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Date : 20150115


Dossier : IMM-3673-13

Référence : 2015 CF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 15 janvier 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

ZSUZSANNA GALLAI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Sa demande a été refusée. Elle conteste maintenant la décision en introduisant la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]               La demanderesse veut faire annuler la décision défavorable concernant sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et faire renvoyer l’affaire à un autre agent pour réexamen.

I.                   Contexte

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Hongrie, un pays membre de l’Union européenne (UE).

[4]               La demanderesse a été abandonnée à l’hôpital où elle est née et a été confiée à la garde de parents de famille d’accueil et d’organismes de protection de la jeunesse jusqu’à l’âge de dix‑huit ans. Elle est devenue aveugle à l’œil gauche après avoir été frappée par son parent d’accueil. La demanderesse s’identifie également comme lesbienne.

[5]               Après l’âge de dix‑huit ans, la demanderesse a étudié de septembre 1994 à août 2004 et suivi une formation universitaire. Par la suite, elle a travaillé en Hongrie comme adjointe administrative pendant huit mois.

[6]               La demanderesse a ensuite déménagé en Irlande et y est demeurée pendant près de sept ans, avant son entrée au Canada. Pendant son séjour en Irlande, elle a obtenu un poste deux mois après son arrivée et elle a été sans emploi pendant trois mois au total.

[7]               La demanderesse est arrivée au Canada pour la première fois le 14 février 2012 comme visiteuse. Elle a obtenu un emploi six mois après son entrée au Canada et occupe un emploi depuis plus de huit mois.

[8]               La demanderesse a présenté une demande d’asile le 2 mars 2012, à l’égard de laquelle une décision est attendue. Elle a présenté une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire qui a été reçue le 25 juin 2012. Au moment du dépôt de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, elle habitait au Canada depuis plus d’un an.

[9]               Dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse a déclaré qu’elle  serait victime de discrimination et de harcèlement en Hongrie en raison de son origine rom et parce qu’elle est lesbienne et, par conséquent, qu’elle serait victime de mauvais traitements graves.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Une décision défavorable a été rendue le 2 mai 2013. L’agent a tout d’abord fait référence à l’article 25 de la Loi, puis déclaré que les risques liés aux articles 96 et 97 n’ont pas été pris en considération, conformément à la modification législative apportée après le 29 juin 2010.

[11]           Dans sa décision, l’agent a analysé les deux catégories suivantes : l’établissement de la demanderesse, et les risques et conditions défavorables dans le pays.

[12]           En ce qui concerne l’établissement, l’agent a reconnu les perturbations et l’angoisse que le retour en Hongrie pourrait susciter chez la demanderesse, mais il a conclu que la demanderesse [traduction] « avait la capacité de s’adapter à son pays d’origine après une période initiale d’ajustement ». Afin de soutenir son point de vue, l’agent a fait référence à l’adaptation de la demanderesse en Irlande et au Canada. De plus, il a tenu compte des quatre lettres d’appui des amis de la demanderesse au Canada, mais il a conclu que le contact avec ces personnes peut être maintenu par [traduction] « correspondance, appels téléphoniques, courriels, clavardage et visites ».

[13]           Pour ce qui est des risques et des conditions défavorables dans le pays, l’agent a en premier lieu résumé l’enfance difficile de la demanderesse, soit les mauvais traitements et la cécité à l’œil gauche qui en résulte. L’agent a ensuite reconnu que l’appartenance de la demanderesse à l’UE lui permettait de [traduction] « vivre, de travailler, d’étudier ou de prendre sa retraite dans n’importe quel pays de l’Union européenne », notamment de déménager en Irlande où elle a vécu et travaillé pendant environ sept ans. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la demanderesse serait confrontée à des [traduction] « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives en raison des mauvais traitements qu’elle a subis lorsqu’elle était enfant » si elle était renvoyée en Hongrie. D’après le raisonnement de l’agent, il existe un lien entre le risque exprimé par la demanderesse et sa race, qui relève de l’article 96 de la Loi, de sorte qu’un tel élément de preuve n’a pas été pris en considération.

