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Date : 20150108

Dossier : IMM‑8009‑13

Référence : 2015 CF 30

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

AYMAN MOHAMED WAGDY ABDEL SAMAD

MAHA BALIGH

LINA ABDEL SAMAD

SELEEM ABDEL SAMAD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SAI) a confirmé la décision d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui a conclu que les demandeurs avaient manqué à leur obligation de résidence au Canada en vertu de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) et ordonné une mesure de renvoi le 26 décembre 2010, et qui a refusé la prise de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire à l’égard des demandeurs, conformément à l’alinéa 28(2)c) de la Loi, de sorte qu’ils puissent conserver leur statut de résident permanent au Canada.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée.

I.                   Contexte

A.                Les faits qui ont mené à la décision de la SAI

[3]               Ayman Mohamed Wagdy Abdel Samad (M. Samad), son épouse, Maha Baligh (Mme Baligh), et leurs enfants mineurs, Lina et Seleem Abdel Samad, sont citoyens de l’Égypte. En avril 2006, Mme Baligh a obtenu un visa de résidente permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) sous le régime de la Loi. Cette demande de visa s’appliquait également à son mari et à leurs deux enfants.

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 6 août 2006, date à laquelle ils sont devenus résidents permanents. Toutefois, ils ne sont restés au Canada que pendant 25 jours avant de retourner en Égypte pour que M. Samad puisse prendre soin de son père qui avait subi un accident vasculaire cérébral à la fin de 2005. Étant donné qu’il est le seul fils de la famille, M. Samad a estimé que c’était sa responsabilité de le faire.

[5]               Entre septembre 2006 et décembre 2010, les demandeurs sont venus au Canada à trois reprises, pour des périodes de trois à quatre semaines chaque fois. À l’été 2010, ils ont décidé que Mme Baligh et les enfants s’établiraient au Canada de façon permanente, alors que M. Samad resterait en Égypte pour prendre soin de son père. Ainsi, Mme Baligh et les enfants sont arrivés au Canada en août 2010 mais sont retournés en Égypte peu de temps après, étant donné que la date limite d’inscription à l’école des enfants était passée.

[6]               Par la suite, Mme Baligh a acheté des billets d’avion aller simple pour elle‑même et les enfants à destination de Montréal pour le 26 décembre 2010. Par contre, M. Samad a acheté un billet aller‑retour afin de retourner en Égypte en janvier 2011. Quelques jours avant le départ des demandeurs à destination de Montréal, le père de M. Samad est décédé.

[7]               À leur retour au Canada le 26 décembre 2010, les demandeurs ont été soumis au contrôle d’un agent de l’ASFC relativement à leur obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi, qui leur imposait d’avoir été effectivement présents au Canada pendant au moins 730 jours au cours des cinq années précédant immédiatement le contrôle. À la suite de ce contrôle, il a été conclu que les demandeurs n’avaient pas respecté cette obligation et une mesure de renvoi a été prise contre eux.

[8]               Le 11 janvier 2011, les demandeurs ont interjeté appel de cette mesure de renvoi à la SAI, faisant valoir qu’on aurait dû leur permettre de conserver leur statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire, comme le prévoit l’alinéa 28(2)c) de la Loi.

[9]               Vers le 18 janvier 2011, et comme cela était prévu avant leur départ d’Égypte, M. Samad est retourné en Égypte où il a quitté son emploi et a réglé la succession de son père. Il est revenu au Canada le 19 juin 2011. Dans l’intervalle, le reste de la famille s’est établi à Montréal.

B.                 La décision de la SAI

[10]           Le 5 novembre 2013, la SAI a rejeté l’appel des demandeurs, concluant qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[11]           Pour parvenir à cette conclusion, la SAI a soupesé un certain nombre de facteurs, dont l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs, Lina et Seleem, la période de séjour des demandeurs au Canada et leur degré d’établissement au Canada avant de quitter le pays, les raisons pour lesquelles ils ont quitté le Canada, leur situation alors qu’ils vivaient à l’extérieur du Canada et les tentatives de retour au Canada, les difficultés que les membres de la famille au Canada connaîtraient s’ils devaient perdre leur statut de résident permanent et déménager, les difficultés qu’ils connaîtraient s’ils devaient perdre leur résidence permanente et retourner en Égypte, et l’existence d’autres circonstances spéciales ou particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

