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Date : 20141113


Dossiers : T-793-13

T-794-13

T-795-13

T-796-13

T-798-13

Référence : 2014 CF 1054

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 13 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

DAIRY PROCESSORS
ASSOCIATION OF CANADA

demanderesse

et

LES PRODUCTEURS LAITIERS DU CANADA/DAIRY FARMERS OF CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Le contexte

[1]               La présente décision traite de cinq demandes de contrôle judiciaire distinctes, mais connexes. Pour chacune de ces demandes, la demanderesse est la Dairy Processors Association of Canada (la DPAC); elle s’était opposée à cinq demandes d’enregistrement de marques de commerce qui avaient été déposées par la défenderesse, les Producteurs laitiers du Canada/Dairy Farmers of Canada (les PLC). Les demandes de contrôle judiciaire en l’espèce découlent de cinq décisions d’un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (le membre), par lesquelles il rejetait la demande de la DPAC en vue de modifier sa déclaration d’opposition pour y inclure de nouveaux motifs, et ce, à l’égard de chacune des demandes d’enregistrement de marques de commerce en cause. Un tableau, reproduit à l’annexe qui figure à la fin des motifs, contient des renseignements relativement à chacune des demandes d’enregistrement de marques de commerce en cause ainsi que la corrélation de chacune de ces demandes avec les demandes présentées dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[2]               Bien que les marques en elles‑mêmes soient similaires, il existe certaines différences dignes de mention entre trois des demandes d’enregistrement de marques de commerce (no 1,415,228, no 1,415,231 et no 1,415,232, que je désignerai par le Groupe 1) et les deux autres (no 1,427,512 et no 1,434,322, que je désignerai par le Groupe 2) :

1.      Les marques du Groupe 1 consistent en des marques de commerce ordinaires, alors que celles du Groupe 2 consistent en des marques de certification;

2.      Les marques du Groupe 1 sont fondées sur un emploi projeté, alors que celles du Groupe 2 sont fondées sur un emploi ayant débuté peu de temps avant le dépôt des demandes;

3.      Les marques du Groupe 1 sont en liaison avec un éventail de services, alors que celles du Groupe 2 sont en liaison avec des marchandises précises (la crème glacée pour la demande no 1,427,512, et la crème sure pour la demande no 1,434,322).

[3]               Aucune de ces différences n’est particulièrement importante en l’espèce.

[4]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’ai conclu que le membre a commis une erreur en refusant d’accorder l’autorisation de modifier les déclarations d’opposition en cause, et que les décisions contestées devraient être annulées.

II.                Les faits

[5]               Les demandes d’enregistrement de marques de commerce en cause ont été déposées entre le 21 octobre 2008 et le 14 avril 2009. Les déclarations d’opposition ont été déposées le 31 août 2010 à l’égard de toutes ces demandes. Les déclarations d’opposition contiennent un certain nombre de motifs d’opposition, y compris ceux selon lesquels les marques :

1.      ne sont pas enregistrables, car elles sont visées à l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi);

2.      ne sont pas distinctives à l’égard des marchandises aux services énumérés, et ne peuvent le devenir;

3.      contreviennent à diverses dispositions de la Loi, notamment l’alinéa 7a).

[6]               Après que les PLC eurent fourni leur contre‑déclaration d’opposition le 14 janvier 2011, les affidavits ont été échangés, et les contre‑interrogatoires ont ensuite eu lieu en septembre 2012.

[7]               La DPAC a ensuite demandé à modifier sa déclaration d’opposition, en vue d’y inclure de nouveaux motifs d’opposition, soit ceux selon lesquels les marques :

1.      ne sont pas enregistrables au titre de l’article 10 de la Loi (ce motif se rapporte uniquement aux marques de certification);

2.      ne sont pas enregistrables, car elles contreviennent à l’alinéa 30i) de la Loi, en ce sens que leur emploi violerait les alinéas 7d) et 7e) de la Loi.

[8]               Les demandes d’autorisation présentées par la DPAC en vue de modifier sa déclaration d’opposition ont été déposées le 24 décembre 2012.

