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Date : 20150213


Dossier : T‑2001‑11

Référence : 2014 CF 1200

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2015

En présence de madame la juge Gagné

ACTION IN REM EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

CONTRE LE NAVIRE « SAMATAN »,

ET IN PERSONAM EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

NORWEGIAN BUNKERS AS et

ATLAS BUNKERING SERVICES B.V.B.A.

demanderesses

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « SAMATAN », BOONE STAR OWNERS INC. et KRISTIANIA MARINE LTD. BVI

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I.                   Aperçu

[1]               Dans la présente requête en procès et en jugement sommaires, on me demande de déterminer si le droit brésilien s’applique à l’action in personam intentée par Norwegian Bunkers AS [Norwegian], une société norvégienne, et Atlas Bunkering Services B.V.B.A. [Atlas], une société belge, contre Boone Star Owners Inc. [Boone Star], une société des Îles Marshall, et Kristiania Marine Ltd. BVI [Kristiania BVI], une société des îles Vierges britanniques, et l’action in rem intentée contre le MS Samatan, enregistré à Maltes, pour le paiement du combustible de soute, commandé par Kristiania Marine S.A. [Kristiania Norway], agent de Kristiania BVI et également une société norvégienne, et livré au Samatan au Brésil par Petróleo Brasileiro S.A. – Petrobras [Petrobras], une société brésilienne.

[2]               Si le droit brésilien s’applique, les demanderesses affirment qu’elles bénéficient d’un privilège maritime à l’égard du Samatan, saisi à Vancouver, au Canada, qui couvre la valeur du combustible de soute non payé (666 915,19 $ US). Si ce n’est pas le cas, le droit canadien s’applique et les défenderesses soutiennent que l’approvisionnement en combustible de soute d’un navire ne donne pas lieu à un privilège maritime à l’égard du navire, ce qui signifie que les demanderesses ne disposent pas d’un recours in rem. Quoi qu’il en soit, les défenderesses soutiennent que les conditions ne sont pas réunies pour que les demanderesses aient gain de cause dans l’action in personam.

[3]               La Cour a compétence pour faire droit à l’exercice d’un privilège maritime étranger valide, lorsque le droit du ressort en question est réputé s’appliquer en vertu des règles de conflit de lois canadiennes. Cependant, il n’est pas habituel en droit maritime canadien de créer un privilège en faveur d’un fournisseur d’approvisionnements nécessaires. Bien qu’une exception à cette règle ait été adoptée en 2009 aux termes du paragraphe 139(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 [Loi], elle a été interprétée jusqu’à présent comme ayant une portée plutôt limitée.

[4]               Pour les motifs ci‑dessous, j’accueille la requête des demanderesses en procès sommaire et jugement in rem contre le navire défendeur.

II.                Contexte

[5]               Les faits en l’espèce ne sont pas contestés, et les parties ont présenté un exposé conjoint des faits et un recueil conjoint de documentation.

III.             Les parties

[6]               Norwegian et Atlas sont des fournisseurs de combustible de soute de navire océanique qui exercent leurs activités à l’échelle mondiale. La créance de Norwegian découlant de la vente de combustible de soute au Samatan a été cédée à Atlas.

[7]               Bominflot est le nom d’un groupe d’entreprises constituées en société dans plusieurs pays. Le groupe est également un fournisseur de combustible de soute de navire océanique. Dans le cas présent, la société allemande Bominflot a pris part à l’achat et à la vente du combustible de soute.

[8]               Boone Star est le propriétaire enregistré du Samatan et l’employeur des capitaines, des officiers et de l’équipage.

[9]               Cargill International SA [Cargill], une société constituée sous le régime des lois suisses, a affrété à temps le Samatan de Boone Star vers le 1er juillet 2011, aux termes d’une charte‑partie conclue à l’aide du formulaire de la Bourse des denrées de New York [le formulaire New York Produce Exchange ou NYPE].

[10]           Kristiania BVI a sous‑affrété à temps le Samatan de Cargill vers le 19 juillet 2011, également aux termes d’une charte‑partie conclue à l’aide du formulaire NYPE.

[11]           Le formulaire NYPE est le formulaire le plus couramment utilisé pour conclure une charte‑partie avec un transporteur en vrac. Le formulaire stipule, entre autres, que l’affréteur accepte que lui‑même ou ses agents ne puissent grever un navire affrété d’un privilège maritime qui pourrait avoir priorité sur le titre et le droit des propriétaires du navire.

[12]           Kristiania Norway était l’agent de Kristiania BVI, et Seabulk Management [Seabulk], une société constituée en vertu des lois norvégiennes, en était l’agent commercial gestionnaire.

[13]           TMS Bulkers LTD [TMS], une société constituée en Grèce, était le gestionnaire du Samatan.

[14]           Agencia Maritima Cargonave LTDA [Cargonave], une société constituée selon le droit brésilien, était l’agent portuaire de Kristiania BVI.

[15]           Le fournisseur physique du combustible de soute en question est Petrobras, et bien que cela ne soit pas mentionné dans l’exposé conjoint des faits, il s’agit d’une entreprise brésilienne de Rio de Janeiro.

IV.             Commande du combustible de soute pour le Samatan

[16]           Norwegian avait fourni du combustible de soute à Kristiania BVI par l’entremise de Kristiania Norway à 24 reprises, mis à part le cas présent, entre novembre 2009 et août 2011, et ce, partout dans le monde.

[17]           Vers le 9 août 2011, Kristiania Norway, pour le compte de son mandant, Kristiania BVI, a commandé par téléphone du mazout lourd et du fuel marin pour le Samatan, qui devaient être livrés au Brésil.

[18]           Le même jour, Norwegian a envoyé à Kristiania Norway un formulaire usuel de confirmation de commande de combustible de soute, qui comme cela se faisait habituellement indiquait que le combustible de soute avait été commandé à l’intention [traduction« du capitaine, ou du propriétaire ou de l’exploitant et de Kristiania [Norway] » pour le Samatan, et qu’il serait livré à Paranagua, au Brésil.

[19]           La confirmation de la commande de combustible de soute précisait la quantité, les tarifs, la date approximative de livraison et les conditions de paiement, y compris les intérêts facturés en cas de paiement en souffrance. La confirmation indiquait également le nom du fournisseur physique du combustible, soit Petrobras, et précisait que les modalités qui y figuraient étaient assujetties aux modalités générales établies par le fournisseur physique. Les modalités générales établies par Petrobras (les modalités de Petrobas) n’ont jamais été fournies à Kristiania Norway ou à Kristiania BVI, et ces entreprises n’en ont jamais demandé copie.

[20]           Toutes les communications orales et écrites entre Norwegian et Kristiania Norway concernant les commandes de combustible de soute – celle en cause en l’espèce et les commandes précédentes – ont eu lieu en Norvège. Pour ce qui est des commandes précédentes, tous les paiements ont été faits en Norvège et, en l’espèce, on s’attendait à ce que le paiement soit aussi effectué en Norvège.

[21]           Norwegian savait que Kristiania BVI était un affréteur à temps de navires, mais elle ne savait pas en vertu de quelle charte‑partie.

[22]           Norwegian savait que Kristiania BVI n’était pas propriétaire du Samatan. Aucun représentant de Kristiania BVI n’a à quelque moment que ce soit fait savoir à Norwegian si Kristiania BVI était ou non autorisé à lier le Samatan, et Norwegian n’a rien demandé à cet égard.

[23]           Le 28 juillet 2011, TMS, l’agent de Boone Star, a donné instruction par courriel à Cargonave d’envoyer un avis important par courrier recommandé, courriel ou télécopieur à tous les fournisseurs de produits et de services destinés à des navires, retenus par les affréteurs à temps pour leur propre compte. Le courriel indiquait ce qui suit :

[traduction]

AVIS IMPORTANT DONNÉ AVANT LA FOURNITURE DE PRODUITS ET DE SERVICES

RÉF MS SAMATAN. SAMATAN. HAP: SãO FRANCISCO DO SUL. DATE : 5 AOÛT wp.

