paragraphe 6).

[20]           Le défendeur soutient donc que la décision de l’agent était raisonnable et que ses motifs n’avaient pas à être parfaits (suivant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 14, [2011] 3 RCS 708).

IV.             Norme de contrôle et analyse

A.                Norme de contrôle

[21]           En l’absence de questions d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent à l’issue de l’ERAR est celle de la décision raisonnable (Jainul Shaikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1318 au paragraphe 16). Comme l’évaluation par l’agent d’ERAR de tout nouvel élément de preuve au titre de l’alinéa 113a) de la Loi constitue essentiellement une question de fait et de droit, sa décision appelle une certaine retenue. Par conséquent, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de l’agent d’ERAR ne sont pas justifiables, transparents et intelligibles, ou que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[22]           Dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au paragraphe 13, 289 DLR (4th) 675 [Raza], la Cour d’appel fédérale a énoncé que les agents d’ERAR doivent respecter les décisions défavorables de la SPR relatives à des demandes d’asile « à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. » Dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel a résumé comme suit les questions qu’il convient de se poser pour mener à bien cet exercice :

1.         Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.         Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.         Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)         à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)         à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)         à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

4.         Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

5.         Conditions légales explicites :

a)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

b)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[23]           Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer dans l’arrêt Raza qu’une demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté n’est pas un appel ni une demande de réexamen de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile. Il peut néanmoins être nécessaire d’examiner dans le cadre de l’ERAR certaines, si ce n’est l’ensemble, des questions factuelles et juridiques de nature à être soulevées dans une demande d’asile, de sorte qu’il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’examiner en l’espèce les conclusions de la SPR concernant la protection de l’État.

[24]           Dans la décision Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1294 au paragraphe 20, la juge Elizabeth Heneghan a précisé qu’en raison de l’arrêt Raza, « une conclusion de la SPR selon laquelle un demandeur d’asile bénéficie d’une PRI, peut avoir accès à une protection de l’État ou n’est pas digne de foi empêcherait de tirer une conclusion favorable dans le cas d’un ERAR, sauf si ce demandeur montre, au moyen d’éléments de preuve nouveaux, qu’il est survenu un changement de situation important depuis qu’a été rendue la décision antérieure de la SPR ».

[25]           Par conséquent, la question fondamentale que doit trancher la Cour est de savoir s’il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas conclure qu’il n’était pas survenu un changement important dans la situation depuis le prononcé de la décision de la SPR.

B.                 Analyse

[26]           À l’issue de son évaluation, la SPR avait conclu que Windhoek offrait à la demanderesse une PRI compte tenu du fait qu’elle était issue d’une communauté traditionnelle et qu’elle craignait d’être forcée de se marier, de subir des violences physiques, d’être violée et assassinée par l’oncle à qui sa main avait été promise, son père et leurs envoyés. Cette crainte persistait lorsqu’elle vivait dans le village d’Onambone, jusqu’à ce qu’elle fuie la Namibie avec son petit ami en décembre 2003. Ni la SPR ni l’agent n’ont mis en doute la crédibilité de la demanderesse ni le fait qu’elle ait été soumise à des violences physiques, violée et menacée de mort par son oncle, avec l’accord et la complicité de son père.

[27]           Le critère se rapportant à l’existence d’une PRI est énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 aux pages 709 et 710, 140 NR 138 (CA) [Rasaratnam]. Le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités : 1) qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution du demandeur d’asile dans la PRI proposée et 2) que les conditions dans la PRI proposée sont telles que, en toutes circonstances, il serait raisonnable de la part du demandeur d’asile de tenter de s’y réfugier.

