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Date : 20150114


Dossier : IMM‑4064‑13

Référence : 2015 CF 48

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

VIJAYAKUMAR VIJAYARATNAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 11 avril 2013 [la décision], par laquelle une agente d’immigration principale [agente] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] présentée par le demandeur.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Il allègue être exposé à un risque de persécution et de torture en raison de son origine ethnique et du fait qu’il a déjà été victime de torture au Sri Lanka.

[3]               Le demandeur allègue qu’en 1994, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET] sont entrés en contact avec lui. Il affirme qu’il a refusé de travailler pour eux et qu’il a été détenu pendant dix jours. Il dit que, durant cette période, il a été torturé et forcé d’effectuer du travail manuel.

[4]               Le demandeur affirme que, en 1997, l’armée sri‑lankaise l’a détenu pendant huit jours parce qu’elle le soupçonnait d’aider les TLET. Il affirme avoir été harcelé, interrogé et torturé lors de cette détention.

[5]               Le demandeur allègue que, en 2000, il a à nouveau été détenu pendant cinq jours par l’armée sri‑lankaise qui le soupçonnait d’aider les TLET.

[6]               Le demandeur allègue que, en juin 2010, il a été enlevé puis torturé par des inconnus. Il soupçonne que ses ravisseurs faisaient partie d’un groupe paramilitaire des forces de sécurité sri‑lankaises. Le demandeur affirme qu’il a été libéré et s’est fait dire par ses ravisseurs de répondre à son téléphone quand ils l’appelleraient. Le demandeur n’a pas répondu à leurs appels. Il affirme que deux jours plus tard, il a été enlevé et torturé à nouveau. Le demandeur affirme que ses agresseurs ont demandé cent mille roupies sri‑lankaises.

[7]               Après sa libération, le demandeur s’est enfui du Sri Lanka le 14 juillet 2010 et il est arrivé au Canada le 31 août 2010. Le 13 octobre 2010, il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte du groupe Karuna.

[8]               L’audition de la demande d’asile du demandeur a eu lieu le 19 juillet 2011. La demande d’asile a été rejetée le 9 août 2011 en raison d’un manque de crédibilité et de l’absence d’une crainte fondée de persécution.

[9]               En décembre 2011, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [CH]. Cette demande a été refusée le 16 avril 2013.

[10]           Le 26 septembre 2012, le demandeur a présenté une demande d’ERAR reposant sur des allégations selon lesquelles il craignait avec raison d’être persécuté, en tant que réfugié au sens de la Convention, et qu’il était exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités s’il était renvoyé du Canada. Le demandeur affirmait craindre d’être persécuté au Sri Lanka par les autorités sri‑lankaises, les forces de sécurité sri‑lankaises et des groupes paramilitaires sri‑lankais en raison de son origine ethnique tamoule. Il craignait également d’être perçu comme étant fortuné en raison du temps passé au Canada.


III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée le 11 avril 2013.

[12]           L’agente a conclu que le demandeur [traduction] « ne serait pas exposé au risque de persécution, au risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé dans [son] pays de nationalité ou de résidence habituelle » (Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 1).

[13]           L’agente a affirmé que, pour rendre sa décision, elle avait soigneusement examiné les observations et la preuve documentaire présentées par le demandeur, et qu’elle avait de plus fait une recherche indépendante sur les conditions au Sri Lanka. Elle a pris note du fait que certains des documents présentés par le demandeur dataient d’avant la décision sur la demande d’asile rendue le 9 août 2011. L’agente a refusé de prendre en compte neuf documents, précisément parce qu’ils ne répondaient pas à la définition de nouvelle preuve et qu’aucune explication n’avait été fournie quant à la raison pour laquelle on n’avait pu les obtenir avant l’audition de la demande d’asile.

[14]           L’agente a affirmé que le reste des documents portaient sur l’arrestation et le traitement des Tamouls et des personnes considérées comme ayant des liens avec les TLET au Sri Lanka, sur le retour des Sri‑lankais expulsés et sur les conditions générales au Sri Lanka. Selon elle, aucune preuve objective ne permettait d’établir un lien entre ces documents et le demandeur. L’agente a mentionné que le demandeur est un Tamoul du Sri Lanka qui a été détenu par le passé, mais elle a conclu que rien ne corroborait son allégation selon laquelle l’armée sri‑lankaise ou les TLET s’intéressaient toujours à lui. L’agente a noté que la situation des personnes d’origine tamoule s’est améliorée au Sri Lanka et que les TLET ont été défaits en mai 2009. Elle a ajouté que le demandeur n’a jamais dit qu’il était affilié de quelque façon aux TLET ni qu’il avait participé à des activités politiques.

[15]           L’agente a affirmé avoir examiné l’affidavit de l’épouse du demandeur, dans lequel celle‑ci déclare qu’elle a [traduction] « fait l’objet de torture mentale de la part de personnes téléphonant pour demander où se trouvait [s]on époux » (DCT à la page 7). L’agente a toutefois noté qu’aucune preuve objective ne corroborait cette déclaration.

