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Date : 20150113


Dossier : T-949-13

Référence : 2015 CF 44

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

DEREK ANTHONY WOOD

demandeur

et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA (SCC)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Survol

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 28 mars 2013, par laquelle le sous-commissaire de l’équipe de transformation et de renouvellement [le commissaire] de Service correctionnel du Canada [le SCC], a jugé qu’aucune mesure supplémentaire n’était nécessaire à l’égard des griefs présentés au troisième palier par le demandeur. Dans une décision qui traitait conjointement des trois griefs présentés par le demandeur, le commissaire a refusé de prendre des mesures correctives.

[2]               M. Wood, le demandeur, se représente lui-même dans la présente affaire. Il était représenté par une avocate à l’audience, après un court préavis. Ses doléances envers la décision contestée concernent les éléments suivants : (i) sa classification de sécurité comme détenu à sécurité maximale, ce qui, selon lui, est inexact; (ii) sa demande de transfert volontaire à un établissement à sécurité moyenne; (iii) l’isolement sollicité, et (iv) le délai de prescription imposé par le décideur au deuxième palier.

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.                Le contexte

[4]               M. Derek Anthony Wood est un détenu « notoire » de 41 ans à l’établissement de Kingston. Il purge une peine d’une durée indéterminée pour meurtre au premier degré, séquestration, tentative de meurtre, vol qualifié, agression armée et agressions envers des agents de la paix.

[5]               Le 30 mars 2012, SCC a procédé à une classification de sécurité de M. Wood et lui a attribué une classification de sécurité maximale, compte tenu de sa cotation de 27,5 selon l’Échelle de réévaluation de la sécurité [ERS] [la décision no 208]. Les notes du demandeur ont été attribuées de cette manière : « problèmes d’adaptation à l’établissement » – élevé; « risque d’évasion » – modéré, et « préoccupations liées à la sécurité publique » – élevé.

[6]               Le 3 avril 2012, M. Wood a obtenu une copie écrite de la décision no 208.

[7]               Le 18 septembre 2012, M. Wood a déposé son grief au deuxième palier en ce qui concerne sa cote de sécurité; le grief a été rejeté le 16 janvier 2013. Le 24 janvier 2013, M. Wood a présenté un grief au troisième palier.

[8]               Le commissaire a rendu une décision le 28 mars 2013. C’est cette décision qui fait officiellement l’objet du contrôle judiciaire [la décision contestée].

III.             La décision contestée

[9]               La décision contestée combine et aborde les trois griefs (V40R00009797, V40R00009798 et V40R00010936), comme le prévoit le paragraphe 24 de la Directive du commissaire [DC] intitulée Plaintes et griefs des délinquants, au motif qu’ils englobent un thème commun : les questions se rapportant aux demandes de transfert et à l’isolement. Le commissaire a amorcé son analyse en mentionnant expressément qu’il avait tenu compte des observations de M. Wood, de ses réponses et de son dossier contenu dans le système de gestion des délinquants.

[10]           Seule la première partie de la décision contestée, qui traite du grief V40R00009797, est pertinente, en ce sens que M. Wood conteste l’issue du grief uniquement en ce qui concerne la classification de sécurité; V40R00009798 et V40R00010936 traitent respectivement de questions concernant l’isolement et le transfert vers un établissement à sécurité moyenne.

[11]           Le commissaire résume le cheminement du grief dans les diverses étapes du processus de SCC, l’essentiel des observations de M. Wood ainsi que les motifs pour lesquels il refuse d’ordonner que des mesures correctives soient prises. Dans V40R00009797, M. Wood se plaint du fait qu’on a refusé de lui donner un nouveau pointage ERS et de son transfert subséquent à l’établissement Drummond, au motif que la décision au deuxième palier : a) contenait [traduction« des renseignements fallacieux » de sa classification, en tant que détenu à sécurité moyenne; b) que c’est la [traduction« région, et non l’établissement visé », qui aurait dû répondre à sa demande, et c) qu’il était « fallacieux » de prétendre que cela lui avait pris plus de 30 jours à produire sa réponse.