[12]           La SAI a calculé un déficit pour ce qui est de la présence effective au Canada pour Mme Baligh et les deux enfants représentant plus de la moitié des 730 jours requis au cours de la période de cinq ans s’étendant du mois d’août 2006 au mois d’août 2011. Un déficit encore plus important a été calculé pour M. Samad, ce dernier ayant été effectivement présent seulement 180 jours au cours de la période pertinente. La SAI a conclu que ce déficit représentait une inobservation grave de l’obligation des demandeurs en vertu de l’article 28 de la Loi et que des motifs d’ordre humanitaire considérables étaient requis pour rendre inopposable la gravité de l’inobservation.

[13]           La SAI n’avait aucun doute quant au mauvais état de santé du père de M. Samad, mais elle n’était pas convaincue qu’il était essentiel que M. Samad vive en Égypte toutes ces années. En fait, la SAI a conclu que la santé du père ne justifiait que partiellement les longues périodes passées à l’extérieur du Canada entre les mois d’août 2006 et de décembre 2010.

[14]           La SAI a estimé que l’établissement des demandeurs au Canada constituait un facteur positif mais limité à prendre en considération. En fait, malgré leur établissement, la SAI n’a pas jugé que leur contribution économique à la société canadienne était suffisante étant donné qu’ils avaient été résidents permanents pendant sept ans au moment de l’audience et qu’ils avaient été sélectionnés dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), pour laquelle on s’attend que les immigrants contribuent considérablement à l’économie canadienne.

[15]           Pour ce qui est des difficultés s’ils devaient retourner en Égypte, la SAI a reconnu que cela entraînerait des difficultés pour les enfants étant donné qu’ils changeraient d’école et qu’ils déménageraient loin de leurs amis. Toutefois, la SAI a mentionné que les enfants avaient vécu en Égypte pendant la plus grande partie de leur vie et qu’ils avaient de la famille là‑bas, ce qui atténuerait les difficultés. De plus, elle a conclu que, même si Mme Baligh a des membres de sa famille au Canada, aucun des demandeurs ne subirait des difficultés importantes s’ils devaient retourner en Égypte.

C.                Le cadre législatif pertinent

[16]           L’article 28 de la Loi énonce les obligations de résidence que doivent respecter les résidents permanents et il se lit comme suit :

Obligation de résidence

Residency obligation

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

28. (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five‑year period.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five‑year period if, on each of a total of at least 730 days in that five‑year period, they are

(i) il est effectivement présent au Canada,

(i) physically present in Canada,

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common‑law partner or, in the case of a child, their parent,

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iii) outside Canada employed on a full‑time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common‑law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full‑time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

(i) if they have been a permanent resident for less than five years, that they will be able to meet the residency obligation in respect of the five‑year period immediately after they became a permanent resident;

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five‑year period immediately before the examination; and

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

[17]           Les appels devant la SAI sont régis par l’article 67 de la Loi, qui se lit comme suit :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Effet

Effect

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision‑maker for reconsideration.

[18]           Pour déterminer s’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales, la SAI, en plus du facteur lié à l’intérêt supérieur de l’enfant prévu par les alinéas 28(2)c) et 67(1)c) de la Loi, peut prendre en considération divers facteurs comme la période de séjour des demandeurs au Canada et leur degré d’établissement au Canada avant de quitter le pays, les raisons pour lesquelles ils ont quitté le pays, leurs contacts réguliers avec les membres de leur famille au Canada, les difficultés que les membres de la famille au Canada connaîtraient s’ils devaient perdre leur statut de résident permanent et déménager, leur situation alors qu’ils vivaient à l’extérieur du Canada et les tentatives de retour au Canada, les difficultés qu’ils connaîtraient s’ils devaient perdre leur résidence permanente et retourner dans leur pays d’origine, et l’existence d’autres circonstances spéciales ou particulières justifiant la prise de mesures spéciales (Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, 386 FTR 35; Nekoie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 363, 407 FTR 63, aux par. 32 et 33; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sidhu, 2011 CF 1056, 397 FTR 29, au par. 44).

II.                Question en litige et norme de contrôle

[19]           La seule question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien de leur statut de résident permanent et rendant inopposable, par conséquent, l’inobservation de leurs obligations de résidence.