[16]           L’agente a par ailleurs conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour étayer l’allégation du demandeur selon laquelle les autorités sri‑lankaises le soupçonneront d’avoir participé à des manifestations ou d’avoir appuyé les TLET depuis l’étranger. Il n’y avait pas non plus suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour étayer l’allégation du demandeur selon laquelle il sera perçu comme une personne fortunée qui revient de l’étranger, et qu’il deviendra une cible à des fins d’extorsion, d’enlèvement ou de vol. L’agente a conclu par ailleurs que la preuve ne permettait pas de conclure que le demandeur ferait l’objet d’une longue détention du fait que sa demande d’asile a été rejetée.

[17]           L’agente a conclu que le demandeur invoquait les mêmes risques que ceux déjà évalués lors de l’audition de sa demande d’asile, et qu’il n’avait pas présenté de preuve objective de l’existence de nouveaux risques.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[18]           Dans le cadre de la présente demande, le demandeur soulève les questions suivantes :

1.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit dans son application des définitions de la loi en vue de déterminer si le demandeur est une personne à protéger?

2.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur de compréhension quant à la décision qui doit être prise à l’égard d’une demande d’ERAR?

3.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit dans le traitement de la preuve, notamment la documentation relative au pays, l’affidavit de l’épouse du demandeur et l’affidavit du demandeur?

4.      L’agente a‑t‑elle, dans sa décision, tiré une conclusion abusive et déraisonnable, compte tenu des conclusions énoncées dans ses motifs du 16 avril 2013, justifiant le rejet de la demande CH du demandeur?

5.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en tirant des conclusions non justifiées concernant la crédibilité?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[20]           Le demandeur soutient que les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Caruth c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 891, au paragraphe 45. Il soutient que les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte : Dunsmuir, précité, au paragraphe 50.

[21]           Le défendeur soutient que les conclusions de fait tirées par un agent d’ERAR sont soumises à la norme de la décision raisonnable : Dhrumu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 172; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47, 48 et 51.

[22]           En réplique, le demandeur soutient que l’agente n’a pas droit à la déférence pour ce qui est des questions d’interprétation législative portant sur la protection de droits de la personne universellement reconnus : Hernandez Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, aux paragraphes 24 et 25. Il affirme que l’agente ne détient aucune expertise particulière dans ce domaine. Le demandeur affirme en outre que la détermination du caractère acceptable d’une issue doit reposer sur la prémisse selon laquelle il n’est jamais acceptable de rendre une décision qui entraînera la persécution, la mort ou la torture d’une personne : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1.

[23]           Les deux premières questions mettent en cause l’interprétation que l’agente a faite de la Loi et son application de la Loi aux faits. Dans la mesure où de véritables questions de droit sont soulevées, elles seront examinées selon la norme de la décision correcte. Toutefois, la manière dont l’agente a appliqué le critère aux faits constitue une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de la décision raisonnable : voir Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, aux paragraphes 8 à 22 [Kim]; Ramos Contreras c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 525, au paragraphe 19; Jessamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 489, au paragraphe 18; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 877.

[24]           Les troisième et quatrième questions en litige ont trait à l’évaluation de la preuve par l’agente. Il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard du traitement de la preuve par un agent d’ERAR et ce traitement fera l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : I.I. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892, au paragraphe 17; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 794, aux paragraphes 5 à 7.

[25]           La quatrième question en litige porte sur le caractère raisonnable de la décision rendue par l’agente. La jurisprudence de la Cour établit clairement que les décisions d’ERAR sont assujetties à la norme de la décision raisonnable : voir Jainul Shaikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 11, au paragraphe 20.

[26]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[27]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[…]

[…]

Demande de protection

Application for protection

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

[…]

[…]

Examen de la demande

Consideration of application

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[…]

[…]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

[…]

[…]


VII.          ARGUMENTATION

A.                Le demandeur

(1)               Définitions de la Loi

[28]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur de droit et qu’elle a mal interprété le cadre législatif applicable. Le demandeur n’est pas tenu d’établir l’existence d’un « risque » de persécution future pour démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté. Le demandeur n’est pas tenu de démontrer que le risque auquel il s’expose repose le fait qu’il est ciblé personnellement. Pour bénéficier d’une protection, il lui suffit de démontrer qu’il fait partie d’une catégorie de personnes susceptibles d’être ciblées et que cette catégorie est visée par l’un des motifs prévus à la Convention. Ce risque est évalué selon le critère de la possibilité raisonnable, et non selon la probabilité du risque. Le demandeur soutient par ailleurs que l’agente a conclu que les éléments de preuve objectifs ne permettaient pas de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait perçu comme étant une personne fortunée ou un partisan des TLET, et qu’il ressortait clairement de la preuve dont disposait l’agente que les Tamouls qui reviennent de l’étranger sont perçus comme étant fortunés, qu’ils ont des antécédents de détention et sont exposés à un risque de harcèlement et de préjudice.

[29]           Le demandeur affirme également que l’agente a commis une erreur en mettant l’accent sur le fait qu’il n’entretenait aucun lien avec les TLET. La question n’est pas de savoir s’il était lié aux TLET, s’il les appuyait ou s’il est fortuné; il s’agit plutôt de savoir s’il s’expose à un risque parce qu’il est perçu comme tel : Oyarzo c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 2 CF 779, à la page 783 (CA); Orellana c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), 103 DLR (3d) 105 (CAF). La décision doit être prise en tenant compte du point de vue du persécuteur : Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 87 FTR 72, au paragraphe 23.

