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Date : 20150115


Dossier : T‑1742‑13

Référence : 2015 CF 50

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

ZABIA CHAMBERLAIN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie, sous le régime de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, d’une demande de contrôle judiciaire formée par Mme Chamberlain à l’égard d’une décision rendue le 23 septembre 2013 par M. George Filliter (l’arbitre ou M. Filliter), arbitre de grief à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), soit la décision Chamberlain c Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, [2013] CRTFPC no 83. Dans cette décision, M. Filliter a déclaré ne pas avoir compétence pour entendre le grief de la demanderesse; plus précisément, il a conclu qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur les manquements allégués à la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la LCDP]. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande est rejetée.

I.                   Résumé des faits

[2]               Mme Chamberlain est une fonctionnaire de longue date, employée par la Direction générale de la politique stratégique et de la recherche (la PSR), à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). Son poste d’attache est classifié au groupe et niveau ES‑07.

[3]               Il n’est pas nécessaire, aux fins de la présente demande, de récapituler en détail les faits qui ont mené au dépôt du grief de Mme Chamberlain, mais il paraît utile d’exposer sommairement le contexte de ce grief.

[4]               Mme Chamberlain a accepté en 2006 une affectation intérimaire à un poste EX‑01 de la Direction générale des compétences et de l’emploi (la DGCE) de RHDCC. Elle affirme que ce poste comportait une charge de travail excessive et que le directeur général dont elle relevait (le DG) se montrait difficile et agressif. Elle soutient en outre avoir été victime de harcèlement de sa part. En avril 2008, Mme Chamberlain s’est plainte de cette situation à la sous‑ministre adjointe principale responsable de la DGCE (la SMA). Peu après, Mme Chamberlain est partie en congé de maladie, et elle n’est pas retournée au travail depuis.  La SMA a mené une enquête sur les allégations de Mme Chamberlain à l’issue de laquelle elle a conclu, entre autres choses, que le DG s’était conduit de manière inappropriée. Les conclusions de cette enquête ont laissé Mme Chamberlain insatisfaite à plusieurs égards. Entre‑temps, son affectation intérimaire a pris fin en octobre 2008 comme prévu. Bien qu’elle fût en congé de maladie, l’employeur a alors discuté avec elle de la possibilité de son retour au travail à un poste EX‑07 de la PSR, mais ceux‑ci ne se sont pas entendus. Le 3 décembre 2008, Mme Chamberlain a déposé un grief dans lequel elle exposait plusieurs sujets de plainte, que la juge Gleason a bien résumés au paragraphe 4 de la décision Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1027, [2012] ACF no 1140 [Chamberlain CF] :

4          Le 3 décembre 2008, Mme Chamberlain a déposé un grief dans lequel elle se plaignait de plusieurs choses, dont le traitement que lui avait réservé son superviseur, l’enquête menée par le sous‑ministre adjoint, le contenu du rapport d’enquête, son incapacité de se porter candidate aux postes EX‑01 affichés et la perte du salaire de son poste EX‑01, la présumée indifférence de RHDCC en ce qui concerne son obligation d’assurer sa santé et sa sécurité conformément à la partie II du Code du travail du Canada, LRC, 1985, c L‑2 [le Code], le présumé défaut de RHDCC de tenir compte de ses besoins et la discrimination dont elle affirme avoir été victime en tant que femme, membre d’une minorité visible et personne atteinte d’une déficience. [...]

[5]               Le grief de Mme Chamberlain a été rejeté par le SMA intérimaire de RHDCC au dernier palier de la procédure interne applicable. Le 11 mars 2009, Mme Chamberlain a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2 [la LRTFP].

[6]               En plus de son grief et sur le même fondement factuel, Mme Chamberlain a présenté quatre plaintes à la Commission sous le régime de l’article 133 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [le CCT]. Elle soutenait dans ces plaintes que l’employeur avait manqué à son obligation de lui fournir un environnement de travail sûr et en prenant des mesures de représailles contre elle parce qu’elle avait exercé les droits qu’elle tire de la partie II du CCT.