[14]           L’agent a ensuite fourni d’autres justifications à l’appui de son évaluation des difficultés vécues par la demanderesse. En soulignant que la demanderesse avait étudié de septembre 1994 à août 2004 et suivi une formation universitaire, puis occupé un emploi après ses études en Hongrie, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la demanderesse faisait l’objet de discrimination dans d’autres sphères de sa vie en raison de son origine ethnique. L’agent a reconnu l’existence d’une discrimination contre la population rom et les minorités sexuelles en Hongrie; cependant, compte tenu des antécédents scolaires et de l’historique de travail de la demanderesse, l’agent a conclu en fin de compte que la discrimination n’est pas suffisamment marquée pour équivaloir à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

III.             Questions en litige

[15]           La demanderesse soulève les deux questions suivantes pour que je les examine :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’analyse des difficultés effectuée par l’agent contient‑elle des erreurs susceptibles de contrôle?

[16]           Le défendeur établit la question suivante : l’analyse des difficultés effectuée par l’agent était‑elle raisonnable? De plus, il présente une question préliminaire sur l’admissibilité de certaines parties de l’affidavit de la demanderesse.

[17]           À mon avis, il y a trois questions à trancher :

A.                Quelle est la norme de contrôle?

B.                 Certaines parties de l’affidavit de la demanderesse sont‑elles inadmissibles?

C.                 L’évaluation des difficultés effectuée par l’agent était‑elle raisonnable?

IV.             Observations écrites de la demanderesse

[18]           La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur dans son analyse des difficultés et que, conformément à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, [2008] A.C.F. no 9, (Dunsmuir), la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable.

[19]           Dans son mémoire de demande d’autorisation, la demanderesse soutient que l’agent a omis d’expliquer pourquoi la preuve contraire contenue dans les documents sur la situation en Hongrie a été rejetée. Cette preuve qui a été rejetée contient des préoccupations sérieuses relatives à la situation des femmes, des Roms, des lesbiennes, ainsi que des personnes handicapées. Elle fait également valoir que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de l’effet cumulatif du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’origine ethnique et du handicap de la demanderesse. Pour appuyer sa position, la demanderesse cite les décisions suivantes : White c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1043, [2011] A.C.F. no 1299 (White); Mings-Edwards c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 90, [2011] A.C.F. no 109, (Mings-Edwards); Ratnarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1054, [2010] A.C.F. no 1306 (Ratnarajah); Damte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 456, [2010] A.C.F. no 569 (Damte); et Siddiqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 989, [2008] A.C.F. no 1229 (Siddiqui).

[20]           Dans la décision White, la Cour a autorisé le contrôle judiciaire concernant un demandeur qui avait été victime d’un traumatisme cérébral à l’adolescence parce que l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a sous‑évalué les difficultés auxquelles serait confronté le demandeur en Jamaïque compte tenu du manque de services en santé mentale dans ce pays. Dans la décision Mings-Edwards, la Cour a conclu que l’agent d’immigration a omis d’examiner adéquatement l’incidence que la séropositivité de la demanderesse aurait sur sa capacité de subvenir à ses besoins et les difficultés connexes auxquelles elle risquait d’être exposée en Jamaïque. Dans Ratnarajah, la Cour a conclu que l’agent a omis de tenir compte du rapport daté de 2009 émanant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui contient de nombreux éléments de preuve sur les conditions difficiles dans le pays, lesquels contredisent sa conclusion à l’égard des difficultés. Dans la décision Damte, la Cour a conclu que l’agent a omis d’évaluer les facteurs liés au sexe dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Dans la décision Siddiqui, la Cour a conclu que l’agent a omis d’expliquer pourquoi le type de discrimination auquel elle ferait face à la suite d’un divorce dans son pays d’origine ne constituerait pas les difficultés prévues à l’article 25 de la Loi.

[21]           La demanderesse soutient, en l’espèce, que l’agent a commis des erreurs semblables à celles des décisions susmentionnées en sous‑évaluant les difficultés auxquelles elle serait confrontée en Hongrie, a omis de tenir suffisamment compte des divergences dans la preuve sur les conditions dans le pays dont il a été saisi et de l’expliquer, de tenir compte de l’effet cumulatif du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’origine ethnique et du handicap et, enfin, d’expliquer la raison pour laquelle, compte tenu des éléments de preuve présentés, la demanderesse ne satisfaisait pas au critère de « difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives ».