(2)               Nature d’une décision d’ERAR

[30]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur dans son interprétation de ce en quoi consiste une décision relative à une demande d’ERAR. Il fait valoir que l’agente a commis une erreur en affirmant qu’une décision d’ERAR est une évaluation prospective des nouveaux risques apparus à la suite d’une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Selon lui, la Cour a clairement établi que de nouveaux éléments de preuve peuvent réfuter ceux qui ont amené la SPR à rendre une décision défavorable.

[31]           Le demandeur affirme en outre que la SPR a rejeté sa demande et a estimé qu’il n’était pas crédible parce qu’il n’avait pas étayé son témoignage selon lequel il vivait au Sri Lanka durant la période pertinente. Il affirme qu’il a fourni à l’agente une preuve visant à établir qu’il résidait au Sri Lanka durant la période pertinente. L’agente a reconnu que cette preuve établissait son lieu de résidence, mais elle a estimé qu’elle n’était pas utile pour l’évaluation du risque. Le demandeur affirme qu’une fois la preuve acceptée par l’agente, la décision de la SPR était mise en doute. L’agente a commis une erreur en continuant d’accepter la décision rendue par la SPR.

(3)               Traitement de la preuve

[32]           Le demandeur prétend que l’agente a commis une erreur de droit dans son évaluation de la preuve, et il relève plusieurs erreurs à cet égard :

a)      L’agente a dit qu’elle préférait se fonder sur une preuve plus récente plutôt que sur certains des éléments de preuve plus anciens présentés par le demandeur, mais elle n’a pas précisé sur quels éléments elle s’est appuyée ni en quoi ces éléments différaient des éléments de preuve documentaires présentés par le demandeur;

b)      L’agente a déclaré que [traduction] « les explications objectives n’étaient pas suffisantes » pour rattacher le demandeur aux articles de presse et à la preuve documentaire. Le demandeur affirme que son avocate a présenté des [traduction] « observations détaillées quant à la pertinence de la documentation par rapport aux allégations du demandeur ». Le demandeur reconnaît que l’avocate n’est pas objective; il affirme toutefois qu’il est impossible de savoir clairement à quoi s’attendait l’agente comme explication objective;

c)      L’agente s’attendait à des éléments de preuve concrets démontrant que le demandeur constituerait une cible. Elle aurait dû se fonder sur la preuve que des personnes dans sa situation seraient ciblées;

d)     La conclusion de l’agente selon laquelle la situation des jeunes Tamouls au Sri Lanka s’améliore de manière générale ne tient pas compte de la preuve montrant que la situation ne s’est pas améliorée pour certaines catégories de Tamouls;

e)      L’agente n’a pas tenu compte de la preuve qui fait état des antécédents en matière de violations des droits de la personne au Sri Lanka;

f)       L’agente a commis une erreur en rejetant l’affidavit de l’épouse du demandeur en raison de l’absence d’une preuve corroborante objective. Le demandeur affirme que l’affidavit a été fait sous serment et qu’il est tenu pour véridique en l’absence de preuve contradictoire : voir Thind c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] ACF no 939 (CA) (QL) [Thind]; Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 [Maldonado]. Un agent peut rejeter une preuve uniquement pour des motifs valables et en termes clairs : voir Hilo c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 130 NR 236 (CAF); Sebaratnam c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 131 NR 158 (CAF). Le demandeur affirme que ce n’est pas parce qu’il n’y pas d’autres éléments de preuve que l’affidavit n’est pas digne de foi;

g)      L’agente a commis une erreur en écartant les déclarations sous serment du demandeur concernant la persécution dont il a été victime au Sri Lanka. Elle n’a fourni aucun motif pour rejeter ces déclarations, ce qui va à l’encontre de la présomption selon laquelle les déclarations faites sous serment sont vraies : voir Thind et Maldonado, précitées;

h)      L’agente n’a pas bien qualifié le groupe Karuna et n’a pas compris ce qu’il était. Le demandeur affirme que, contrairement à la déclaration de l’agente selon laquelle le groupe Karuna est une section des TLET, le groupe constituait auparavant l’aile orientale des TLET. Le groupe s’est détaché des TLET en 2004. Le demandeur affirme que le groupe joue depuis un rôle important dans la persécution des Tamouls par le gouvernement sri‑lankais. Il affirme que l’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas prouvé que l’armée sri‑lankaise s’intéressait toujours à lui, car il affirme que le groupe Karuna est étroitement lié à l’armée sri‑lankaise.

(4)               Répercussions de la décision rendue à l’égard de la demande CH

[33]           Le demandeur affirme que, le 16 avril 2013, l’agente qui a rendu la décision relative à l’ERAR a également tranché sa demande CH. Dans cette décision, l’agente a déclaré que le demandeur [traduction] « a fait l’objet de harcèlement répétitif et persistant, et a souffert de graves conséquences personnelles tant de la part de la police que de la part des groupes armés » (dossier du demandeur, à la page 676). L’agente a ajouté que les craintes du demandeur soulèvent des questions qui relèvent d’une décision d’ERAR. Le demandeur affirme qu’à l’issue de l’ERAR, l’agente est arrivée à la conclusion que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’il serait exposé à un risque au Sri Lanka. La persécution passée et clairement pertinente dont a été victime le demandeur n’est pas reconnue dans la décision. Le demandeur affirme qu’une persécution qui s’est produite par le passé est un indice solide d’une persécution future : Dhillon c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1990), 131 NR 62 (CAF).