[20]           Les demandeurs reconnaissent que la question de l’existence de motifs d’ordre humanitaire dans le contexte des mesures correctives relativement à l’inobservation des obligations de résidence prévues à l’article 28 de la Loi est une question de fait relevant de l’expertise de la SAI et commandant un degré élevé de retenue. Ils reconnaissent qu’une telle question doit, par conséquent, être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 58; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 au par. 18; Tai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 248, au par. 48; Nekoie c Canada (Citoyenneté et Immigration), précité, au par. 15; Bello c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 745, au par. 26).

[21]           Cela signifie qu’il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve dont disposait la SAI ou de substituer son analyse et ses propres vues pour ce qui est des facteurs pris en considération par la SAI pour déterminer s’il existe des motifs d’ordre humanitaires justifiant le maintien du statut de résident permanent des demandeurs. La tâche de la Cour est plutôt d’intervenir seulement si la décision de la SAI « ne fait pas partie des issues acceptables au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

[22]           En l’espèce, les demandeurs font valoir que la décision de la SAI n’est pas étayée par la preuve sur des points qui sont essentiels pour leur allégation selon laquelle des mesures spéciales sont justifiées, à savoir la maladie du père de M. Samad, leur intégration dans la société canadienne et l’intérêt supérieur des deux enfants à demeurer au Canada et à ne pas retourner en Égypte et est, par conséquent, déraisonnable.

[23]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que cette affaire ne justifie pas une intervention de la Cour. On peut être en désaccord avec les conclusions tirées par la SAI après avoir évalué et soupesé les divers facteurs pertinents pour l’analyse d’une demande visant à obtenir une mesure spéciale en vertu de l’article 28 de la Loi et on peut tirer une conclusion différente de celle de la SAI. Toutefois, la jurisprudence est claire : il peut y avoir plus d’une issue acceptable étant donné que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise mais donnent plutôt lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Par conséquent, le critère auquel il faut satisfaire en l’espèce, en gardant à l’esprit la nature discrétionnaire du pouvoir exercé par la SAI en vertu de l’article 28 et la grande retenue dont il convient de faire preuve envers ses conclusions, consiste à établir si la décision contestée appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, par. 47). J’estime que la décision de la SAI satisfait à ce critère.

III.             Analyse

A.                La maladie du père de M. Samad

[24]           Les demandeurs soutiennent que la principale raison pour laquelle ils n’ont pas été en mesure de s’établir au Canada entre les mois d’août 2006 et de décembre 2010 était la nécessité pour M. Samad d’aider personnellement son père au quotidien au cours de sa maladie, compte tenu du fait qu’il était le seul fils de son père. Ils prétendent que la SAI n’a pas apprécié correctement cette preuve et a donc conclu de manière déraisonnable que la nécessité pour M. Samad d’être au chevet de son père, au point de l’empêcher de s’établir au Canada pour toute la période de 2006 à 2010, n’a pas été démontrée.

[25]           Je ne partage pas leur avis. La SAI a reconnu l’état de santé du père de M. Samad, mais a néanmoins conclu, compte tenu de la preuve, que les demandeurs n’avaient pas fait les efforts nécessaires pour s’établir au Canada en temps opportun. À mon avis, il ressort clairement de la décision de la SAI qu’elle a tenu compte de l’importance pour M. Samad d’être près de sa famille en Égypte au cours de cette période et qu’elle a estimé que le facteur relatif au fait de prendre soin d’un être cher était positif aux fins de déterminer si des mesures spéciales étaient justifiées en vertu de l’article 28.

[26]           Toutefois, la SAI a également conclu que la valeur à accorder à ce facteur était réduite en raison d’autres facteurs comme le fardeau relativement faible imposé par la Loi aux résidents permanents en ce qui a trait à l’obligation de résidence, l’importance de la non‑conformité des demandeurs à leur obligation de résidence, la prévisibilité de l’état de santé du père de M. Samad au moment où les demandeurs ont fait valider leur visa en entrant au Canada pour la première fois, et le fait que M. Samad et Mme Baligh aient tous deux été en mesure de poursuivre leurs activités quotidiennes et de continuer à travailler à plein temps tout en prenant soin du père de M. Samad.