[28]           En l’espèce, l’agent a jugé que les nouvelles preuves ne réfutaient pas la conclusion selon laquelle la demanderesse bénéficiait d’une PRI viable à Windhoek. Il a conclu : [traduction« Je suis d’avis que les preuves dont je dispose sont insuffisantes pour parvenir à une autre conclusion que celle de la Commission, d’autant que la demandeure n’a pas réfuté les conclusions de cette dernière concernant la protection de l’État dans la PRI de Windhoek. »

[29]           L’agent est parvenu à cette conclusion en partie parce qu’il a conclu que les déclarations solennelles n’étaient pas dignes de foi parce qu’elles émanaient de membres de la famille de la demanderesse. À mon avis, cela n’était pas raisonnable. Bien qu’il soit généralement préférable que de tels éléments de preuve soient corroborés (Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 au paragraphe 27, 74 Imm LR (3d) 306), il s’agissait malgré tout de témoignages déposés sous serment, et il est difficile de savoir quels autres éléments de preuve auraient pu être présentés, compte tenu de ce à quoi l’on peut raisonnablement s’attendre dans une situation comme celle‑ci. Après tout, les menaces du genre de celles dont il est question en l’espèce n’auraient jamais été faites à une personne que la vie de la demanderesse n’intéresse aucunement, et si les déclarations solennelles sont véridiques, la mère et le frère de la demanderesse étaient les seuls témoins; il ne pouvait y avoir d’autre moyen de prouver l’incident dont ils n’étaient pas les instigateurs. Comme le faisait remarquer le juge Russel Zinn dans une situation comparable dans la décision Rendon Ochoa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1105 au paragraphe 10, 93 Imm LR (3d) 113, ils étaient « très bien placés pour témoigner et, de fait, ils sont les seuls à pouvoir donner les détails que renferment leurs déclarations ».

[30]           De plus, ces éléments de preuve étaient pertinents. Lorsque l’affaire a été entendue par la SPR, la demanderesse n’avait jamais été exposée à une menace ailleurs que dans le village d’Onambone. Étant donné que cette menace s’était matérialisée au lieu même que la SPR avait qualifié de PRI viable pour la demanderesse, il était déraisonnable de conclure que cet élément de preuve n’aurait probablement rien changé à son analyse.

[31]           Je conviens avec la demanderesse que dans les circonstances il incombait à l’agent d’examiner son profil de risque personnel à la lumière de l’ensemble de la preuve, et de ne pas s’appuyer simplement sur la preuve concernant la situation générale du pays. L’agent aurait dû se demander s’il existait un risque sérieux que la demanderesse soit persécutée dans la PRI proposée, et si les conditions y étaient telles que, en toutes circonstances, il aurait été raisonnable qu’elle cherche à s’y réfugier.

[32]           En l’espèce, l’agent n’a pas raisonnablement pris en compte que l’agent de persécution de la demanderesse s’était rendu dans la prétendue PRI. De plus, il ne s’est pas demandé s’il était raisonnable qu’elle tente de s’y réfugier, sachant que son oncle l’y avait recherchée.

[33]           Je conviens aussi avec la demanderesse que la décision Obeng, quoique superficiellement comparable à la présente affaire, n’est pas déterminante. Même s’il était question d’une femme que l’on forçait à se marier et qui invoquait la maltraitance, la demanderesse dans cette affaire n’avait pas établi que sa vie et sa sécurité étaient menacées ou qu’elle s’exposait à un risque en retournant au Ghana. Tel n’est pas le cas de la demanderesse en l’espèce, dont la crédibilité et la peur n’ont été mises en doute ni par la SPR ni par l’agent. De plus, les documents émanant de parties intéressées qui avaient été examinés par l’agent d’ERAR dans la décision Obeng présentaient des lacunes fondamentales parce qu’ils n’étaient ni datés ni signés, contrairement aux déclarations solennelles de la mère et du frère de la demanderesse en l’espèce.

V.                Conclusion

[34]           Compte tenu des motifs qui précèdent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments soulevés par les parties, puisque je suis d’avis qu’il n’était pas raisonnable de la part de l’agent de s’appuyer simplement sur la preuve concernant la situation générale du pays et de ne pas considérer ou évaluer le risque personnel de la demanderesse compte tenu des nouvelles preuves. La décision de l’agent n’est pas défendable au regard des faits ou du droit.

[35]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie, l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il la réexamine, et aucuns dépens ne seront adjugés. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour réexamen;

3.                  aucune question de portée générale n’est certifiée;

4.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6168‑13

 

INTITULÉ :

RAUHA NDESHIPAN SHILONGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 octobre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JANVIER 205

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LA demanderesse

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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