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Date : 20140905

Dossier : T-1391-12

Référence : 2014 CF 850

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2014

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

YACINE AGNAOU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, Yacine Agnaou, est un avocat qui travaillait pour le ministère de la Justice [le MJ ou Justice] au Bureau régional de Québec, où il occupait un poste non-cadre classifié au groupe et niveau LA-02A. Il fait partie d’une minorité visible, au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, LC 1995, c 44 [la LÉE].

[2]               En avril 2008, le MJ a publié un avis de possibilité d’emploi à l’égard de deux postes au Bureau régional de Québec : un pour le poste de directeur régional associé et l’autre pour le poste de directeur de la direction du droit. Les deux postes étaient classifiés au groupe et niveau LA‑03A, soit deux niveaux plus élevés que le poste d’attache du demandeur. Les deux postes comprenaient la gestion d’un certain nombre de subalternes. L’employeur exigeait, à titre de qualification essentielle pour les deux postes, qu’un candidat possède au moins six mois d’expérience en gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale dans les deux années précédentes. M. Agnaou a présenté sa candidature à l’égard des postes, mais celle‑ci a été rejetée à l’étape initiale de la sélection parce qu’il n’avait pas l’expérience requise en matière de gestion des ressources humaines.

[3]               Par la suite, M. Agnaou a déposé une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique [le TDFP] relativement au concours. Dans sa plainte, il alléguait que l’exigence relative à l’expérience était discriminatoire en raison de son effet préjudiciable sur les personnes faisant partie de minorités visibles. Il alléguait aussi que l’employeur avait abusé de ses pouvoirs au cours du processus de dotation en faisant fi de ses obligations relatives à l’équité en matière d’emploi.

[4]               Après plusieurs jours d’audience, au cours desquels plusieurs témoins ont comparu et des milliers de pages de preuve documentaire ont été produites, le vice‑président du TDFP, M. John Mooney, a rejeté la plainte de M. Agnaou, en concluant que ce dernier n’avait pas établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination et qu’il n’avait pas démontré qu’il y avait eu abus de pouvoir au cours du processus de dotation.

[5]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Agnaou sollicite l’annulation de la décision datée du 18 juin 2012 par laquelle sa plainte était rejetée et demande à la Cour de conclure que le MJ a violé au cours du processus de dotation ses droits prévus à la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la LCDP] et à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, a. 12, 13 [la LEFP]. M. Agnaou soulève de nombreux arguments à cet égard. Plus spécifiquement, il allègue que le TDFP a commis plusieurs entorses à ses droits en matière d’équité procédurale et de multiples erreurs susceptibles de contrôle en ce qui a trait à la détermination des principes juridiques applicables à sa plainte et à l’examen du bien-fondé de cette dernière.

[6]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’ai conclu que les droits de M. Agnaou relatifs à l’équité procédurale n’ont pas été violés, que le vice‑président Mooney n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle, et que la présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée, avec dépens.

I.                   Les questions préliminaires

[7]               Le défendeur soulève deux questions préliminaires qui doivent être tranchées. Plus précisément, il prétend tout d’abord que M. Agnaou n’a pas désigné les bonnes parties à titre de défendeurs dans la présente demande et qu’il aurait dû désigner uniquement le Procureur général du Canada, plutôt que le sous‑ministre de la Justice et la Commission de la fonction publique [la CFP] à titre de défendeurs. Dans un deuxième temps, le défendeur fait valoir que la pièce R‑90 jointe à l’affidavit de M. Agnaou daté du 9 août 2012, ainsi que tous les renvois à cet affidavit contenus dans son dossier de requête, devraient être radiés du dossier, puisque le TDFP ne disposait pas de la pièce en question. Le document en question est une plaidoirie écrite de 64 pages que M. Agnaou n’a pas pu déposer devant le TDFP, puisque le vice‑président Mooney a fixé une limite de 30 pages pour les observations écrites des parties.

[8]               M. Agnaou ne souscrit pas à ces prétentions et soutient qu’il a respecté les exigences prévues à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] en désignant le sous-ministre de la Justice et la CFP à titre de défendeurs. Il fait aussi valoir que la pièce R‑90 est recevable, puisqu’il a confirmé l’exactitude de son contenu factuel au paragraphe 152 de son affidavit, où il a mentionné que « [t]ous les faits que je relate dans les pièces R‑89 et R‑90 sont vrais ». Il soutient que la pièce R‑90 doit être recevable en preuve, puisqu’en l’absence d’une transcription, il ne disposerait d’aucune autre manière de démontrer ce qui s’est passé devant le TDPF ou de prouver les détails de la preuve dont le tribunal était saisi.

[9]               En ce qui concerne la question des personnes devant être désignées à titre de défendeurs, l’alinéa 303(1)a) des Règles enjoint à la personne ayant la qualité de demandeur dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire de désigner à titre de défendeur chaque personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que le tribunal visé par la demande. En plus, le paragraphe 303(2) des Règles prévoit que lorsqu’aucun défendeur n’est directement touché par l’objet de la demande, c’est le Procureur général du Canada qui devrait être désigné comme défendeur.

[10]           Il se dégage de la jurisprudence récente un manque d’uniformité en ce qui a trait à la personne devant être désignée comme défendeur dans les instances où l’on procède au contrôle judiciaire de décisions du TDFP. Dans plusieurs affaires, seul le Procureur général du Canada est désigné à titre de défendeur; c’est d’ailleurs, selon le défendeur, la solution qui doit être adoptée (voir, à titre d’exemple, Kim c Canada (Procureur général), 2014 CF 369; Kraya c Canada (Procureur général), 2013 CF 1045 [Kraya]; Boshra c Canada (Procureur général), 2012 CF 681; Seck c Canada (Procureur général), 2011 CF 1355; Alexander c Canada (Procureur général), 2011 CF 1278). Dans d’autres affaires, par contre, le Procureur général et la CFP sont tous les deux désignés  (voir, p. ex., Kane c Canada (Procureur général), 2009 CF 740; Smith c Canada (Procureur général), 2011 CF 1401), alors que, dans une affaire qui a été tranchée par la Cour d’appel fédérale, seule la CFP fût désignée à titre de défenderesse (voir Abi-Mansour c Canada (Commission de la fonction publique), 2014 CAF 60). De plus, dans certaines autres instances, la division de l’administration où l’employé travaillait a été désignée à titre de seule défenderesse (voir, à titre d’exemple, Rameau c L’Agence canadienne de développement international, 2014 CF 361; Abi‑Mansour c Canada (Affaires étrangères), 2013 CF 1170 [Abi-Mansour]; Jalal c Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CF 611 [Jalal]). Et dans une autre instance, le sous‑ministre de la Justice et la CFP ont été désignés à titre de défendeurs (voir Lavigne c Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 684), une solution qui, selon M. Agnaou, doit être retenue en l’espèce.

[11]           La détermination de la personne à désigner à titre de défendeur n’a pas été traitée dans aucune des affaires susmentionnées et il semble que la présente instance sera la première fois où cette question devra être tranchée.

[12]           À mon avis, seulement le Procureur général du Canada devrait être désigné à titre de défendeur lors du contrôle judiciaire d’une décision du TDFP. À cet égard, bien qu’il soit courant de designer à titre de défendeurs dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire les parties dont les intérêts sont opposés à ceux du demandeur lors de l’instance devant le tribunal, la CFP et le sous‑ministre de la Justice sont différents des autres défendeurs qui sont généralement ainsi désignés. Plus précisément, le rôle de la CFP devant le TDFP n’est pas nécessairement contradictoire, et la CFP n’aura pas nécessairement à subir les conséquences de l’ordonnance sollicitée dans le contexte de la présente demande. Donc, en vertu de l’alinéa 303(1)a) des Règles, la CFP ne devrait pas être nommée comme partie défenderesse. En ce qui concerne le sous‑ministre de la Justice, la personne qui occupe cette fonction n’est pas assimilable à l’employeur ou à l’autorité en matière de dotation au MJ et n’est également pas directement touchée par l’objet de la présente demande. Par conséquent, je suis d’avis que, selon l’article 303 des Règles, c’est le Procureur général du Canada qui doit être désigné à titre de défendeur. Par conséquent, l’intitulé de la cause sera modifié de la manière proposée par le défendeur.

[13]           Ensuite, en ce qui concerne la question de la recevabilité de la pièce R‑90, tel que le juge Stratas l’a mentionné dans l’arrêt Association des universités et des collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 [CCLA] : « en principe, le dossier de la preuve qui est soumis [dans le cadre] d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait [le tribunal]. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance [du tribunal] et qui ont trait au fond de l’affaire soumise [au tribunal] ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour » (au paragraphe 19). Il dresse ensuite au paragraphe 20 une liste non exhaustive de trois exceptions à cette règle, soit :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d'aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s'assurer que l'affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s'immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. En l'espèce, les demanderesses invoquent cette exception en ce qui concerne la plus grande partie de l'affidavit de M. Juliano.

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l'attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu'on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d'organe chargé de censurer les manquements à l'équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers' Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l'on découvrait qu'une des parties a versé un pot-de-vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot-de-vin pour appuyer un argument fondé sur l'existence d'un parti pris.

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d'un contrôle judiciaire pour faire ressortir l'absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu'il a tiré une conclusion déterminée (Keeprite, précitée).

[14]           Certaines parties des paragraphes 38, 45 à 48 et 50 à 56 de la pièce R‑90 exposent effectivement des faits qui sont pertinents quant aux allégations de M. Agnaou concernant l’existence de vices de procédure ou exposent ce qu’il prétend être une partie des témoignages dont disposait le TDFP. Dans les circonstances de l’espèce, ce type de preuve est recevable selon les principes dégagés dans l’arrêt CCLA. J’ai ainsi tenu compte de la preuve de cette nature dans les paragraphes de la pièce R‑90 qui ont été ci-haut mentionnés pour rendre la présente décision.

II.                La décision et les questions de procédure tranchées par le TDFP

[15]           Les questions préliminaires tranchées, je porte maintenant mon attention sur les diverses contestations formulées par M. Agnaou en ce qui a trait à la décision, et je commence par un examen de la décision sur le fond et des nombreuses décisions procédurales que M. Agnaou conteste dans la présente demande. Étant donné que M. Agnaou conteste pratiquement tous les aspects de la décision, il est nécessaire que j’en donne un aperçu détaillé.

[16]           Le TDFP a consacré 11 jours, de mai à décembre 2010, à l’audition de la cause de M. Agnaou. Le vice‑président Mooney a aussi tenu des téléconférences avec les parties, ce qui a conduit à des décisions interlocutoires. Avant que M. Mooney ne soit saisi du dossier, un autre membre du TDFP ainsi que le président du TDFP, M. Giguère, ont rendu des décisions quant aux questions de procédure.

[17]           Les diverses décisions interlocutoires rendues par le TDFP avaient trait à un ensemble de questions de nature variée, notamment la communication de documents, les demandes de précisions formulées par M. Agnaou, les demandes d’ajournement et de prorogation de délai, les décisions de nature procédurale quant à l’ordre dans lequel les témoins allaient comparaître, le rejet de la demande de M. Agnaou par laquelle il sollicitait une ordonnance enjoignant à l’avocat du MJ de ne pas discuter de l’affaire avec les témoins avant que ceux‑ci ne livrent leur témoignage ainsi que le rejet des demandes de M. Agnaou qui visaient à ce que le vice-président Mooney consigne ses décisions interlocutoires par écrit et qu’il prenne les dispositions nécessaires pour obtenir une transcription des audiences. De plus, après la fin de l’audience, M. Agnaou a tenté de présenter des éléments de preuve supplémentaires.