(5)               Conclusions déguisées sur la crédibilité

[34]           Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en dissimulant ses conclusions quant à la crédibilité et en concluant à une absence de [traduction] « preuve corroborante objective » et à une [traduction] « preuve objective insuffisante » : voir Lopez Puerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464, aux paragraphes 20 et 21 [Lopez Puerta]. Les conclusions de l’agente reposaient clairement sur le fait qu’elle n’a pas cru le demandeur.

B.                 Le défendeur

[35]           Le défendeur affirme que le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agente. Ce n’est pas là le rôle d’un tribunal siégeant en révision : Kim, précité, au paragraphe 50.

(1)               L’agente a fait une analyse adéquate des articles 96 et 97

[36]           Le défendeur affirme que, peu importe la norme de preuve, le demandeur n’a pas démontré qu’il était exposé à un risque. Certains termes employés par l’agente doivent être interprétés dans le contexte de la décision afin de déterminer si elle a appliqué le mauvais critère : Kanakulya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1063, aux paragraphes 16 et 17 [Kanakulya]; Hidri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 949, aux paragraphes 26 à 29. Le défendeur affirme que l’agente a dûment tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire et qu’elle a conclu que celle‑ci était insuffisante pour établir que le demandeur satisfaisait au moins au seuil minimal de risque en matière de persécution.

(2)               L’évaluation de la preuve par l’agente était raisonnable

[37]           Le défendeur affirme que la question du poids à accorder à la preuve relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’ERAR : Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1303. La Cour ne devrait pas substituer sa propre analyse à celle de l’agent : Beck‑Ne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CarswellNat 5334 (CFPI) (WL).

[38]           Rien ne permet au demandeur de s’attendre à ce que l’agent réexamine la décision de la SPR. La jurisprudence de la Cour établit clairement que l’ERAR n’est pas un appel ou un réexamen de la décision de la SPR : Mikhno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 385, au paragraphe 23.

[39]           Le défendeur affirme en outre que la preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité : Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, aux paragraphes 26 à 28. Le défendeur affirme que cette analyse du poids à accorder peut être faite en premier puisque la preuve présentée par des témoins qui ont un intérêt personnel doit habituellement être corroborée pour qu’on puisse lui conférer une valeur probante. En l’absence de preuve indépendante corroborant les allégations de l’épouse du demandeur, il était loisible à l’agente d’accorder peu de poids à la déclaration de celle‑ci.

(3)               Aucune conclusion déguisée sur la crédibilité

[40]           Le défendeur affirme que la décision est fondée sur l’ensemble de la preuve se rapportant à la situation personnelle du demandeur. L’agente n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité.

(4)               Conclusions factuelles de la demande CH compatibles avec la décision relative à l’ERAR

[41]           Le défendeur affirme que les conclusions tirées par l’agente dans le cadre de la demande CH du demandeur sont compatibles avec celles tirées dans le cadre de sa demande d’ERAR. Dans la décision rendue à l’égard de la demande CH, l’agente n’a formulé aucune conclusion ou déclaration définitive en ce qui concerne le risque de persécution, le risque de torture, de mort ou de sanctions excessives. Par contre, le défendeur affirme que l’agente a conclu que le demandeur [traduction] « n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant qu’il éprouverait des difficultés attribuables à la discrimination ou qu’il serait personnellement victime de discrimination pour une raison ou une autre à son retour au Sri Lanka » (dossier du demandeur, à la page 676).

C.                 Réplique du demandeur

[42]           Le demandeur conteste l’allégation du défendeur selon laquelle le groupe Karuna est une section des TLET. Il affirme plutôt que le groupe Karuna est une organisation qui s’oppose aux TLET et qu’elle est liée à l’armée sri‑lankaise.

[43]           Le demandeur affirme que la présente demande soulève des erreurs susceptibles de révision et qu’il ne s’agit pas de demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. L’agent ne peut rejeter un élément de preuve de façon arbitraire, prendre en compte des considérations étrangères ou écarter des éléments de preuve pertinents : Boulis c Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1974] RCS 875, à la page 877. Encore une fois, le demandeur soutient que l’agente a écarté des éléments de preuve confirmant que la situation des Tamouls au Sri Lanka ne s’est pas améliorée.

[44]           Le demandeur affirme que le défendeur a mal interprété la question en prétendant que la norme appliquée par l’agente n’a rien à voir avec les mots qu’elle a utilisés. En fait, l’agente a appliqué à la question du risque une norme plus élevée que celle exigée par la Loi.

[45]           À la différence du défendeur, le demandeur affirme que le processus d’ERAR vise à réexaminer les conclusions de la SPR si de nouvelles preuves remettent en question les conclusions de fait tirées par la SPR : Elezi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240, aux paragraphes 38 et 39.