III.             Les décisions contestées

[9]               Le membre a refusé d’accorder l’autorisation demandée par des lettres datées du 8 avril 2013. Ces lettres, aux nombres de cinq, sont chacune liées à l’une des marques en question. Les décisions sont essentiellement les mêmes d’une lettre à l’autre.

[10]           L’obligation, pour la DPAC, d’obtenir l’autorisation pour modifier ses déclarations d’opposition tire son origine de l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce. Conformément à un énoncé de pratique publié par le Bureau des marques de commerce, intitulé Énoncé de pratique concernant la procédure d’opposition en matière de marque de commerce, article VII, qui est entré en vigueur le 31 mars 2009 (l’Énoncé de pratique) :

Une autorisation de modifier une déclaration d’opposition ou une contre-déclaration ou de produire une preuve supplémentaire ne sera accordée que si le registraire est convaincu qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, y compris:

1.  l’étape où en est rendue la procédure d’opposition;

2.  la raison pour laquelle la modification n’a pas été apportée ou la preuve n’a pas été produite plus tôt;

3.  l’importance de la modification ou de la preuve;

4.  le tort qui sera causé à l’autre partie.

[11]           Bien que le membre n’ait pas expressément renvoyé à l’Énoncé de pratique dans ses lettres, le contenu de ces dernières démontre qu’il avait à l’esprit les facteurs susmentionnés.

[12]           En ce qui concerne les deux premiers facteurs, le membre a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je constate que la demande de l’opposante a été présentée à un stade plutôt tardif dans l’instance, c’est‑à‑dire, à la fin de l’étape de la preuve et avant la délivrance de l’avis relatif aux observations écrites. Il n’est pas clair à savoir pourquoi l’opposante n’a pas pu présenter sa requête à un stade plus hâtif.

[13]           Le membre semblait ensuite avoir le troisième facteur (l’importance de la modification) à l’esprit, lorsqu’il a renchéri en mentionnant ce qui suit : [traduction] « Plus important encore, je souscris aux observations de la demanderesse, selon lesquelles les motifs d’opposition ne peuvent être fondés sur l’article 7, lequel est intégré aux motifs fondés sur l’article 30 ».

[14]           En dernier lieu, le membre a conclu sa lettre en renvoyant au quatrième facteur (le tort qui sera causé à l’autre partie), lorsqu’il a mentionné qu’il [traduction] « existe une possibilité réelle que la demanderesse subisse un tort, en raison du retard possiblement long que cela occasionnerait dans l’instance si elle devait répondre à de nouvelles allégations ».

IV.             Les questions en litige

[15]           Deux questions principales doivent être tranchées dans le cadre de la présente décision :

1.      Les décisions contestées sont‑elles susceptibles de contrôle judiciaire?

2.      Le cas échéant, le membre a‑t‑il commis une erreur en refusant d’accorder l’autorisation de modifier les déclarations d’opposition?

[16]           Pour que les décisions contestées soient annulées, la DPAC doit avoir gain de cause quant aux deux questions.

V.                Analyse

A.                Les décisions contestées sont‑elles susceptibles de contrôle judiciaire?

[17]           La décision de refuser d’accorder l’autorisation de modifier une déclaration d’opposition est de nature interlocutoire : Simpson Strong-Tie Co. c Peak Innovations Inc., 2008 CAF 235. De ce fait, les décisions contestées ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en cas de circonstances spéciales ou exceptionnelles, jusqu’à ce que le processus administratif ait pris fin ou que les recours efficaces soient épuisés : Szczecka c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 170 NR 58, au paragraphe 4 (CAF) (Szczecka); Canada (Agence des services frontaliers du Canada) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, au paragraphe 31 (Powell).

[18]           La DPAC prétend que le contrôle judiciaire à ce stade‑ci de l’instance est approprié, parce qu’elle ne disposera d’aucun recours subsidiaire adéquat à la fin de l’instance pour faire valoir de nouveaux motifs d’opposition. La DPAC renvoie à la décision Parmalat Canada Inc. c Sysco Corporation, 2008 CF 1104, au paragraphe 23 (Parmalat), qui portait sur des faits similaires à ceux en l’espèce. La DPAC mentionne aussi que, bien qu’elle puisse avoir le droit de produire une nouvelle preuve dans un appel interjeté à la Cour à l’égard d’une décision quant à une opposition, elle n’aurait pas le droit d’introduire de nouvelles questions en litige.