[18]           Le vice-président Mooney, au début de sa décision, s’est penché sur la demande de M. Agnaou visant à ce qu’on lui permette de présenter des éléments de preuve supplémentaires, demande qu’il a rejetée. La preuve en question était composée de trois éléments : tout d’abord, les courriels et les notes que M. Agnaou avait obtenus du MJ à la suite d’une demande présentée au titre de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [LAI], et qui, selon lui, démontraient que l’avocat de l’employeur avait contrevenu à l’ordonnance du vice‑président ayant trait à l’exclusion de témoins; deuxièmement, les éléments relatifs au travail accompli ainsi qu’aux postes subséquemment occupés par les deux candidats qui avaient réussi le concours faisant l’objet de la contestation; et troisièmement, les éléments de preuve ayant trait à des concours subséquents que M. Agnaou n’a pas réussis. Le vice‑président a refusé d’admettre en preuve ces documents. Il a appliqué le critère à trois volets dégagés dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd c Sagaz Industries Canada Inc, 2001 CSC 59 [Sagaz] et dans la décision Whyte c Compagnie des chemins de fer nationaux, 2010 TCDP 6, au paragraphe 30 [Whyte], lequel prévoit que l’acceptation des éléments de preuve après la fermeture d’un dossier est subordonnée aux trois conditions suivantes :

1.                  La partie cherchant à présenter des éléments de preuve supplémentaires doit établir que, même en faisant preuve de diligence raisonnable, il ne lui aurait pas été possible de les obtenir pour une audience;

2.                  Les éléments de preuve doivent être susceptibles d’influer substantiellement sur l’issue de l’affaire, quoi qu’ils n’aient pas à être déterminants; et

3.                  Les éléments de preuve doivent paraître crédibles.

[19]           Le vice-président a conclu qu’aucun des éléments de preuve supplémentaires que M. Agnaou cherchait à produire ne satisfaisait à la deuxième condition. En ce qui concerne les documents ayant trait à la violation prétendue de l’ordonnance d’exclusion, le vice‑président a conclu que les documents que M. Agnaou voulait produire ne démontraient pas qu’il y avait eu violation de l’ordonnance et que, par conséquent, ceux‑ci n’auraient aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Dans la même veine, il a conclu que les éléments proposés à titre de preuve concernant le poste auquel les candidats retenus ont été affectés après le concours ainsi que les échecs de M. Agnaou dans un autre concours ne répondaient pas au deuxième volet du critère quant à la recevabilité. Dans le cas des candidats retenus, le vice‑président a conclu que la preuve n’était pas pertinente à l’égard des questions que devait trancher la TDFP, car il n’était pas nécessaire de se pencher sur la question de la réparation. Le vice-président a aussi jugé que la preuve relative à la candidature de M. Agnaou à l’égard d’un concours subséquent pour un poste à Ottawa n’était pas pertinente dans le contexte de la plainte.

[20]           Après avoir tranché les questions liées à la preuve, le vice-président Mooney a ensuite examiné l’allégation de M. Agnaou selon laquelle l’exigence voulant que les candidats doivent détenir de l’expérience en matière de gestion des ressources humaines était discriminatoire. Le vice‑président, après avoir examiné la compétence du TDFP de se pencher sur les allégations de discrimination, a énoncé les principes juridiques applicables à la détermination de l’existence de discrimination et il a cité plusieurs décisions, notamment l’arrêt de principe rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ontario (Commission des droits de la personne) c Simpsons-Sears Ltd, [1985] 2 RCS 536 [O’Malley]. À cet égard, il a tout d’abord fait remarquer que c’est à la personne qui allègue la discrimination qu’il incombe d’établir une preuve prima facie de discrimination, ce qui peut être accompli si le plaignant produit une preuve suffisante pour justifier de conclure qu’il y a eu discrimination en l’absence d’une explication de la part du défendeur. En deuxième temps, le vice‑président a mentionné que la preuve prima facie est souvent circonstancielle. Il a conclu que l’ appréciation du caractère suffisant de la preuve circonstancielle s’effectue en évaluant si la preuve rend l’inférence selon laquelle le défendeur s’est comporté de façon discriminatoire plus probable que les autres conclusions possibles. En dernier lieu, le vice-président Mooney a fait remarquer qu’un demandeur doit démontrer l’existence d’un lien entre sa situation personnelle et la preuve circonstancielle pour établir une preuve prima facie de discrimination.

[21]           Après avoir exposé ces principes généraux, le vice‑président les a ensuite appliqués à l’allégation de M. Agnaou et il a résumé la preuve que celui-ci avait produite à l’appui de sa plainte de discrimination. Cette preuve consistait principalement en des statistiques tirées de plusieurs sources ainsi qu’en des déclarations faites par l’ancien sous‑ministre de la Justice concernant la sous‑représentation des personnes faisant partie de minorités visibles, des femmes et des Autochtones au sein des postes de cadre au MJ. Le vice-président a conclu que la preuve dont il disposait n’établissait pas l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, et ce, pour deux motifs.

[22]           Tout d’abord, en ce qui concerne les déclarations faites par l’ancien sous‑ministre de la Justice, le vice-président Mooney a mentionné que celles-ci ne constituaient pas un avis portant que les personnes faisant partie des minorités visibles sont sous‑représentées dans les postes de cadre du MJ. Celles‑ci renvoyaient plutôt à tous les groupes qui sont protégés au titre de la LÉE, soit les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes faisant partie des minorités visibles, puisque l’ancien sous‑ministre de la Justice a mentionné que, ensemble, ces groupes étaient sous‑représentés dans les postes de cadre au MJ. Le vice-président Mooney a donc conclu que les déclarations du sous‑ministre n’établissaient pas que les personnes faisant partie des minorités visibles étaient sous‑représentées dans les postes de cadre au MJ.

[23]           En deuxième lieu, le vice-président Mooney a conclu que la preuve statistique produite par M. Agnaou n’établissait pas l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, puisque les statistiques ne faisaient qu’indiquer le pourcentage de personnes faisant partie des minorités visibles dans chaque groupe et niveau au sein du MJ, et qu’elles n’indiquaient pas le « taux de disponibilité » des minorités visibles à l’égard de ces postes. (Le taux de disponibilité est le pourcentage de personnes faisant partie des minorités visibles sur le marché du travail qui sont aptes à exécuter le travail exigé par les postes en question.) Le vice-président Mooney a conclu que la preuve produite par M. Agnaou n’établissait pas le taux de disponibilité des personnes faisant partie des minorités visibles dans l’ensemble du MJ et que, fait plus important encore, elles n’établissaient pas le taux de disponibilité à l’égard d’un groupe et niveau en particulier, y compris le groupe et niveau LA-03A. Le vice-président a statué qu’étant donné l’absence d’une telle preuve, M. Agnaou n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’une sous‑représentation des personnes faisant partie de minorités visibles au groupe et niveau LA‑03A, soit le groupe pertinent à l’égard de sa plainte.

[24]           Bien que ces conclusions eussent été suffisantes pour entraîner le rejet de la plainte de discrimination de M. Agnaou, le vice‑président Mooney a tout de même procédé à l’examen de plusieurs autres questions.

[25]           À cet égard, il a fait remarqué que, même si M. Agnaou avait été capable d’établir que les personnes faisant partie de minorités visibles étaient sous‑représentées au sein du groupe et niveau LA-03A au MJ, aucun élément de preuve ne démontrait qu’une telle sous‑représentation était attribuable au critère contesté quant à l’expérience en matière de gestion des ressources humaines ou à toute conduite discriminatoire de la part de l’employeur. Le vice-président a jugé qu’étant donné l’absence d’une telle preuve, M. Agnaou n’avait pas établi l’existence d’un lien, comme il se devait, entre le critère se rapportant à l’expérience et toute possible sous‑représentation des personnes faisant partie d’une minorité visible au sein du groupe et niveau LA-03A au sein du MJ. Par conséquent, il a conclu que M. Agnaou n’avait pas réussir à établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

[26]           Après cette constatation, le vice-président s’est ensuite penché sur la preuve produite par l’employeur et il a conclu que cette dernière établissait ce qui suit :

  plutôt que d’être sous‑représentées au sein du MJ, les personnes faisant partie de minorités visibles étaient, dans les faits, surreprésentées au sein de l’ensemble du groupe LA. (Le vice-président Mooney a pu tirer une telle conclusion, puisque l’employeur a produit des éléments de preuve concernant le taux de disponibilité à l’égard de l’ensemble du groupe);

  les défendeurs n’ont produit aucun élément de preuve en ce qui concerne les taux de disponibilité des minorités visibles à l’égard du groupe et niveau LA-03A;

  les défendeurs n’ont pas non plus produit d’éléments de preuve concernant les taux de disponibilité des minorités visibles à l’égard du groupe et niveau LA-02B, qui est le groupe « relève » du groupe et niveau LA-03A;

  il s’ensuit qu’il n’était pas possible d’établir si les personnes faisant partie des minorités visibles étaient sous‑représentées au sein des groupes et niveaux LA‑03A et LA‑02B au sein du MJ;

  le MJ avait embauché plusieurs personnes faisant partie de minorités visibles dans les dernières années et il a, dans les faits, excédé ses cibles de recrutement à plusieurs niveaux, ce qui peut avoir entraîné le regroupement de minorités visibles aux postes d’entrée au MJ;

  les avocats du MJ peuvent obtenir de l’expérience en matière de gestion des ressources humaines, laquelle est nécessaire pour passer aux postes de haute gestion, dans les postes de groupe et niveau LA-02B, dans lesquels les titulaires ont la responsabilité de gérer les employés;

  M. Agnaou avait choisi de ne pas soumettre sa candidature pour plusieurs de ces postes au sein du groupe et niveau LA-02B, qui lui auraient permis d’acquérir l’expérience nécessaire pour les postes LA-03A à l’égard desquels il a présenté sa candidature;

  c’est pour des motifs valables que l’employeur a décidé d’exiger, à titre de qualification essentielle pour les postes en cause, six mois d’expérience récente en matière de gestion des ressources humaines, étant donné que les titulaires de ces postes ont la responsabilité de gérer plusieurs subalternes;

  les allégations de M. Agnaou selon lesquelles d’autres personnes avaient accédé à des postes de haute gestion au Bureau régional de Québec du MJ sans posséder aucune expérience en ressources humaines n’étaient pas fondées, tout comme ses allégations selon lesquelles d’autres personnes faisant partie de minorités visibles au sein de ce bureau avaient été rétrogradées ou mutées à un autre endroit pour des motifs discriminatoires.

[27]           En se fondant sur ce qui précède, le vice-président a statué que, si l’employeur avait eu à réfuter une preuve prima facie de discrimination, il y serait parvenu puisque l’employeur a établi que la race et l’origine ethnique de M. Agnaou étaient étrangères au fait qu’il avait été exclu au stade de présélection du concours et que le critère de l’expérience en gestion des ressources humaines n’était pas un obstacle à la progression des personnes faisant partie de minorités visibles au sein du MJ. Par conséquent, le vice‑président a rejeté le premier motif invoqué par M. Agnaou pour contester le processus de nomination, en concluant que le processus était exempt de discrimination.

[28]           Le vice-président a ensuite procédé à l’examen du deuxième motif invoqué par M. Agnaou, soit l’allégation selon laquelle les gestionnaires chargés du processus de dotation avaient commis un abus de pouvoir au cours du processus en ne tenant pas compte de leurs obligations relatives au principe de l’équité en matière d’emploi. Le vice-président a mentionné que M. Agnaou prétendait que, au titre de ces obligations, l’employeur devait inclure l’appartenance à une minorité visible dans les critères de mérite du processus de sélection et que les représentants de l’employeur n’avaient pas une connaissance adéquate de leurs obligations relatives à l’équité en matière d’emploi et qu’ils avaient omis de tenir compte de ces obligations, lesquelles devraient être respectées tout au long du processus de dotation.

[29]           Le vice-président a amorcé son analyse relative à ces allégations en faisant remarquer que, sous le régime de la LEFP, il n’appartient pas au TDFP de faire appliquer la LÉE. La LÉE prévoit que ce rôle appartient à la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP]). Il a ensuite fait remarquer que le TDFP a compétence pour tenir compte de la LÉE lorsqu’il vérifie si un administrateur général (ou son délégué) a abusé de son pouvoir au cours du processus de dotation, puisque l’alinéa 77(1)a) de la LEFP confère au TDFP compétence pour annuler des mesures prises en matière de dotation lorsqu’il y a eu abus de pouvoir. Il a poursuivi en faisant remarquer que, selon les faits particuliers de l’espèce, il peut y avoir abus de pouvoir par un gestionnaire chargé de la dotation s’il n’a pas respecté les politiques applicables de la CFP et du Conseil du Trésor ou la LÉE en ce qui a trait à l’équité en matière d’emploi.

[30]           Le vice-président Mooney a conclu qu’il n’y a pas eu de telles erreurs dans le cas des mesures de dotation contestées. Il a conclu que les représentants de l’employeur avaient une connaissance adéquate de leurs obligations relatives au principe de l’équité en matière d’emploi, qu’ils ont effectué une analyse suffisante relativement à ces obligations au cours du processus de dotation et qu’ils n’étaient pas tenus d’inclure l’appartenance à une minorité visible dans les critères de mérite prévus dans le processus, puisque le sous‑alinéa 30(2)(iii) de la LEFP ne l’exige pas. Il a aussi conclu que le gestionnaire chargé de la dotation n’avait pas l’obligation d’appliquer la directive de l’ancien sous-ministre de la Justice consistant à établir, à titre de critère de mérite, l’appartenance à une minorité visible dans toutes les mesures de dotation, puisque la directive était postérieure au lancement de la mesure de dotation visée en l’espèce. Le vice-président a donc conclu que M. Agnaou n’avait pas réussi à démontrer qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le processus de dotation.

[31]           Le vice-président Mooney a ensuite fait remarquer que, même si l’employeur avait décidé d’inclure l’appartenance à une minorité visible dans les critères de mérite, cela n’aurait pas aidé M. Agnaou, puisqu’il ne possédait pas la qualification essentielle de détenir de l’expérience récente en matière de gestion de ressources humaines dans la fonction publique. (Sous le régime de la LEFP, les candidats doivent posséder les qualifications qui sont considérées comme essentielles pour être nommés à un poste. Les qualifications de mérite ainsi que les besoins opérationnels de l’organisation précisés par l’administrateur général ne peuvent servir qu’à renforcer la candidature d’une personne qui possède les qualifications essentielles; à cet égard, voir l’article 30 de la LEFP.)