[12]           Le commissaire a fait remarquer que le décideur au deuxième palier a rejeté le grief en raison de l’expiration d’un délai de prescription; le fondement de la plainte de M. Wood était un renseignement dont il avait eu connaissance cinq mois avant la date de son grief. Il a été informé le 3 avril 2012 que son niveau de sécurité avait déjà fait l’objet d’une réévaluation et il avait connaissance de l’impossibilité de faire droit à sa demande de transfert, en raison de sa cotation.

[13]           Le commissaire a confirmé la décision rendue au deuxième palier de la procédure de règlement de grief en ce qui concerne le délai de prescription et il a souligné qu’aucune justification n’avait été donnée quant au retard. En ce qui a trait à l’évaluation de sécurité, le commissaire a jugé que M. Wood n’avait pas utilisé le recours approprié pour contester les renseignements sur lesquels la classification de sécurité est fondée (en citant l’annexe B de la Directive du commissaire 701) et que, au moment de la décision, la classification de M. Wood était compatible avec la politique applicable, compte tenu de sa cotation de 27.5 et des évaluations pour ce qui est de l’adaptation problématique à l’établissement, du risque d’évasion modéré et des fortes préoccupations en matière de sécurité publique.

IV.             Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[14]           Puisque le demandeur conteste la manière avec laquelle le commissaire a appliqué le règlement et la politique aux faits qu’il a fait valoir dans son grief, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CAF 184, au paragraphe 24; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53), et la seule question soulevée par le présent litige est la suivante :

                      La décision du sous-commissaire de rejeter le grief présenté au troisième palier par le demandeur était-elle raisonnable?

V.                Analyse

A.                Remarque préliminaire

[15]           Comme il a été mentionné ci‑dessus, M. Wood a affirmé, dans ses observations formulées de vive voix à la Cour, qu’il souhaitait uniquement contester sa classification de sécurité à titre de détenu dit « à sécurité maximale ».

[16]           La difficulté en l’espèce est que la question de la classification de sécurité, du moins, selon ce qui en découle de la décision contestée, a été initialement prédéterminée par renvoi à la décision no 208, laquelle a été qualifiée de décision provisoire par le protonotaire Morneau. Dans son ordonnance datée du 20 novembre 2013, le protonotaire Morneau a jugé que la décision no 208 n’était pas la décision en cause dans la demande présentée par le demandeur.

[17]           Peu importe que je sois d’accord ou non avec l’ordonnance du 20 novembre 2013, et peu importe si celle‑ci peut être conciliée avec : a) l’ordonnance de la protonotaire Tabib, datée du 17 septembre 2013, par laquelle cette dernière refusait de trancher en ce qui concerne la question portant sur la décision no 208, car elle était d’avis que l’affaire devrait [traduction« être laissée au juge qui tranchera le fond de l’affaire », et b) l’ordonnance du juge Annis datée du 14 février 2014, par laquelle il excluait de la portée du dossier certifié du tribunal les documents traitant des questions (ii) et (iii) – décrites au paragraphe 2 de la présente décision – ce qui ne laissait que les documents se rapportant à la décision no 208, cela n’a aucune incidence, puisque l’ordonnance du 20 novembre 2013 n’a pas fait l’objet d’un appel devant un juge de la Cour et qu’elle est par conséquent définitive. Cela s’applique à la décision no 208 sur le fond ainsi qu’au délai de prescription imposé par le décideur au deuxième palier.

B.                 La raisonnabilité de la décision

[18]           Quoi qu’il en soit, même si je devais me pencher directement sur la question de la classification de sécurité, je juge que la décision no 208 est raisonnable et qu’elle est conforme aux articles 17 et 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement].