V.                Observations écrites du défendeur

[22]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable et qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62 (voir aussi l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 89, [2009] A.C.F. no 12 (Khosa); Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62, [1999] A.C.F. no 39 (Baker); et Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 7, [2008] A.C.F. no 623).

[23]           À titre d’objection préliminaire, le défendeur fait valoir que la demanderesse se fonde sur des renseignements dont l’agent n’a pas été saisi, notamment les renseignements se trouvant dans l’affidavit de la demanderesse qui contiennent des détails sur ses expériences personnelles. Il établit que les seules observations écrites dont est saisi l’agent sont celles qui figurent aux pages 21 et 35 du dossier de demande. Par conséquent, le défendeur s’objecte au fait que la demanderesse se fonde sur ces faits.

[24]           Ensuite, le défendeur explique les « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » en faisant référence à l’article 25 de la Loi et soutient qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire constitue une mesure d’exception discrétionnaire (voir Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 20, [2006] A.C.F. no 425). Il soutient qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut « permettre aux intéressés d’obtenir ce qu’ils souhaitent après avoir été déboutés, conformément au droit canadien, en exerçant tous les recours judiciaires qui s’offraient à eux » (voir Mayburov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 953, au paragraphe 39, 98 ACWS (3d) 885). Il cite aussi des définitions tirées du Manuel IP5.

[25]           En outre, le défendeur soutient qu’il incombe au demandeur de convaincre le décideur que sa situation personnelle répond aux critères susmentionnés en matière de dispense. Il fait ensuite valoir que la décision de l’agent est raisonnable parce que la demanderesse peut vivre dans d’autres pays de l’UE, à part la Hongrie. Il affirme que si la demanderesse n’a pas à habiter en Hongrie, les éléments de preuve concernant les difficultés liées à la Hongrie sont de moindre valeur.

VI.             Observations écrites complémentaires de la demanderesse

[26]           En réponse à la question préliminaire, la demanderesse concède que les renseignements sur son expérience personnelle contenus dans son affidavit n’avaient pas été soumis à l’agent en vue de l’examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais qu’ils avaient plutôt été soumis dans une demande de réexamen qui a subséquemment été rejetée; la Cour a maintenant été saisie de ces renseignements dans une demande de contrôle judiciaire distincte.

[27]           La demanderesse soutient également que le défendeur a commis une erreur en faisant valoir qu’elle jouit d’un droit illimité de vivre dans n’importe quel pays de l’UE. Elle fournit des extraits tirés des rapports « Les droits de l’homme des Roms et des gens du voyage en Europe »  et [traduction] « Les Roms en Europe : une longue histoire de discrimination » dans lesquels on soutient i) que l’on s’oppose à la migration des Roms dans toute l’UE et que l’on prendre des mesures pour l’empêcher; et ii) les Roms sont victimes de discrimination et de mauvais traitements partout en Europe.

[28]           La demanderesse fait valoir que l’agent a ignoré les renseignements contradictoires ou omis d’expliquer la raison pour laquelle il a choisi de ne pas en tenir compte pour conclure qu’elle pouvait simplement vivre et travailler dans un autre pays de l’UE.

VII.          Observations écrites complémentaires du défendeur

[29]           Pour ce qui est de la question préliminaire, le défendeur soutient également qu’une demande de contrôle judiciaire se limite aux éléments de preuve dont disposait le décideur (voir Tabanag c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1293, au  paragraphe 14, [2011] A.C.F. no 1575 (Tabanag); Mahouri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 244, au paragraphe 14, [2013] A.C.F. no 278 (Mahouri); et Isomi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394, au paragraphe 6, [2006] A.C.F. no 1753 (Isomi). Par conséquent, il fait valoir que les paragraphes 2 à 38 de l’affidavit de la demanderesse devraient être radiés.

[30]           En réponse à l’observation de la demanderesse relative à la preuve contraire, le défendeur fait valoir qu’aucune preuve de cette nature n’a été produite à l’agent et, par conséquent, celui‑ci n’avait aucune obligation de mentionner explicitement et d’examiner le traitement des Roms à l’extérieur de la Hongrie.

[31]           Enfin, le défendeur soutient que la demanderesse n’a présenté aucune observation à l’agent sur l’effet cumulatif de son handicap, de son sexe, de son origine ethnique et de son orientation sexuelle.