LE NAVIRE EST AFFRÉTÉ À L’AFFRÉTEUR PRINCIPAL « CARGILL » ET SOUS‑AFFRÉTÉ AU MS « AC CRISTIANIA », QUI VOUS A DEMANDÉ D’APPROVISIONNER LE NAVIRE EN PRODUITS OU EN SERVICES.

LES PROPRIÉTAIRES, LES CAPITAINES, LES OFFICIERS, L’ÉQUIPAGE ET LES AGENTS N’ONT AUCUNE RESPONSABILITÉ ENVERS VOUS À L’ÉGARD DE CES PRODUITS OU SERVICES, ET LA FOURNITURE DES PRODUITS OU SERVICES AU NAVIRE NE CRÉE AUCUN PRIVILÈGE OU AUTRE ENGAGEMENT. LE PRÉSENT AVIS EST FOURNI À VOUS, LE FOURNISSEUR, AVANT LA FOURNITURE DES PRODUITS OU SERVICES, ET VOUS, LE FOURNISSEUR, RECONNAISSEZ QUE L’AFFRÉTEUR DU NAVIRE À MOTEUR « CARGILL » ET LE SOUS‑AFFRÉTEUR « AC CRISTIANIA » SONT LES SEULS RESPONSABLES À VOTRE ÉGARD DU PAIEMENT DE VOTRE FACTURE POUR LESDITS PRODUITS OU SERVICES. À L’EXPIRATION DE LADITE CHARTE‑PARTIE, TOUS LES BIENS À BORD DU NAVIRE DEVIENDRONT LA PROPRIÉTÉ DU NAVIRE.

[24]           Aucun avis de l’existence d’une clause d’absence de privilège n’a été fourni pour le compte du Samatan ou de ses propriétaires à toute personne agissant pour le compte des fournisseurs de combustible de soute préalablement à la livraison du combustible au Samatan; cela n’a été fait qu’après la livraison.

[25]           Le 15 août 2011, Seabulk a envoyé un courriel au capitaine du Samatan, avec copies à Cargill, à Kristiania BVI et à TMS indiquant ce qui suit :

[traduction]

L’approvisionnement aura lieu à Paranagua une fois le chargement terminé.

Combustible de soute identifié ainsi :

950 tm ifo 380

40 tm mdo

Fournisseurs Petrobras

Agents Cargonave Paranagua [...]

[26]           Le 15 août 2011, le capitaine du Samatan a transféré le courriel du Seabulk à Cargill et à TMS, l’agent de Boone Star.

[27]           Le 24 août 2011, TMS a envoyé un courriel au capitaine du Samatan indiquant entre autres ce qui suit au capitaine et au chef mécanicien : [traduction« Rappel : Apposer l’estampille “Avis important” sur l’avis de livraison du combustible de soute comme à l’habitude. »

V.                Livraison du combustible de soute au Samatan

[28]           Le 30 août 2011, Cargonave a envoyé un courriel au capitaine du Samatan pour lui dire ce qui suit :

[traduction] LE NAVIRE EST CENSÉ SE DIRIGER DANS LES VOIES INTÉRIEURES POUR S’APPROVISIONNER EN COMBUSTIBLE DE SOUTE DEMAIN AUTOUR DE 17 H... COMBUSTIBLE DE SOUTE À RECEVOIR : 40 TM/MGO + 950 TM/IFO 380 CST.

[29]           Le jour suivant, le capitaine du Samatan a transféré le message de Cargovave à TMS.

[30]           Norwegian a fait l’acquisition du combustible d’Atlas, qui l’avait acheté à Bominflot, qui, elle, l’avait obtenu du fournisseur physique Petrobras. Petrobas a livré le combustible de soute au Samatan, à Paranagua, au Brésil, le 31 août 2011. Norwegian avait donc déjà acquis le combustible au moment de la livraison au Samatan.

[31]           Avant la livraison du combustible de soute, aucun agent des propriétaires ou affréteurs du Samatan n’a avisé Norwegian, Atlas ou Petrobras de la clause « sans privilège » figurant dans les ententes d’affrètement, qui ne n’étaient pas publics.

[32]           C’est seulement après que la livraison du combustible a eu lieu que l’on a tenté de donner un avis en ce sens. Le chef mécanicien du Samatan a accepté la livraison pour le compte du Samatan et de ses propriétaires, a accusé réception de la livraison de combustible et a ensuite apposé une estampille « Sans privilège » sur le reçu de livraison.

[33]           Vers le 31 août 2011, Norwegian a émis une facture au montant de 666 915,19 $ US pour le combustible de soute à l’intention [traduction« du capitaine, du propriétaire ou du navire et de Kristiania Marine Ltd. BVI a/s de Kristiania Marine AS ».

[34]           Le montant facturé n’a pas été payé. La facture se présentait ainsi :

[traduction]

Modalités de paiement :

Paiement à recevoir au plus tard [...] 27‑09‑11.

L’acheteur reconnait l’application de frais de retard de 2 % par mois, de 24 % par année ou selon le maximum permis par la loi à partir de la date d’échéance indiquée sur la facture et accepte de payer les frais de recouvrement et d’avocat liés au recouvrement du montant de la facture, le cas échéant.

[35]           Le 9 décembre 2011, l’action dont la Cour est saisie a été intentée au Canada et un mandat de saisie du Samatan a été délivré par la Cour en vue de faire exécuter le privilège maritime. Le représentant du Samatan a fourni un cautionnement dans le cadre de cette demande.

[36]           Le 12 décembre 2011, Cargill a fourni une lettre d’engagement par laquelle elle soumet le différend à la Cour et garantit la réclamation jusqu’à un montant convenu de 730 000 $ US. Les demanderesses ont accepté la lettre d’engagement.

VI.             Questions en litige

[37]           Les questions en litige dans la présente requête sont les suivantes :

A.                Le droit brésilien s’applique‑t‑il à la transaction de combustible de soute?

B.                 Les demanderesses ont‑elles en vertu du droit brésilien un privilège maritime valide et exécutoire à l’égard du Samatan?

C.                 Si le droit brésilien ne s’applique pas, le droit canadien crée‑t‑il en faveur des demanderesses un privilège maritime contre le Samatan?

D.                Dans l’exercice du privilège, les demanderesses ont‑elles droit à un procès sommaire et à un jugement in rem contre le Samatan, et un jugement in personam contre Boone Star?

VII.          Analyse

A.                Le droit brésilien s’applique‑t‑il à la transaction de combustible de soute?

[38]           La Cour est appelée à déterminer quelles règles de droit régissent la demande des demanderesses, conformément aux règles de droit international (Tropwood A.G. et autres c Sivaco Wire & Nail Co et autres, [1979] 2 RCS 157 au paragraphe 14). Si ces règles amènent la Cour à conclure que la transaction est régie par le droit d’un autre ressort, et que ce droit diffère de celui du Canada, alors la Cour appliquera le droit de cet autre ressort. Comme l’a dit le juge Harrington, « la Cour appliquera son droit interne à moins d’être convaincue qu’un autre droit est applicable et qu’il a été allégué et établi que ce droit est différent ». (Voir également World Fuel Services Corporation c Nordems (Navire), 2010 CF 332 [Nordems, CF] au paragraphe 40, confirmée par 2011 CAF 73 [Nordems, CAF]).

[39]           Si le droit étranger s’applique, comme l’a confirmé le juge Nadon dans l’arrêt Nordems, CAF, précité, au paragraphe 40, les tribunaux canadiens reconnaîtront et donneront effet au privilège maritime étranger par voie de l’action in rem engagée au Canada, et ce, même si le droit maritime canadien ne créerait aucun privilège.