[7]               Les membres de la Commission peuvent siéger et agir en deux qualités distinctes : celle de formation de la Commission et celle d’arbitre de grief. Les griefs présentés et renvoyés à l’arbitrage sous le régime de la LRTFP sont examinés par les commissaires agissant en qualité d’arbitres de grief, tandis que les plaintes formées en vertu de l’article 133 du CCT sont entendues par les commissaires agissant au nom de la Commission elle‑même.

[8]               En raison de leurs similitudes, la Commission a décidé de réunir le grief et les plaintes de Mme Chamberlain en vue de leur audition. Elle a chargé M. Filliter d’entendre à la fois le grief de Mme Chamberlain, en tant qu’arbitre, et les plaintes dont la CCT était saisie, au nom de la Commission.

[9]               L’employeur a soulevé une objection préliminaire à l’encontre du renvoi à l’arbitrage du grief de Mme Chamberlain. Il paraît utile, pour bien comprendre cette objection, de rappeler certaines particularités de la procédure de règlement des griefs applicable dans la fonction publique.

[10]           Le droit de tout fonctionnaire de présenter un grief est énoncé à l’article 208 de la LRTFP. Comme Mme Chamberlain n’était pas partie à une convention collective, son droit de présenter un grief individuel découlait de l’alinéa (1)b) de cet article. Cet alinéa dispose que le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé « par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi ». Il s’agit d’une disposition large, qui permet le dépôt d’un grief concernant plusieurs questions relatives aux conditions d’emploi du fonctionnaire. Cependant, ce ne sont pas tous les griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage : l’article 209 de la LRTFP permet seulement le renvoi à l’arbitrage des griefs qui y sont énumérés.

[11]           Mme Chamberlain a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui concerne les griefs portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. L’employeur a soulevé une objection préliminaire à la compétence de l’arbitre au motif que le grief de Mme Chamberlain ne portait pas sur une mesure disciplinaire.

[12]           Par la décision Chamberlain c Conseil du Trésor (Ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 130, [2010] CRTFPC no 127, en date du 13 décembre 2010, M. Filliter a rejeté le grief de Mme Chamberlain pour défaut de compétence. Il a conclu que le grief ne portait pas sur une mesure disciplinaire ni sur une sanction pécuniaire, contrairement à ce qu’exige l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, et ne pouvait par conséquent être renvoyé à l’arbitrage sous le régime de l’article 209. À titre subsidiaire, M. Filliter a conclu que, même en supposant l’existence d’allégations à cet égard, il n’existait, à première vue, aucune preuve des mesures disciplinaires qui lui aurait donné compétence pour statuer sur le grief.

[13]           L’employeur avait aussi soulevé une objection préliminaire à la compétence de M. Filliter à l’égard des plaintes présentées par Mme Chamberlain sous le régime du CCT.

[14]           Dans la même décision, M. Filliter, cette fois en sa qualité de membre de la Commission, a accueilli partiellement l’objection de l’employeur. Il s’est déclaré compétent pour examiner les plaintes, mais seulement dans la mesure où elles faisaient état de mesures de représailles que l’employeur aurait prises le 23 janvier 2009 ou après cette date contre Mme Chamberlain parce qu’elle avait exercé des droits qu’elle tire du CCT. En conséquence, il a demandé à la Commission de fixer la date de la reprise de l’audience aux fins de l’examen des plaintes relevant de la compétence du CCT, dont la portée avait été restreinte.

[15]           Mme Chamberlain a demandé le contrôle judiciaire de ces deux conclusions. Il revient dans certains cas à notre Cour et, dans d’autres, à la Cour d’appel fédérale (la CAF) d’entendre les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Commission. Notre Cour a compétence à l’égard des demandes de contrôle judiciaire des décisions que rendent les commissaires en qualité d’arbitres de grief relève de notre Cour, et la CAF à l’égard de celles qui visent les décisions des commissaires agissant au nom de la Commission. Mme Chamberlain a introduit devant notre Cour une demande de contrôle judiciaire visant à contester le rejet de son grief, et une autre devant la CAF à l’égard de la décision restreignant la portée de ses plaintes fondées sur le CCT.