[32]           En dernier lieu, le vice-président Mooney a examiné, puis rejeté, un argument accessoire de M. Agnaou relatif à l’expérience requise en matière de gestion des ressources humaines pour les postes visés par le présent litige. Concrètement, ces postes exigeaient des candidats qu’ils aient occupés un poste relié à la gestion des ressources humaines où ils étaient imputables de leurs décisions, par opposition à une charge moins officielle consistant à superviser d’autres personnes au besoin. Ce critère avait été déterminé par l’employeur à mi‑chemin dans le processus de dotation, M. Agnaou a prétendu que l’employeur avait ajouté le critère d’imputabilité après la publication de l’avis de possibilité d’emploi et la détermination des qualifications essentielles, et que cela était une erreur. Le vice-président Mooney a rejeté cet argument, en faisant remarquer que les décisions antérieures du TDFP permettaient à l’employeur de procéder comme il l’avait fait en l’espèce.

[33]           Par conséquent, il a rejeté la plainte de M. Agnaou.

III.             La norme de contrôle applicable

[34]           Avant de procéder à l’analyse des allégations formulées par M. Agnaou au sujet des diverses erreurs qu’aurait commises le vice-président Mooney, il est nécessaire d’établir quelle norme de contrôle doit être appliquée aux questions soulevées par ces allégations.

[35]           Les parties conviennent, à une exception près, que la norme de contrôle applicable aux allégations relatives aux diverses entorses à l’équité procédurale qu’aurait commises le vice‑président Mooney est la norme de la décision correcte. La seule exception concerne l’allégation de M. Agnaou selon laquelle les motifs de M. Mooney sont insuffisants. Il soutient que l’insuffisance ou le caractère inadéquat des motifs concernant chacun des arguments qu’il a invoqués équivaut à une violation du principe de l’équité procédurale et que la question doit par conséquent être examinée selon la norme de la décision correcte : à cet égard, il renvoie aux arrêts Association canadienne des radiodiffuseurs c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2006 CAF 337 et VIA Rail Canada Inc c Office national des transports, [2001] 2 CF 25.

[36]           Les parties ont raison d’affirmer que l’appréciation des reclamations de M. Agnaou en matière d’équité procédurale est une question qui doit être tranchée par la Cour, car il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’endroit d’un tribunal dans l’examen du respect des droits des parties en matière d’équité procédurale (voir, à titre d’exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; CUPE c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100, Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53).

[37]           Toutefois, l’affirmation de M. Agnaou selon laquelle l’omission de fournir des motifs suffisants donne ouverture à la prétention qu’il y a eu violation du principe de l’équité procédurale est erronée. Les décisions sur lesquelles il se fonde à l’appui de cette allégation ont été renversées par un arrêt subséquent de la Cour suprême du Canada, soit l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], dans lequel la Cour suprême a conclu que l’omission de donner des motifs adéquats, lorsqu’il existe une obligation de donner de tels motifs, ne constitue pas une violation du principe de l’équité procédurale, mais que l’omission doit plutôt être appréciée dans le cadre de l’examen de savoir si la décision est raisonnable. En d’autres mots, des motifs insuffisants peuvent signifier qu’une décision manque de transparence et qu’elle est, par conséquent, déraisonnable, mais elle ne constitue pas une violation du principe de l’équité procédurale (voir aussi à titre d’exemple Turner c Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, au paragraphe 40 et Lebon c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 132, au paragraphe 17).

[38]           Par conséquent, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux divers manquements à l’équité procédurale allégués par M. Agnaou, à l’exception du manquement se rapportant à l’omission du vice-président Mooney de fournir des motifs adéquats. Cette omission alléguée doit être examinée dans le cadre de l’appréciation de la raisonnabilité de la décision.

[39]           En ce qui a trait aux autres arguments soulevés par M. Agnaou, il soutient qu’il faudrait également appliquer la norme de la décision correcte aux nombreuses erreurs que, selon lui, le vice-président a commises dans son interprétation de la LCDP, de la LÉE et de la LEFP. Le défendeur ne souscrit pas à cette interprétation; il prétend qu’il convient d’appliquer la norme de contrôle de la raisonnabilité à ces questions, en faisant remarquer que la jurisprudence appuie la conclusion selon laquelle il convient de faire preuve de déférence à l’égard du TDFP dans son interprétation des lois précitées. À cet égard, il renvoie aux arrêts Canada (Procureur général) c Kane, 2012 CSC 64 [Kane], Abi-Mansour et Jalal. Cependant, les deux parties conviennent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux conclusions mixtes de fait et de droit qui ont été tirées dans la décision, parmi lesquelles on retrouve des conclusions relatives à l’application de la LÉE, de la LCDP et de la LEFP à la preuve dont disposait le TDFP.

[40]           Je conviens que la norme de la raisonnabilité doit être appliquée dans le cadre du contrôle des conclusions du vice-président Mooney qui se rapportent à des questions mixtes de fait et de droit, comme il est fermement établi par la jurisprudence (voir à titre d’exemple Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 [Dunsmuir]; Khosa, au paragraphe 89; Rodger c Canada (Procureur général), 2013 CAF 222, au paragraphe 29; Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33, au paragraphe 32).

[41]           Dans la même veine, la Cour suprême du Canada a conclu que la cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation par un tribunal de sa loi constitutive – qui, règle générale, relève clairement de son domaine d’expertise; par conséquent, un telle décision doit normalement être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 54; Alberta (Information & Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], au paragraphe 34; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 50; McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 21; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, au paragraphe 55). Il s’ensuit que l’interprétation donnée à la LEFP par le vice-président, et, surtout, son interprétation concernant le type de conduite qui peut constituer un abus de pouvoir au sens de l’article 77 de la LEFP suffisant pour vicier une mesure de dotation, sont des questions susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kane c Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, au paragraphe 36, annulée pour d’autres motifs dans 2012 CSC 64.

[42]           Bien que certains des énoncés figurant dans les arrêts Kane, Kraya, Abi-Mansour et Jalal appuient aussi l’application de la norme de contrôle de la raisonnabilité en ce qui a trait à l’interprétation donnée par le TDFP à la LCDP, l’argument de M. Agnaou selon lequel il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation de la LCDP ou de la LÉE par le TDFP est possiblement fondé, car il existe d’autres tribunaux, soit la CCDP et le Tribunal canadien des droits de la personne [TCDP] qui ont précisément comme mandat d’interpréter ces lois. Comme le prétend M. Agnaou, s’il convient de faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de la manière dont le TDFP (et la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP]) interprètent la LCDP et la LÉE, il existe une possibilité réelle que certains conflits apparaissent dans la jurisprudence, du fait qu’un droit fondamental est interprété d’une certaine manière pour les fonctionnaires lorsqu’ils comparaissent au titre de la LEFP ou devant le TDFP, et d’une autre manière par la CCDP et le TCDP dans d’autres contextes. De plus, la Cour d’appel fédérale a récemment statué, dans l’arrêt Johnstone c Canada (Procureur général), 2014 CAF 110, que l’interprétation donnée par le TCDP à la LCDP, en ce qui concerne la portée du terme « discrimination », est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Par conséquent, il convient d’accorder beaucoup de poids à l’argument selon lequel l’interprétation donnée par le TDFP à l’égard de la question de savoir quelle conduite constitue de la discrimination au titre de la LCDP doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

[43]           En l’espèce, je n’ai pas besoin de trancher cette question prisque le vice-président Mooney a interprété uniquement la LCDP, et, tel que discuté ci-dessus, son interprétation était correcte, et donc, par définition également raisonnable.

[44]           Par conséquent, pour récapituler, en ce qui concerne la norme de contrôle applicable, le TDFP n’a pas droit à la déférence en ce qui concerne l’examen des violations au principe de l’équité procédurale alléguées par M. Agnaou, sauf en ce qui a trait à sa prétendue omission de donner des motifs suffisants, laquelle ne constitue pas une violation du principe de l’équité procédurale. Les autres manquements allégués – à la possible exception de l’interprétation donnée par le vice‑président à la LCDP – sont tous susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En dernier lieu, il n’est pas nécessaire de déterminer la norme de contrôle applicable à l’interprétation donnée par le vice-président à la LCDP, puisque son interprétation de la LCDP est correcte et, par conséquent, raisonnable.

IV.             Les droits de M. Agnaou en matière d’équité procédurale ont‑ils été violés?

[45]           Après avoir établi la norme de contrôle applicable aux allégations de M. Agnaou concernant les diverses erreurs commises par le vice-président, je m’attarde maintenant à l’examen de la myriade de manquements au principe de l’équité procédurale allégués par M. Agnaou (à l’exception des allégations se rapportant au caractère insuffisant des motifs du vice‑président, dont je traiterai lors de l’examen de la raisonnabilité de la décision).

[46]           M. Agnaou présente plusieurs arguments en ce qui a trait à l’équité procédurale. Tout d’abord, il allègue que le vice-président Mooney était biaisé et il soulève 21 occurrences de prétendue partialité. En deuxième lieu, il prétend que le vice‑président Mooney a omis de s’assurer que son droit à une « procédure transparente » a été respecté. Troisièmement, il prétend que l’omission d’interdire à l’avocat de l’employeur de communiquer avec les témoins avait eu pour conséquence que ses droits en matière d’équité procédurale avaient été violés. Quatrièmement, M. Agnaou prétend que le vice‑président, en excluant de manière arbitraire et erronée la preuve qu’il avait cherché à produire après la clôture de la preuve, a violé ses droits. En dernier lieu, M. Agnaou allègue que le TDFP n’a pas rendu sa décision dans un délai raisonnable et que cela aussi équivalait à une violation du principe de l’équité procédurale. Comme nous le verrons en détail ci‑dessous, aucune de ces allégations n’est fondée.

A.                Y a‑t‑il une crainte raisonnable de partialité de la part du vice-président Mooney?

[47]           J’aborde en premier lieu l’allégation de partiali

[48]           Il ne fait pas de doute que les tribunaux administratifs, comme le TDFP, doivent à la fois être et paraître impartiaux à l’égard des parties qui comparaissent devant eux, car ces dernières ont droit à ce que leurs causes soient tranchées par un tribunal impartial (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 92 [RDS]; Assoc. des résidents du Vieux Saint‑Boniface Inc c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170, au paragraphe 41 [Vieux Saint‑Boniface]; Alexander c Canada (Procureur général), 2011 CF 1278, au paragraphe 62). Le droit à un décideur impartial et indépendant est aussi un principe de justice fondamentale pour les fins de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44, qui s’applique au TDFP du fait qu’il s’agit d’un tribunal fédéral. Donc, il est clair que le TDPF doit faire preuve d’impartialité.

[49]           Les allégations de partialité peuvent prendre deux formes : une partie peut alléguer soit la partialité réelle, c.‑à‑d. alléguer que le décideur faisait preuve d’un préjugé défavorable à l’égard du demandeur, ou alléguer que les faits sont tels qu’il existe une crainte raisonnable de partialité (Brown and Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (Canada: Thomson Reuters Canada Ltd, 2013, 2014), ch 11, 1 [Brown et Evans]). Lorsqu’une personne allègue l’existence d’une partialité réelle, elle doit établir que le décideur avait déjà décidé de l’issue de la cause. Ce type d’allégation est rarement invoqué, et encore moins fréquemment démontré, puisqu’il est rare que des éléments de preuve étayent ce genre d’allégation. De plus, certains commentateurs disent qu’il n’est pas approprié de procéder à un examen de l’état subjectif de l’esprit d’un décideur (Brown et Evans, ch 11, 4). Il s’ensuit que la plupart des allégations de partialité se rapportent à la crainte de partialité.

[50]           Lorsque des allégations de crainte de partialité sont formulées, la Cour applique un critère objectif lors de l’examen de l’allégation. Le critère consiste à se demander si une personne informée, qui examine l’affaire de manière réaliste et pratique, croirait qu’il est plus probable qu’improbable que le décideur, que ce soit consciemment ou inconsciemment, ne pouvait pas trancher de manière équitable ou ne l’a pas fait (Committee for Justice & Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, le juge Grandpré (dissident) aux pages 394-395; Vieux Saint‑Boniface, précité, au paragraphe 92; RDS, précité, au paragraphe 31, Lippé c Charest, [1991] 2 RCS 114, au paragraphe 79).