[40]           Dans de tels cas, à moins que n’interviennent des principes d’intérêt public, les tribunaux canadiens peuvent s’en remettre au droit expressément stipulé applicable par les parties à une entente. Autrement, la Cour doit évaluer les facteurs qui relient l’affaire dont elle est saisie à un système de droit ou à un autre (Nordems, CF, au paragraphe 39).

[41]           Dans la présente affaire, le propriétaire du Samatan, Boone Stars, et le fournisseur du combustible de soute, Norwegian, ne sont liés par aucun contrat. Les parties conviennent donc que, dans ces circonstances, « il faut, non pas s’en remettre à la disposition sur le choix de la loi [à l’égard du contrat d’approvisionnement], mais plutôt chercher à savoir, à la lumière des faits et des événements mis en preuve, quel est le ressort ayant le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction » de fourniture du produit (Nordems, CAF, précité, au paragraphe 90). Bien entendu, en l’absence d’un contrat entre les parties au litige, le terme « transaction » doit s’entendre du contexte factuel de la fourniture d’approvisionnements nécessaires.

[42]           Dans l’arrêt Imperial Oil Ltd. c Petromar Inc, 2001 CAF 391 [Imperial Oil] aux paragraphes 16‑17, la Cour d’appel fédérale, se fondant sur la jurisprudence de la Cour suprême des États‑Unis, a établi sept facteurs à examiner pour déterminer « quel est le ressort avec lequel les transactions ont “le lien le plus étroit et le plus important” [...] » :

(1)        le lieu du délit;

(2)        le pavillon arboré par le navire;

(3)        l’allégeance ou le domicile du marin blessé;

(4)        l’allégeance du propriétaire du navire;

(5)        l’endroit où le contrat d’emploi a été signé;

(6)        la possibilité d’avoir recours à un tribunal étranger;

(7)        la loi du for.

[43]           Si les parties sont d’accord pour dire que ce critère s’applique, elles ne s’entendent pas sur le poids à accorder à chaque facteur. Selon moi, il faut adapter la liste pour tenir compte de la nature particulière d’une situation donnée. En effet, il se pourrait que certains facteurs soient sans intérêt dans certains cas, alors que d’autres, absents de cette liste, doivent être pris en compte.

[44]           Les demanderesses affirment que le fait que le ravitaillement a eu lieu au Brésil l’emporte sur tout autre fait ayant trait aux autres facteurs. Citant le juge Harrington, qui était appelé à examiner des faits similaires dans la décision Nordems, CF, elles soutiennent que « la préférence doit être donnée à l’endroit où les approvisionnements nécessaires ont été fournis » :

[66] À mon avis, [...] [les facteurs à prendre en compte] sont les suivants : le pavillon arboré par le navire (Chypre), le domicile des propriétaires de celui‑ci (Allemagne), l’endroit où l’offre d’achat du combustible de soute a été acceptée (Corée du Sud), l’endroit où le combustible de soute a été livré (Afrique du Sud) et l’endroit où le navire a été saisi (Canada). S’il est nécessaire de choisir parmi ces régimes de droit, celui qui s’appliquerait est celui de l’Afrique du Sud.

[67] [...] En l’absence d’un contrat, il faut évaluer les points de rattachement. Dans une situation de fait où il y a un lien avec plusieurs ressorts, la préférence doit être donnée à l’endroit où les approvisionnements nécessaires ont été fournis. À mon avis, dans les circonstances de l’espèce, ce fait à lui seul ou, au besoin, pris conjointement à l’endroit où le navire a été saisi, l’emporte sur les autres facteurs.

[45]           À cet égard, elles citent également Janet Walker, Canadian Conflict of Laws, 6éd., vol. 2 (Toronto, LexisNexis, 2013) [Walker] aux pages 31‑58 :

[traduction] [...] Cependant, le droit applicable au contrat d’approvisionnement ne sera pas décisif si les produits sont fournis à une partie, comme un affréteur, en vertu d’un contrat qui ne lie pas les propriétaires du navire. Dans ce second cas, le navire ne peut pas être lié par les modalités du contrat, de sorte que les éléments non contractuels, comme la nationalité de l’acheteur et du fournisseur ainsi que le lieu de la transaction, revêtent une importance supérieure. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[46]           Les demanderesses affirment qu’en l’espèce, un navire arborant un pavillon maltais appartenant à une société constituée aux Îles Marshall, géré par une société grecque et représenté par un agent portuaire brésilien, a été approvisionné en combustible de soute au Brésil par un fournisseur brésilien agissant pour le compte d’un vendeur de combustible de soute norvégien, qui, lui, avait passé un marché avec une société des îles Vierges britanniques pour l’approvisionnement du navire au Brésil. De plus, Boone Star exploitait son navire au Brésil, où le combustible de soute devait être fourni.

[47]           Bien que cette affaire intéresse six ressorts distincts, le Brésil est celui avec lequel la fourniture de combustible de soute a le lien le plus étroit et important. Les demanderesses font valoir qu’aucun autre ressort n’a plus d’un lien avec la transaction. Dans la mesure où le contrat entre Norwegian et Kristiania BVI peut être pertinent dans la détermination du droit applicable, ledit contrat fait intervenir le droit brésilien du fait de la référence aux modalités générales de Petrobras contenues dans la confirmation de commande de combustible de soute, qui, elles, rendent applicable le droit brésilien, conformément à la clause 18.2.

[48]           Quant aux défenderesses, elles invoquent l’arrêt Imperial Oil, et soutiennent que la Cour doit tenir compte de tous les facteurs énumérés et ne pas retenir l’endroit où le ravitaillement a eu lieu comme lien le plus important :

[36] L’appelante soutient que, même si tous les facteurs pertinents doivent être soupesés et évalués, l’endroit où les lubrifiants maritimes ont été fournis, soit Montréal et Sarnia, constitue le facteur de rattachement le plus important à prendre en compte en l’espèce. Cet argument revient à dire que la sélection de ce facteur permettrait au milieu des affaires de se fonder sur un critère simple, certain, direct et facile à appliquer. Aux États‑Unis, les tribunaux se sont montrés réticents à choisir un seul facteur de rattachement sans tenir compte des autres. Ainsi, dans l’arrêt M/V TENTO, précité, le juge Kennedy a souligné, à la page 1195, que la sélection du seul facteur de l’endroit où les approvisionnements sont fournis à l’exclusion des autres facteurs serait [traduction] « peu judicieuse dans le contexte maritime ». Au Canada, le professeur Tetley a souligné lui aussi dans son ouvrage Maritime Liens and Claims (Londres : Business Law Communications; Montréal : International Shipping Pub., 1985), à la page 527, qu’en l’absence de directives d’origine législative ou contractuelle,

[traduction] ... les faits et circonstances du problème ... constituent les « facteurs de rattachement » et les « éléments de base » du conflit de lois ... Ce sont ces facteurs que le tribunal utilise pour relier un ensemble de circonstances à une loi donnée. Habituellement, plusieurs facteurs de rattachement doivent être examinés. Il peut s’agir du lieu du contrat, du lieu du délit, du lieu de l’exécution du contrat, du pavillon arboré par le navire, de la nationalité de l’équipage, du domicile des propriétaires du navire ou du domicile des affréteurs. Il importe d’établir et d’évaluer tous les facteurs de rattachement afin de déterminer la loi qui s’applique parmi les lois des différents États concernés.