[16]           Dans l’arrêt Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CAF 44, [2012] ACF no 192 [Chamberlain CAF], en date du 8 février 2012, la CAF a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Mme Chamberlain visant la partie de la décision de M. Filliter concernant les plaintes fondées sur CCT. La CAF a conclu que M. Filliter n’avait pas commis d’erreur en accueillant partiellement l’objection soulevée par l’employeur à propos de ces plaintes. Une partie du jugement de la CAF est également pertinente en ce qui concerne la procédure contestant la décision sur le grief puisque dans les deux demandes de Mme Chamberlain a fait valoir que M. Filliter n’a pas respecté les règles d’équité procédurale. La CAF a rejeté ces allégations et elle a conclu que M. Filliter avait donné une possibilité équitable à Mme Chamberlain de présenter sa preuve et ses moyens. La CAF a aussi rejeté l’allégation de Mme Chamberlain voulant que M. Filliter n’ait pas été impartial.

[17]           Dans la décision Chamberlain CF en date du 31 août 2012, la juge Gleason a accueilli partiellement la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Chamberlain pour contester le rejet de son grief par M. Filliter pour défaut de compétence. La juge Gleason a conclu que la CAF, dans l’arrêt Chamberlain CAF, avait déjà statué sur l’allégation de manquement à l’équité procédurale avancée par Mme Chamberlain. Elle a également déclaré raisonnable la conclusion de l’arbitre selon laquelle le grief n’était pas visé par l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP au motif qu’il ne portait pas sur une mesure disciplinaire. Cependant, elle a en outre constaté que le grief de Mme Chamberlain soulevait aussi des questions relatives aux droits de la personne que l’arbitre n’avait pas examinées, soit les points de savoir si l’employeur avait omis de répondre à ses besoins spéciaux, et si elle avait été victime de discrimination sous le régime de la LCDP. Or, d’après la juge Gleason, l’arbitre aurait dû examiner la question de savoir si les allégations de Mme Chamberlain selon lesquelles les droits qu’elle tire de la LCDP auraient été violés étaient arbitrables sous le régime de la LRTFP. Elle a donc annulé l’ordonnance par laquelle M. Filliter a rejeté le grief et lui a renvoyé l’affaire; plus précisément, elle a ordonné à l’arbitre de déterminer si les violations de la LCDP dont Mme Chamberlain affirmait avoir été victime étaient arbitrables sous le régime de la LRTFP.

II.                La décision contrôlée

[18]           L’arbitre a déterminé que la question en litige était celle de savoir si l’alinéa 226(1)b) de la LRTFP – maintenant abrogé et remplacé par l’alinéa 20b) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, LC 2013, c 40, art 365 [la LCRTEFP], – lui conférait la compétence d’examiner les allégations de violation de la LCDP de Mme Chamberlain. L’article 226 de la LRTFP énumère les pouvoirs accordés à l’arbitre de grief à l’égard des questions déférées à l’arbitrage, et l’alinéa 226(1)g) – maintenant remplacé par l’alinéa 226(2)a) – portent expressément que l’arbitre de grief peut interpréter et appliquer la LCDP.

[19]           M. Filliter a conclu que le paragraphe 226(1) de la LRTFP ne conférait pas à l’arbitre de grief compétence à l’égard des griefs portant sur des allégations autonomes de violation de la LCDP. Il s’est dit d’avis que l’alinéa 226(1)b) ne s’appliquait qu’une fois que le grief avait été valablement renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP, et qu’à condition qu’il soit nécessaire d’interpréter et d’appliquer la LCDP pour se prononcer sur la question en litige. Il a donc conclu que, comme le grief de Mme Chamberlain n’était pas arbitrable sous le régime du paragraphe 209(1) de la LRTFP, il n’avait pas compétence pour examiner ses allégations de violation de la LCDP.

