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Date : 20150108


Dossier : IMM-5518-13

Référence : 2015 CF 21

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JIN YUAN YE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur Ye conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) par laquelle celle-ci a rejeté sa demande d’asile fondée sur son appartenance, en Chine, au mouvement Falun Gong ainsi que sa demande sur place, fondée sur sa récente adhésion au mouvement Falun Gong. Pour les motifs qui suivent, la présente demande doit être accueillie en partie.

[2]               En août 2010, M. Ye a aidé sa tante à produire des brochures portant sur le Falun Gong. Sa tante était une adepte du Falun Gong, mais pas lui. Le 4 janvier 2011, elle a dit au demandeur que plusieurs de ses condisciples du Falun Gong avaient été appréhendés par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) et tous les deux se sont alors réfugiés dans la clandestinité. Des agents du BSP se sont rendus chez la tante ainsi que chez les parents de M. Ye. Le BSP avait déjà arrêté trois membres du Falun Gong, et il a accusé M. Ye d’avoir participé à la production de documents illicites portant sur le Falun Gong.

[3]               Craignant la persécution, Mr. Ye s’est enfui au Canada et y a demandé l’asile. Il affirme qu’il n’était pas un adepte du Falun Gong lorsqu’il vivait en Chine, mais qu’il en est devenu un depuis qu’il est arrivé au Canada.

[4]               Les questions que devait trancher la SPR étaient la crédibilité du demandeur et son absence de lien avec le Falun Gong. Des conclusions défavorables quant à la crédibilité ont été tirées en raison des problèmes suivants présentés par le témoignage du demandeur :

                     Les réponses contradictoires du demandeur au sujet de la question de savoir s’il lui était possible de fournir une copie de la brochure du Falun Gong qu’il avait produite;

                     Le fait que la tante ait été incapable de mentionner les noms des membres du Falun Gong qui avaient été arrêtés et le fait que le demandeur ait été incapable de fournir une preuve de leur arrestation;

                     Le fait qu’il n’y avait aucun moyen de savoir, grâce à la brochure, que le demandeur était un adepte du Falun Gong;

                     L’imprécision quant au nombre de fois où les agents du BSP se sont rendus chez les parents du demandeur;

                     L’absence d’assignation et de mandat d’arrestation concernant le demandeur;

                     Le fait que les parents du demandeur n’ont subi aucunes représailles ni aucune conséquence en raison de la soi-disant appartenance du demandeur au mouvement Falun Gong.

[5]               La SPR a également conclu que le demandeur n’était pas persécuté; il était tout simplement poursuivi pour avoir violé une loi d’application générale. De plus, elle a conclu que le demandeur n’était pas accusé d’infractions de nature politique et que même s’il avait été déclaré coupable, sa peine ne choquerait pas la conscience des Canadiens. Par conséquent, la SPR a conclu que M. Ye n’avait pas établi de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention.

[6]               La SPR a conclu qu’elle n’avait pas à examiner une demande d’asile sur place fondée sur l’appartenance du demandeur au mouvement Falun Gong parce qu’elle n’a pas jugé crédible son témoignage selon lequel il était maintenant un adepte du Falun Gong et parce qu’elle exige la « bonne foi » dans le cas d’une demande d’asile et a conclu que M. Ye  n’avait pas établi qu’il était devenu un véritable adepte du Falun Gong.

[7]               Je n’accepte pas l’affirmation du demandeur selon laquelle la SPR a tiré des conclusions déraisonnables concernant la crédibilité. L’ensemble des éléments de preuve sur lesquels repose cette conclusion étaye son caractère raisonnable.

[8]               Rien ne prouve que le BSP eut pu, grâce à la brochure, établir que le demandeur était un adepte du Falun Gong et aucune preuve corroborant qu’il l’a fait n’a été soumise. La thèse de l’avocat selon laquelle le BSP aurait pu autrement établir son identité n’est que pure conjecture.

[9]               La SPR a conclu que l’absence de conséquences préjudiciables pour les parents de M. Ye étayait sa conclusion selon laquelle sa preuve avait été fabriquée. En l’espèce, contrairement à la décision Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1252, la SPR a renvoyé à la preuve documentaire sur la situation dans le pays figurant dans le dossier afin d’étayer sa conclusion selon laquelle si la personne recherchée n’est pas rendue « les membres de sa famille sont également exposés à des châtiments ».

[10]           Je n’accepte également pas l’argument selon lequel la SPR a conclu de façon déraisonnable que même si les allégations de M. Ye étaient vraies, il serait poursuivi en vertu d’une loi d’application générale et ne serait pas persécuté en raison de ses opinions politiques.

[11]           M. Ye a déclaré qu’il n’était pas un adepte ou un sympathisant du mouvement Falun Gong. Il a participé à la production des brochures dans le but d’aider sa tante. Il n’existe aucun lien avec les opinions politiques parce que M. Ye n’avait aucune opinion politique. Il prétend que même s’il n’était pas politisé, il ressort de la preuve au dossier que les [traduction] « personnes qui apportent un soutien aux adeptes du Falun Gong risquent de faire l'objet d'amendes, de menaces et de harcèlement, même si elles ne sont pas elles-mêmes adeptes de ce mouvement ». Selon lui, cela permet d’affirmer qu’il existe un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention et étaye sa demande d’asile.