[27]           En particulier, la SAI a conclu que les demandeurs avaient choisi de faire valider leur visa en août 2006 alors qu’ils savaient très bien qu’ils ne seraient pas capables de s’établir au Canada étant donné la maladie du père de M. Samad. De plus, elle a estimé qu’ils n’avaient pas fait de véritables efforts pour renforcer leurs liens avec le Canada ou pour passer plus de temps au pays afin de se conformer à l’obligation de résidence avant décembre 2010.

[28]           En se fondant sur ces facteurs, la SAI a conclu que l’état de santé du père de M. Samad ne justifiait que partiellement les efforts tardifs des demandeurs visant à s’établir au Canada.

[29]           Encore une fois, il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve, de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs et de substituer sa propre opinion à celle de la SAI. Dans la mesure où le processus cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité et où la conclusion contestée appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Khosa, précité, au par. 59, Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au par. 47; Nekoie, précité, au par. 40).

[30]           À mon avis, lorsqu’on examine l’ensemble de la preuve, il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que la maladie du père de M. Samad n’était pas déterminante quant à savoir si les mesures spéciales prévues à l’article 28 de la Loi étaient justifiées en l’espèce.

B.                 Le facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants

[31]           Les demandeurs font valoir que la SAI n’a pas procédé à une analyse adéquate du facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision contestée prévu par la loi. Ils soutiennent que les intérêts des deux demandeurs mineurs, Lina et Seleem, et les répercussions d’un retour en Égypte devaient être évalués séparément et que les résultats de ces évaluations devaient être pondérés les uns par rapport aux autres. Selon eux, cela n’a pas été fait par la SAI, qui n’a consacré à cette question que trois paragraphes reposant sur des généralités et des commentaires très arrêtés.

[32]           Les demandeurs ont raison de souligner que, lorsque l’on prend en considération des motifs d’ordre humanitaire, il faut donner beaucoup de poids à l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par une décision. Toutefois, comme l’affirme à juste titre le défendeur, ce facteur n’est pas déterminant. Il s’agit d’un facteur parmi tant d’autres dont il y a lieu de tenir compte. En fait, la jurisprudence indique clairement qu’une fois que le décideur a identifié le facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants, il lui revient de déterminer le poids à lui accorder en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Si le décideur a été réceptif, attentif et sensible à la question, comme l’a exigé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, il n’appartient pas à la Cour, comme l’indique aussi clairement la jurisprudence, de réévaluer la preuve (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358, au par. 12; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au par. 23; Matthias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1053, au par. 36.

[33]           J’ai la certitude que la SAI a analysé adéquatement l’intérêt supérieur de Lina et de Seleem en l’espèce. Elle a reconnu qu’ils étaient au Canada depuis trois ans lorsqu’elle a rendu sa décision, qu’ils s’étaient intégrés à la société canadienne et, par conséquent, qu’il leur serait difficile de retourner vivre en Égypte. Elle a également reconnu que pour Lina, la fille, ce serait encore plus difficile étant donné qu’elle serait plus limitée quant aux activités qu’elle pourrait mener en Égypte.

[34]           Toutefois, la SAI a également mentionné qu’il est dans l’intérêt supérieur des deux enfants de demeurer avec leurs parents, qu’ils ont déjà vécu en Égypte et que le fait d’être issus d’une famille fortunée réduirait les difficultés découlant d’un retour en Égypte.

[35]           Je conviens avec le défendeur que les motifs de la SAI démontrent une compréhension et une sensibilité à l’égard de la situation de Lina et de Seleem et que sa conclusion générale, prenant en considération l’intérêt supérieur des deux enfants, selon laquelle des mesures spéciales en vertu de l’article 28 de la Loi ne sont pas justifiées, appartient aux issues possibles acceptables.

[36]           Je conviens également avec le défendeur que le fait que les motifs de la SAI au sujet de l’intérêt supérieur des enfants soient condensés dans quatre paragraphes est sans conséquence. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision, le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. Ainsi, le fait que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments ou détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat (Newfoundland and Labrador Nurses, au par. 16).

[37]           Je suis d’avis que les motifs de la SAI satisfont à ce critère.