Je reconnais qu’il serait peu judicieux de retenir un seul facteur et qu’il importe d’examiner et d’évaluer tous les facteurs de rattachement afin d’accommoder les intérêts légitimes des États. À mon avis, dans la présente affaire, il y a lieu d’accorder une plus grande importance aux endroits où les produits ont été livrés au Canada, compte tenu des différents autres facteurs rattachant les transactions au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[49]           Les défenderesses soutiennent que le juge Harrington, dans la décision Nordems, FC, a accordé trop d’importance à l’endroit où l’approvisionnement a eu lieu, et que ce commentaire n’est pas déterminant en l’espèce du fait qu’il constitue une remarque incidente. Dans cette affaire, la question était de savoir si le droit américain s’appliquait à la transaction, et il n’était par ailleurs pas nécessaire que le juge Harrington détermine si le droit d’un autre État s’appliquait. En appel, le juge Nadon a affirmé au paragraphe 97 de Nordems, CAF, qu’« il était parfaitement loisible au juge » Harrington de faire le choix qu’il avait fait, mais il a néanmoins insisté au paragraphe 80 sur l’idée qu’aucun facteur ne devrait à lui seul joué un rôle déterminant aux fins de choisir le droit applicable.

[50]           Pour ce qui est de soupeser les facteurs énoncés dans la décision Imperial Oil en fonction des faits de l’espèce, les défenderesses font valoir que les facteurs non brésiliens liés à la transaction supplantent grandement les facteurs brésiliens. Il y a au moins trois points de rattachement avec la Norvège : le contrat d’approvisionnement de combustible de soute a été conclu en Norvège, et les parties à ce contrat sont un vendeur norvégien et l’agent norvégien du sous‑affréteur à temps. De plus, entre‑temps, le paiement a été versé à une banque norvégienne. Kristiania BVI a également eu recours à un agent de gestion norvégien, Seabulk. Les parties au contrat ont par le passé fait affaire en Norvège où elles ont par le passé négocié 24 contrats.

[51]           Les défenderesses affirment que les parties entretenaient une relation continue qui se déroulait exclusivement en Norvège, au contraire des parties dans les affaires Imperial Oil et Nordems. Il n’est pas raisonnable de conclure que les parties s’attendaient à ce que leur relation soit régie par le droit du ressort, quel qu’il soit, où le combustible de soute a été fourni. Il est beaucoup plus raisonnable de croire que les parties s’attendaient à ce que leur relation soit régie par le droit du pays où elles ont négocié la transaction.

[52]           Les défenderesses soutiennent également qu’aucun poids ne devrait être accordé à la clause sur le choix du droit applicable figurant dans les modalités générales de Petrobras pour ce qui est de la détermination du droit régissant la transaction, car aucun contrat ne lie Boone Star et Norwegian. À cet égard, elles invoquent l’arrêt Nordems, CAF :

[85] [...] comme c’était le cas dans l’arrêt Imperial Oil et comme c’est également le cas dans la présente affaire, aucun contrat n’a été conclu entre les propriétaires du navire et le fournisseur d’approvisionnements nécessaires et que les propriétaires en question n’ont pas, par leur attitude et leur conduite, incité le fournisseur à croire qu’ils avaient autorisé l’acheteur à agir en leur nom, je suis enclin à penser qu’il n’y a pas lieu d’accorder la moindre importance à la clause sur le choix du droit applicable.

[53]           Avec égards, j’arrive à une conclusion très différente de celle des défenderesses. En ce qui concerne le contrat d’approvisionnement, les facteurs de rattachement à la Norvège invoqués par les défenderesses n’ont pas plus d’importance en l’espèce que ceux jugés insuffisants par le juge Harrington dans la décision Nordems, CF, dans son analyse de la meilleure thèse présentée par la demanderesse en vue d’établir un lien entre le contrat et les États‑Unis.

[54]           Dans ces deux affaires, le pays présenté comme ressort « rattaché » est le pays qui constitue le principal lieu d’affaires des demanderesses, le lieu où les contrats ont été conclus, et le lieu du paiement de la fourniture des approvisionnements nécessaires, qui se trouve à être le pays d’origine de leurs banques respectives. Dans aucune de ces affaires, les propriétaires n’ont‑ils exploité leur navire dans les eaux de leur propre pays au cours de la période pertinente, ni leur navire n’a‑t‑il été saisi dans leurs territoires respectifs (voir Nordems, CF, précitée, au paragraphe 53).

[55]           Je reconnais que les demanderesses et l’affréteur à temps ont des antécédents commerciaux en Norvège liés à des contrats d’approvisionnement exécutés partout dans le monde. Je relève également que Norwegian faisait régulièrement affaire avec divers fournisseurs physiques pour mener à bien ces contrats et qu’elle [traduction] « ne portait pas une grande attention », si elle ne s’en est jamais préoccupée, aux clauses sur le choix du droit applicable figurant dans les documents propres à ces pays.

[56]           Cependant, la thèse des défenderesses est contradictoire. D’un côté, elles énumèrent les facteurs de rattachement qui feraient du droit norvégien le droit applicable au contrat entre elles‑mêmes et Kristiania BVI (p. ex. la Norvège est le pays de résidence des parties, le lieu où le contrat a été conclu, et l’endroit où le paiement devait avoir lieu, etc.); de l’autre, elles soutiennent que le lien contractuel empêche l’application en l’espèce de la clause sur le choix du droit applicable, à savoir le droit brésilien, figurant dans les modalités de Petrobras.

[57]           De fait, comme tous les facteurs présentés par les défenderesses sont liés au contrat entre les demanderesses et Kristiania BVI, ils seraient plus utiles pour déterminer le droit qui régirait ledit contrat, en l’absence d’une clause sur le choix du droit applicable. Bien que je n’aie pas à trancher la question, il est possible de soutenir que les demanderesses et Kristiania BVI ont choisi le droit brésilien lorsqu’elles ont accepté les modalités du fournisseur physique, Petrobras.

[58]           En d’autres termes, les défenderesses ont énuméré les facteurs qui établiraient un lien entre leur contrat avec Kristiania BVI et un système juridique en particulier et non les « facteurs que le tribunal [devrait utiliser] pour relier un ensemble de circonstances à une loi donnée » (Imperial Oil, précité, au paragraphe 36, citant Tetley, Maritime Liens and Claims, p. 527). Dans le cadre d’une action de nature non contractuelle, l’affaire devrait être examinée en fonction des parties à l’action, plutôt que des parties signataires du contrat. Ainsi, l’issue de la présente affaire repose sur l’application du droit, soit‑il brésilien ou canadien, et non sur l’interprétation d’un contrat et sur les effets qui en découlent. Le droit régissant le contrat entre Norwegian et Kristiania BVI est pertinent jusqu’à un certain point, mais ce n’est qu’un des nombreux facteurs à considérer.

[59]           J’ajouterai qu’en pratique, le contrat d’approvisionnement a été négocié dans le but précis d’être exécuté entre l’Extrême‑Orient et l’Amérique du Sud, et ce, pour un navire empruntant les eaux brésiliennes à la période visée. De plus, le contrat a été exécuté par Petrobras, le fournisseur physique brésilien, pour le compte de Norwegian, qui faisait directement affaire avec l’agent portuaire brésilien, et Cargonave, pour le compte du sous‑affréteur, Kristiania BVI.