VIII.       Analyse et décision

A.                Question en litige 1 – Quelle est la norme de contrôle?

[32]           La demanderesse ainsi que le défendeur soutiennent que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable. Je souscris à cet argument. Lorsque la jurisprudence a arrêté la bonne norme de contrôle à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir, au paragraphe 57).

[33]           Quant aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit examinées dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la norme applicable est celle de la raisonnabilité (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, [2010] 1 RCF 360; Dunsmuir, au paragraphe 53; et Baker, aux paragraphes 57 à 62). Cette norme signifie que je ne dois pas intervenir si la décision de la Commission est transparente, justifiée et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[34]           En l’espèce, j’annulerai la décision de l’agent seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Comme l’a affirmé la Cour suprême dans Khosa, aux paragraphes 59 et 61, lorsqu’une cour applique la norme de la raisonnabilité, elle ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue et ne peut réévaluer la preuve.

B.                 Question en litige 2 - Certaines parties de l’affidavit de la demanderesse sont‑elles inadmissibles?

[35]           Une demande de contrôle judiciaire se limite à l’examen des éléments de preuve dont disposait le décideur (Tabanag, au paragraphe 14; Mahouri, au paragraphe 14; et Isomi, au  paragraphe 6).

[36]           En l’espèce, la demanderesse reconnaît que les renseignements figurant dans son affidavit et contenant des détails sur son expérience personnelle n’ont pas été soumis à l’agent et que celui‑ci ne disposait que des observations écrites des pages 21 et 35 du dossier de demande. En outre, la preuve relative à l’expérience personnelle a été fournie subséquemment à l’agent au titre d’une demande de réexamen. Cet examen, qui a été rejeté ultérieurement fait maintenant partie d’une demande de contrôle judiciaire distincte. À mon avis, le juge qui présidait la demande de contrôle judiciaire de la demande de réexamen serait mieux placé pour examiner ces renseignements.

[37]           Par conséquent, je souscris à l’opinion du défendeur selon laquelle les paragraphes 2 à 38 de l’affidavit de la demanderesse devraient être radiés.

C.                 Question en litige 3 - L’évaluation des difficultés effectuée par l’agent était‑elle raisonnable?

[38]           Le paragraphe 25(1) de la Loi régit les décisions concernant les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le rôle de l’agent consiste à déterminer si une personne ferait face à des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » s’il devait présenter une demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada.

[39]           En l’espèce, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en examinant les difficultés. Je résumerais les arguments de la demanderesse de la façon suivante : i) les difficultés auxquelles elle ferait face en Hongrie ont été sous‑évaluées; ii) l’agent a omis de tenir compte de l’incidence cumulative du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’origine ethnique et du handicap de la demanderesse; iii) l’agent a ignoré les renseignements contraires ou omis d’expliquer la raison pour laquelle il a choisi de le faire en concluant que la demanderesse pouvait simplement vivre et travailler dans un autre pays de l’UE; et iv) l’agent a omis d’expliquer la raison pour laquelle, compte tenu des éléments de preuve présentés, la demanderesse ne répondait pas aux critères relatifs aux « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ».

[40]           Le défendeur soutient qu’il incombe à la demanderesse de démontrer que sa situation personnelle répond aux exigences relatives à la dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Il fait valoir que la demanderesse n’a présenté à l’agent aucune observation ayant trait à l’incidence cumulative de son handicap, de son sexe, de son origine ethnique et de son orientation sexuelle. Il soutient ensuite que la décision de l’agent est raisonnable parce que la demanderesse peut vivre dans d’autres pays de l’UE à part la Hongrie. Si la demanderesse n’a pas à demeurer en Hongrie, les éléments de preuve concernant les difficultés liées à la Hongrie sont de moindre importance. En réponse à l’observation de la demanderesse sur la preuve contraire, le défendeur fait valoir qu’aucune preuve à cet égard a été soumise à l’agent et, par conséquent, que l’agent n’avait aucune obligation de mentionner expressément et d’examiner la preuve relative au traitement des Roms à l’extérieur de la Hongrie.

