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Date : 20150113


Dossier : T-1166-14

Référence : 2015 CF 41

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

VADIM VOLKOV

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision rendue le 9 avril 2014 par l’enquêteure en chef du programme des passeports de Citoyenneté et Immigration Canada (le programme des passeports). Elle a refusé de délivrer un document de voyage à durée de validité limitée (DVDVL) au demandeur pour que ce dernier puisse visiter son père pour des considérations urgentes, impérieuses et de compassion (CUIC). La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

[2]               Le demandeur est M. Vadim Volkov, un citoyen canadien âgé de 45 ans. Il a présenté une demande de passeport temporaire, aussi connu sous le nom de DVDVL, le 1er avril 2014. Il avait l’obligation de présenter une telle demande, en raison de ses antécédents houleux avec le programme des passeports (anciennement connu sous le nom de Passeport Canada), antécédents qui ont entraîné la décision de lui imposer une période de refus de service de passeports jusqu’au 3 juin 2018. Le refus des services de passeports fait partie du contexte du présent contrôle judiciaire, mais il ne constitue pas l’objet de celui‑ci : la seule décision que la Cour doit examiner est celle du 9 avril 2014, par laquelle l’enquêteure en chef a refusé de délivrer un DVDVL pour CUIC au demandeur.

I.                   La décision

[3]               Dans sa décision, l’enquêteure en chef a passé en revue la politique générale concernant les DVDVL délivrés pour des CUIC, ainsi que les documents produits par le demandeur. L’enquêteure en chef a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les circonstances suggéraient un sentiment d’urgence, en raison du fait qu’il n’avait pas l’intention de voyager pour visiter son père avant le 28 mai 2014, soit presque deux mois après la date de sa demande.

[4]               En outre, le demandeur n’avait pas produit quelque documentation que ce soit à l’appui des circonstances qu’il avait décrites dans sa demande, des éléments comme des dossiers médicaux ou des billets du médecin. Compte tenu de ces facteurs, l’enquêteure en chef a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que des considérations urgentes, impérieuses et de compassion motivaient sa visite. Par conséquent, le DVDVL pour CUIC n’a pas été délivré.

[5]               Le demandeur soutient que son père est gravement malade et qu’il souhaite voyager pour lui rendre visite. Puisque l’état de son père fluctue, il est difficile de savoir combien de temps il lui reste à vivre; cependant, rien ne laisse croire que sa mort est imminente. Par conséquent, sa demande de DVDVL pour CUIC est difficile à justifier au moyen d’une preuve sans équivoque, puisqu’il est difficile de prévoir avec certitude que la situation est urgente.

[6]               Le demandeur prétend que la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982) [la Charte] garantit des droits aux citoyens canadiens, et que parmi ces droits, on y trouve le droit de demeurer au Canada, d’y entrer et d’en sortir (article 6). De plus, si le gouvernement du Canada refuse de faire droit à son souhait de voir son père une dernière fois avant qu’il meure, cela constitue une peine cruelle et excessive relativement aux infractions mineures qu’il avait commises dans sa demande de passeport.

II.                Analyse

A.                L’intitulé devrait être modifié

[7]               Le paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales exige que seules les personnes directement touchées par l’ordonnance recherchée par la demande devraient être désignées à titre de défendeurs. Dans le cas qui nous intéresse, conformément au paragraphe 303(2), il convient de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur, puisqu’il n’y a pas de personne « directement touchée ». Il s’ensuit que l’intitulé devrait être modifié pour que seul le procureur du Canada soit désigné à titre de défendeur.

B.                 La norme de contrôle applicable

[8]               Les décisions du programme de passeports de refuser, de révoquer ou de ne plus accorder l’accès aux services de passeports sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Villamil c Canada (Procureur général), 2013 CF 686, au paragraphe 30; Sathasivam c Canada (Procureur général), 2013 CF 419, au paragraphe 13; Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641, au paragraphe 44; Okhionkpanmwonyi c Canada (Procureur général), 2011 CF 1129, au paragraphe 8. Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

C.                Le refus de délivrer un DVDVL pour CUIC était raisonnable

[9]               Dans des circonstances spéciales, le programme de passeports peut examiner la possibilité de délivrer un DVDVL à une personne visée par une enquête sur l’admissibilité ou à qui une période de refus des services de passeports a été imposée. Un DVDVL peut être délivré à un requérant, pourvu que le programme de passeports soit convaincu que les motifs à l’origine de la demande sont d’ordre urgent, impérieux et de compassion. Les trois critères relativement à ces motifs doivent être satisfaits. Le programme des passeports définit ces critères de la manière suivante :

Motifs urgents : la situation suggère un sentiment d’urgence et demande une action immédiate de la part du requérant.