[60]           Bien qu’aucune des parties n’ait soulevé la question, je tiens également compte, selon ce qui précède, du fait que la principale activité économique sous‑jacente à la transaction a été partiellement réalisée au Brésil. À cet égard, il convient de citer un extrait des motifs du juge Stone dans l’arrêt Imperial Oil portant sur ce facteur de rattachement additionnel à considérer :

[38] [...] Parmi ces facteurs, celui auquel une importance considérable doit être accordée à mon sens est le fait que l’entreprise de Socanav, l’affréteur à coque nue, était basée au Canada lorsque les lubrifiants maritimes ont été fournis et que c’est le Canada, où les navires étaient basés et exploités, qui était le plus avantagé au plan économique par la fourniture des lubrifiants. Aux États‑Unis, dans l’arrêt Hellenic Lines, précité, la Cour suprême a jugé, à la page 309, que la base des activités du propriétaire du navire constituait [traduction] « un autre facteur important » à évaluer. Depuis ce temps, les tribunaux de ce pays ont constamment évalué ce facteur dans les cas pertinents. Ainsi, dans l’arrêt M/V TENTO, précité, qui concernait une revendication de privilège maritime par une société américaine qui avait fourni du mazout en Italie conformément à un accord conclu avec l’affréteur d’un navire norvégien, le juge Kennedy a souligné ce qui suit à la page 1193 :

 

[traduction] Dans une décision subséquente, la Cour suprême a déclaré que les facteurs énoncés dans Lauritzen n’étaient pas exhaustifs. Hellenic Lines, Ltd. v. Rhoditis, 398 U.S. 306, 309, 90 S.Ct. 1731, 1734, 26 L. Ed. 2d 252 (1970). La « base des activités » du navire, c’est‑à‑dire le centre de gestion du propriétaire du navire et l’endroit le plus avantagé au plan économique par l’exploitation de celui‑ci sont également pertinents. Id. p. 309, 90 S. Ct., p. 1734.

 

Cette opinion a été adoptée plus tard dans une affaire concernant la fourniture de mazout en Afrique du Sud par un fournisseur basé à Londres à un navire dont les propriétaires étaient également basés à Londres : Forsythe Intern. U.K. Ltd. c. M/V RUTH VENTURE, 633 F. Supp. 74 (D. Or. 1985), à la page 77.

 

[39] Le juge de première instance n’a pas examiné ni soupesé la base des activités. Toutefois, au cours des plaidoiries présentées en appel, les avocats ont formulé des commentaires à ce sujet à la demande de la Cour. Lorsque ce facteur est évalué de concert avec d’autres facteurs rattachant les transactions au Canada, ceux qui reliaient les transactions aux États‑Unis, c’est‑à‑dire les contrats d’approvisionnement, semblent moins importants. Les livraisons de lubrifiants maritimes ont été faites au Canada, où les navires étaient immatriculés, où se trouvaient la base des activités et le centre de gestion du propriétaire des navires et de l’affréteur à coque nue et où les navires voyageaient. Même si les parties conviennent que Socanav poursuivait ses activités principalement sur les Grands Lacs, sur la Voie maritime du Saint‑Laurent et sur la côte est canadienne, il appert clairement de l’accord du 26 janvier 1993 qu’elle a acquis, en vertu de l’article 6.1 de ce même accord, le droit de satisfaire à tous les besoins en produits de pétrole liquide de l’appelante pour les activités de transport de celle‑ci dans l’est du Canada. L’objet sous‑jacent de cet accord consistait apparemment à assurer une utilisation constante des navires à cette fin tant que les deux chartes‑parties demeureraient en vigueur. Aucun élément du dossier ne donne à entendre qu’au cours du transport des produits de pétrole dans l’est du Canada, les navires voyageaient aux États‑Unis. Tous ces éléments semblent indiquer que le Canada était l’endroit le plus avantagé au plan économique par l’exploitation des navires. Il n’est probablement pas nécessaire d’ajouter que ce n’est pas par suite d’un accident, d’un événement fortuit ou d’une autre circonstance imprévue que les navires ont été approvisionnés au Canada; cela s’explique probablement davantage par le fait que la base des activités de l’affréteur se trouvait ici.

[Non souligné dans l’original.]

[61]           Dans l’ensemble, je ne dis pas que le lieu où les approvisionnements nécessaires ont été fournis doit inévitablement primer tous les autres facteurs. Les sept facteurs de l’arrêt Imperial Oil doivent être considérés. Les défenderesses ont tort de prétendre que le juge Harrington a fait erreur dans son application du critère. Une lecture attentive de la décision Nordems, CF, permet de penser qu’il a méticuleusement évalué les différents facteurs pour ultimement conclure que l’Afrique du Sud était le seul ressort compétent. Pour le juge Harrington, le facteur décisif était le lieu où les approvisionnements nécessaires avaient été fournis. La Cour d’appel fédéral a confirmé son raisonnement dans l’arrêt Imperial Oil.

[62]           Bien que les faits en l’espèce diffèrent grandement de ceux de l’affaire Imperial Oil, j’abonde dans le même sens que le juge Stone, au paragraphe 36, et « à mon avis, dans la présente affaire, il y a lieu d’accorder une plus grande importance aux endroits où les produits ont été livrés au [Brésil] ». Dans l’affaire Imperial Oil, la Cour d’appel fédérale avait l’avantage de pouvoir se fonder sur le fait que plusieurs autres facteurs liaient la transaction au Canada, notamment le fait que les navires en question y étaient enregistrés, appartenaient à une entreprise canadienne, et étaient affrétés coque nue à une autre entreprise canadienne, et qu’ils faisaient affaire dans les Grands Lacs, c’est‑à‑dire tant au Canada qu’aux États‑Unis. Par contre, la cour a également dû tenir compte du fait que les gestionnaires des affréteurs à coque nue étaient américains et qu’ils avaient conclu un marché, dont les modalités étaient assujetties au droit américain, avec un fournisseur de combustible de soute américain.

[63]           Dans la présente affaire, la transaction fait intervenir six ressorts. La question sur laquelle je dois me prononcer consiste à déterminer lequel de ces ressorts a « le lien le plus étroit et le plus important » avec les circonstances de l’espèce, dans la perspective des parties à la demande, qui sont des parties non contractantes. Pour les motifs mentionnés ci‑dessus, les facteurs brésiliens l’emportent sur les autres.

B.                 Les demanderesses ont‑elles en vertu du droit brésilien un privilège maritime valide et exécutoire à l’égard du Samatan?

[64]           Les demanderesses ont produit l’affidavit de M. Marcus Alexandre Matteucci Gomes, un avocat autorisé à exercer le droit au Brésil et un ancien professeur de droit ayant de l’expérience en matière de droit maritime brésilien et de saisie de navire au Brésil. Il soutient que les demanderesses ont en vertu du droit brésilien un privilège maritime en ce qui concerne l’approvisionnement de combustible de soute.

[65]           M. Gomes explique qu’en vertu des articles 470 et 471 du Code commercial du Brésil et de l’article 2 de l’International Convention for the Unification of Certain Rules of Law Relating to Maritime Liens and Mortgages [Convention de Bruxelles de 1926], à laquelle le Brésil a adhéré en 1931, le crédit accordé pour la fourniture d’approvisionnements nécessaires à un navire fait l’objet d’un « privilège ». Essentiellement, les dépenses de fuel marin donnent lieu à un privilège maritime contre un navire parce que ces dépenses sont engagées pour la préservation du navire et sont essentielles à la continuation du voyage du navire.

[66]           Selon M. Gomes, en l’espèce, le droit brésilien accorderait un privilège maritime à Norwegian contre le Samatan parce que le combustible de soute a été physiquement fourni au Samatan par Petrobras, et ce, à la suite de la commande passée par Kristiania (sous‑affréteur à temps) ou Boone Star (propriétaire). Il n’explique pas en vertu de quels principes du droit brésilien le fournisseur d’approvisionnements nécessaires est présumé avoir conclu un contrat ayant pour effet d’engager le crédit du navire.

[67]           Un crédit « privilégié » est considéré comme l’équivalent d’une « hypothèque tacite » sur le navire. Il a donc un effet in rem, en ce qu’il constitue un privilège maritime qui grève le navire, de propriété nationale ou étrangère, même s’il est vendu ou transféré d’une quelconque manière à un nouveau propriétaire. Ceci est confirmé par l’article 8 de la Convention de Bruxelles de 1926 et l’article 470 du Code commercial du Brésil.