III.             Analyse des questions en litige

[20]           Mme Chamberlain soulève plusieurs arguments à l’encontre  de la décision de l’arbitre de grief.

A.                La portée du renvoi à l’arbitre de grief

[21]           Mme Chamberlain fait valoir que la juge Gleason a annulé la décision par laquelle l’arbitre a rejeté son grief et lui a renvoyé pour réexamen la totalité dudit grief. Autrement dit, elle estime que le jugement de la juge Gleason avait pour effet de rouvrir toutes les questions soulevées dans son grief. Avec égards, Mme Chamberlain a mal compris ou mal interprété la portée du jugement de la juge Gleason.

[22]           La juge Gleason a jugé raisonnable la conclusion de l’arbitre selon laquelle le grief de Mme Chamberlain ne portait pas sur une mesure disciplinaire, et qu’il n’était donc pas arbitrable sous le régime de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. En conséquence, elle a déclaré mal fondé ce motif de contrôle avancé par Mme Chamberlain et n’a accueilli que partiellement sa demande de contrôle judiciaire.

[23]           L’annulation par la juge Gleason de l’ordonnance de l’arbitre ne fait pas en sorte qu’elle lui a renvoyé la totalité du grief de Mme Chamberlain. Au contraire, il ressort clairement des motifs et du dispositif de son jugement que la juge Gleason n’a rouvert le dossier pour nouvel examen que pour permettre à l’arbitre de déterminer s’il avait compétence à l’égard des allégations de violation des droits de la personne de Mme Chamberlain, malgré le fait que ledit grief ne soit pas arbitrable sous le régime de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Dans le deuxième paragraphe du dispositif de ce jugement la Cour accueille partiellement la demande de contrôle judiciaire, et au cinquième paragraphe elle restreint clairement, pas sa directive, la tâche de l’arbitre :

5. [LA COUR] RENVOIE le grief de Mme Chamberlain à l’arbitre Filliter, s’il est disponible pour l’entendre, ou à un autre arbitre de la CRTFP s’il ne l’est pas, pour qu’il décide si un arbitre de la CRTFP a compétence pour statuer sur les allégations de violation des droits de la personne formulées par Mme Chamberlain et, dans l’affirmative, pour statuer au fond sur ses allégations; [...]

[24]           L’effet du jugement de la juge Gleason est non équivoque. La décision de l’arbitre par laquelle il conclut à son absence de compétence à l’égard du grief de Mme Chamberlain sous le régime de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP (grief portant sur une mesure disciplinaire) a été confirmée et elle est définitive. La juge Gleason a renvoyé le grief à l’arbitre aux fins de l’examen d’une question précise et limitée. Elle a conclu que le grief de Mme Chamberlain soulevait, entre autres, des violations de la LCDP, et que l’arbitre avait omis d’examiner le point de savoir si ces allégations particulières pouvaient faire l’objet d’un arbitrage sous le régime de la LRTFP. Par conséquent, la seule question que l’arbitre avait à examiner lorsque l’affaire lui a été renvoyée était celle de l’arbitrabilité des questions de droit de la personne soulevées dans le grief. Mme Chamberlain n’était pas autorisée à rouvrir le débat sur des questions sur lesquelles l’arbitre avait déjà statué ni à faire de nouvelles allégations. L’arbitre a manifestement compris la portée restreinte de la question qu’il avait à trancher, comme en témoigne le paragraphe 65 de sa décision :

65 Il n’y a qu’une seule question sur laquelle je dois me pencher : Ai‑je compétence pour entendre ce grief au seul motif que la fonctionnaire a soulevé des allégations de violation de la LCDP?

[25]           Ce passage témoigne du fait que l’arbitre a bien compris la question précise que la juge Gleason lui a renvoyée pour examen.