[41]           En l’espèce, l’article de presse traduit intitulé [traduction] « Mon monde émotionnel est un fouillis » présentant en détail une entrevue de la demanderesse alors qu’elle avait dix‑sept ans, contient les seuls renseignements liés aux expériences personnelles de la demanderesse, en l’absence d’autres observations écrites. Dans cet article, la demanderesse décrit les expériences de son enfance, notamment sa blessure à l’œil gauche. Dans sa décision, l’agent a examiné les expériences personnelles de la demanderesse, il a reconnu qu’il serait difficile pour elle émotivement de retourner dans son pays, mais il a noté que la demanderesse a vécu en Hongrie pendant près de dix ans après l’âge de dix‑huit ans, où elle a fait ses études et occuper un emploi. En l’espèce, l’agent a examiné les éléments de preuve dans le contexte de la situation personnelle de la demanderesse. Par conséquent, pour ce qui est du premier argument soumis par la demanderesse, je suis convaincu que l’analyse de l’agent appartient aux issues acceptables.

[42]           Pour ce qui est du deuxième argument soumis par la demanderesse au sujet de l’incidence cumulative, je souscris à l’opinion du défendeur portant que la demanderesse n’a fait aucune observation écrite à l’agent relativement à l’incidence cumulative de son handicap, de son sexe, de son origine ethnique et de son orientation sexuelle. Par conséquent, on ne peut établir que la décision de l’agent à cet égard était déraisonnable.

[43]           Pour ce qui est du troisième argument présenté par la demanderesse à l’égard de l’UE, je suis d’avis que l’ensemble de la preuve ne contredit pas la conclusion de l’agent. Il est bien établi qu’un agent n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dans l’analyse (voir Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629, [2004] A.C.F. no 758). Cependant, conformément à la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17, 157 FTR 35, le fait pour un agent de ne pas examiner les éléments de preuve qui contredisent explicitement sa conclusion constitue une erreur susceptible de contrôle et le fardeau qui incombe à l’agent de fournir des explications augmente au même titre que la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés.

[44]           Comme l’a démontré les articles « Les droits de l’homme des Roms et des gens du voyage en Europe »  et [traduction] « Les Roms en Europe : une longue histoire de discrimination » soumis en preuve documentaire, je souscris aux arguments de la demanderesse selon lesquels cette preuve démontre que l’on s’oppose à la migration des Roms dans l’ensemble de l’UE et que les Roms subissent de la discrimination et des mauvais traitements dans toute l’Europe. En l’espèce, l’agent a reconnu que l’appartenance de la demanderesse à l’UE lui permettait de [traduction] « vivre, de travailler, d’étudier ou de prendre sa retraite dans n’importe quel pays de l’Union européenne ». Même s’il n’a mentionné dans l’analyse aucun des éléments de preuve relatifs aux conditions difficiles générales du pays, l’agent a souligné à juste titre que la demanderesse a vécu et travaillé pendant environ sept ans en Irlande. En l’absence d’observations écrites sur la mauvaise expérience vécue par la demanderesse en Irlande, il  n’était pas déraisonnable que l’agent accepte la situation personnelle de la demanderesse plutôt que la preuve contraire générale. Par conséquent, je conclus que l’ensemble de la preuve ne contredit pas la conclusion de l’agent.

[45]           En ce qui concerne le quatrième et dernier argument relativement au caractère raisonnable de la décision dans l’ensemble, l’analyse susmentionnée démontre qu’il n’était pas déraisonnable que l’agent conclue que la demanderesse avait fourni des éléments de preuve insuffisants pour établir qu’elle ferait face à des difficultés en raison des mauvais traitements dont elle avait été victime dans son enfance. Les motifs de l’agent, bien que brefs, étaient fondés sur une évaluation de la totalité des éléments de preuve dont il disposait.

[46]           Par conséquent, l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son examen de l’analyse des difficultés; je suis donc d’avis que cette décision est raisonnable.

[47]           Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[48]           Aucune des parties n’a soumis à mon attention une question grave de portée générale en vue de sa certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Nathalie Gadbois, B.A. Trad., LL. L., J.D.


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27

25 (1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

25 (1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

25.1 (1) Le ministre peut, de sa propre initiative, étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — ou qui ne se conforme pas à la présente loi; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25.1 (1) The Minister may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3673-13

 

INTITULÉ :

ZSUZSANNA GALLAI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O'KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS

Rathika Vasavithasan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Barbra Schlifer Commemorative Clinic

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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