[51]           Autant dans les allégations de partialité réelle que de crainte de partialité, l’enquête est hautement contextuelle et porte sur les faits. De plus, dans tous les cas, il incombe à la partie alléguant la partialité de prouver son allégation (Vieux Saint‑Boniface, précité, au paragraphe 94). Une présomption d’impartialité s’applique aux décideurs administratifs (voir à titre d’exemple Zündel c Citron, [2000] 4 CF 225 (CA), aux paragraphes 36 et 37; Arsenault-Cameron c Île‑du‑Prince‑Édouard, [1999] 3 RCS 851, au paragraphe 2; Beno c Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 CF 527 (CA), au paragraphe 29). Il s’ensuit que la norme de preuve applicable aux allégations de partialité est élevée (voir à titre d’exemple RDS au paragraphe 113). Ainsi, les doutes, les insinuations, les conjectures, les impressions ou les opinions n’établiront pas l’existence de partialité (voir Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8, Es-Sayyid c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 59, aux paragraphes 39 et 40).

[52]           En l’espèce, comme il a été mentionné, M. Agnaou fait état de 21 exemples de partialité. Il allègue que ces cas, pris de manière isolée ou de manière collective, devraient conduire à la conclusion que la conduite du vice-président Mooney donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Je ne souscris pas à cette thèse. Les allégations, qu’elles soient examinées de manière isolée ou dans leur ensemble, n’établissent pas l’existence d’une crainte raisonnable de partialité; en fait, elles ressemblent davantage à des conjectures et sont bien loin d’établir l’existence de partialité. J’examinerai chacune de ces allégations ci‑dessous.

(1)               Allégations 1 à 3 – Emploi antérieur du vice-président Mooney

[53]           M. Agnaou affirme tout d’abord que le fait que M. Mooney avait auparavant travaillé pour le MJ et la CFP, puis à titre de conseiller technique pour le gouvernement en ce qui concerne les modifications apportées à la LEFP en 2003, donne lieu à une crainte de partialité, surtout parce que M. Mooney faisait partie de la délégation du gouvernement qui a comparu devant un comité parlementaire pour répondre aux questions sur les modifications proposées. M. Agnaou prétend aussi que le fait que ni M. Mooney ni le MJ ne lui avaient fait part de cette situation renforce la crainte raisonnable de partialité.

[54]           Ni l’un ni l’autre de ces arguments n’est fondé, autant parce qu’aucune crainte raisonnable de partialité ne peut découler des antécédents professionnels de M. Mooney que parce que M. Agnaou, bien qu’il ait été au courant de ces faits, a choisi de ne pas demander à M. Mooney de se récuser.

[55]           En ce qui a trait aux antécédents du vice-président Mooney, la preuve révèle qu’il avait été arbitre pour la CFP pendant plusieurs années, et qu’avant cela, il avait travaillé comme avocat pour la CFP (mais il relevait du MJ, comme la plupart des avocats à l’emploi du gouvernement fédéral). Aucun de ces antécédents ne donne lieu à une crainte possible de partialité. La CFP – à l’époque où M. Mooney y travaillait – occupait en grande partie le même rôle que celui occupé par le TDFP de nos jours, soit celui d’un tribunal indépendant ayant comme mandat d’examiner les plaintes des fonctionnaires en matière de dotation. Il va sans dire qu’occuper un tel rôle, ou agir à titre d’avocat pour des personnes exerçant ces fonctions décisionnelles, ne peut pas possiblement donner lieu à une crainte de partialité.

[56]           En ce qui concerne le rôle du vice-président Mooney relativement aux modifications apportées à la LEFP, le curriculum vitae produit par M. Agnaou révèle que M. Mooney faisait partie du groupe de travail du Bureau du Conseil privé lorsque les modifications à la LEFP ont été élaborées. Selon la transcription des instances devant le Comité parlementaire permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, laquelle a aussi été produite par M. Agnaou, il semble que M. Mooney ait bel et bien comparu en 2003 devant ce Comité lorsqu’il étudiait les modifications à la LEFP et que, compte tenu de son expertise technique, on lui avait demandé de répondre à quelques questions à propos des modifications proposées.

[57]           Cette situation, comme c’était le cas précédemment, ne suscite aucune crainte raisonnable de partialité, et ce, pour plusieurs motifs. Tout d’abord, la LEFP prévoit que le vice-président du TDFP possède exactement ce type d’expertise. Le paragraphe 88(2) de la LEFP précise que les membres (et, implicitement, le président et le vice‑président du TDFP, qui sont désignés parmi les membres du tribunal) doivent avoir « de l’expérience ou des connaissances en matière d’emploi dans le secteur public ». En deuxième lieu, la participation de M. Mooney aux activités du Comité a eu lieu presque cinq ans avant que M. Agnaou ne dépose sa plainte. Troisièmement, contrairement à ce que M. Agnaou insinuait dans son argument quant à cette question, le vice-président Mooney n’a pas exprimé une opinion quant aux questions en litige dans la cause de M. Agnaou lorsqu’il a répondu aux questions devant le Comité à propos des modifications qu’on envisageait d’apporter à la LEFP. Il a plutôt simplement expliqué les motifs pour lesquels certains choix avaient été faits quant à la manière dont les modifications avaient été rédigées. Aucun des éléments ne suscite une crainte de partialité.

[58]           En effet, cette situation est similaire à celle dans l’affaire Roberts c La Reine, 2003 CSC 45, où, un juge de la Cour suprême du Canada, à savoir le juge Binnie, avait participé de façon accessoire à un dossier, plusieurs années auparavant, lorsqu’il travaillait pour le MJ. Ce fait n’a pas été considéré par la Cour suprême du Canada comme suscitant une crainte raisonnable de partialité. (Voir aussi, à cet égard, les décisions Boshra c Canada (Procureur général), 2012 CF 681, au paragraphe 5, et Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CF 533, aux paragraphes 74 et 75.) Il s’ensuit que les antécédents du vice-président Mooney ne suscitaient aucune crainte raisonnable de partialité.

[59]           Subsidiairement, même si les antécédents de M. Mooney avaient généré une crainte de partialité, l’issue de la présente décision aurait été la même puisque M. Agnaou était au courant de ces antécédents depuis bien avant la clôture de la preuve devant le TDFP, et il a choisi de ne présenter aucune demande de récusation au vice‑président Mooney. Comme le défendeur le fait remarquer à juste titre, l’omission de présenter une telle demande empêche M. Agnaou d’alléguer l’existence de partialité dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, puisqu’il est bien établi que les parties doivent soulever ce type d’allégation à la première occasion dont ils disposent (voir à titre d’exemple Brown and Evans, ch 11, 79‑82; ECWU, Section locale 916 c Énergie atomique du Canada Ltée (1985), [1986] 1 CF 103 (CAF), au paragraphe 6 [Énergie atomique]; Haniff c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 919, au paragraphe 15).

[60]           M. Agnaou allègue que la Cour ne devrait pas conclure qu’il a renoncé à son droit de soulever ces questions, puisque le TDFP n’a pas répondu à sa demande de renseignements concernant la question de savoir s’il avait l’obligation de présenter sa cause de novo dans l’éventualité où il réussissait à obtenir la récusation du vice-président Mooney. Je ne souscris pas à cette allégation, et ce, pour deux motifs.

[61]           Tout d’abord, il est trompeur de la part de M. Agnaou d’insinuer que sa demande de renseignements était restée sans réponse. Ce ne fut pas le cas. Le vice‑président Mooney a répondu à sa question et a donné à M. Agnaou la seule réponse possible (au cours de l’audience et, par la suite, par écrit, lorsqu’il a répondu à ses demandes de renseignements subséquentes) : s’il devait se récuser, ce serait au membre du TDFP à qui serait attribué le dossier de déterminer la procédure qui serait adoptée.

[62]           Deuxièmement, la question posée par M. Agnaou, à mon avis, est fallacieuse. À titre d’avocat, M. Agnaou devait s’être rendu compte qu’un membre d’un tribunal qui se récusait pour cause de partialité ne pouvait pas dire comment l’affaire allait être conduite par un nouveau tribunal. De plus, le président du TDFP ne pouvait pas répondre à la question, puisque c’est le membre du tribunal qui serait chargé de s’occuper du dossier dans l’éventualité où le vice‑président Mooney se serait récusé, qui aurait déterminé la manière de procéder. Il s’agit donc d’une question qui ne méritait pas que l’on s’y attarde.

[63]           En résumé, aucune explication raisonnable ne peut justifier l’omission de M. Agnaou de ne pas soulever les questions relatives à la partialité du vice-président Mooney et de demander sa récusation si les antécédents du vice-président le perturbaient. L’omission de M. Agnaou de formuler une telle demande de récusation au TDFP constitue une renonciation quant à cette question et il s’ensuit que les deux premiers arguments soulevés par M. Agnaou ne suscitent aucune crainte raisonnable de partialité. Comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans Atomic Energy, « même une renonciation implicite à s’opposer à un arbitre au premier stade d’une affaire constitue un motif suffisant pour invalider une opposition ultérieure » (au paragraphe 6).

[64]           La troisième allégation de M. Agnaou porte sur le prétendu refus de répondre aux questions qu’il avait soulevées au sujet de l’incidence sur son dossier d’une requête en récusation acceptée. Compte tenu de la discussion qui précède, ce point n’est pas fondé.

(2)               Allégation 4 – Prétendue preuve quant au fait que le vice-président Mooney a jugé l’affaire d’avance

[65]           Quatrièmement, M. Agnaou allègue que le vice-président Mooney a, au tout début de l’audience, fait un commentaire portant qu’il était surpris de la teneur des observations formulées par le CCP. M. Agnaou allègue que cela démontre qu’il avait jugé l’affaire d’avance, puisque les observations du CCDP étaient favorables à sa cause.

[66]           Une fois de plus, je m’inscris en faux à l’égard de cette allégation. Si de tels commentaires avaient été faits (et je ne suis pas entièrement convaincue qu’ils l’ont été), cela ne serait pas un indice de partialité. Tout d’abord, on ne peut dire que les observations de la CCDP  épousent la thèse de M. Agnaou – elles consistent simplement en un récapitulatif des principes juridiques applicables à l’égard d’une allégation de discrimination systémique formulée devant le TDFP. Comme je mentionnerai ci‑dessous, le vice-président Mooney ne s’est pas écarté de ces principes dans sa décision. Deuxièmement, si le vice-président avait manifesté sa surprise à la réception des observations de la CCDP, cela aurait probablement été lié au fait que la CCDP avait antérieurement mentionné qu’elle n’avait pas l’intention de participer à l’audience, mais qu’elle a ensuite changé d’avis et a présenté des observations peu avant le début de l’audience. En dernier lieu, si le vice-président a fait le commentaire visé par l’allégation, ce dernier est loin de constituer le type de remarque à l’égard de laquelle on peut conclure, selon la jurisprudence, qu’elle soulève une crainte raisonnable de partialité (voir à titre d’exemple Villalobos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 168 FTR 201, au paragraphe 22; Milstein c College of Pharmacy (Ontario) (No 2) (1978), 87 DLR (3d) 392, au paragraphe 39). En fait, M. Agnaou ne se fonde sur aucun précédent à l’appui de son allégation selon laquelle ce type de commentaire donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[67]           Par conséquent, il s’ensuit que cette allégation ne suscite aucune crainte raisonnable de partialité.

(3)               Allégation 5 – Prétendue omission de respecter les règles de pratique du TDFP, et ce, à l’avantage des défendeurs

[68]           M. Agnaou allègue ensuite que le vice-président Mooney a fait preuve de partialité parce qu’il n’a pas tenu compte du Guide de procédures du TDFP, qui prévoit un délai pour répondre aux requêtes et aux demandes formulées par la partie opposée, et que le non-respect du délai fait en sorte que le tribunal peut décider de trancher une question sans que la partie en question ait eu l’occasion de formuler des observations. Le Guide de procédures précise que le TDFP « n’invitera pas une partie à fournir une réponse ». M. Agnaou prétend que le vice-président Mooney a fait preuve de partialité en sollicitant les observations des défendeurs en réponse à deux (parmi plusieurs) demandes écrites qu’il avait formulées. La première de ces demandes avait trait au calendrier d’audition des témoins, demande dans laquelle M. Agnaou avait formulé des commentaires au sujet des représailles qu’il craignait que le MJ exerce à l’endroit des témoins n’occupant pas un poste de cadre à qui il avait envoyé une assignation à témoigner. La deuxième consistait en une demande visant à faire admettre des documents en preuve après la clôture de l’audience. Le vice-président Mooney a mentionné, à l’égard de ces deux demandes, qu’il voulait obtenir des observations de la part des défendeurs et il a fixé un court délai pour permettre à ceux‑ci d’en formuler.

[69]           Selon moi, une telle façon de procéder ne suscite aucune crainte raisonnable de partialité, et ce, pour deux motifs.

[70]           Tout d’abord, le Guide de procédure du TDFP n’a pas force de loi et il prévoit bel et bien cette situation dans l’introduction, où il est mentionné que le Guide « a été conçu à titre d’information seulement et n’a aucune valeur juridique ». Il s’ensuit que le Guide n’empêchait pas le vice-président Mooney de solliciter des observations s’il le jugeait nécessaire.