[68]           Conformément au droit brésilien, le crédit faisant l’objet d’un privilège confère aux demanderesses le droit de demander la saisie d’un navire à titre de réparation provisoire en vue de recouvrer une dette (article 479 du Code commercial du Brésil et article 813 du Code de procédure civile du Brésil). Le navire serait ensuite autorisé à fournir une garantie en vue de l’obtention d’une mainlevée, en attendant qu’un jugement soit rendu dans une action en justice.

[69]           M. Gomes ajoute qu’en l’espèce, l’estampille « Sans privilège » sur le reçu de livraison du combustible de soute est sans effet parce qu’elle a été apposée par le chef mécanicien du Samatan après que le combustible de soute a été chargé. Les demanderesses font valoir que cela ne fait tout au plus qu’établir que Boone Star savait qu’en droit maritime brésilien la fourniture de combustible de soute à un navire donne naissance à un privilège maritime puisqu’elle a utilisé l’estampille.

[70]           Cependant, l’analyse qui précède est fondée sur l’hypothèse selon laquelle le contrat d’approvisionnement entre les parties est assujetti aux modalités générales de Petrobras, lesquelles sont régies par le droit brésilien (page 2 de l’affidavit de M. Gomes). De plus, pour justifier la création du privilège maritime, M. Gomes présume que le chef mécanicien du Samatan a accepté la livraison et a accusé réception du fuel marin pour le compte du navire, et il émet cette thèse malgré le fait que le sous‑affréteur (et non le propriétaire du navire) avait la responsabilité de se procurer son propre combustible, et qu’il avait passé la commande, de sorte qu’il est celui qui a profité de la livraison.

[71]           Dans leurs observations écrites, les défenderesses n’ont pas sérieusement contesté le fait que si je devais juger que le droit brésilien s’appliquait, il allait de soi qu’il crée un privilège maritime contre le Samatan lié à la fourniture de combustible de soute. À l’audience toutefois, l’avocat des défenderesses a porté à mon attention les alinéas 8ii) et v), et le paragraphe 23 de l’affidavit de M. Gomes, qui se lisent ainsi :

[traduction]

8. J’ai été informé des faits suivants par J. Stephen Simms, faits que je présume véridiques et sur lesquels mon analyse et mes conclusions sont fondées :

Faits présumés

[...]

ii) Kristiania Marine Ltd. BVI (« Kristiania ») a été pendant toute la période pertinente un sous‑affréteur, un exploitant ou un affréteur du même navire (Boone Star et Kristiania sont ci‑après collectivement appelées les « propriétaires »);

[...]

v) Le contrat de vente entre Norwegian et les propriétaires est assujetti aux modalités générales de Petrobras, lesquelles sont régies par le droit brésilien;

[...]

23. Présumant que ces faits sont véridiques et corrects, et me fondant sur mes observations et mes affirmations ci‑dessus concernant les lois brésiliennes pertinentes portant sur les privilèges maritimes et la saisie des navires, je suis d’avis que :

i. Le droit brésilien accorde un privilège maritime en faveur de Norwegian contre le MS Samatan parce que des dépenses en fuel marin ont été engagées par suite de la fourniture de combustible de soute au MS Samatan par Petrobras à Paranagua à la suite de la commande de l’une ou l’autre de Kristiana ou de Boone Star. Conformément au droit brésilien, les dépenses en fuel marin donnent naissance à un privilège maritime contre un navire parce qu’il s’agit de dépenses engagées pour la préservation du navire et essentielles à la continuation du voyage du navire;

ii. Le droit d’action de Norwegian contre le MS Samatan est de nature réelle et il se rattache au navire peu importe sa propriété ou son emplacement, conformément à l’article 8 de la Convention de Bruxelles de 1926 et à l’article 470 du Code commercial du Brésil;

iii. En vertu du droit brésilien, le privilège maritime en faveur du Norwegian justifie la saisie du MS Samatan. L’article 479 du Code commercial du Brésil autorise la saisie d’un navire lorsqu’il y a une créance faisant l’objet d’un « privilège » en vertu du droit brésilien conformément aux articles 470 et 471 du Code commercial du Brésil et à l’article 2 de la Convention de Bruxelles de 1926.

[72]           À mon avis, ce n’était certainement pas la meilleure idée qui soit de désigner Boone Star et Kristiania en tant que « propriétaires ». L’avocat des défenderesses fait valoir que la situation n’est pas nécessairement la même selon que les approvisionnements nécessaires ont été commandés par le propriétaire du navire ou par un affréteur. Cependant, je suis d’avis que le paragraphe 23 dissipe tout doute à cet égard. M. Gomes y confirme que la fourniture de combustible de soute a créé un privilège maritime contre le Samatan, peu importe que la commande ait été passée par le propriétaire ou le sous‑affréteur.

[73]           Enfin, les défenderesses n’ont pas remis en question la présentation du droit brésilien qu’a faite M. Gomes, ni n’ont‑elles contre‑interrogé ce dernier à cet égard. Selon moi dans ce contexte, les demanderesses se sont donc acquittées de leur fardeau de faire valoir et de prouver que le droit brésilien, dans le contexte de la présente affaire, crée un privilège maritime en faveur de Norwegian contre le Samatan.

C.                 Si le droit brésilien ne s’applique pas, le droit canadien crée‑t‑il en faveur des demanderesses un privilège maritime contre le Samatan?

[74]           Si je n’étais pas d’avis que les lois du Brésil s’appliquent à la fourniture du combustible de soute au Samatan, ma conclusion serait très différente. Du fait qu’aucune des parties n’a fait valoir ou prouvé que le droit norvégien s’applique, j’aurais été forcé d’appliquer le droit canadien (Nordems, CF, au paragraphe 40).

[75]           Comme je l’ai précisé plus tôt, de façon générale, le droit maritime canadien ne crée pas de privilège en faveur d’un fournisseur d’approvisionnements nécessaires. On trouve toutefois une exception à cette règle générale à l’article 139 de la Loi, adopté en 2009. Le paragraphe 139(2) dispose que :

 

139. (2) La personne qui exploite une entreprise au Canada a un privilège maritime à l’égard du bâtiment étranger sur lequel elle a l’une ou l’autre des créances suivantes :

139. (2) A person, carrying on business in Canada, has a maritime lien against a foreign vessel for claims that arise

a) celle résultant de la fourniture — au Canada ou à l’étranger — au bâtiment étranger de marchandises, de matériel ou de services pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

(a) in respect of goods, materials or services wherever supplied to the foreign vessel for its operation or maintenance, including, without restricting the generality of the foregoing, stevedoring and lighterage; [...]

[...]

. . .

[76]           Les demanderesses soutiennent que suivant l’interprétation qu’il convient de donner à l’alinéa 139(2)a) « Norvège » peut dans cette disposition être substitué à « Canada », et qu’elles devraient donc se voir accorder un privilège maritime à l’égard du Samatan, un bâtiment étranger. Elles admettent qu’aucun tribunal n’a accordé un privilège dans ces circonstances, mais elles gardent espoir que le droit canadien évolue en ce sens.

[77]           Les défenderesses soutiennent que cette interprétation ne concorde pas avec l’historique et l’objet de l’article 139 de la Loi. Il a été adopté pour mettre les transporteurs maritimes canadiens sur un pied d’égalité avec leurs homologues américains. Les débats des parlementaires précédant l’adoption de l’article en témoignent :

[. . .] Ces entreprises canadiennes approvisionnent en carburant, en nourriture et en équipement les navires qui font escale dans les ports canadiens. Actuellement, ces entreprises n’ont pas les mêmes droits que les entreprises américaines qui approvisionnent les mêmes navires dans les ports des États‑Unis. Même nos propres tribunaux canadiens ne peuvent les protéger, parce que les approvisionneurs de navires américains profitent d’un privilège accordé par la loi américaine qui peut être appliqué dans les tribunaux canadiens.