[46]           De plus, le demandeur affirme que, contrairement à ce que prétend le défendeur, la Cour ne dit pas dans la décision Ferguson que l’agent peut rejeter une déposition sous serment simplement parce que son auteur a des liens avec le demandeur. Le demandeur fait valoir que l’affidavit de son épouse se distingue de la déclaration de l’avocate dans la décision Ferguson, précitée. Selon lui, il n’était pas loisible à l’agente de rejeter l’affidavit parce qu’il n’était pas corroboré : Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 738; Canada (Citoyenneté et Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19.

[47]           Le demandeur affirme aussi que la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur a présenté une preuve insuffisante peut uniquement être considérée comme une conclusion voulant qu’elle n’ait pas cru les déclarations assermentées du demandeur et de son épouse : Lopez Puerta, précité.

[48]           Le demandeur soutient en outre que, dans sa décision rendue sur la demande CH, l’agente a accepté la preuve ayant trait à la persécution du demandeur et n’a tout simplement pas retenu les observations du demandeur à ce sujet.

VIII.       ANALYSE

[49]           Le demandeur a soulevé un grand nombre de questions dans le cadre du présent contrôle et je les examinerai à tour de rôle ci‑dessous. J’estime, de manière générale, que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible de révision. Bon nombre des points qu’il soulève dénaturent la décision ou visent à isoler des mots ou des phrases de leur contexte de façon à faire valoir l’existence d’une erreur susceptible de révision.

A.                Application de la mauvaise norme – Erreur de droit

[50]           Le demandeur allègue que l’agente a appliqué erronément la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités », qu’elle n’a pas tenu compte du critère de la personne se trouvant dans la même situation et a insisté sur le facteur de la cible personnelle, et qu’elle ne s’est pas demandé si le demandeur serait [traduction] « perçu » comme ayant un lien avec les TLET.

[51]           Aucune de ces allégations ne ressort de la lecture de la décision. L’agente énonce clairement le critère qu’elle a appliqué à la preuve (DCT, à la page 10), et rien dans le corps de l’analyse ne porte à croire qu’elle en a appliqué un autre.

[52]           Comme le juge Noël l’a dit dans la décision Kanakulya, précitée :

[16]      L’emploi des mots et expressions « n’ont probablement jamais eu lieu », [traduction] « convaincue », « n’était pas convaincue » et « aucune preuve concluante » ne devrait pas être interprété automatiquement comme s’il signifiait qu’une norme de preuve plus élevée que la prépondérance des probabilités a été appliquée, surtout lorsque c’est principalement la crédibilité du demandeur qui est en jeu [Hidri c. Canada, 2001 CFPI 949, aux paragraphes 26 à 29].

[17]      Pour savoir quelle norme a été appliquée par la SSR, il faut lire la décision dans son ensemble et non partie par partie. Il faut aussi examiner avec soin le contexte de la décision (Attakora c. Canada (M.E.I.) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.).

[53]           Lorsque je lis la décision dans son ensemble, je ne suis pas convaincu que l’agente a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités pour évaluer le risque futur au sens de l’article 96 de la Loi. Les expressions employées sont quelque peu différentes tout au long de la décision. Par exemple, en ce qui a trait aux documents personnels du demandeur, l’agente déclare [traduction] « J’estime que ces documents ne fournissent pas la preuve de quelque risque qui soit auquel le demandeur s’exposerait s’il retournait au Sri Lanka aujourd’hui ». Autrement dit, cette preuve ne permet pas d’établir l’existence d’un risque selon quelque norme de preuve que ce soit. En ce qui concerne les articles examinés, l’agente déclare [traduction] « la preuve présentée ne permet pas de confirmer qu’il présente toujours un intérêt pour l’armée sri‑lankaise ou les TLET aujourd’hui disparus, ou qu’il connaîtrait à son retour au Sri Lanka le même sort que les citoyens tamouls mentionnés dans les articles ». Encore une fois, cela signifie dans mon esprit qu’il n’y a aucune preuve pour appuyer les allégations du demandeur quant à l’existence d’un risque, indépendamment de la norme appliquée, et que le demandeur n’est pas dans la même situation que les citoyens tamouls dont il est question dans les articles.

[54]           L’emploi du conditionnel anglais « would » dans la dernière partie de la décision ne me donne pas à penser que l’agente évalue le risque futur visé à l’article 96 selon la prépondérance des probabilités. Il est indiqué dans le paragraphe final récapitulatif de la décision que [traduction] « [l]e demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant qu’il s’exposerait aujourd’hui à un risque au Sri Lanka » (DCT à la page 9). L’emploi du conditionnel « would » est neutre en ce qui concerne la norme appliquée, et l’agente nous en fournit le sens quand elle dit qu’elle a constamment évalué le risque visé à l’article 96 en fonction de la norme selon laquelle il doit exister [traduction] « plus qu’une simple possibilité » (DCT à la page 10).

[55]           L’agente est pleinement consciente que c’est la question des liens perçus, et non réels, avec les TLET qui pose problème, et c’est ce qu’elle dit tout au long de la décision. Elle finit par résumer comme suit la décision (DCT à la page 9) :

[traduction]

Le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer ses allégations selon lesquelles il serait perçu par les autorités sri‑lankaises comme étant un partisan ou un sympathisant des TLET, étant donné qu’il est un jeune Tamoul ou qu’il revient de l’étranger, ou qu’il serait poursuivi par le groupe Karuna.