[71]           Deuxièmement, dans les circonstances, il n’est pas étonnant que le vice‑président ait sollicité des observations de la part des défendeurs, compte tenu de la nature des demandes formulées par M. Agnaou. Dans sa première demande, il exigeait des défendeurs qu’ils permettent à des témoins de s’absenter du travail, et, d’un point de vue pratique, le TDFP avait besoin de savoir si cela était possible. De plus, les affirmations de M. Agnaou au sujet des représailles étaient très sérieuses – surtout compte tenu de son statut à titre de membre du barreau – et elles devaient faire l’objet d’une réponse. Dans la même veine, on ne peut pas reprocher au vice‑président de solliciter une réponse à la demande de dépôt de la preuve additionnelle après la clôture de la preuve, puisqu’une telle demande est inhabituelle. Tout tribunal pourrait donc vouloir obtenir des observations à ce sujet pour s’assurer que les principes applicables soient analysés de manière adéquate.

[72]           Il s’ensuit que la demande du vice-président en vue d’obtenir les observations contestées ne soulève aucune crainte de partialité et, en effet, M. Agnaou n’a renvoyé à aucun précédent à l’appui de la conclusion opposée.

(4)               Allégation 6 – Refus d’ordonner une transcription

[73]           Sixièmement, M. Agnaou allègue que l’omission du vice-président Mooney d’ordonner la production d’une transcription suscite une crainte raisonnable de partialité. Cette allégation est sans fondement, puisque la jurisprudence reconnait fermement qu’il n’est pas nécessaire pour les tribunaux administratifs de produire une transcription, ni même de permettre à une partie de faire sa propre transcription, puisque les tribunaux administratifs ne sont pas des cours d’archives (voir, par exemple, Warren c Ontario (Labour Relations Board), 2011 ONSC 5848, au paragraphe 6; SCFP, Local 301 c Québec (Conseil des services essentiels), [1997] 1 RCS 793, au paragraphe 81). En fait, il est courant, surtout devant les tribunaux du travail, qu’aucune transcription ne soit faite, car la production d’une transcription empêche que ce type d’affaire soit tranchée de manière informelle et rapide (voir à titre d’exemple Clarke Institute of Psychiatry c ONA (1995), 45 LAC (4th) 284, aux paragraphes 14 et 15; Syndicat des employés de banque (Ontario), section locale 2104 c Banque de Montréal (1985), 61 di 83 (CCRT), au paragraphe 4; Association canadienne des employés du transport aérien c North Canada Air Ltd (1981), 45 di 134 (CCRT), aux paragraphes 7 et 8).

(5)               Allégation 7 – Refus de consigner par écrit les décisions interlocutoires

[74]           M. Agnaou prétend ensuite que l’omission du vice-président de consigner par écrit ses décisions interlocutoires suscite une crainte raisonnable de partialité. Cette prétention n’est pas fondée. Cette décision relève de la compétence du tribunal sur sa procédure pour juger s’il rendra ses décisions interlocutoires de manière écrite ou de manière orale, et la jurisprudence reconnaît que le choix de rendre ses décisions interlocutoires uniquement de vive voix ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (voir par exemple Cedarvale Tree Services Ltd c LIUNA, Local 183, [1971] 3 OR 832 (CA), au paragraphe 25 [Cedarvale Tree]). Encore une fois, il est fréquent dans les affaires en matière de relations de travail que les décisions interlocutoires soient rendues de vive voix, de manière à garantir une procédure rapide et afin d’éviter les formalités superflues.

(6)               Allégation 8 – Réception d’observations de l’employeur qui n’ont pas été communiquées à M. Agnaou

[75]           M. Agnaou fait ensuite valoir qu’il y a eu violation de ses droits en matière d’équité procédurale du fait que le vice-président Mooney a communiqué de façon unilatérale avec l’avocat du MJ. Cependant, la preuve n’étaye pas cette allégation. En fait, tout ce qui s’est produit est qu’à deux occasions des courriels ont été envoyés par l’avocat du MJ au greffe du TDFP ou bien par le greffe à l’avocat du MJ et que M. Agnaou n’a pas reçu une copie du courriel.

[76]           Plus précisément, c’est avant le début de l’audience devant le TDFP qu’une telle chose s’est produite pour la première fois. Un représentant du MJ a envoyé un courriel au greffe du TDFP pour demander un ajournement des dates d’audience qui avaient été fixées. Le personnel du greffe a répondu au courriel et a renvoyé le procureur du MJ aux politiques du TDFP en ce qui concerne les demandes d’ajournement, qui exigent qu’une partie demande l’autorisation des autres parties avant de présenter une demande d’ajournement au Tribunal. Le représentant du MJ s’est excusé pour la confusion et a écrit un courriel à M. Agnaou pour lui demander s’il consentait à l’ajournement, et M. Agnaou a donné son consentement. Des copies des deux courriels échangés entre le MJ et le greffe au sujet de la demande d’ajournement étaient jointes au courriel envoyé à M. Agnaou concernant la demande d’ajournement.

[77]           La deuxième occurrence est survenue après la deuxième série de journées d’audition. Il était alors question du fait que M. Agnaou avait demandé qu’on interdise aux avocats de la CFP et du MJ de parler avec les témoins à venir. Le vice-président avait précédemment rendu une ordonnance en vue d’exclure des témoins et avait enjoint aux personnes qui avaient témoigné de ne pas discuter de leur témoignage avec les témoins à venir. Dans une série de courriels envoyés au TDFP au début octobre 2010, M. Agnaou a demandé des précisions au sujet de ces ordonnances et a demandé aux avocats de la CFP et du MJ de ne pas parler de l’affaire avec les témoins à venir. Le 7 octobre 2010, le greffe a envoyé un courriel à l’avocat du MJ pour lui demander sa position relativement à la demande de M. Agnaou et a omis d’envoyer une copie conforme de ce courriel à M. Agnaou. Le même jour, l’avocat du MJ a répondu à toutes les personnes qui avaient reçu une copie conforme du courriel. Dans sa réponse, il a adopté comme position qu’il était convenable pour lui de communiquer avec les témoins à venir, à condition qu’il respecte l’ordonnance d’exclusion et qu’il ne révèle pas la teneur du témoignage des témoins précédents. Le 8 octobre, le greffe du TDFP a envoyé un courriel à M. Agnaou et aux avocats des défendeurs. Son courriel traitait des sujets suivants : le tribunal avait ordonné aux témoins de ne pas parler avec les témoins à venir au cours de la dernière série de journées d’instruction; le vice-président avait déjà traité des limites à ne pas dépasser pour ce qui est des communications entre les avocats et les témoins au cours de la discussion; et les parties pouvaient soulever la question au cours d’une conférence téléphonique à venir si de plus amples précisions étaient nécessaires.

[78]           La question a bel et bien été examinée au cours de la conférence téléphonique qui a eu lieu entre le vice-président, M. Agnaou et les avocats des défendeurs le 20 octobre 2010, et le vice‑président a refusé de rendre l’ordonnance sollicitée par M. Agnaou. Celui‑ci a par la suite pris connaissance de l’échange de courriels dont une copie conforme ne lui avait pas été envoyée au moyen d’une demande d’accès à l’information qu’il avait présentée au titre de la LAI. Il a fait valoir devant le vice-président que l’échange de courriels constituait une violation de ses droits en matière d’équité procédurale.

[79]           Le vice-président Mooney a traité de cette question dans sa décision. Il a souligné que le greffe du TDFP avait commis une erreur et que M. Agnaou aurait dû recevoir une copie conforme des courriels échangés. Cependant, il a conclu que cette erreur était sans conséquence, étant donné que les questions avaient pleinement été débattues au cours de la conférence téléphonique du 20 octobre 2010, de sorte que M. Agnaou était parfaitement au courant de la position du MJ sur la question et avait amplement eu l’occasion d’y répondre avant que la décision définitive n’ait été rendue sur sa demande.

[80]           Je souscris à cette conclusion. Bien que la réception par un tribunal d’observations par une partie qui ne sont pas communiquées à l’autre partie puisse souvent constituer un manquement à l’équité procédurale, il n’y a pas eu de manquement de ce genre dans ce cas‑ci, car M. Agnaou était parfaitement au courant de la position du MJ sur la question de la communication avec les témoins et il a eu la possibilité d’y répondre avant que le vice-président ne tranche la question (voir par exemple Pfizer Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CAF 103, au paragraphe 28; Egerton c Appraisal Institute of Canada, 2009 ONCA 390, au paragraphe 21). En ce qui concerne la première série de courriels, M. Agnaou en a reçu une copie conforme et a eu l’occasion de répondre à la demande d’ajournement, de sorte qu’il n’y a pas non plus eu de manquement à l’équité procédurale dans ce cas‑là.

(7)               Allégations 9 à 11 et 13 à 15 – Conduite du vice-président au cours de l’audience

[81]           M. Agnaou soulève ensuite six objections à l’égard de la façon dont le vice‑président Mooney s’est comporté à l’audience. Il allègue que la conduite de M. Mooney suscite une crainte raisonnable de partialité pour les raisons suivantes :

                     Le vice-président n’a pas réduit le temps que les défendeurs pouvaient consacrer à leurs observations, même s’ils avaient des intérêts communs et que, par conséquent, selon M. Agnaou, ils n’auraient pas dû avoir, ensemble, plus de temps que lui pour présenter leurs observations;

                     Le vice-président a systématiquement tranché les objections en faveur des défendeurs;

                     Le vice-président a contrecarré la stratégie que M. Agnaou avait adoptée pour l’instance en refusant de lui accorder l’ajournement qu’il demandait; M. Agnaou n’a donc pas pu faire entendre les témoins dans l’ordre dans lequel il souhaitait le faire;

                     Le vice-président aurait constamment fait des commentaires hostiles et intimidants, et assimilables à de l’ingérence, à l’endroit de M. Agnaou tout au long de l’audience; il est même allé jusqu’à accuser M. Agnaou de manquer de respect envers le tribunal;

                     Le vice-président aurait par ailleurs fait preuve d’une « déférence obséquieuse » envers les représentants des défendeurs; il leur aurait, par exemple, permis de parler alors qu’ils étaient assis et de manger au cours de l’audience;

                     Le vice-président a refusé de contester l’affirmation faite par l’avocat du MJ concernant la prétendue impossibilité de faire comparaître un témoin, dans des circonstances où, selon les prétentions de M. Agnaou, il aurait fallu soulever une telle contestation, car, à son avis, le témoin était en mesure de témoigner.

[82]           Aucune de ces allégations ne suscite une crainte raisonnable de partialité pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le TDFP dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la façon dont il tient ses audiences, qui doivent se dérouler sans formalisme et avec célérité. L’article 98 de la LEFP prévoit à cet égard que les plaintes doivent être « […] instruites par un membre agissant seul [du TDFP] qui procède, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité ». Cela est renforcé par l’article 27 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6 [le Règlement du TDFP], qui confirme que le TDFP « […] est maître de la procédure. Il peut décider de l’ordre et de la manière dont la preuve et les plaidoiries seront présentées ». Par conséquent, il faut s’attendre à ce que le TDFP ne tienne pas ses audiences de la même manière qu’une cour le ferait. De plus, il n’appartient pas à la Cour, dans une demande comme la présente, d’examiner et de remettre en question la multitude de décisions qui doivent inévitablement être rendues par un tribunal dans chacune des instances dont il est saisi (voir par exemple Cedarvale Tree, au paragraphe 25). Par conséquent, en principe, ces allégations ne sont pas le genre d’allégations qui donneraient habituellement lieu à l’annulation d’une décision pour manquement à l’équité procédurale.

[83]           De plus, dans plusieurs cas, les assertions de M. Agnaou ne sont pas étayées par des faits, mis à part les déclarations vagues et générales figurant dans son affidavit. Ces déclarations sont contredites par les déclarations tout aussi générales figurant dans l’affidavit de Katy Boctor, déposé par l’employeur, qui affirme que le vice-président a été juste envers toutes les parties lors du déroulement de l’audience.

