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Date : 20150108


Dossier : IMM-1469-13

Référence : 2015 CF 26

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

Entre : 

ARLIND NARKAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I.                   Aperçu

[1]               En 2010, M. Arlind Narkaj, un citoyen de l’Albanie, a demandé l’asile au Canada. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Narkaj au motif qu’il n’avait pas qualité de réfugié en raison du fait qu’il avait été déclaré coupable aux États-Unis de plusieurs chefs d’accusation de cambriolage à domicile.

[2]               M. Narkaj soutient que la décision de la Commission était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de certains facteurs importants en sa faveur. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer sa demande à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

[3]               Je suis d’accord avec M. Narkaj que la Commission n’a pas tenu compte de certains facteurs qui auraient pu entraîner une conclusion selon laquelle il n’était pas interdit de territoire. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait pas qualité de réfugié ne peut pas être jugée raisonnable. Je dois donc accueillir la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

[4]               La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                La décision de la Commission

[5]               La Commission a noté qu’une personne est interdite de territoire au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés s’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a commis « un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil ». En général, un crime grave de droit commun en est un qui pourrait entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à 10 ans (Chan c Canada (MCI), [2000] ACF No 1180 (CA), au paragraphe 9).

[6]               La Commission a ensuite examiné la nature des crimes de M. Narkaj. Ce dernier a admis qu’il avait participé à cinq introductions par effraction au Michigan. Une fois, il est entré dans une maison afin de voler des biens qu’il pourrait revendre pour obtenir de l’argent. Il avait alors 17 ans. Les autres fois, il a agi à titre de guetteur. Ces infractions ont eu lieu peu de temps après son 18e anniversaire. La Commission a conclu que ces crimes seraient punissables au Canada par une sentence maximale d’emprisonnement à vie au sens de l’alinéa 348(1)b) du Code criminel. Par conséquent, M. Narkaj avait commis des crimes graves de droit commun.

[7]               La Commission a ensuite examiné d’autres questions pertinentes, y compris le mode de poursuite, la peine imposée et les circonstances atténuantes et aggravantes (elle s’est fondée sur l’arrêt Jayeskara c Canada (MCI), 2008 CAF 404).

[8]               En ce qui a trait au mode de poursuite, la Commission a conclu que M. Narkaj avait été représenté par un avocat et qu’il avait subi un procès équitable. Rien ne donnait à penser qu’il avait été condamné à tort. De plus, les infractions qu’il avait commises étaient considérées comme sérieuses aux États‑Unis et elles ont entraîné son renvoi du pays.

[9]               Quant à la peine imposée, la Commission note que M. Narkaj avait reçu deux peines concurrentes de probation pendant trois ans, dont les 12 premiers mois devaient être passés en détention. Cependant, à titre de jeune contrevenant sans antécédent, M. Narkaj a eu la possibilité d’éviter l’emprisonnement en participant à un camp de type militaire de trois mois. Selon la Commission, la peine imposée à M. Narkaj ne pouvait pas être qualifiée de clémente, puisqu’elle a entraîné la perte de son statut de résident permanent aux États-Unis. De plus, il n’a jamais réellement participé au camp de type militaire; il a plutôt été incarcéré en attendant son renvoi.

[10]           La Commission n’a relevé aucune circonstance atténuante ou aggravante, puisque la procédure aux États-Unis n’était pas injuste.

[11]           Par conséquent, à titre de personne qui avait commis un crime grave de droit commun, la Commission a conclu que M. Narkaj était interdit de territoire au Canada.

III.             La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

[12]           Je ne peux annuler l’application que la Commission a faite de l’alinéa Fb) de l’article premier aux faits dont elle était saisie que si sa décision était déraisonnable.

[13]           Le ministre soutient que la Commission a correctement tenu compte des facteurs pertinents et qu’elle a tiré une conclusion intelligible, transparente et justifiée.