B.                 L’objection soulevée par le défendeur contre des parties du dossier et contre la preuve de Mme Chamberlain

[26]           Le défendeur soutient que plusieurs parties du dossier de la demande de Mme Chamberlain devraient être radiées au motif qu’elles ne sont pas pertinentes en ce qui concerne la question en litige ou parce qu’elles ne faisaient pas partie du dossier devant l’arbitre.

[27]           Il est de droit constant que, en règle générale, dans le cadre d’un contrôle judiciaire le dossier est constitué du dossier de preuve dont disposait le tribunal administratif. Cette règle comporte quelques exceptions, dont la possibilité de produire devant la cour chargée du contrôle de nouveaux éléments de preuve au soutien d’allégations reprochant au tribunal administratif des manquements à l’équité procédurale; voir Chamberlain CF, paragraphe 17. Le juge Stratas a bien résumé l’état du droit sur cette question dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 18 à 29, 428 NR 297, où il exposait la règle et ses exceptions dans les termes suivants :

18        La Cour est saisie en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le fond qui a ainsi été rendue. Dans le cas d’une telle demande, notre Cour ne dispose que de pouvoirs limités en vertu de la Loi sur les Cours fédérales en ce qui concerne le contrôle de la décision de la Commission du droit d’auteur. Notre Cour ne peut examiner que la légalité générale de ce que la Commission a fait et elle ne peut se pencher sur le bien‑fondé de la décision de la Commission ou rendre une nouvelle décision sur le fond.

19        En raison des rôles bien distincts que jouent respectivement notre Cour et la Commission du droit d’auteur, notre Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance de la Commission et qui ont trait au fond de l’affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Ainsi que notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144 et 145 (C.A.F.), « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (voir également les arrêts Kallies c. Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3, et Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11).

20        Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif (nous avons déjà expliqué cette différence de rôle aux paragraphes 17 et 18). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. En l’espèce, les demanderesses invoquent cette exception en ce qui concerne la plus grande partie de l’affidavit de M. Juliano.

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers’ Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l’on découvrait qu’une des parties a versé un pot‑de‑vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot‑de‑vin pour appuyer un argument fondé sur l’existence d’un parti pris.

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Keeprite, précitée).

[28]           En conséquence, je ne tiendrai pas compte des éléments de preuve qui n’ont pas été produits devant M. Filliter et qui concernent sa compétence à l’égard des allégations de violation de la LCDP de Mme Chamberlain, à l’exception des déclarations formulées par cette dernière dans ses affidavits des 30 octobre et 10 décembre 2013, qui concernent ses allégations de manquement à l’équité procédurale.

C.                 L’équité procédurale

[29]           Mme Chamberlain soutient que l’arbitre de grief a manqué à son obligation d’équité et qu’il a été impartial. Avec égards, ces arguments sont mal fondés. Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502.

[30]           Premièrement, plusieurs des reproches de Mme Chamberlain à l’endroit de M. Filliter concernent le fait qu’il ne lui a pas permis de présenter de nouveau la totalité de son grief et de produire des éléments de preuve. Or, comme nous le disions plus haut, l’arbitre avait compris correctement la question précise et limitée qu’il lui était ordonné d’examiner. Il n’a donc pas commis d’erreur en n’autorisant pas Mme Chamberlain à produire des éléments de preuve, et à faire valoir des arguments sans rapport avec l’arbitrabilité de ses allégations relatives à des violations des droits de la personne.

[31]           Deuxièmement, l’arbitre a décidé qu’en ce qui concerne la question de la recevabilité à l’arbitrage des allégations de violation de la LCDP contenues dans le grief de Mme Chamberlain, il s’en tiendrait à des observations écrites. Le défendeur affirme que les deux parties ont consenti à cette manière de procéder. Mme Chamberlain, quant à elle, affirme qu’elle n’a pas accepté de procéder sur la base des observations écrites des parties (sans tenir d’audience), et que tout s’est passé trop vite lorsque cette décision a été rendue, le 10 septembre 2012. À mon sens, la question de savoir si la décision de procéder sans tenir d’audience a été rendue sur consentement ou imposée par l’arbitre n’est pas déterminante. En effet, l’article 27 de la LRTFP (maintenant abrogé et remplacé par l’article 22 de la LCRTEFP) confère à l’arbitre de grief le pouvoir discrétionnaire de décider s’il tiendra une audience ou s’il procédera sans tenir d’audience pour trancher une affaire dont il est saisi :