[12]           Il aurait été préférable que la SPR aborde cette question. Toutefois, un examen du dossier révèle que l’argument qu’invoque maintenant M. Ye n’a pas été soumis à la SPR. Franchement, la preuve au dossier qu’il invoque maintenant est ténue. Son mémoire ne fait mention que d’une « correspondance » provenant d’un représentant de l’Association Falun Dafa du Canada dans laquelle il est mentionné que de tels agissements de la part des autorités ont été rapportés, puis fait mention d’un exemple qui manque totalement de précision et qui n’est étayé par aucune documentation. Par conséquent, selon moi, la preuve au dossier concernant la persécution exercée contre les personnes qui apportent leur soutien aux adeptes du Falun Gong ne permet pas d’établir que, selon toute vraisemblance, M. Ye serait persécuté parce qu’il a aidé sa tante à produire les brochures.

[13]           Ce qui préoccupe davantage la Cour, c’est l’analyse faite par la SPR de la demande d’asile sur place de M. Ye. La SPR a examiné la preuve soumise par M. Ye à l’appui de son appartenance actuelle au mouvement Falun Gong et lui a accordé peu de poids. Compte tenu que les documents visant à établir l’appartenance au mouvement Falun Gong étaient écrits à la main, n’étaient pas rédigés sur du papier en-tête et n’étaient pas certifiés, il s’agissait d’une évaluation raisonnable de leur valeur probante.

[14]           La SPR a reconnu que M. Ye était capable de faire les exercices et de répondre aux questions, mais elle a souligné qu’« il n’a pas été capable de donner de détails précis quant aux bienfaits du Falun Gong ». Je suis d’accord avec l’avocat pour affirmer que cette question n’a pas été posée à M. Ye; toutefois, la transcription de l’audience révèle qu’il y a eu une longue discussion portant sur les bienfaits du Falun Gong et que les réponses de M. Ye étaient de nature très générale.

[15]           Le fondement de la conclusion de la SPR selon laquelle la demande sur place de M. Ye n’a aucun bien-fondé semble comporter deux volets. Premièrement, la SPR « intègre » les conclusions qu’elle a déjà tirées dans son appréciation de la demande sur place. Cette façon de faire a déjà été reconnue comme étant acceptable : voir Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067, et la jurisprudence qui y est citée. Toutefois, la conclusion qu’elle a déjà tirée sur la crédibilité semble avoir été appréciée par la SPR au regard d’une exigence de « bonne foi » qui, selon elle, existe en ce qui concerne les demandes sur place. Plus précisément, la SPR intègre une exigence de bonne foi en matière de demande d’asile sur place, et ce, en s’appuyant sur deux sources : une décision de l’Autorité d’appel en matière de statut de réfugié de la Nouvelle-Zélande (appel relatif à la demande de statut de réfugié no 2254/94, 21 sept. 1994) et l’ouvrage de James Hathaway intitulé The Law of Refugee Status (Toronto : Buttersworths, 1991).

[16]           La juge Gauthier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a conclu dans la décision Ghasemian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266, aux paragraphes 29 à 31, que cette exigence de « bonne foi » n’existe pas :

Selon Mme Ghasemian, la Commission a également commis une erreur lorsqu'elle a examiné les motifs qui l'avaient poussée à se convertir et qu'elle n'a pas appliqué le bon critère en rejetant sa revendication au motif qu'elle n'avait pas été faite de bonne foi, c'est-à-dire qu'elle ne s'était pas convertie pour des raisons purement religieuses. Elle se fonde sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Danian c. Secretary of State for the Home Department, [1999] E.W.J. No. 5459 (en ligne QL).

Dans cet arrêt, la Cour d'appel d'Angleterre a jugé que, malgré le fait que la revendication présentée par M. Danian en qualité de « réfugié sur place » reposait sur des opinions politiques clairement exprimées qui auraient été formulées dans le seul but d'étayer sa revendication, le tribunal était quand même tenu de décider si M. Danian s'exposerait à la persécution s'il retournait dans son pays d'origine.

Bien que notre Cour ne soit pas liée par l'arrêt Danian, précité, je trouve son raisonnement fort convaincant et je conviens que les revendicateurs opportunistes sont toujours protégés par la Convention s'ils réussissent à établir qu'ils craignent véritablement et avec raison d'être persécutés pour un des motifs prévus par la Convention. [Non souligné dans l’original.]

[17]           Il est impossible d’établir l’incidence qu’a eu l’imposition, à tort, d’une exigence de bonne foi concernant une demande sur place sur l’appréciation de la demande de M. Yi faite par la SPR et, par conséquent, dans cette mesure seulement, sa demande doit être accueillie.

[18]           Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie en partie, la décision relative à la demande sur place du demandeur est annulée et sa demande d’asile fondée sur une demande sur place est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une décision et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5518-13

 

INTITULÉ :

JIN YUAN YE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2014

 

JUDGMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Norah Dorcine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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