[Non souligné dans l’original.]

[56]           Dans son examen des articles présentés par le demandeur, l’agente ne se fonde pas non plus le fait qu’il soit ciblé personnellement. Elle vérifie si le demandeur se trouve dans une situation similaire, mais souligne que les Tamouls ne s’exposent pas tous à un risque et que le demandeur n’a pas démontré, à l’aide d’une preuve objective, de quelle manière il appartient à un groupe qui présente un risque comme l’indique la preuve.

[57]           C’est ce qui ressort clairement des mots [traduction] « la preuve présentée ne permet pas de confirmer qu’il présente toujours un intérêt pour l’armée sri‑lankaise ou les TLET aujourd’hui disparus, ou qu’il connaîtrait à son retour au Sri Lanka le même sort que les citoyens tamouls mentionnés dans les articles » (DCT à la page 7). Autrement dit, les articles ne font pas mention de lui personnellement ou à titre de personne se trouvant dans la même situation que les citoyens tamouls mentionnés dans les articles.

B.                 Omission de réexaminer la décision de la SPR

[58]           Le demandeur affirme qu’il a présenté de nouveaux éléments de preuve qui remettent en question les conclusions de la SPR. Il affirme que sa demande d’asile a été rejetée parce que la SPR n’était pas convaincue qu’il se trouvait au Sri Lanka pendant la période pertinente. Puisque l’agente a accepté la preuve documentaire montrant qu’il se trouvait au Sri Lanka durant la période pertinente, le demandeur affirme que la décision de la SPR est devenue douteuse.

[59]           Le demandeur fait abstraction du fait qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR : Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12 [Raza]. L’ERAR ne vise qu’à vérifier si de nouveaux risques sont apparus à la suite d’une décision défavorable rendue à l’égard d’une demande d’asile. Les documents montrant que le demandeur avait une adresse au Sri Lanka à l’époque où il allègue avoir été persécuté ne changent en rien et ne remettent pas en doute les conclusions précédentes au sujet du risque. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza, précité, au paragraphe 16, ce qui importe, c’est « le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire ». La Cour d’appel fédérale a également énoncé plusieurs questions pertinentes que l’agent d’ERAR doit se poser lorsqu’il est appelé à examiner de nouveaux éléments de preuve nouvelle (au paragraphe 13). La preuve établissant que le demandeur se trouvait au Sri Lanka ne résiste ni à l’examen de la pertinence (si elle est « apte[s] à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile ») ni à l’évaluation du caractère substantiel (« la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si [les preuves nouvelles] avaient été portées à la connaissance de la SPR? »).

[60]            La SPR a fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur différents facteurs, notamment le fait que le demandeur n’a fourni ni explications ni documents concernant sa détention d’une durée d’un mois aux États‑Unis, et le fait que la SPR n’a pas cru ses allégations de persécution. La SPR a conclu que, si le groupe Karuna voulait causer du tort au demandeur pour non‑paiement de la somme exigée par extorsion, le groupe serait intervenu auprès de l’épouse et de la jeune fille du demandeur qui vivent toujours dans la maison où le demandeur affirme avoir été enlevé. La SPR a par ailleurs conclu qu’il était invraisemblable que ses ravisseurs l’aient libéré et aient ensuite réclamé de l’argent, et ce, parce que le groupe Karuna demande habituellement une rançon pour libérer sa victime. La SPR a aussi conclu que le demandeur aurait eu des difficultés importantes, ou se serait même vu refuser la possibilité de quitter le pays, s’il avait été poursuivi par un groupe associé aux forces militaires. En revanche, le demandeur a déclaré lors de son témoignage qu’il a quitté le pays muni de son propre passeport et qu’il n’a pas eu de problèmes.

[61]           La SPR a ajouté que le demandeur a déclaré qu’il était victime d’actes criminels parce qu’il est perçu comme étant un homme d’affaires prospère. Il a également déclaré que des hommes d’affaires d’autres groupes ethniques étaient aussi ciblés à des fins d’extorsion. La SPR a conclu que le demandeur n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un lien avec l’un des motifs de la Convention. Elle a conclu que le risque allégué par le demandeur était un risque auquel les autres personnes au Sri Lanka étaient généralement exposées.

[62]           Les documents attestant l’adresse du demandeur au Sri Lanka ne changent en rien ces conclusions sur le risque auquel le demandeur allègue être exposé. À mon avis, rien ne justifiait que l’agente réexamine la décision de la SPR.

C.                 Traitement de la preuve

[63]           Le demandeur soulève un certain nombre de questions concernant la façon dont l’agente a traité la preuve. Je vais les aborder à tour de rôle.

(1)               Nouveaux éléments de preuve

[64]           Les nouveaux éléments de preuve sur lesquels l’agente s’est fondée sont ceux qui faisaient partie du dossier du tribunal et dont il est fait mention dans la décision. Il n’est pas nécessaire de faire une comparaison avec l’ancienne documentation puisque la situation évolue au Sri Lanka et que l’évaluation de la persécution au sens de l’article 96 et du préjudice au sens de l’article 97 est une évaluation prospective. Le demandeur n’a pas démontré en quoi l’un ou l’autre des nouveaux documents invoqués décrit mal la situation à laquelle il s’expose au Sri Lanka.