Determination without oral hearing

227. An adjudicator may decide any matter referred to adjudication without holding an oral hearing.

Décision sans audience

227. L’arbitre de grief peut trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience.

 

[32]           Compte tenu de la question en litige, il était approprié que l’arbitre s’en tienne aux observations écrites des parties. La question dont il était saisi était une pure question de droit, qui n’exigeait pas la production d’éléments de preuve. Par conséquent, il était permis à l’arbitre de décider de ne pas tenir d’audience. Il ressort également du dossier que l’arbitre a donné toute latitude à Mme Chamberlain de présenter la totalité de ses arguments : le fait que le grief ait été tranché sans tenir d’audience ne l’a pas désavantagée.

[33]           Enfin, rien ne permet de conclure que M. Filliter ne s’est pas acquitté de sa tâche de façon équitable et impartiale.

D.                Les erreurs de fond

[34]           Mme Chamberlain soutient que l’arbitre a fait erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur ses allégations relatives aux droits de la personne. Je suis d’avis que l’arbitre n’a pas commis d’erreur dans son interprétation des articles 208, 209 et 226 de la LRTFP, et que l’intervention de notre Cour ne se justifierait pas à cet égard.

[35]           Comme nous le disions plus haut, la décision par laquelle l’arbitre a conclu que le grief de Mme Chamberlain n’était pas arbitrable sous le régime de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP est devenue définitive lorsque la juge Gleason a conclu que cette décision était raisonnable. De plus, Mme Chamberlain n’aurait pas pu renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu d’aucun autre alinéa ou sous‑alinéa du paragraphe 209(1) de la LRTFP. Par conséquent, la question de l’arbitrabilité des allégations de violation des droits de la personne exigeait que M. Filliter détermine si l’alinéa 226(1)g) – maintenant remplacé par l’alinéa 226(2)a) – de la LRTFP, qui confère à l’arbitre de grief le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LCDP, lui donne compétence sur les griefs fondés sur des allégations autonomes de violation de cette loi.

[36]            À mon avis, la décision de l’arbitre doit être contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable. L’arbitre interprétait sa loi habilitante, qu’il connaît très bien, ce qui milite en faveur de l’application de cette norme; voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphes 54 à 57, [2008] 1 RCS 190; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, paragraphe 28, [2011] 1 RCS 160; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, paragraphe 16, [2011] 3 RCS 471; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, paragraphes 30 et 34, [2011] 3 RCS 654; et Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragraphes 49 et 50, [2013] 2 RCS 559.

[37]           Cependant, l’arbitre avait à trancher une pure question de droit, qui exigeait qu’il interprète des dispositions de la LRTFP jouant un rôle déterminant pour répondre à la question de savoir s’il avait compétence à l’égard du grief de Mme Chamberlain. Ces dispositions délimitaient dans une certaine mesure sa compétence par rapport à celle de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP). Ce facteur pourrait militer en faveur de l’adoption de la norme de la décision correcte; voir Alberta Teachers’ Association, paragraphe 30.

[38]           Quoi qu’il en soit, le choix de la norme de la décision raisonnable n’a pas d’effet déterminant puisque, à mon sens, la décision de l’arbitre résiste à l’application de l’une ou l’autre des deux normes. Je suis d’avis que l’interprétation donnée par l’arbitre aux articles 208, 209 et 226 est dépourvue d’erreur.