[19]           Pour leur part, les PLC prétendent que la DPAC dispose de recours subsidiaires. Comme il est mentionné dans la décision Indigo Book & Music Inc. c C. & J. Clark International Ltd., 2010 CF 859, au paragraphe 44 (Indigo), DPAC dispose de deux autres recours judiciaires :

1.      intenter une action contre PLC, pour violation des droits dont elle peut bénéficier aux termes de l’alinéa 7d) et/ou de l’alinéa 7e) de la Loi;

2.      dans la mesure où elle n’obtient pas gain de cause dans les oppositions et que les demandes de marques de commerce présentées par PLC donnent lieu à des enregistrements, DPAC pourrait introduire une instance devant la Cour en vue de la radiation de ces enregistrements en vertu de l’article 57 de la Loi, en faisant également valoir une allégation fondée sur l’alinéa 7d) et/ou l’alinéa 7e)[1].

[20]           Cependant, ces recours subsidiaires seraient pris dans le cadre d’instance distincte des oppositions initiales. Les parties ne s’entendent pas quant à la question de savoir si les recours intentés hors du cadre des instances en cours peuvent effectivement constituer des recours efficaces, au sens des arrêts Szczecka et Powell. La divergence d’opinions existe aussi dans la jurisprudence, semble‑t‑il. La décision Indigo conclut manifestement par l’affirmative. Cependant, la conclusion opposée a été tirée dans la décision Parmalat. La question n’a pas été traitée spécifiquement dans la décision Parmalat, mais il semblerait que les mêmes recours subsidiaires auraient pu être intentés dans cette affaire.

[21]           Les PLC prétendent que la décision Parmalat n’est pas applicable en l’espèce, parce que la décision contestée dans cette affaire découlait d’une conclusion erronée selon laquelle le nouveau motif d’opposition proposé était invalide. Les PLC prétendent que les décisions contestées en cause dans le cadre des présentes demandes ne se rapportent pas à une telle conclusion. Il s’agit d’un débat distinct, dont je traiterai ci‑dessous.

[22]           Je me range du côté de la DPAC et de la décision Parmalat quant à cette question. Je privilégie la thèse selon laquelle les recours subsidiaires envisagés dans les arrêts Szczecka et Powell doivent être des recours disponibles dans le cadre de l’instance en cause, et non comprendre des recours qui pourraient être intentés dans des instances distinctes. J’en conclus ainsi, et ce, pour deux raisons principales.

[23]           Tout d’abord, à mon avis, le passage suivant de l’arrêt Powell, au paragraphe 31, donne à penser que je ne devrais pas aller au-delà du contexte de l’actuelle instance en matière d’opposition pour trouver des recours subsidiaires :

[…] [À] défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celuici n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[Non souligné dans l’original.]

[24]           Le deuxième motif pour lequel je préfère l’approche retenue dans la décision Parmalat à celle de la décision Indigo est que l’on ne peut effectuer une distinction entre la présente affaire et les faits de la décision Parmalat de la manière prétendue par les PLC. Comme il en sera discuté ci‑dessous, je conclus que le membre a bel et bien conclu de manière erronée, tout comme c’était le cas dans la décision Parmalat, que le nouveau motif d’opposition proposé était invalide.

[25]           Par conséquent, je conclus que la DPAC ne dispose d’aucun autre recours efficace pour introduire de nouveaux motifs d’opposition, et que les décisions contestées sont donc susceptibles de contrôle judiciaire à ce stade‑ci.

(1)               La norme de contrôle applicable

[26]           Les parties ne s’entendent pas quant à la question de la norme de contrôle applicable. Cependant, leur désaccord est surtout attribuable à la manière dont les questions en litige sont perçues, plutôt qu’à un réel désaccord concernant le droit applicable en ce qui a trait à la norme de contrôle.