[84]           Des précisions qui ont été fournies par M. Agnaou des évenements dont il se plaint ne suscitent pas de crainte raisonnable de partialité pour les raisons suivantes :

                     Il appartient au TDFP de décider combien de temps – ou de pages – consacrer aux observations de chacune des parties;

                     Le fait que la plupart des objections ont été tranchées à l’encontre de M. Agnaou est tout aussi compatible avec la possibilité que ses arguments étaient en grande partie non fondés, comme c’est aussi effectivement le cas pour les arguments qu’il a invoqués devant la Cour;

                     Autrement que pour des raisons qui peuvent être prévues dans la loi applicable, il n’existe pas, pour les parties, de droit à un ajournement; il s’agit généralement d’une question de nature discrétionnaire qu’il appartient au tribunal de trancher (voir par exemple Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, au paragraphe 48; Flamboro Downs Holdings Ltd c IB of TCW & H of A, Local 879 (1979), 99 DLR (3d) 165, au paragraphe 12; R c Saskatchewan (Labour Relations Board), [1973] 6 WWR 165, au paragraphe 2; British Columbia Public School Employers’ Assn c BCTF (2012), 227 LAC (4th) 104 (Conseil d’arbitrage de la C.‑B.), au paragraphe 18);

                     La principale allégation de comportement hostile envers M. Agnaou a trait à une déclaration faite dans une décision rendue dans un courriel, par laquelle le Tribunal a rejeté la demande que M. Agnaou avait formulée à maintes reprises en vue d’obtenir par écrit des décisions interlocutoires, et que celui‑ci a soulevée dans un long courriel impoli qu’il a écrit au TDFP. Dans sa réponse, le vice‑président Mooney a mentionné ce qui suit :

Lors de la conférence téléphonique du 20 octobre 2010, le Tribunal a rendu plusieurs décisions ayant trait à la procédure lors des audiences. Il a expliqué à Me Agnaou qu’après le début des audiences il rend ses décisions ayant trait à la procédure oralement et ne les confirme pas par écrit. Me Agnaou revient sur cette question dans son courriel et demande de nouveau que le Tribunal confirme ses décisions par écrit. Le Tribunal considère que le refus de Me Agnaou d’accepter les décisions du Tribunal constitue un manque de respect envers le Tribunal et l’insubordination.

[…]

Dans son courriel, Me Agnaou commente et critique en détail les décisions du Tribunal. Le Tribunal considère qu’il s’agit d’un manque flagrant de respect envers le Tribunal et d’un comportement totalement inapproprié. […] Le Tribunal somme donc Me Agnaou de cesser ce comportement.

Le Tribunal ordonne donc à Me Agnaou d’obéir aux directives du Tribunal pour ce qui est des décisions rendues en cours d’audience et de cesser de faire preuve de manque de respect envers le Tribunal en commentant et en critiquant les décisions du Tribunal, oralement ou par écrit. Si Me Agnaou ne change pas son comportement, le Tribunal devra prendre les moyens qui s’imposent pour assurer la bonne marche des procédures. Il va de soi que le Tribunal ne veut pas recevoir de commentaires de la part de Me Agnaou au sujet de ce courriel.

                     Bien que le vice‑président ait employé des termes forts, cela était justifié à mon avis. Le courriel auquel le vice-président a fait référence, qui s’étendait sur plusieurs pages, critiquait plusieurs décisions du vice‑président Mooney sur un ton irrévérencieux. Après avoir envoyé un tel courriel et contesté à maintes reprises les décisions rendues par le vice‑président, M. Agnaou aurait dû s’attendre à ce que celui‑ci ait une forte réaction. Par conséquent, dans les circonstances, je ne crois pas que la réponse du vice‑président Mooney suscite une crainte raisonnable de partialité. Il s’agissait plutôt d’une réponse raisonnable, quoique rédigée en termes forts, au comportement de M. Agnaou;

                     Enfin, il n’y avait (et il n’y a) aucune preuve que le témoin qui, selon l’avocat du MJ, ne pouvait pas comparaître pour des raisons de santé était effectivement en mesure de le faire. M. Agnaou laisse entendre que c’était le cas, mais ses prétentions sont fondées sur de simples suppositions, parce qu’un autre témoin a déclaré dans son témoignage que la personne en question était brièvement venue au bureau pour dire au revoir à un collègue qui venait d’obtenir un transfert, et avait assisté au mariage d’un autre collègue au cours de la période pendant laquelle elle affirmait être malade. Toutefois, une telle chose n’est pas incompatible avec de nombreux types de maladies – comme celles liées au stress – qui auraient pu affecter la personne à un point tel qu’elle était incapable de travailler ou de témoigner. Il n’existe tout simplement aucune preuve que l’avocat du MJ n’a pas été franc avec le TDFP sur ce point, et, certainement, rien qui permet d’inférer que le vice‑président Mooney a fait preuve de partialité en ne mettant pas en doute la sincérité de l’avocat du MJ lorsqu’il a dit que le témoin était incapable de témoigner pour des raisons de santé.

[85]           M. Agnaou n’a donc pas établi l’existence d’une crainte raisonnable de partialité relativement à la façon dont le vice-président Mooney s’est comporté au cours de l’audience devant le TDFP.

(8)               Allégation 12 – Rejet des demandes de production

[86]           De même, aucune crainte raisonnable de partialité ne découle du rejet par le vice‑président Mooney de certaines des demandes de production d’une grande quantité de documents présentés par M. Agnaou. Bon nombre de ces demandes ont été accueillies. Cependant, le TDFP n’a pas ordonné la production de documents concernant le pourcentage d’employés faisant partie des minorités visibles au MJ qui étaient chargées de gérer des subalternes, parce que l’avocat du MJ a précisé qu’il n’existait aucun document résumant ce type de renseignements. Les renseignements semblaient plutôt figurer dans les dossiers personnels des employés. Le MJ a donc fait valoir que M. Agnaou ne pouvait pas exiger que le MJ examine chacun des dossiers pour compiler les statistiques qu’il voulait obtenir. Le vice-président a souscrit à la prétention du MJ. Bien que M. Agnaou allègue que l’un des témoins a précisé dans son témoignage devant le TDFP qu’il existait bel et bien de tels documents, la preuve dont je suis saisie ne permet pas d’établir clairement ce que ce témoin a dit.

[87]           Par conséquent, je conclus que cette décision ne suscite pas une crainte raisonnable de partialité, parce qu’une partie n’est pas tenue de créer des documents pour répondre à une demande de production (voir par exemple Carbone c Whidden, 2013 ABCA 346, au paragraphe 25; Dow Chemical Canada Inc c Nova Chemicals Corp, 2014 ABQB 38, au paragraphe 27; Briner c Briner, 2012 BCSC 1545, au paragraphe 16; Insurance Council of British Columbia c Michaels, 2011 BCSC 1679, au paragraphe 16). De plus, rien ne prouve que les documents demandés existaient. En outre, il semble aussi qu’après avoir reçu une réponse aux demandes de renseignements qu’il avait présentées au titre de la LAI, M. Agnaou a abandonné sa demande de production à cet égard, ce qui permet aussi de conclure qu’aucune crainte raisonnable de partialité ne découle de la décision de refuser d’ordonner la production de documents du MJ en question.

[88]           Le vice-président Mooney a aussi refusé d’ordonner la production de documents relativement à un autre avis d’emploi ayant trait à d’autres personnes. M. Agnaou allègue que cela soulève aussi une crainte raisonnable de partialité. Je ne suis pas d’accord avec lui, car le vice-président Mooney avait tout à fait compétence pour conclure que de tels documents n’étaient pas pertinents. Les commissions des relations de travail, telles que la TDFP, jouissent d’une grande latitude lorsqu’il s’agit de déterminer l’admissibilité de la preuve; le choix du décideur d’admettre ou de rejeter certains éléments de preuve n’est pas, en soi, suffisant pour conclure qu’il y a eu partialité (voir par exemple Scheuneman c Canada (Procureur général) (1999), 176 FTR 59, au paragraphe 18 [Scheuneman]). Comme le juge MacKay l’a mentionné dans la décision Teeluck c Canada (Conseil du Trésor) (1999), 177 FTR 39, au paragraphe 22 [Teeluck] :

Le Parlement a jugé bon de donner aux tribunaux administratifs, comme l’arbitre ou la Commission en l’instance, une très grande latitude dès lors qu’il s’agit d’entendre et d’accepter des éléments de preuve, pour éviter qu’ils soient paralysés par des objections et des manœuvres de procédure. Ceci permet de tenir une audition moins formelle, où tous les éléments pertinents peuvent être présentés au tribunal pour un examen expéditif.

[89]           Par conséquent, encore une fois, les points soulevés par M. Agnaou ne suscitent pas une crainte raisonnable de partialité.

(9)               Allégations 16 à 21 – Allégation de partialité découlant de la façon dont les motifs ont été rédigés

[90]           M. Agnaou allègue en dernier lieu que la façon dont les motifs ont été rédigés suscite une crainte raisonnable de partialité pour six raisons. Selon lui, le vice‑président a agi de la manière suivante :

                     Il a systématiquement adopté les positions du MJ sans justifier convenablement ses arguments;

                     Il a déformé les arguments de la CFP et de la CCDP, en donnant l’impression que leurs positions allaient à l’encontre de celle de M. Agnaou, alors que ce n’était pas le cas;

                     Il s’est déraisonnablement fondé sur le rapport de Hara Associates, déposé par le MJ, et intitulé Employment Equity Workforce Analysis, sans remettre en question le caractère intéressé qu’il revêtait;

                     Il a été indûment influencé par Me Athanasios D. Hadjis (auparavant vice-président du TCDP) pour la rédaction de ses motifs;

                     Il a dépeint M. Agnaou de manière injuste dans sa décision en le faisant paraître comme un employé mécontent; et

                     Il a révélé qu’il avait une opinion défavorable de M. Agnaou en admettant que l’expérience soit plus méritoire que les études comme critère de sélection des candidats.

[91]           Rien de tout cela n’est fondé.

[92]           Premièrement, en ce qui concerne l’adoption des positions du MJ, comme je l’ai déjà souligné, cela est simplement compatible avec le fait que le MJ avait raison quant aux points soulevés.

[93]           Deuxièmement, il n’était pas nécessaire que le vice-président aborde et analyse chacun des arguments soulevés par M. Agnaou (voir par exemple Newfoundland Nurses, au paragraphe 16, Construction Labour Relations Assn (Alberta) c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au paragraphe 3; Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490, aux paragraphes 7 à 13). En outre, même si le vice‑président avait en fait copié les observations du MJ et les avait reprises mot à mot dans la décision, cela n’aurait pas nécessairement été inapproprié, comme la Cour suprême du Canada l’a récemment conclu dans l’arrêt Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, au paragraphe 49.

[94]           Troisièmement, je ne crois pas que le vice-président a été injuste par rapport aux positions défendues par M. Agnaou, ni qu’il l’a indûment dépeint sous un jour défavorable. À mon avis, la décision est plutôt bien équilibrée, surtout si l’on tient compte de la façon dont M. Agnaou semble s’être comporté devant le TDFP.

[95]           Quatrièmement, pas le moindre élément de preuve n’appuie l’allégation selon laquelle M. Hadjis a joué un rôle quelconque dans la rédaction de la décision ou bien en ce qui concerne la conclusion que le vice-président a tirée. M. Agnaou prétend qu’il en est ainsi si l’on compare le raisonnement suivi dans la décision en cause avec le raisonnement suivi dans la décision Chopra c Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), 2001 CanLII 8492 (TCDP) [Chopra], dont M. Hadjis a rédigé les motifs alors qu’il était président du TCDP. Cela est loin d’établir l’existence d’une intervention inappropriée de la part de M. Hadjis.

[96]           Enfin, le vice-président Mooney n’avait aucune raison de ne pas accepter l’étude menée par Hara ou de ne pas y accorder de poids, laquelle étude était tout à fait pertinente quant à la question dont il était saisi. Le fait que M. Agnaou n’aime pas les conclusions tirées dans le rapport – qui constatait que le MJ avait de bons résultats quant à son obligation pour ce qui est de l’équité en matière d’emploi – n’est pas une raison pour que le rapport soit considéré comme un document intéressé. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, les décisions qu’un tribunal prend en ce qui concerne l’admission d’éléments de preuve et le poids à accorder à ceux‑ci ne donnent pas habituellement lieu à une erreur susceptible de contrôle, et encore moins à une crainte raisonnable de partialité.

[97]           En bref, M. Agnaou n’a pas réussi à établir, en présentant de manière convaincante les éléments de preuve nécessaires, qu’une crainte raisonnable de partialité découlait des décisions prises par le vice‑président Mooney dans la présente affaire ou bien de sa conduite de l’audience. Au mieux, les affirmations de M. Agnaou ne sont guère plus que des insinuations. Par conséquent, son allégation selon laquelle la décision doit être annulée en raison d’une crainte raisonnable de partialité doit être rejetée.

B.                 La violation alléguée du droit à un « processus transparent » constitue-t-elle une contravention des droits de M. Agnaou en matière d’équité procédurale?

[98]           M. Agnaou fait aussi valoir que son droit à ce qu’il a appelé un « processus transparent » a été violé parce que le Tribunal n’a pas ordonné au MJ et à la CFP de fournir des réponses écrites qui étaient aussi détaillées que la plainte qu’il a déposée et parce que le vice‑président Mooney a rejeté plusieurs de ses demandes de production. J’ai déjà traité de la question des demandes de production. Pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels j’ai statué que le rejet de certaines de ces demandes ne suscitait pas une crainte raisonnable de partialité, je suis d’avis que le rejet de ces demandes ne fait pas en sorte que M. Agnaou a fait l’objet d’une procédure inéquitable devant le TDFP. En bref, M. Agnaou n’a pas réussi à établir que le MJ ou la CFP étaient en possession de documents pertinents dont la divulgation n’a pas été ordonnée.