C.                L’intégration des demandeurs au Canada

[38]           Selon les demandeurs, la SAI a commis une erreur en concluant d’abord que la famille s’était bien intégrée à la société canadienne, puis en estimant que leur apport économique était insuffisant. Ils font valoir que la SAI n’a pas pris en considération l’emploi de Mme Baligh, ou la valeur de ses contributions actuelles à la société canadienne ou de celles de M. Samad, comme les taxes municipales et scolaires, l’achat d’une maison et les rénovations qui y ont été faites.

[39]           La SAI a reconnu que les demandeurs sont établis de façon permanente au Canada depuis la fin de 2010. Toutefois, elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas contribué suffisamment à l’économie canadienne, étant donné leur potentiel de contribution et le fait que Mme Baligh a obtenu sa résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), une catégorie de candidats à la résidence permanente choisis en raison de leurs études supérieures, de leur expérience ainsi que de leurs aptitudes à contribuer à la société canadienne.

[40]           Bien que la SAI ait indiqué que Mme Baligh ne travaille pas, ce qui est inexact, elle avait raison de dire qu’elle n’a pas déclaré de revenus au Canada pour 2011 et 2012, mis à part un petit montant d’intérêt couru sur des investissements. La SAI a également examiné l’emploi de M. Samad et a conclu que, en tant que consultant, il travaillait maintenant surtout à l’étranger, ce qui limitait de façon importante ses liens avec le Canada. La SAI a fait observer que, bien que la contribution des demandeurs puisse augmenter dans le futur, elle devait examiner la preuve disponible. Elle a conclu que la contribution économique des demandeurs au Canada était récente et minimale pour une période de sept ans de résidence permanente, en particulier étant donné l’éducation de M. Samad et de Mme Baligh de même que leurs réussites professionnelles respectives en Égypte.

[41]           Cette conclusion repose grandement sur des faits et je ne vois aucun motif d’intervenir à cet égard. Selon moi, elle appartient aux issues possibles étant donné le dossier dont disposait la SAI.

D.                Les autres erreurs alléguées de la SAI

[42]           Les demandeurs affirment que la SAI a commis trois autres erreurs dans sa décision. Tout d’abord, ils soutiennent que la SAI a commis une erreur en ce qui concerne la date à laquelle les demandeurs ont décidé de s’établir de façon permanente au Canada. La SAI a utilisé la date du 26 décembre 2010, alors que les demandeurs prétendent qu’ils ont décidé de s’établir de façon permanente au Canada à l’été 2010. Deuxièmement, les demandeurs affirment que la SAI a affirmé à tort que les demandeurs avaient raté l’objectif de 730 jours par un ou deux ans. Ils prétendent que la SAI aurait dû prendre en considération le fait qu’ils résident de façon permanente au Canada depuis leur arrivée à Montréal en décembre 2010, ou en juin 2011 pour M. Samad. Troisièmement, ils soutiennent que la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a rendu sa décision en déclarant qu’il y avait suspension des mesures de renvoi vers l’Égypte.

[43]           En droit administratif, le principe est que ce ne sont pas toutes les erreurs qui rendent une décision déraisonnable et qui justifient donc son annulation. Lorsque l’erreur ne tire pas à conséquence en ce qui concerne le résultat, le tribunal de révision peut exercer son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas annuler une décision (Toussaint c Canada (Procureur général), 2010 CF 810, [2011] 4 RCF 367 au par. 59; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 CAF 55, au par. 12; Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 au par. 19). J’estime que c’est le cas avec ces « autres erreurs » soulevées par les demandeurs. Ces erreurs sont banales ou reposent sur une interprétation erronée de la Loi.

[44]           Tout d’abord, l’interprétation de l’expression « effectivement présent » au Canada ne peut reposer sur l’intention des demandeurs de s’établir au Canada. Par conséquent, le fait qu’ils aient planifié de s’établir de façon permanente au Canada à l’été 2010 n’est pas pertinent dans le cadre d’une analyse quant au nombre de jours pendant lesquels ils ont été effectivement présents au Canada conformément à l’article 28 de la Loi, étant donné que cette disposition exige un comptage rigoureux des jours de présence effective. En outre, même si la SAI avait tenu compte de ces mois additionnels dans ses calculs, les demandeurs n’auraient toujours pas atteint les 730 jours de présence effective requis au cours de la période pertinente.