[27]           La DPAC affirme que, pour certaines questions en litige, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, parce que les erreurs que le membre aurait commises se rapportent à sa compétence et à ses pouvoirs au moment de son examen de la demande en autorisation de modifier les déclarations d’opposition. La DPAC fait valoir que le membre a commis les deux erreurs suivantes :

1.      Il n’a pas tenu compte de l’importance des modifications proposées et de la question de savoir si leur importance supplante tout tort que les PLC pourraient subir en raison des modifications;

2.      Il a conclu que l’article 30, en combinaison avec l’article 7, n’est pas un motif d’opposition adéquat.

[28]           Pour leur part, les PLC prétendent que le membre n’a pas commis d’erreur en ce qui a trait à sa compétence et à ses pouvoirs, qu’il a appliqué le bon critère juridique, et que le différend en ce qui concerne la norme de contrôle applicable se rapporte à la manière avec laquelle le membre a exercé son pouvoir discrétionnaire. Les PLC soutiennent donc, pour ce motif, que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

[29]           En ce qui a trait à la première erreur alléguée, comme il a été mentionné ci‑dessus dans la discussion concernant les décisions contestées, je suis d’avis que le membre s’est fondé sur l’ensemble des facteurs applicables dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la question de l’importance des modifications proposées est celle de la raisonnabilité. On peut dire de même pour tous les autres arguments présentés par la DPAC qui avaient trait à la manière avec laquelle le membre a appliqué ces facteurs.

[30]           La deuxième question en litige est différente. Les parties conviennent que le nouveau motif d’opposition fondé sur l’article 30, en combinaison avec l’article 7, est un motif d’opposition adéquat. Par conséquent, la question devient donc celle de savoir si le membre a conclu par erreur qu’il ne s’agit pas d’un motif d’opposition adéquat, ou s’il a tout simplement conclu que ce motif d’opposition ne pouvait être invoqué dans ces oppositions en particulier. Je traite de cette question plus en détail dans la partie suivante.

B.                 Le cas échéant, le membre a‑t‑il commis une erreur en refusant d’accorder l’autorisation de modifier les déclarations d’opposition?

[31]           Comme il a été mentionné ci‑dessus, le membre a tenu compte des inférences suivantes lorsqu’il a conclu que les modifications proposées par la DPAC ne devraient pas être acceptées :

1.      Les demandes d’autorisation ont été présentées à un stade tardif de l’instance, et il n’est pas clair à savoir pourquoi qu’elles n’ont pas été présentées plus tôt;

2.      Les motifs d’opposition ne peuvent pas être fondés sur l’article 7 de la Loi par le truchement de l’article 30;

3.      Si les modifications sont acceptées, les PLC pourraient subir un préjudice réel.

[32]           La DPAC conteste chacune de ces conclusions. Je vais traiter de chacune d’entre elles, une à la fois.

(1)               Le caractère tardif des demandes d’autorisation

[33]           Des demandes d’autorisations en vue de modifier la déclaration d’opposition ont été déposées le 24 décembre 2012. Soit environ trois mois après les contre‑interrogatoires, mais deux mois avant la date prévue de la présentation des observations écrites.

[34]           La DPAC prétend qu’elle n’était pas en mesure de déposer les modifications proposées avant qu’elle reçoive les transcriptions des contre-interrogatoires, parce que les modifications proposées sont fondées sur les échanges qui ont eu lieu lors des contre-interrogatoires. La DPAC renvoie spécifiquement aux renseignements selon lesquels les PLC avaient la permission d’employer les marques en cause d’une manière incompatible avec les lignes directrices fédérales et en liaison avec des produits qui contenaient du lait n’étant pas 100 % canadien. La DPAC soulève l’exemple de la barre de crème glacée recouverte de chocolat, à l’égard de laquelle les PLC n’auraient pas de renseignements en ce qui concerne la source du lait employé dans le chocolat. Elle aurait des renseignements uniquement à l’égard du lait employé dans la crème glacée.