[39]           Le régime adopté par le législateur pour le règlement des griefs des fonctionnaires est très particulier et diffère des régimes généralement appliqués dans le secteur privé. Le législateur a décidé d’accorder un « droit de grief » relativement à plusieurs questions qui se rapportent aux conditions d’emploi à tous les fonctionnaires, y compris ceux qui ne sont pas représentés par un agent négociateur ni parties à une convention collective. Il convient à ce stade de l’article 208 de la LRTFP :

Droit du fonctionnaire

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

Réserve

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Réserve

(3) Par dérogation au paragraphe (2), le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel relativement au droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

Réserve

(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

Réserve

(5) Le fonctionnaire qui choisit, pour une question donnée, de se prévaloir de la procédure de plainte instituée par une ligne directrice de l’employeur ne peut présenter de grief individuel à l’égard de cette question sous le régime de la présente loi si la ligne directrice prévoit expressément cette impossibilité.

Réserve

(6) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur une mesure prise en vertu d’une instruction, d’une directive ou d’un règlement établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui‑ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

Force probante absolue du décret

(7) Pour l’application du paragraphe (6), tout décret du gouverneur en conseil constitue une preuve concluante de ce qui y est énoncé au sujet des instructions, directives ou règlements établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui‑ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada

 

Right of employee

208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

Limitation

(2) An employee may not present an individual grievance in respect of which an administrative procedure for redress is provided under any Act of Parliament, other than the Canadian Human Rights Act.

Limitation

(3) Despite subsection (2), an employee may not present an individual grievance in respect of the right to equal pay for work of equal value.

Limitation

(4) An employee may not present an individual grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies.

Limitation

(5) An employee who, in respect of any matter, avails himself or herself of a complaint procedure established by a policy of the employer may not present an individual grievance in respect of that matter if the policy expressly provides that an employee who avails himself or herself of the complaint procedure is precluded from presenting an individual grievance under this Act.

Limitation

(6) An employee may not present an individual grievance relating to any action taken under any instruction, direction or regulation given or made by or on behalf of the Government of Canada in the interest of the safety or security of Canada or any state allied or associated with Canada.

Order to be conclusive proof

(7) For the purposes of subsection (6), an order made by the Governor in Council is conclusive proof of the matters stated in the order in relation to the giving or making of an instruction, a direction or a regulation by or on behalf of the Government of Canada in the interest of the safety or security of Canada or any state allied or associated with Canada.

[40]           Cependant, le législateur a aussi choisi de ne rendre que certains types de grief susceptibles de renvoi à l'arbitrage par les employés. Voici comment l’article 209 de la LRTFP circonscrit et limite les cas de renvoi à l’arbitrage :

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui‑ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

Application de l’alinéa (1)a)

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

Désignation

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

 

Reference to adjudication

209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

(c) in the case of an employee in the core public administration,

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

Application of paragraph (1)(a)

(2) Before referring an individual grievance related to matters referred to in paragraph (1)(a), the employee must obtain the approval of his or her bargaining agent to represent him or her in the adjudication proceedings.

Designation

(3) The Governor in Council may, by order, designate any separate agency for the purposes of paragraph (1)(d).

[41]           L’article 209 ne vise pas les griefs individuels présentés par des fonctionnaires non parties à une convention collective, qui contiennent des allégations autonomes de violation à la LCDP. Or, à mon sens, l’article 209 est la seule disposition de la LRTFP qui attribue compétence à l’arbitre de grief. L’article 226 ne crée pas une autre catégorie de griefs susceptible d’être renvoyée à l’arbitrage. Le paragraphe 226(1) – dont le contenu correspond à l’actuel paragraphe 226(2) de la LRTFP et aux articles 20 à 23 de la LCRTEFP – énonce les pouvoirs de l’arbitre de grief relativement à toute affaire dont il est saisi. Les pouvoirs énumérés au paragraphe 226(1), dont celui d’interpréter et d’appliquer la LCDP, entrent donc en jeu une fois que le grief a été valablement renvoyé à l’arbitrage. Autrement dit, une fois valablement saisi d’un grief renvoyé à l’arbitrage, l’arbitre peut interpréter et appliquer la LCDP si les questions soulevées dans ce grief font intervenir des dispositions de cette loi. Il s’ensuit à mon avis que l’arbitre ne s’est pas trompé en déclarant qu’il n’avait pas compétence à l’égard des allégations de Mme Chamberlain concernant les droits de la personne au motif qu’il n’avait pas, au départ, compétence sur son grief.