[99]           En ce qui concerne les réponses du défendeur, M. Agnaou n’a jamais demandé au MJ ou à la CFP de fournir des réponses plus détaillées. Il n’a pas non plus demandé un ajournement parce qu’il avait été surpris par le témoignage imprévu d’un témoin du MJ ou par des arguments inattendus du MJ ou de la CFP. Compte tenu de ce qui précède, il ne peut pas maintenant soutenir que la faiblesse alléguée des réponses écrites du MJ et de la CFP constitue un manquement à l’équité procédurale.

[100]       En outre, après avoir examiné les réponses du MJ et de la CFP, je suis d’avis qu’elles étaient suffisamment détaillées pour être conformes aux exigences en matière de divulgation prévues au Règlement du TDFP. Comme M. Agnaou l’a souligné à juste titre, le paragraphe 24(2) de ce Règlement exige bel et bien qu’un intimé présente dans sa réponse tous les faits pertinents sur lesquels il entend se fonder. De tels faits doivent toutefois être distingués de la preuve et des arguments juridiques. Les actes de procédure de M. Agnaou sont beaucoup plus longs que ceux du MJ ou de la CFP parce qu’il a exposé de gros passages de la preuve dans sa plainte et qu’il a aussi présenté de longs arguments juridiques. Rien n’exigeait que le MJ ou la CFP en fassent autant, car le Règlement exige seulement que les faits pertinents soient exposés.

[101]       Par conséquent, le contenu des réponses déposées par le MJ et la CFP ne donnent pas lieu à une violation des droits de M. Agnaou en matière d’équité procédurale, soit le droit à un « processus transparent », et cet argument doit donc, lui aussi, être rejeté.

C.                 Le défaut de rendre une ordonnance pour empêcher l’avocat du MJ de rencontrer les témoins à venir constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

[102]       M. Agnaou allègue ensuite que le vice-président Mooney a enfreint ses droits en matière d’équité procédurale en n’empêchant pas l’avocat du MJ de rencontrer les témoins à venir (qui étaient des employés du MJ) avant leur témoignage. Comme je l’ai mentionné, au cours de la deuxième série de dates d’audience, le vice-président a rendu une ordonnance en vue d’exclure des témoins et, à la fin du témoignage de chacun d’entre eux, il leur a ordonné de ne pas parler de la preuve avec les témoins à venir. M. Agnaou a par la suite demandé aux avocats de la CFP et du MJ de lui confirmer qu’ils ne parleraient pas de l’affaire avec les témoins à venir, dont la comparution devait avoir lieu à des dates ultérieures. L’avocat de la CFP était disposé à lui donner une confirmation qu’il ne parlerait pas avec les témoins du MJ, mais pas l’avocat du MJ. L’avocat du MJ a soutenu qu’il avait le droit de rencontrer les témoins et de les préparer à témoigner, à condition qu’en le faisant, il ne divulgue pas ce que les autres personnes qui ont déjà témoigné ont relaté dans leur témoignage.

[103]       Le vice-président Mooney était d’accord avec l’avocat du MJ et il a refusé d’empêcher les avocats de rencontrer les témoins à venir. Comme je l’ai mentionné au cours de l’audition de la présente demande de contrôle, il n’était pas incorrect de la part de l’avocat du MJ de rencontrer les témoins à venir, à condition que, ce faisant, il ait pris soin de ne pas divulguer le contenu des témoignages présentés à l’audience. À cet égard, comme l’adage souvent cité le dit, « un témoin n’appartient à personne ». Les règles de déontologie professionnelle s’appliquant aux avocats interdisent à un avocat de parler au client d’un autre avocat sans la permission du second avocat, mais cette interdiction ne s’applique pas aux témoins que le second avocat entend appeler à témoigner. De plus, les avocats peuvent communiquer avec les témoins, même pendant les pauses au cours de leur témoignage, à condition qu’ils respectent les règles régissant la portée éthique de ce genre de communications.

[104]       Par exemple, en Ontario, la règle 4.04 du Code de déontologie (le Code) limite la façon dont les avocats peuvent communiquer avec un témoin au cours de son interrogatoire devant la Cour. Cependant, il n’existe aucune interdiction en ce qui concerne la communication avec les témoins avant la date d’audience, à l’exception que, suivant le paragraphe 4.01(2) du Code, un avocat ne doit pas dissuader un témoin de déposer ou lui conseiller de s’absenter, ni malmener, intimider, harceler ou incommoder un témoin sans nécessité.

[105]       Dans la décision O’Callaghan c R (1982), 35 OR (2d) 394 (HCJO), sur laquelle le défendeur s’est fondé, la Haute Cour de justice de l’Ontario a annulé l’ordonnance d’un magistrat qui voulait empêcher un avocat de communiquer avec des témoins ou des témoins éventuels, et, dans la décision Bédirian c Conseil du Trésor (Justice Canada), 2001 CRTFP 57, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a rendu une décision semblable, par laquelle elle a permis à l’avocat de communiquer avec son témoin au sujet du témoignage à venir conformément au Code de déontologie de l’Ontario.

[106]       Par conséquent, contrairement à ce que M. Agnaou fait valoir, suivant les exigences en matière d’équité procédurale, le vice-président Mooney n’était pas tenu d’ordonner à l’avocat du MJ de ne pas parler avec les témoins qui n’avaient pas encore comparu.

[107]       La preuve ne révèle pas non plus que l’avocat du MJ n’a pas respecté l’ordonnance d’exclusion de quelque façon que ce soit lorsqu’il a rencontré les témoins en question. Contrairement à ce qu’affirme M. Agnaou, les documents qu’il a obtenus au titre de la LAI ne prouvent pas que l’ordonnance d’exclusion n’a pas été respectée. Tout ce que ces documents révèlent, c’est qu’un témoin qui n’avait pas encore témoigné a reçu une copie conforme d’un courriel faisant un résumé des audiences, mais le courriel ne comporte aucune pièce jointe précisant la nature du résumé fait par l’avocat du MJ. De la même façon, les notes prises par le représentant des relations de travail au cours de la séance de préparation d’un témoin membre de la direction ne font nulle mention du fait que l’avocat du MJ avait relaté au témoin le contenu du témoignage qui avait été présenté. Le vice‑président Mooney a donc eu raison de conclure que M. Agnaou n’avait pas prouvé qu’il y avait eu non-respect de l’ordonnance d’exclusion.

[108]       Par conséquent, non seulement le vice‑président n’a pas commis une erreur en refusant d’admettre les documents divulgués au titre de la LAI, puisque ces documents ne prouvaient pas que l’ordonnance d’exclusion n’avait pas été respectée, il n’a pas non plus, ce faisant, violé les droits de M. Agnaou en matière d’équité procédurale. Cette allégation n’est donc pas fondée.

D.                Le refus d’admettre les éléments de preuve supplémentaires que M. Agnaou voulait présenter constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

[109]       M. Agnaou allègue également que ses droits en matière d’équité procédurale ont été violés lorsqu’on a refusé d’admettre les éléments de preuve additionnels qu’il voulait présenter après la fin de l’audience. Comme je l’ai déjà mentionné, ces éléments de preuve avaient trait à la violation alléguée de l’ordonnance d’exclusion et se rapportaient à ce qui s’est produit par rapport à la candidature subséquente de M. Agnaou pour un autre poste ainsi qu’aux candidats retenus.. Tel que déjà discuté, le vice-président Mooney a refusé d’admettre de tels éléments de preuve, au motif que ceux-ci n’étaient pas pertinents.

[110]       Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c Bradco Construction Ltd, [1993] 2 RCS 316, au paragraphe 47, et comme cette Cour l’a souligné dans les décisions Scheuneman et Teeluck, les tribunaux du travail doivent jouir d’un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’appréciation de l’admissibilité de la preuve. Par conséquent, il est rare que le refus d’admettre des éléments de preuve soit d’une importance telle qu’il constituera un manquement à l’équité procédurale; en effet, une telle conclusion ne peut être tirée que lorsque l’élément de preuve en question est au cœur de la position d’une partie (comme c’était le cas dans l’arrêt Syndicat des employés professionnels de l’Université du Québec à Trois‑Rivières c Université du Québec à Trois-Rivières, [1993] 1 RCS 471, au paragraphe 47).

[111]       En l’espèce, les éléments de preuve écartés n’étaient pas de cette nature. Pour les motifs que j’ai déjà exposés, les éléments de preuve concernant la violation alléguée de l’ordonnance d’exclusion n’ont pas permis d’établir qu’il y avait eu quelque violation que ce soit. On ne pouvait donc pas conclure qu’ils étaient essentiels à la thèse de M. Agnaou. Dans la même veine, les éléments de preuve relatifs à ce qui s’est produit dans un autre concours, qui a eu lieu après les faits en cause, ne sont pas pertinents quant aux questions dont le TDFP était saisi, étant donné qu’ils ne permettaient pas de mieux comprendre ce qui s’était produit dans la présente affaire, alors que des cadres différents sont intervenus pour le compte du MJ. Enfin, les éléments de preuve concernant la situation des candidats retenus n’auraient été pertinents que si le TDFP avait eu à examiner la question de la réparation, ce que le vice-président Mooney n’a pas eu besoin de faire, car il a rejeté la plainte. Dans le domaine des relations de travail, les tribunaux scindent souvent les décisions en matière de violation et de réparation, comme le vice‑président Mooney l’a fait dans la présente affaire (voir par exemple Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, (Canada, Thomson Reuters Canada Ltd, 2014), ch. 3, à la page 55).

[112]       Par conséquent, les éléments de preuve écartés en question n’étaient pas au cœur de la plainte de M. Agnaou et leur rejet ne constitue donc pas un manquement à l’équité procédurale. En outre, le vice-président Mooney a appliqué le bon critère dans son examen de l’admissibilité des éléments de preuve après la fin de l’audience, en se fondant sur l’arrêt Sagaz et la décision Whyte, qui énoncent les facteurs à considérer pour les demandes de réouverture de l’affaire.

[113]       Donc, le refus, par le vice-président Mooney, d’admettre les éléments de preuve que M. Agnaou voulait présenter après la fin de l’audience ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale ni une erreur par ailleurs susceptible de contrôle. Un tel moyen est ainsi, lui aussi, sans fondement.

E.                 Le temps mis pour rendre la décision donne-t-il lieu à une allégation de manquement à l’équité procédurale?

[114]       M. Agnaou soutient, en dernier lieu, que le temps mis pour rendre la décision constitue un manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord. Comme la Cour suprême du Canada l’a statué dans l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, aux paragraphes 101 et 102, ce n’est que dans les cas extrêmes que le temps mis pour rendre une décision sera excessif au point de donner lieu à une allégation fondée de manquement à l’équité procédurale. En l’espèce, les 25 mois qu’il a fallu au vice-président Mooney pour rendre sa décision ne sont pas excessifs si l’on tient compte des milliers de pages de documents déposés par M. Agnaou et des nombreux arguments qu’il a soulevés.

[115]       Par conséquent, pour ces motifs, cette allégation – comme toutes les autres allégations faites par M. Agnaou – ne prouve pas qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Je conclus donc que M. Agnaou n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, et cet élément de sa demande doit être rejeté.

V.                Le vice-président Mooney a-t-il commis une erreur dans son interprétation de la LEFP ou de la LCDP?

[116]        Je m’attarde à ce stade-ci sur les erreurs que, selon M. Agnaou, le vice-président Mooney aurait commises dans son interprétation de la LEFP et de la LCDP.

[117]       En ce qui a trait à la LEFP, M. Agnaou allègue que le vice-président Mooney a commis une erreur dans son appréciation de la question de savoir s’il y avait eu abus de pouvoir de la part des gestionnaires chargés de la dotation au sens de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP à deux égards; tout d’abord, il prétend que le vice‑président a mal qualifié les arguments qu’il avait soulevés concernant l’abus de pouvoir, et, ensuite, il prétend que le vice-président a commis une erreur dans son interprétation des connaissances que les gestionnaires chargés de la dotation doivent avoir concernant les questions d’équité en matière d’emploi.

[118]       En ce qui concerne les allégations portant sur la qualification erronée de ses arguments, M. Agnaou allègue qu’il a soulevé les questions suivantes devant le TDFP :

Est-ce que la gestionnaire a respecté ses obligations énoncées dans la LÉE et reprises dans les lignes directrices de la CFP en matière de nomination et dans les autres politiques du Conseil du trésor et de Justice Canada lorsqu’elle a conçu et administré le processus de sélection contesté? Autrement dit, est-ce que la gestionnaire a conçu et administré le processus de sélection contesté en y intégrant les objectifs [d’équité en matière d’emploi]?