[45]           Deuxièmement, les demandeurs prétendent que le commissaire de la SAI a affirmé à tort que les demandeurs avaient raté l’objectif de 730 jours par un ou deux ans. Ils soutiennent que le commissaire de la SAI aurait dû tenir compte du fait que les demandeurs résident de façon permanente au Canada depuis leur arrivée à Montréal en décembre 2010 (en juin 2011 pour M. Samad). Toutefois, cet argument n’est pas valable. L’obligation de résidence de 730 jours s’applique aux cinq premières années avant le contrôle, et non aux années suivant le contrôle mais précédant l’audience d’appel. Étant donné que le contrôle du 26 décembre 2010 a eu lieu avant la fin des cinq ans, la période de cinq ans pertinente était du 6 août 2006 au 5 août 2011. Les demandeurs n’ont pas été effectivement présents au Canada pendant 730 jours au cours de cette période. Dans sa décision, le commissaire de la SAI a tenu compte du fait que les demandeurs vivaient de façon permanente au Canada depuis décembre 2010.

[46]           Enfin, les deux parties reconnaissent que la SAI a commis une erreur quant au moratoire imposé sur les renvois en Égypte au moment de son analyse des difficultés auxquelles seraient confrontés les demandeurs s’ils devaient retourner en Égypte étant donné l’instabilité politique de ce pays au moment où la SAI a entendu l’appel. Les demandeurs affirment que cette erreur a peut‑être eu une incidence sur le processus décisionnel de la SAI. Le défendeur soutient que cette erreur n’a pas eu de répercussions importantes sur l’analyse de la preuve effectuée par la SAI et la mise en balance des facteurs favorables et défavorables.

[47]           Lorsqu’on l’examine dans son ensemble, cette erreur, selon moi, ne scelle pas l’issue de l’affaire, qui reposait sur une évaluation visant à déterminer s’il existait des motifs d’ordre humanitaire rendant inopposable l’inobservation par les demandeurs de l’obligation de résidence. Il appartenait aux demandeurs de démontrer que si ce n’était de cette erreur, ils auraient eu gain de cause devant la SAI. Je ne vois rien dans les motifs de la SAI qui peut mener raisonnablement à une telle conclusion. En d’autres mots, même en faisant abstraction de la suspension des mesures de renvoi vers l’Égypte, il aurait été avec raison loisible à la SAI de conclure sur la foi de son appréciation des considérations humanitaires que les facteurs négatifs l’emportaient sur les facteurs positifs à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

[48]           Par conséquent, les « autres » erreurs relevées par les demandeurs sont peu importantes dans le contexte de l’affaire et ne constituent donc pas des erreurs susceptibles de révision.

[49]           En somme, j’estime que la SAI a consciencieusement examiné les éléments de preuve et qu’elle s’est livrée à une analyse approfondie, énonçant les facteurs à prendre en considération et soupesant par la suite les éléments favorables et les éléments défavorables, avant de conclure qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Elle a tenu compte de la raison pour laquelle les demandeurs ne se sont pas établis au Canada avant décembre 2010 et elle a également pris en considération l’intérêt supérieur de Lina et de Seleem.

[50]           Après avoir mis en balance ces facteurs avec le fait que les demandeurs avaient un important déficit pour ce qui est de la présence effective au Canada au cours de la période de cinq ans pertinente, qu’ils ont fait valider leur résidence permanente tout en sachant qu’ils ne seraient pas en mesure de s’établir au Canada, que leurs efforts en vue de s’établir au Canada ont été tardifs et postérieurs à la prise de la mesure de renvoi, que malgré le potentiel de contribution combiné de M. Samad et de Mme Baligh, ils n’ont pas contribué de façon importante à l’économie canadienne sur une période de sept ans de résidence permanente, et qu’ils pouvaient facilement retourner vivre en Égypte, où vivent toujours les membres de leur famille immédiate, dans la résidence familiale leur appartenant toujours, la SAI a rejeté l’appel.

[51]           Il convient d’accorder un degré élevé de déférence à ces conclusions et je ne vois aucune raison de les modifier.

[52]           Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8009‑13

INTITULÉ :

AYMAN MOHAMED WAGDY ABDEL SAMAD, MAHA BALIGH, LINA ABDEL SAMAD, SELEEM ABDEL SAMAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 août 2014

motifs de l’ordonnance et ordonnance :

LE juge leBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 8 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Viken G. Artinian

POUR LES DEMANDEURS

Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)c

POUR LE DÉFENDEUR

 

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