(2)               Motifs non clairs

[65]           Le demandeur se plaint du fait que la décision n’indique pas clairement la raison pour laquelle l’agente a conclu qu’il n’avait pas fourni des [traduction] « explications objectives suffisantes » pour démontrer en quoi les articles de presse et les rapports se rattachaient au demandeur. À mon avis, les motifs sont clairs sur ce point. L’agente affirme simplement que, au vu des nouveaux éléments de preuve présentés, il n’y a pas suffisamment d’éléments objectifs expliquant pourquoi le demandeur, compte tenu de sa situation personnelle, serait perçu comme appartenant à un groupe ou à une catégorie de Tamouls qui s’exposent à un risque de persécution ou de préjudice de la part d’agents que le demandeur identifie.

(3)               Preuve non disponible

[66]           Le demandeur se plaint du fait que l’agente, en mettant l’accent sur l’absence de preuve concrète selon laquelle le demandeur est recherché, a mal compris la définition qu’elle devait appliquer et le but visé par la preuve documentaire. Comme je l’ai déjà mentionné, il ressort clairement de la décision que l’agente n’exigeait pas du demandeur qu’il soit [traduction] « particulièrement ciblé » contrairement à ce qu’allègue le demandeur. Elle a examiné la preuve présentée par le demandeur et la trousse documentaire afin de vérifier si elles étayaient les allégations de persécution ou de risque formulées par le demandeur. Elle est arrivée à la conclusion que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il fait partie d’un groupe à risque au Sri Lanka.

[67]           Le demandeur affirme qu’il n’y a aucun ciblage particulier et que la seule preuve disponible a trait à un ciblage de groupe. Il a en fait présenté des éléments de preuve de ciblage particulier (c.‑à‑d., l’affidavit de son épouse et sa propre déclaration solennelle) que j’examinerai plus loin, mais l’agente a examiné en détail la preuve portant sur les groupes tamouls à risque. Elle s’est intéressée à la situation particulière du demandeur – passée et actuelle – en vue de déterminer s’il appartenait à un groupe qui, selon la documentation, est exposé à un risque au Sri Lanka.

(4)               La situation ne s’est pas améliorée pour tous les Tamouls

[68]           L’agente n’a pas écarté pas la preuve indiquant que la situation au Sri Lanka ne s’est pas améliorée pour tous les Tamouls. Le seul élément de preuve pertinent est celui qui traite des groupes de Tamouls qui sont exposés à un risque de persécution ou de préjudice de la part d’agents que le demandeur a identifiés. Le demandeur n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il appartient à un tel groupe. Le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec l’agente quant à son évaluation de la preuve et à sa conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas prouvé qu’il serait exposé à la persécution ou à un risque s’il retournait au Sri Lanka.

(5)               Affidavit de l’épouse

[69]           Comme le souligne le demandeur, une présomption de véracité s’applique à cet affidavit : Maldonado, précité, à la page 305.

[70]           L’épouse du demandeur fournit la preuve suivante, qui est pertinente quant à la question de la persécution ou du risque en cas de renvoi :

[traduction]

4. Maintenant qu’il a quitté le pays, je suis victime d’une torture mentale, par des personnes qui téléphonent pour demander où se trouve mon époux. Je leur ai dit que j’ignore où il se trouve, mais leurs appels téléphoniques se poursuivent.

[71]           L’épouse du demandeur ne dit pas qui sont les auteurs de ces appels, et elle ne rapporte pas leurs propos et ne dit pas pourquoi ils recherchent le demandeur. Rien ne nous permet d’établir le lien entre ces appels et les risques auxquels le demandeur prétend qu’il est exposé au Sri Lanka. C’est la raison pour laquelle l’agente a estimé qu’une preuve corroborante était nécessaire. L’affidavit ne nous révèle rien qui soit pertinent; il invite simplement l’agente à croire qu’il existe certaines menaces, mais n’indique jamais en quoi consiste cette menace ou qui la profère. L’agente n’a nul besoin de remettre en question la crédibilité puisque ce témoignage n’a tout simplement aucune valeur probante en ce qui a trait aux risques invoqués par le demandeur. Si des menaces pertinentes ont été proférées, l’affidavit doit être corroboré de façon à ce qu’on puisse savoir en quoi elles consistent.

[72]           À mon avis, la déclaration solennelle du demandeur ne permet pas de corriger les lacunes relevées dans l’affidavit de son épouse; voici ce qu’il y déclare (DCT aux pages 90 et 91) :

[traduction]

24. Je crains toujours de retourner au Sri Lanka. Mon épouse a reçu des appels téléphoniques lui demandant où je suis. Mon épouse pleure au téléphone quand elle me parle de ces appels téléphoniques qu’elle reçoit. Elle a très peur, mais ne peut pas s’adresser à la police. Elle s’est fait dire par ces personnes de ne pas se plaindre à la police. Elle ne sait pas quoi faire.