Motifs impérieux : le requérant est la personne qui doit corriger la situation.

Motifs de compassion : la situation suscite une réaction de sympathie en raison des circonstances inhabituelles ou pénibles qui sont à l’origine de la demande de DVDVL.

[10]           De plus, le requérant doit produire une déclaration écrite détaillée dans laquelle il décrit les circonstances ayant occasionné la demande ainsi qu’une preuve documentaire suffisante et vérifiable à l’appui de sa demande.

[11]           Le demandeur a présenté une demande de DVDVL le 1er avril 2014. Selon son itinéraire, il partirait de Toronto pour se rendre en Russie le 28 mai 2014 et il reviendrait le 11 juin 2014. Cette date de départ était deux mois après la date de la présentation de la demande, ce qui donnait à penser qu’une « action immédiate de la part du requérant » n’était pas nécessaire. Il était donc raisonnable de la part du programme des passeports de conclure que les circonstances ne suggéraient pas un sentiment d’urgence.

[12]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir que la situation était urgente et qu’il avait omis de produire une preuve documentaire vérifiable à l’appui de sa demande.

[13]           Selon moi, le fait que le demandeur n’a pas produit de documentation à l’appui de son allégation selon laquelle sa situation était impérieuse et appelait à la compassion est déterminant quant à la présente demande. Cette omission va à l’encontre des instructions figurant sur le site Web du programme des passeports, lesquelles mentionnent qu’un requérant « doit présenter des documents vérifiables à l’appui de sa demande ». Il s’ensuit que la décision de refuser de lui délivrer un DVDVL était raisonnable.

D.                Les allégations du demandeur fondées sur la Charte

[14]           Le demandeur a fait valoir deux arguments fondés sur la Charte; il est cependant possible de les trancher rapidement.

[15]           Le paragraphe 6(1) de la Charte est libellé ainsi :

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

6(1) Every citizen of Canada has the right to enter, remain in and leave Canada.

[16]           La jurisprudence a établi que les droits garantis par l’article 6 sont limités par un refus de délivrer un passeport : Kamel c Canada (Procureur général) (CAF), 2009 CAF 21; Abdelrazik c Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2009 CF 580. Cependant, l’article 6 n’entre pas en jeu en l’espèce. L’argument fondé sur la Charte ne tient pas, car le demandeur n’a pas satisfait aux conditions préalables. Le problème en l’espèce est l’omission du demandeur de satisfaire aux conditions nécessaires à la délivrance d’un DVDVL pour CUIC. Si le demandeur avait satisfait aux conditions, mais que le programme des passeports refusait toujours de lui délivrer un DVDVL, les droits garantis par l’article 6 de la Charte auraient alors été en jeu; Brar c Canada (Procureur général), 2014 CF 763. On doit se rappeler que dans les cas susmentionnés, le requérant répondait par ailleurs aux critères de délivrance d’un passeport, mais que le ministre avait refusé de procéder à la délivrance pour des raisons liées à la sécurité nationale.

[17]           Il n’est pas nécessaire d’aborder la question de la justification au sens de l’article premier, mais s’il avait été nécessaire de le faire, j’aurais conclu que le programme CUIC satisfait aux critères relatifs à l’article premier établis dans l’arrêt Doré c PG (Québec), 2012 RCS 395.

[18]           Je m’attarde maintenant à l’argument du demandeur fondé sur l’article 12 de la Charte. Cet article est libellé ainsi :

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

[19]           Le critère minimal pour établir l’existence d’une violation à l’article 12 est élevé : Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 95. Un examen quant à la constitutionnalité d’une mesure étatique au regard de l’article 12 nécessite de tenir compte de la question de savoir si le demandeur était exposé à des « traitements ou peines » ainsi qu’à celle de savoir si les traitements ou peines en question étaient « cruels et inusités ». Deux types de traitements ou peines ont été relevés comme étant cruels et inusités : (1) ceux qui sont [traduction] « intrinsèquement barbares », comme les châtiments corporels, et (2) ceux grandement exagérés (Peter Hogg, Constitutional Law of Canada (Toronto: Carswell, 2011), p. 53.3). En l’espèce, le refus de délivrer un DVDVL pour CUIC en raison du caractère incomplet de la demande du demandeur est bien loin de mettre en jeu les intérêts protégés par l’article 12, tels qu’ils ont été définis par la jurisprudence. Plus important encore, le demandeur peut, en tout temps, présenter une nouvelle demande en vue d’obtenir un DVDVL, au moyen d’une demande plus complète.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1166-14

INTITULÉ :

VADIM VOLKOV c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NovembRe 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 JANVIER 2015

COMPARUTIONS :

Vadim Volkov

LE DEMANDEUR

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR lE DÉFENDEUR

 

 

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