Ces entreprises canadiennes réclament depuis un certain temps la même protection au gouvernement. Le gouvernement conservateur leur accordera cette protection. (Débats de la Chambre des communes, 40e Législature, 2e session, numéro 018 (25 février 2009), à la page 1605 (Brian Jean (secrétaire parlementaire du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, PCC)).

[78]           Dans la décision Comfact Corporation c Navire « Hull 717 », 2012 CF 1161, le juge Harrington confirme que l’ajout de cet article a pour objectif de rectifier une situation injuste envers les transporteurs canadiens :

[31] [...] [L]a situation maintes fois dénoncée tenait à ce que les fournisseurs canadiens étaient désavantagés par rapport à leurs homologues américains ayant saisi un navire au Canada, le principe de la « présomption de cohérence » des lois trouve application [...]

[79]      Ainsi, les défenderesses soutiennent que cette disposition n’a pas pour objectif d’accorder un privilège à un fournisseur d’une autre nationalité lorsqu’un navire étranger est en cause. Si cela avait été l’intention du législateur, il n’aurait pas été question d’une personne qui « exploite une entreprise au Canada ». En substituant « Norvège » à « Canada », les demanderesses ne cherchent pas à faire appliquer la loi canadienne à la présente affaire, mais plutôt à modifier la loi telle qu’elle est écrite.

[80]      La question de savoir si l’achat de combustible de soute par un affréteur plutôt que par un propriétaire donne naissance à un privilège maritime canadien reste encore à déterminer (Nordems, FC, aux paragraphes 27‑28; Société Cameco c MCP Altona (Navire), 2013 CF 23 aux paragraphes 49‑54).

[81]      Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que l’article 139 n’a pas pour objet d’accorder un privilège maritime à un fournisseur d’approvisionnements étranger, dans un contexte où ce fournisseur n’a pas réussi à prouver que le droit étranger s’applique et où le droit canadien s’applique par défaut. Cela irait à l’encontre de l’objet même de l’article 139 de la Loi.

D.                Dans l’exercice du privilège, les demanderesses ont‑elles droit à un procès sommaire et à un jugement in rem contre le Samatan, et un jugement in personam contre Boone Star?

[82]      Les demanderesses soutiennent qu’elles ont droit à un jugement in rem contre le Samatan visant l’exécution d’un privilège maritime brésilien valide à l’égard du navire, plutôt que l’application d’un droit réel d’origine législative contre le navire. Le privilège maritime brésilien a pris naissance de plein droit, alors que le droit réel d’origine législative nécessite que la responsabilité in personam du propriétaire de navire soit engagée. En règle générale, selon le droit canadien, les fournisseurs d’approvisionnements ne bénéficient pas d’un privilège maritime, et ils ne peuvent poursuivre le propriétaire du navire qu’aux termes des articles 22 et 43 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, sur le fondement de l’existence d’un droit réel d’origine législative contre le navire, à condition que le propriétaire du navire soit personnellement responsable. Cette distinction est importante, car, au contraire du détenteur d’un droit réel, le détenteur d’un privilège maritime se place au premier rang des créanciers et son droit réel subsiste malgré la vente du navire. Sur ce point, je cite le juge Harrington dans la décision Nordems, CF, aux paragraphes 11 et 12 :

[11] Un certain nombre de différences importantes existent entre un privilège maritime et un droit réel d’origine législative. Une seule est pertinente en l’espèce, à savoir qu’un privilège maritime peut exister même si les propriétaires du navire ne sont pas personnellement responsables. Un privilège maritime naît au moment de la transaction, que ce soit par exemple un abordage, tandis qu’un droit réel d’origine législative ne prend effet que lorsque des poursuites sont engagées ou peut‑être seulement lors de la signification de l’action réelle au navire (cette question a été examinée de manière approfondie eu égard aux lois anglaises par le juge Brandon dans le « Monica S », [1968] P. 741, [1967] 3 All ER 740, [1967] 2 Loyd’s Rep 113)). Le privilège maritime suit le navire remis aux tiers acquéreurs contre valeur. Cependant, une action réelle éventuelle est invalidée par un changement de propriété légitime, même si les propriétaires initiaux, s’ils sont évidemment personnellement responsables en premier lieu, demeurent responsables.

[12] Dans le cas de la vente d’un prévôt où toutes les imperfections du navire, y compris les privilèges maritimes, sont transférées dans le fonds ainsi créé (Osborn Refrigeration Sales and Services Inc. c L’Atlantean I (1982), 7 DLR (4th) 395, 52 NR 10 (C.A.F.)) et si le fonds ainsi constitué n’est pas suffisant pour rembourser tous les créanciers, les détenteurs d’un privilège maritime bénéficient d’un ordre de priorité élevé. Ils ont priorité sur les créanciers hypothécaires qui, pour leur part, ont priorité sur les créanciers ordinaires. Le détenteur d’un privilège maritime est, en règle générale, un créancier garanti dans une procédure de faillite alors que le détenteur d’un droit réel d’origine législative, à tout le moins un droit réel qui ne s’est pas réalisé avant la faillite, ne l’est pas.

[Non souligné dans l’original.]

[83]      Les défenderesses font valoir que les demanderesses n’ont pas le droit d’intenter une action in rem, car les propriétaires du navire ne sont pas personnellement responsables. Avec égards, je conclus que leur responsabilité est engagée en raison de l’existence d’un privilège maritime brésilien valide (Nordems, CF, au paragraphe 14).

[84]      Cependant, j’adhère à la thèse des défenderesses selon laquelle les demanderesses auraient dû prouver ce qui suit pour que pour Boone Star soit tenue personnellement responsable, à savoir que cette dernière : (1) était partie au contrat d’approvisionnement ou (2) qu’elle avait autorisé quelqu’un à passer un marché en son nom – « le propriétaire doit avoir engagé sa responsabilité par un comportement ou une attitude quelconque » (Mount Royal/Walsh Inc c Jensen Star (Le), [1989] ACF no 450 au paragraphe 28).

[85]      Dans l’affaire qui nous occupe, les demanderesses font valoir que le propriétaire a implicitement autorisé les personnes en possession et ayant le contrôle du Samatan (le capitaine et le chef mécanicien) à conclure un contrat, ayant pour effet d’engager le crédit du navire, et à ratifier le contrat d’approvisionnement en combustible de soute pour son compte, et ce, en raison des comportements suivants adoptés par le propriétaire : (1) il n’a pas, à quelque moment au cours de la période de plus de deux semaines pendant laquelle il savait que le fournisseur allait approvisionner son navire en combustible de soute, avisé le fournisseur d’approvisionnements nécessaires que des clauses d’absence de privilège étaient en vigueur; (2) il a autorisé son capitaine et son chef mécanicien à charger le combustible de soute à bord du navire sans qu’avis ne soit donné de l’absence de privilège; et (3) il a demandé au capitaine et au chef mécanicien d’autoriser le chargement du combustible de soute pour le compte du navire et d’informer le fournisseur de l’existence de ces clauses une fois la livraison terminée. Selon les demanderesses, Boone Star, en autorisant le capitaine et le chef mécanicien du Samatan à autoriser le chargement du combustible de soute à bord du navire sans avoir préalablement inclus des clauses portant sur l’absence de privilège dans la charte‑partie, a ratifié le contrat et a par la suite profité du combustible de soute.