[19]           M. Wood fait valoir que son droit à liberté résiduelle (qui est garanti par Charte) a été violé au cours de la procédure de grief. Même si l’on tient pour acquis que M. Wood dispose d’une réclamation plausible à première vue, la Cour d’appel fédérale a affirmé (Fabrikant c Canada, 2012 CF 1496, 2013 CAF 211) qu’elle peut refuser d’instruire des questions fondées sur la Charte au motif qu’elles n’avaient pas été initialement soulevées devant le décideur au stade du grief. Un tribunal administratif a compétence pour se prononcer sur toutes les questions, y compris celles se rapportant à la Charte (R c Conway, 2010 CSC 22, au paragraphe 79), et de telles questions peuvent tout autant être tranchées sous le régime de la procédure de règlement des griefs de SCC (voir, à titre d’exemple, Bouchard c Canada (Procureur général), 2006 CF 775). M. Wood ne peut pas contourner le processus de règlement des griefs en soulevant une question fondée sur la Charte qu’il n’avait pas initialement présentée devant un décideur parfaitement apte à l’instruire au stade du grief. La DC 081‑1 prévoit que les plaintes ou les griefs sont habituellement classés comme prioritaires si la question soulevée a une incidence considérable sur les droits et libertés du délinquant. Compte tenu du dossier dont je dispose, M. Wood n’a pas soulevé l’existence d’une violation de la Charte dans ses griefs présentés au commissaire, et il ne peut donc les soulever devant la Cour.

[20]           M. Wood soutient aussi que la classification de sécurité est fondée sur des renseignements inexacts et périmés.

[21]           Les faits de la présente affaire peuvent être distingués de ceux dans la décision Nagy c Canada (Procureur général), 2013 CF 137, aux paragraphes 33-37 [Nagy], où SCC n’avait pas pris de mesures raisonnables pour s’assurer qu’elle se fondait sur des renseignements exacts et non fautifs pour évaluer le demandeur en premier lieu, sans égard au fait qu’il réfutait constamment les faits. Dans la décision Nagy, le demandeur s’était fondé sur l’article 24 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c  20 [la Loi] pour demander que son dossier de délinquant soit corrigé, chose que le demandeur n’a pas faite dans l’affaire dont je suis saisi. Plus pertinent encore, ce sont les articles 17 et 18 du Règlement, lesquels contiennent des directives quant à la manière de déterminer et d’évaluer les cotes de sécurité des détenus, qui sont davantage pertinents en l’espèce.

[22]           Dans son grief présenté au troisième palier de la procédure, M. Wood a prétendu qu’il aurait dû être classifié comme un délinquant à sécurité moyenne, surtout en raison des renseignements suivants :

                      Son agressivité était limitée à la période qu’il avait passée dans la région de l’Atlantique (Edmonton et Port Cartier), où d’autres détenus et des membres du personnel l’avaient pris pour cible en raison de sa notoriété.

                      Il n’a pas été mis en isolement de manière involontaire au cours de cette période.

                      Il n’était pas mêlé à la sous-culture carcérale.

                      Il a complété des cours de compétences psychosociales, de gestion de la colère et des émotions, de menuiserie professionnelle et de sécurité.

                      Il ne consomme pas de drogue ou d’alcool.

                      SCC refuse de lui fournir une évaluation psychologique mise à jour, malgré ses divers efforts en ce sens.

[23]           Malgré les incidents de violence qui, selon M. Wood, étaient justifiés dans la région de l’Atlantique, la décision no 208 relate que des incidents de violence s’étaient aussi produits dans la région du Québec. En ce qui a trait à l’évaluation psychologique, le rapport dresse une liste de trois occasions distinctes au cours desquelles M. Wood a reçu une évaluation psychologique, et expose les résultats de ces évaluations. De plus, le commissaire disposait d’une mise à jour de l’état d’isolement, datée du 29 août 2012, laquelle contenait la justification sous-jacente à l’isolement volontaire au sens de l’alinéa 31(3)c), ainsi que le motif pour lequel cet isolement constitue un facteur défavorable dans la situation du demandeur.

[24]           Dans l’ensemble, bien qu’il ait été conclu que la décision no 208 ne faisait pas l’objet de la présente demande, il s’agissait de la seule décision qui préoccupait le demandeur, comme il a été plaidé devant moi. Je conclus que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.             Conclusion

[25]           Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur sera rejetée. Cependant, compte tenu du contexte procédural bien précis de ce dossier, aucuns dépens ne seront accordés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-949-13

 

INTITULÉ :

DEREK ANTHONY WOOD c COMMISSAIRE DE SERVICE CORRECTIONNEL CANADA (SCC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 21 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Sylvie Bordelais

POUR LE DEMANDEUR

 

Derek Anthony Wood

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

David Aaron

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sylvie Bordelais, avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Derek Anthony Wood

Kingston (Ontario)

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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