[14]           Je ne suis pas du même avis. Bien que la Commission ait correctement conclu que M. Narkaj avait commis un crime grave de droit commun, elle a commis une erreur dans son application des autres facteurs pertinents.

[15]           Premièrement, la Commission n’a pas réellement tenu compte du mode de poursuite. « Mode de poursuite » signifie la façon dont le procureur a choisi de procéder. Au Canada, par exemple, en vertu du Code Criminel, LRC 1985, ch C-46, on a recours à une poursuite par mise en accusation, à une poursuite par procédure sommaire ou, dans le cas des infractions « hybrides », à l’une ou l’autre (p. ex. vol de moins de 5 000 $ (alinéa 334b))). Le mode de poursuite choisi par le procureur est représentatif quant à la gravité de l’infraction. Par exemple, une infraction hybride pour laquelle on choisit de procéder par mise en accusation est punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans alors que, si l’on procède par procédure sommaire, la peine d’emprisonnement maximale est de six mois (p. ex. vol d’identité, paragraphes 402.2(5) et 787(1)). De plus, pour certains crimes ou certains contrevenants, un procureur peut avoir le pouvoir discrétionnaire de dévier du processus normal pour appliquer des mesures plus appropriées et moins punitives (p. ex. des mesures de rechange (article 717)). Une fois de plus, le choix du procureur est représentatif de la gravité de l’action.

[16]           La Commission n’a pas tenu compte du mode de poursuite pour les crimes de M. Narkaj. Elle a simplement noté qu’il avait été représenté par un avocat et qu’il avait subi un procès équitable. En fonction de la preuve, la Commission aurait dû tenir compte du fait que M. Narkaj a été accusé de cambriolage à domicile au deuxième degré, punissable par une peine maximale de 15 ans, ce qui est moins que la peine maximale correspondante au Canada. De plus, on a donné à M. Narkaj le [traduction] « statut de jeune contrevenant », ce qui signifie qu’aucune déclaration de culpabilité n’a été inscrite contre lui en échange de sa participation au camp de type militaire et de son respect des modalités de sa probation. Enfin, certaines accusations contre M. Narkaj ont été retirées. À mon avis, ces faits étaient pertinents quant au mode de poursuite choisi par les autorités aux États-Unis.

[17]           Deuxièmement, la Commission aurait dû tenir compte du fait que la peine imposée à M. Narkaj était plutôt clémente, compte tenu de la peine maximale applicable.

[18]           Troisièmement, la Commission n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes dont faisait état le dossier. Les éléments suivants étaient pertinents quant aux circonstances atténuantes :

  • la jeunesse de M. Narkaj; le fait qu’il n’avait aucun antécédent;
  • sa participation limitée aux crimes;
  • l’absence de violence;
  • le fait que M. Narkaj n’a pas pris d’alcool ni de drogue et qu’il n’avait aucun attirail;
  • le fait que M. Narkaj a plaidé coupable.

[19]           Quant aux circonstances aggravantes, la Commission aurait dû tenir compte du fait que M. Narkaj avait commis des crimes après avoir reçu la protection des États-Unis. En conséquence, ces actes ont entraîné la perte de son statut dans ce pays, l’obligeant à retourner en Albanie où il risquait d’être persécuté.

[20]           Par conséquent, je conclus qu’en général, le défaut de la Commission de tenir compte de nombreux faits pertinents rend sa conclusion déraisonnable.

IV.             Conclusion et dispositif

[21]           La Commission aurait dû tenir compte d’un certain nombre de facteurs avant de conclure que M. Narkaj était interdit de territoire au Canada. Compte tenu du droit et des faits dont la Commission était saisie, sa décision ne peut se justifier. Je dois donc accueillir la demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un tribunal différemment constitué de la Commission effectue un nouvel examen de la demande de M. Narka. Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question de portée générale pour la certification et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1469-13

 

INTITULÉ :

ARLIND NARKAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 25 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

 

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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