[35]           En ce qui concerne les lignes directrices fédérales, les PLC prétendent que la question était connue bien avant les contre-interrogatoires. Ils renvoient à l’affidavit de Claire Payette, daté du 29 novembre 2011, qui a été signifié à la DPAC le 13 décembre 2011, et plus précisément aux paragraphes 15 et 16 de cet affidavit, lesquels soulèvent la question des lignes directrices fédérales.

[36]           En ce qui concerne l’emploi allégué de marques en liaison avec des produits contenant du lait qui n’était pas 100 % canadien, les PLC font remarquer que, premièrement, les marques du Groupe 1 se rapportent à des services, et non à des produits, et deuxièmement, que les marques du Groupe 2 se rapportent uniquement à la crème glacée et à la crème sure. Il s’ensuit que les PLC prétendent que rien ne permet de conclure qu’ils permettaient l’emploi des marques en cause en liaison avec quelque produit visé dans la liste des demandes de marques de commerce qui contenait du lait n’étant pas 100 % canadien.

[37]           Il n’est pas clair, à la lecture des décisions du membre, s’il jugeait que la DPAC avait, ou qu’elle aurait dû avoir, connaissance des questions soulevées par les modifications proposées avant le contre-interrogatoire, et qu’elle aurait alors dû demander l’autorisation avant les contre‑interrogatoires, ou s’il était simplement d’avis qu’une période de trois mois suivants les contre-interrogatoires étaient trop longue. Je ne suis pas convaincu qu’un délai de trois mois est excessif, surtout au vu du fait que le membre lui-même a mis plus de temps que cela à trancher les demandes d’autorisation. Cependant, la conclusion selon laquelle la DPAC aurait dû proposer les modifications avant les contre-interrogatoires est, à mon avis, justifiée. Je tiendrai pour acquis qu’il s’agissait de la conclusion du membre. Selon moi, cette conclusion était raisonnable.

(2)               Le motif d’opposition fondé sur l’article 7

[38]           Le membre a mentionné, dans une partie de chacune des décisions contestées, ce qui suit : [traduction] « Plus important encore, je souscris aux observations de la demanderesse, selon lesquelles les motifs d’opposition ne peuvent être fondés sur l’article 7, lequel est intégré aux motifs fondés sur l’article 30 ».

[39]           La DPAC prétend qu’il s’agit d’un énoncé clair qui est erroné en droit en ce qui a trait à la compétence et au pouvoir du membre de rejeter les demandes d’enregistrement de marques de commerce en cause en se fondant sur les oppositions de la DPAC.

[40]           Les PLC conviennent que l’article 30, en combinaison avec l’article 7, constitue un motif d’opposition valide. Cependant, ils prétendent que cet énoncé formulé par le membre voulait simplement dire que la DPAC n’avait pas le droit de fonder ses oppositions en l’espèce sur la combinaison des articles 30 et 7, et non qu’une opposition pour ce motif ne pourrait jamais être formulée. Les PLC affirment que:

1.      Les décisions contestées envoient à la lettre des PLC datée du 18 février 2013, dans lesquelles ils plaidaient à l’encontre l’autorisation de modifier;

2.      La lettre datée du 18 février 2013 contient plusieurs arguments portant que les modifications proposées ne devraient pas être acceptées dans le contexte des oppositions en l’espèce;

3.      La citation du membre reproduit ci‑dessus est tout simplement l’expression de son accord avec les PLC quant à cette question.

[41]           On m’a fait remarquer que le membre lui-même avait antérieurement reconnu que l’article 30, en combinaison avec l’article 7, constitue un motif d’opposition valide : Bojangles’ International, LLC. c Bojangles Cafe Ltd. (2004), 40 CPR (4th) 553, au paragraphe 21.