25. Je pense que ces personnes nous ciblent, mon épouse et moi, pour obtenir de l’argent. J’avais une entreprise prospère à Colombo. Ces personnes pensent que je me cache; que je tente de les éviter et de me soustraire à leurs demandes. Je meurs de peur de retourner au Sri Lanka et de devoir faire face à nouveau à ces individus.

[73]           Ces paragraphes ne démontrent pas que le demandeur est recherché par les agents de persécution qu’il identifie dans sa demande d’ERAR. Les paragraphes ne remettent pas en question la conclusion de la SPR selon laquelle [traduction] « le préjudice craint par le demandeur n’équivaut pas à de la persécution ou au fait d’être personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture, puisque le risque auquel il est exposé est un risque auquel d’autres personnes sont généralement exposées au Mexique [sic]. »

(6)               Écarter les déclarations sous serment du demandeur à propos de ce qui lui est arrivé au Sri Lanka entre 2006 et 2010 – Les enlèvements

[74]           Dans la déclaration solennelle dont disposait l’agente, le demandeur affirme qu’il a été enlevé par des inconnus, mais il ne dit pas qui étaient ses ravisseurs ni ce qu’ils ont à voir avec les risques auxquels il allègue être exposé à son retour.

[75]           Le demandeur ne fournit aucune preuve selon laquelle les ravisseurs étaient plus que de simples criminels tentant de lui extorquer de l’argent. Rien ne permet de les relier aux TLET, aux autorités sri‑lankaises, aux forces de sécurité sri‑lankaises ou à un groupe paramilitaire, non plus qu’aux craintes qu’éprouve le demandeur de retourner là‑bas parce qu’il serait perçu comme étant fortuné et qu’il est un demandeur d’asile débouté. Le demandeur en est bien conscient, car il affirme [traduction] « J’ai vu qu’il y avait un camp militaire à proximité. Je pense que les personnes qui m’ont enlevé étaient les hommes de main de l’armée ».

[76]           Cette déclaration révèle que le demandeur sait très bien qu’il doit établir un lien entre les enlèvements et les risques qu’il a invoqués, et c’est pourquoi il dit croire que ces personnes étaient les hommes de main de l’armée. Le seul motif qu’il fournit à l’égard de cette croyance subjective est qu’il y avait un camp militaire à proximité. À mon avis, le fait qu’un camp militaire se trouve à proximité (et aucun détail ne nous indique ce que signifie « à proximité ») ne permet pas d’établir, selon quelque critère ou fardeau de preuve, que ces hommes agissaient pour le compte de l’armée ou des autorités de l’État. Le demandeur ne fait que formuler des hypothèses d’une manière qu’il croit utile pour appuyer ses allégations.

[77]           En définitive, cet élément n’est guère utile pour évaluer les risques auxquels le demandeur a allégué devant l’agente qu’il serait exposé. Par conséquent, on ne peut pas dire que l’omission de l’agente de mentionner expressément cet élément de preuve constitue une erreur susceptible de révision.

(7)               Qualification du groupe Karuna par l’agente

[78]           L’agente a qualifié le groupe Karuna Group de section des TLET. Le demandeur affirme que l’agente démontre ainsi qu’elle n’a pas bien compris le risque auquel il s’expose puisque le groupe Karuna est en réalité étroitement lié à l’armée sri‑lankaise. Je ne vois nulle part dans la décision que la qualification du groupe Karuna faite par l’agente a eu quelque incidence sur sa décision. À différents endroits dans la décision, l’agente souligne que le demandeur n’est pas une personne présentant un intérêt tant pour l’armée sri‑lankaise que pour le groupe Karuna (DCT aux pages 7 et 9).

D.                Décision rendue à l’égard de la demande CH – Persécution passée

[79]           Rien n’indique que l’agente n’a pas tenu compte de la persécution passée. Il est fait renvoi dans la décision à des allégations précises de persécution passée. L’agente a simplement bien fait comprendre que le risque est de nature prospective et elle a évalué l’ensemble de la preuve – antérieure et actuelle – en vue de déterminer si le demandeur risquait d’être persécuté au sens de l’article 96 ou s’exposait à un risque au sens de l’article 97 s’il retournait là‑bas. Je ne vois aucune incompatibilité avec la décision rendue à l’égard de la demande CH, dans laquelle étaient reconnues les difficultés auxquelles le demandeur a fait face par le passé, mais cette décision laisse à l’ERAR le soin de déterminer s’il risque d’être persécuté au sens de l’article 96 ou d’être exposé à un risque au sens de l’article 97.

E.                 Conclusions déguisées sur la crédibilité

[80]           Rien dans la décision ne laisse croire que l’agente a tiré des conclusions déguisées sur la crédibilité. L’agente est pleinement consciente du fait que le demandeur craint de retourner dans son pays, mais elle conclut que la preuve ne permet pas de démontrer qu’il existe plus qu’une simple possibilité de persécution ou qu’il est plus probable que le contraire qu’il s’expose à un risque, au sens de l’article 97, aux mains des agents qu’il a identifiés dans sa demande. Le demandeur s’oppose au résultat, mais il n’a pas prouvé l’existence d’une erreur susceptible de révision.

[81]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4064‑13

 

INTITULÉ :

VIJAYAKUMAR VIJAYARATNAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET MOTIFS :

Le 14 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

Ksenyja Trahan

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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