[42]           En outre, ajouterai‑je, je souscris aux raisons qu’invoque l’arbitre de grief pour écarter la jurisprudence citée dans la décision Chamberlain CF. Qui plus est, les extraits suivants de la décision de M. Filliter me paraissent proposer un excellent résumé de l’interprétation correcte des articles 209 et 226 de la LRTFP :

87        En d’autres termes, la condition préalable pour qu’un arbitre de grief puisse prendre en considération un recours en vertu du paragraphe 226(1) de la LRTFP est que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP.

88        En l’espèce, la fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui, en l’espèce, était la seule disposition applicable de ce paragraphe. Dans ma décision initiale, j’ai décidé que la fonctionnaire n’avait pas produit de preuve prima facie selon laquelle des mesures disciplinaires lui avaient été imposées par l’employeur. Cette conclusion a été jugée raisonnable par la Cour fédérale dans Chamberlain CF.

89        Au paragraphe 76 de Chamberlain CF, la Cour fédérale fait référence à Parry Sound. Il s’agit d’une affaire relevant du secteur privé dans laquelle la Cour suprême du Canada a conclu qu’un arbitre de grief avait eu raison de se déclarer compétent pour statuer sur un grief alléguant le congédiement d’une employée à l’essai sur le fondement de présumées violations des droits de la personne. Le régime du secteur privé n’était pas du tout le même que le régime d’arbitrage des griefs prévu par la LRTFP. Le régime d’arbitrage des griefs définit et limite clairement les affaires qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage.

[...]

93        Selon moi, le paragraphe 226(1) de la LRTFP doit être interprété selon le contexte, en prenant en considération les faits particuliers de chaque cas. Une interprétation du paragraphe 226(1) de la LRTFP selon laquelle serait conféré aux arbitres de grief le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la LCDP même s’il n’y a pas de grief pouvant être renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP aurait pour effet d’empêcher les fonctionnaires fédéraux de présenter un recours en vertu de la LCDP (à l’exception des litiges en matière d’équité salariale).

94        Une telle interprétation aurait plus directement pour effet de déduire de ce paragraphe un motif recevable de renvoi à l’arbitrage qui n’est pas prévu par le paragraphe 209(1) de la LRTFP.

95        Je suis d’avis que si le législateur avait voulu légiférer dans le sens de ces deux résultats, il l’aurait manifesté par un libellé clair.

[43]           La seule voie de recours qui s’offrait à Mme Chamberlain pour faire valoir ses allégations autonomes de violation à la LCDP était une plainte devant la CCDP.

[44]           Le genre de situation dans laquelle s’est trouvée Mme Chamberlain a depuis lors été réexaminé par le législateur. En effet, la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, LC 2013, c 40 [le projet de loi C‑4], qui a reçu la sanction royale le 12 décembre 2013, a modifié le paragraphe 209(1) de la LRTFP par l’adjonction d’un sous‑alinéa [c.1c)(i)] qui permettra le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur un acte discriminatoire prévu à la LCDP. Par conséquent, les griefs individuels soulevant des questions de droit de la personne pourront être renvoyés à l’arbitrage, et la CCDP n’aura plus compétence sur les plaintes de discrimination liées à l’emploi. Malheureusement pour Mme Chamberlain, ces modifications ne peuvent influer sur sa situation, puisque les nouvelles dispositions ne sont pas encore en vigueur et ne peuvent servir à étendre la compétence de l’arbitre de grief aux allégations relatives aux droits de la personne.

[45]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens au défendeur, fixés à 250 $.

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1742‑13

 

INTITULÉ :

ZABIA CHAMBERLAIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 OCTOBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Zabia Chamberlain

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Caroline Engman

 

POUR LE Défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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