[42]           J’ai tenté d’interpréter l’énoncé en cause de la manière que les PLC me pressent de le faire, mais j’ai conclu que la seule interprétation raisonnable à lui donner est qu’il s’agit d’un énoncé selon lequel le nouveau motif d’opposition proposé est invalide. Tout d’abord, c’est ce qui ressort d’une lecture simple de l’énoncé. De plus, la lettre des PLC datée du 18 février 2013, à laquelle l’énoncé renvoie, présente aussi l’argument selon lequel le nouveau motif d’opposition proposé n’est pas valide. La lettre renvoie à la décision Sao Paulo Alpargatas c But Fashion Solutions (Comercio e Industria de Artigos em Pele, LDA), 2012 COMC 178, décision dans laquelle il est mentionné que « rien dans la jurisprudence n’indique qu’une violation de l’alinéa 7b) ou du sous‑alinéa 7d)(ii) de la Loi puisse être invoquée à l’appui d’un motif fondé sur l’alinéa 30 i) ». La lettre des PLC contient aussi le passage suivant, tiré de la décision Cuprinol Ltd. c J.S. Tait & Co. (1974), 19 CPR (2d) 176, au paragraphe 20 (COMC) :

[traduction]

Les oppositions fondées sur l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce ne sont pas des motifs d’opposition au titre de l’article [38] de la Loi sur les marques de commerce. Une violation de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce peut faire l’objet d’autres instances devant un tribunal compétent, mais il ne s’agit pas de motifs d’opposition valides.

[43]           D’après ce qui précède, les PLC ont manifestement imploré le membre de conclure que la combinaison de l’article 30 et de l’article 7 ne pourrait pas constituer un motif d’opposition valide. Il a souscrit à l’observation des PLC, malgré le fait qu’il eut auparavant tiré une conclusion opposée. Je tiens pour acquis qu’il a tout simplement oublié ses conclusions antérieures à l’effet opposé quant à cette question

[44]           Il appert que cette conclusion erronée du membre l’a conduit à conclure que les modifications proposées n’étaient pas importantes. Selon moi, les décisions du membre ne sont pas fondées en droit, et il a agi de manière déraisonnable en s’appuyant sur des énoncés juridiques erronés, puisqu’il avait antérieurement reconnu le droit applicable. De plus, cette erreur a conduit à l’appréciation incorrecte des facteurs pertinents relativement aux demandes d’autorisation présentées par la DPAC.

[45]           Je ne me suis pas fait une opinion quant à la question de savoir si les modifications proposées devraient être considérées comme étant importantes. Néanmoins, l’importance des modifications proposées est une question qui devrait être examinée en bonne et due forme.

(3)               La possibilité que les PLC subissent un préjudice

[46]           Le membre a conclu qu’il y avait une réelle possibilité que la défenderesse subisse un préjudice, en raison du retard qu’entraînerait l’introduction de nouveaux motifs d’opposition. Cependant, le membre n’a aucunement justifié cette conclusion, hormis la mention du retard lui‑même. Le retard n’entraîne pas automatiquement un préjudice, mais il ne suggère pas en quoi ce retard entraînerait un préjudice aux PLC.

[47]           On peut dire la même chose à l’égard de l’argument formulé par les PLC dans la lettre du 18 février 2013 à l’encontre des modifications. Les PLC prétendent qu’ils subiraient un préjudice, mais ne soulignent rien d’autre que le retard.

[48]           À la date de la demande d’autorisation, les parties disposaient tout de même de deux mois avant qu’on leur demande de produire leurs observations écrites. Je reconnais que la présentation de nouveaux motifs d’opposition à ce stade‑ci pourrait occasionner un retard supplémentaire, mais aucun élément de preuve ou argument ne m’a été présenté quant à la manière avec laquelle un tel retard pourrait occasionner aux PLC un préjudice à l’égard duquel ils ne pourraient être indemnisés par l’intermédiaire des dépens. Selon moi, la conclusion du membre qui reposait sur le préjudice que pourraient subir les PLC n’était pas étayée, et, par conséquent, déraisonnable.

[49]           Je conviens avec la DPAC que le membre a aussi omis de comparer le préjudice potentiel auquel elle pourrait être exposée dans l’éventualité d’un refus de lui permettre d’apporter des modifications avec le préjudice auquel les PLC pourraient être exposés si l’autorisation devait être accordée. Selon moi, l’énoncé de pratique exigeait du membre qu’il se penche sur cette question.  