[86]      Les demanderesses soutiennent également qu’il est juste de tenir Boone Star responsable personnellement parce qu’elle avait le droit d’utiliser le combustible de soute et détenait même un droit de propriété dans le combustible. La dernière phrase de l’avis portant sur l’absence de privilège rédigé par Boone Star se lit ainsi : [traduction« À l’expiration de ladite charte‑partie, tous les biens à bord du navire deviendront la propriété du navire. »

[87]      J’abonde dans le même sens que les défenderesses et je suis d’avis que le simple fait pour le propriétaire de permettre à un navire d’accepter une livraison de combustible de soute ne constitue pas un type de comportement qui engage la responsabilité du propriétaire en vertu des lois canadiennes. Bien qu’il y ait une présomption que le crédit du navire est engagé par suite de la fourniture du combustible de soute, cette présomption est plus facile à réfuter que dans le contexte américain. Le juge Nadon énonce ainsi la règle de droit applicable à cet égard dans Nordems, CAF :

[57] Le professeur Tetley explique ensuite, toujours à la page 570, que pour savoir si, par leurs actes ou omissions, les propriétaires du navire ont incité le fournisseur d’approvisionnements nécessaires à croire qu’ils avaient autorisé la personne ayant acheté le combustible de soute à faire cette commande, le tribunal devra [traduction] « [...] examiner les faits et concilier la « présentation » faite par le propriétaire ou l’affréteur coque nue au regard de l’obligation de vérification qui incomberait au fournisseur ». Au soutien de l’existence de cette obligation qui incomberait au fournisseur, le professeur Tetley cite Cann c. Roberts, (1874) 30 L.T.R. 424, décision anglaise où il a été conclu que les fournisseurs ne pouvaient se fonder sur le pouvoir du capitaine de lier les propriétaires du navire lorsqu’ils auraient été en mesure, en faisant une recherche raisonnable, de savoir que le capitaine n’avait pas ce pouvoir. J’aimerais souligner ici qu’avant 1971, le droit américain imposait au fournisseur d’approvisionnements nécessaires l’obligation de vérifier si l’acheteur avait le pouvoir de lier un navire. Cette obligation a été éliminée lors de l’adoption, en 1971, de la loi intitulée The Commercial Instruments and Maritime Liens Act (voir Gilmore et Black, pages 670 et suivantes).

[58] Le professeur Tetley termine ensuite son examen de cette question en formulant les remarques suivantes à la page 572 :

[traduction]

Ni l’affréteur à temps ni l’affréteur au voyage ne sont considérés comme le mandataire ou le préposé du propriétaire du navire. En conséquence, dans la mesure où aucune question de « présentation » ne se pose, il ne semblerait pas nécessaire que le propriétaire avise les fournisseurs que cet affréteur n’engage pas le crédit personnel dudit propriétaire en concluant une entente avec eux. De plus, le propriétaire du navire et le navire peuvent également invoquer l’obligation de vérification qui incombe au fournisseur.

[...]

[59] À mon avis, le professeur Tetley a bien exposé la règle de droit applicable. [...]

[...]

[65] En conclusion, même s’il existe en droit canadien une présomption selon laquelle les approvisionnements nécessaires sont fournis sur le crédit du navire, cette présomption est réfutable. Pour savoir si elle a été réfutée, il faut évaluer de façon appropriée tous les faits pertinents, notamment la mesure dans laquelle le fournisseur a fait des vérifications raisonnables pour connaître l’étendue du pouvoir de la personne ayant demandé les approvisionnements nécessaires. J’ajouterais que la mesure dans laquelle le fournisseur doit s’informer dépend des circonstances particulières de l’affaire. Pour décider si l’obligation de vérification a été remplie, il faut garder à l’esprit que la technologie moderne permet au fournisseur d’obtenir beaucoup plus facilement et rapidement le type de renseignements dont il a besoin pour savoir si un affréteur ou une autre personne a reçu du propriétaire du navire l’autorisation de lier celui‑ci.

[Non souligner dans l’original.]

 [88]     Norwegian savait que Kristiania BVI n’était pas le propriétaire du Samatan et elle n’a jamais cherché à savoir si elle avait l’autorité de lier le navire. De fait, Kristiania BVI n’avait pas le pouvoir de lier le navire, conformément à la clause 18 du formulaire NYPE.

[89]      De plus, Boone Star n’aurait pas ratifié le contrat en donnant instruction au chef mécanicien du Samatan d’accepter la fourniture du combustible de soute et d’ensuite appliquer l’estampille « Sans privilège » sur l’avis de livraison. L’application de l’estampille n’a pas fait de Boone Star une partie au contrat. De la même manière, le fait que Boone Star savait que le sous‑affréteur à temps allait commander du combustible de soute pour le navire n’emportait pas ratification du contrat.

[90]      Contrairement aux affirmations des demanderesses, Boone Star n’a jamais fait usage du combustible de soute. Elle ne détenait pas de droit de propriété dans le combustible. La clause 2 du NYPE prévoit que [traduction« les affréteurs devront fournir et payer tout type de combustible, sauf convention contraire... ». De plus, la clause 35 stipule que l’affréteur prendra possession de tout le combustible sur le navire et paiera ce combustible au port de livraison. Ces clauses signifient que les affréteurs sont investis des droits de propriété sur le combustible pour la durée de la charte‑partie; les propriétaires n’ont d’intérêts dans le combustible qu’à titre de dépositaires (Coughlin et coll., Time Charters, 6e éd., London, informa, 2008, page 260, paragraphe 13.4).

[91]      En conséquence, Boone Star ne peut être tenue personnellement responsable, car la présomption que le crédit du navire était engagé par suite de la fourniture des approvisionnements nécessaires a été réfutée.

VIII.       Conclusion

[92]      Vu les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus que le droit brésilien s’applique à la demande des demanderesses du fait que c’est avec ce pays que les circonstances particulières de l’espèce présentent le plus grand nombre de points de rattachement. De plus, je conclus que le droit brésilien crée un privilège maritime en faveur de Norwegian contre le Samatan à l’égard du combustible de soute livré au Brésil, et qu’en raison de ce privilège maritime les demanderesses ont droit à la tenue d’un procès sommaire et à un jugement in rem contre le Samatan.

[93]      Les demanderesses soutiennent qu’elles ont droit à un montant de 666 915,19 $ US, plus intérêts, applicables en matière d’amirauté, au taux préférentiel composé semestriellement à compter du 1er septembre 2011. Cependant, conformément à l’article 12 de la Loi sur la monnaie, LRC (1985), c C‑52, ce montant sera converti en dollars canadiens. Le 27 septembre 2011, la date à laquelle le montant réclamé est devenu dû et exigible (voir paragraphe 34 des présents motifs), le taux de change à midi de la Banque du Canada était de 0,9813, de sorte que le montant de 666 915,19 $ US converti en dollars canadiens équivaut à 679 653,27 $ CA.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que jugement in rem est rendu comme suit contre le navire défendeur Samatan et sa caution :

1.                  La Cour accueille la requête en jugement sommaire, en partie.

2.                  Les demanderesses ont droit à des dommages‑intérêts de 679 653,27 $, plus intérêts, applicables en matière d’amirauté, au taux de 3 % par année à compter du 27 septembre 2011, et aux dépens.

3.                  La créance des demanderesses contre le Samatan est garantie par un privilège maritime.

4.                  L’action in personam contre Boone Star Owners Inc. est rejetée avec dépens au montant de 2 000 $.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Daniel Bergeron, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2001‑11

 

INTITULÉ :

NORWEGIAN BUNKERS AS et ATLAS BUNKERING SERVICES B.V.B.A. c LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « SAMATAN », BOONE STAR OWNERS INC. et KRISTIANIA MARINE LTD. BVI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 11 DÉCEMBRE 2014

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS MODIFIÉS :

le 13 FÉVRIer 2015

COMPARUTIONS :

Douglas G. Schmitt

 

POUR Les DEMANDERESSEs

 

John W. Bromley

 

pour les défenderesses

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander, Holburn, Beaudin & Lang LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR Les DEMANDERESSEs

 

Bull Housser & Tupper LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour les défenderesses

 

 

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