VI.             Conclusion

[50]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, j’ai conclu que les décisions du membre par lesquelles il refusait d’accorder l’autorisation d’introduire de nouveaux motifs d’opposition sont déraisonnables. Par conséquent, je conclus que les décisions du membre devraient être annulées.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.            Les décisions de refuser d’accorder l’autorisation de modifier les déclarations d’opposition à l’égard des demandes d’enregistrement des marques de commerce nos 1,415,228, 1,415,231, 1,415,232, 1,427,512 et 1,434,322 sont annulées;

2.            Les demandes d’autorisation sont renvoyées à la Commission des oppositions des marques de commerce pour réexamen, d’une manière compatible avec les présents motifs;

3.            Les dépens suivront l’issue de la cause;

4.            Une copie des présents jugements et motifs de jugement sera versée aux dossiers de la Cour T-794-13, T-795-13, T-796-13 et T-798-13.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE

Demande d’enregistrement de marques de commerce

Numéro et date de dépôt

Description

Marchandises ou services

Dossier de la Cour no

1,415,228
21 octobre 2008

Marque de commerce 100 % Canadian Milk & Dessin

Emploi projeté au Canada en liaison avec des services, nommément organisation de campagnes promotionnelles et publicitaires pour encourager la consommation de produits laitiers fabriqués au Canada par la diffusion d’information et l’organisation de colloques et de conférences sur la nutrition et les avantages d’une alimentation saine, y compris la consommation de produits laitiers; campagnes promotionnelles et publicitaires en ligne pour encourager la consommation de produits laitiers fabriqués au Canada par la diffusion d’information sur la nutrition et les avantages d’une alimentation saine, y compris la consommation de produits laitiers.

T-793-13

1,415,231
21 octobre 2008

Marque de commerce Lait 100 % Canadien & Dessin

Emploi projeté au Canada en liaison avec des services, nommément organisation de campagnes promotionnelles et publicitaires pour encourager la consommation de produits laitiers fabriqués au Canada par la diffusion d’information et l’organisation de colloques et de conférences sur la nutrition et les avantages d’une alimentation saine, y compris la consommation de produits laitiers; campagnes promotionnelles et publicitaires en ligne pour encourager la consommation de produits laitiers fabriqués au Canada par la diffusion d’information sur la nutrition et les avantages d’une alimentation saine, y compris la consommation de produits laitiers.

T-794-13

1,415,232
21 octobre 2008

Trade-mark Lait 100 % Canadien / 100% Canadian Milk et Dessin

Emploi projeté au Canada en liaison avec des services, nommément organisation de campagnes promotionnelles et publicitaires pour encourager la consommation de produits laitiers fabriqués au Canada par la diffusion d’information et l’organisation de colloques et de conférences sur la nutrition et les avantages d’une alimentation saine, y compris la consommation de produits laitiers; campagnes promotionnelles et publicitaires en ligne pour encourager la consommation de produits laitiers fabriqués au Canada par la diffusion d’information sur la nutrition et les avantages d’une alimentation saine, y compris la consommation de produits laitiers.

T-795-13

1,434,322
14 avril 2009

Marque de certification Lait 100 % Canadien / 100% Canadian Milk & Dessin

Emploi depuis au moins aussi tôt que le 6 avril 2009 en liaison avec des produits laitiers, nommément la crème sure.

T-796-13

1,427,512
11 février 2009

Marque de certification Lait 100% Canadien & Dessin

Emploi depuis au moins aussi tôt que le 2 février 2009  en liaison avec des produits laitiers, nommément la crème glacée.

T-798-13


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-793-13, T-794-13, T-795-13, T-796-13, T-798-13

 

INTITULÉ :

DAIRY PROCESSORS ASSOCIATION OF CANADA c LES PRODUCTEURS LAITIERS DU CANADA / DAIRY FARMERS OF CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 Septembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

juge LOCKE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 Novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Kenneth McKay

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Brigitte Chan

Me Caroline Jonnaert

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SIM LOWMAN ASHTON & MCKAY LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

LEGAULT JOLY THIFFAULT, LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 



[1] Bien que cela n’ait pas été abordé dans le cadre des présentes demandes de contrôle judiciaire, je fais remarquer que l’alinéa 7e) a été déclaré invalide par la Cour suprême du Canada en 1976 : MacDonald et al. c Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134.

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