[119]       Il prétend que le vice-président n’a pas abordé ces questions et qu’il a plutôt seulement répondu à la question suivante : « Est-ce que la gestionnaire recruteuse devait inclure comme critère de mérite l’appartenance à un groupe [d’équité en matière d’emploi]? »

[120]       Je ne souscris pas à cette affirmation. Il ressort de l’examen des motifs de la décision que le vice-président a examiné les arguments soulevés par M. Agnaou dans la mesure où ils étaient pertinents pour l’examen de la question de savoir s’il y avait eu abus de pouvoir au sens de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

[121]       À cet égard, comme le vice-président l’a souligné à juste titre, il n’appartient pas au TDFP de faire respecter la LÉE; l’article 22 de la LÉE prévoit que ce rôle incombe à la CCDP. Ainsi, des questions de conformité à la LÉE peuvent être soulevées dans le contexte de plaintes portant sur des mesures de dotation prises dans la fonction publique fédérale seulement si le non‑respect de la LÉE pouvait donner lieu à un abus de pouvoir de la part du gestionnaire chargé de la dotation, au sens de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP. Selon cette disposition, des mesures de dotation peuvent être annulées si le gestionnaire chargé de la dotation a abusé des pouvoirs qui lui ont été délégués au titre du paragraphe 30(2) de la LEFP. Cette disposition permet au cadre de la dotation d’établir les qualifications essentielles et les qualifications supplémentaires pour un poste, ce qui peut comprendre les exigences opérationnelles et organisationnelles actuelles ou futures de l’administration.

[122]       Comme le vice-président Mooney l’a souligné à juste titre dans sa décision, ces besoins peuvent comprendre l’obligation d’appartenir à un groupe protégé par la LÉE en tant que critère de mérite. Lorsqu’un tel choix est fait, comme je l’ai déjà mentionné, il se peut que la priorité soit accordée aux candidats qui possèdent les qualifications essentielles pour le poste et qui font partie d’un groupe protégé, par opposition à ceux qui ne font pas partie d’un groupe protégé. Ainsi, selon la LEFP, le choix d’adopter ou non comme critère de mérite le fait d’appartenir à un groupe protégé peut justifier une plainte d’abus de pouvoir. De plus, les questions d’équité en matière d’emploi peuvent se traduire par un abus de pouvoir au titre de la LEFP si le gestionnaire chargé de la dotation ne tient pas compte des politiques pertinentes du Conseil du Trésor et de la CFP en ce qui concerne les questions d’équité en matière d’emploi, lesquelles, par exemple, exigent que les outils d’évaluation n’entraînent pas d’obstacles systémiques à l’avancement, comme le vice‑président Mooney l’a signalé dans sa décision.

[123]       Après avoir énoncé ces principes généraux, le vice-président Mooney a examiné les arguments soulevés par M. Agnaou sous la rubrique de l’abus de pouvoir, puis a traité et rejeté les allégations de M. Agnaou selon lesquelles les gestionnaires chargés de la dotation et les représentants des ressources humaines du MJ n’avaient pas pris suffisamment connaissance de leurs obligations au titre de l’équité en matière d’emploi, qu’ils n’ont pas suffisamment tenu compte de ces questions lors de la conception et de l’élaboration du processus de dotation, et qu’ils ont abusé de leur pouvoir en n’établissant pas comme critère de mérite le fait d’appartenir à un groupe protégé. Ainsi, contrairement à ce qu’allègue M. Agnaou, le vice-président Mooney a bel et bien examiné tous les aspects pertinents des arguments de M. Agnaou en ce qui concerne les questions d’équité en matière d’emploi. Par conséquent, le premier des arguments de M. Agnaou concernant l’interprétation de la LÉE est sans fondement.

[124]       En ce qui concerne le deuxième argument, j’estime que le vice-président n’a commis aucune erreur dans son appréciation du caractère adéquat des connaissances des représentants de la direction en ce qui concerne les questions d’équité en matière d’emploi. Contrairement à ce que M. Agnaou fait valoir, pour s’acquitter de leurs rôles dans le cadre du processus de dotation, les cadres n’étaient pas tenus de consulter les rapports déposés au Parlement sur les questions d’équité en matière d’emploi ou d’autres documents semblables. De même, le fait que leurs dossiers ne comprenaient pas d’analyses détaillées des questions dont ils ont tenu compte pour prendre des décisions en ce qui concerne la zone de sélection, les critères de sélection ou les outils d’évaluation ne signifie pas qu’ils n’ont pas dûment tenu compte de ces questions ou bien des répercussions sur l’équité en matière d’emploi des choix qu’ils ont faits à l’égard de ces questions. Dans la décision, le vice-président Mooney a résumé le témoignage des témoins sur ces points, qui montrait qu’ils avaient examiné ces questions et qu’ils avaient une connaissance générale des exigences de la LÉE dans les mesures de dotation. Ainsi, la façon dont il a tranché les questions était raisonnable, étant donné qu’il s’est fondé sur la preuve et a considéré les points pertinents. Cet aspect de l’argument de M. Agnaou est donc lui aussi dénué de fondement et, par conséquent, ne permet pas d’établir que le vice‑président Mooney a commis une erreur susceptible de contrôle dans son interprétation des exigences de la LÉE qui s’appliquent au processus de dotation en cause en l’espèce.

[125]       En ce qui concerne les erreurs que, selon M. Agnaou, le vice-président Mooney aurait commises dans son analyse des plaintes de discrimination, M. Agnaou prétend que le vice‑président a commis les erreurs suivantes :

                     Il a appliqué le mauvais critère quant à la discrimination. Selon M. Agnaou , le vice-président aurait dû se concentrer sur la question de savoir si le critère contesté, soit l’expérience récente en gestion des ressources humaines, avait un effet préjudiciable sur les minorités visibles, au lieu de se concentrer sur la question de savoir si la preuve circonstancielle était suffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination, ce qui, selon ce que prétend M. Agnaou, a eu pour effet d’alourdir indûment le fardeau dont il devait s’acquitter pour établir une preuve prima facie;

                     Il a tenu compte de la preuve du défendeur pour décider si M. Agnaou avait établi une preuve prima facie de discrimination;

                     Il a considéré comme un facteur pertinent le fait que des postes de niveau LA-2B aient été disponibles;

                     Il a accordé du poids au rapport prétendument intéressé de Hara Associates;

                     Il a exigé une preuve statistique concernant la situation au MJ pour établir qu’il y avait sous-représentation des minorités visibles dans les postes de gestion au MJ. M. Agnaou soutient que le vice-président aurait plutôt dû conclure qu’il y avait sous‑représentation en se fondant sur les statistiques qu’il avait déposées, lesquelles provenaient de Statistique Canada et faisaient état du nombre de minorités visibles occupant, de façon générale, des postes de gestion au Canada.

[126]       Avant d’analyser ces questions, j’estime utile de formuler quelques commentaires au sujet du droit applicable à l’examen des plaintes de discrimination. Comme le juge McIntyre, s’exprimant pour la Cour suprême du Canada, l’a souligné dans l’arrêt O’Malley, il existe deux types d’actes discriminatoires qui peuvent violer les lois sur les droits de la personne : la discrimination directe, d’une part, et la discrimination indirecte ou par suite d’un effet préjudiciable, d’autre part.

[127]       Il y a discrimination directe en matière d’emploi lorsque l’employeur agit délibérément de façon discriminatoire pour un motif interdit par la loi. L’exemple d’une situation de discrimination directe donné par le juge McIntyre dans l’arrêt O’Malley est une affiche sur laquelle on peut lire : « Ici, on n’embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir ». De façon générale, un demandeur n’est pas en mesure de prouver une telle attitude manifestement discriminatoire. Conséquemment, la preuve de la discrimination directe est souvent circonstancielle et est comprise des incidents où des décisions semblables ayant eu un effet préjudiciable sur d’autres personnes ayants des caractéristiques semblables à celles du plaignant. Par exemple, ce genre de preuve peut comprendre le fait de montrer qu’un nombre disproportionné de personnes faisant partie d’un groupe protégé se sont vues refuser un emploi ou une possibilité d’avancement. À partir d’une telle preuve, le demandeur demandera au tribunal de conclure qu’on a également à tort refusé de l’embaucher ou de lui donner une promotion pour le même motif de distinction illicite (voir par exemple Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1998 CanLII 7740 (CF), aux paragraphes 17 et 18; Grant c Manitoba Telecom Services Inc, 2012 TCDP 10, aux paragraphes 25 et 26; Tarnopolsky, Pentney & Gardner, Discrimination and the Law, feuilles mobiles (Canada, Thomson Reuters Canada Ltd, 2004-2014), ch. 4, aux pages 22 à 26 [Tarnopolsky]).

[128]       En revanche, la discrimination indirecte ou la discrimination par suite d’un effet préjudiciable s’exerce en l’absence d’intention discriminatoire, lorsqu’une règle, une exigence, une politique ou une pratique a un effet négatif disproportionné sur un groupe protégé. L’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 [Meiorin], est un exemple de discrimination indirecte ou de discrimination par suite d’un effet préjudiciable; dans cette affaire, l’employeur avait adopté une exigence en matière de capacité aérobique pour les pompiers, et la Cour suprême du Canada a conclu que cette exigence avait un effet négatif disproportionné sur les femmes, car elles ont généralement une moins grande capacité pulmonaire.

[129]       En l’espèce, M. Agnaou a présenté des éléments de preuve et soulevé des arguments visant à révéler la présence de ces deux types de discrimination. Il a essayé d’établir que la direction du Bureau régional du Québec du MJ avait fait preuve de discrimination directe contre des personnes faisant partie des minorités visibles en montrant des exemples de situations où il alléguait que d’autres personnes faisant partie des minorités visibles avaient été injustement rétrogradées et en essayant d’établir que la direction avait délibérément tenté de se soustraire à ses obligations au titre de l’équité en matière d’emploi. Toutefois, la majeure partie de sa preuve était axée sur une plainte de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Cette partie de la preuve était axée sur l’allégation que la qualification liée à l’expérience en matière de gestion des ressources humaines avait un effet négatif sur les minorités visibles ainsi que sur l’allégation que les minorités visibles étaient sous-représentées aux niveaux supérieurs du MJ.

[130]       Dans les affaires de discrimination, il incombe au demandeur d’établir une preuve prima facie de discrimination. Dans un cas de discrimination directe, lorsqu’une preuve circonstancielle est présentée, une preuve prima facie est établie quand la preuve présentée à l’appui de l’inférence de discrimination rend l’inférence selon laquelle le défendeur s’est comporté de façon discriminatoire plus probable que les autres inférences ou hypothèses possibles. Lorsqu’une telle chose se produit, le fardeau passe au défendeur, à qui il incombe de montrer qu’il n’a pas agi de façon discriminatoire (Barnacle, Lynk et Wood, Employment Law in Canada, feuilles mobiles (Canada, LexisNexis Canada Inc, 2005-2014), ch. 5, à la page 50).

[131]       Par contre, dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, la preuve présentée n’est pas circonstancielle; elle vise plutôt à montrer que la règle, la politique ou l’exigence neutre a un effet négatif disproportionné sur les personnes qui font partie du groupe protégé. Une preuve statistique est souvent nécessaire pour prouver une telle chose. Par exemple, s’il était question d’une exigence de grandeur minimale, une demanderesse serait tenue de montrer qu’en moyenne, les femmes sont moins grandes que les hommes pour établir prima facie que l’exigence de grandeur a un effet préjudiciable sur les femmes. Parfois, comme dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1985), 5 CHRR D/2327, confirmée par [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail], l’incidence négative de toutes les pratiques d’embauche est évaluée de façon cumulative par l’examen du nombre total de personnes appartenant à un groupe protégé qui ont été embauchées, puis par la comparaison de ce nombre à la proportion de candidats qui ont posé leur candidature aux postes en question, ou qui pouvaient être recrutés pour ces postes (voir aussi, par exemple, les décisions Chopra et Dhaliwal c BC Timber Ltd (1983), 4 CHRR D/1520 [Dhaliwal]).

[132]       Selon la LCDP, lorsqu’un demandeur établi prima facie qu’il a été victime de discrimination par suite d’un effet préjudiciable en matière d’emploi, suivant le moyen de défense qui peut être invoqué, il faut démontrer que la règle, l’exigence, la politique ou la pratique est une exigence professionnelle justifiée (EPJ). La défense d’EPJ qui s’applique en matière d’emploi est énoncée à l’alinéa 15(1)a) et au paragraphe 15(2) de la LCDP, qui prévoient ce qui suit :

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15. (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

[…]

[…]

Besoins des individus

Accommodation of needs

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

[133]       Dans l’arrêt Meiorin, la Cour suprême du Canada a énoncé une méthode en trois étapes pour évaluer le caractère suffisant d’une défense d’EPJ, statuant qu’un employeur peut justifier l’exigence contestée en établissant, selon la prépondérance des probabilités, que :

1.                  l’employeur a adopté l’exigence dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2.                  l’employeur a adopté l’exigence en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail;

3.                  l’exigence est raisonnablement nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail.

[134]       Pour prouver qu’une exigence est raisonnablement nécessaire, un employeur doit démontrer qu’il lui est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que cela lui impose une contrainte excessive (Tarnopolsky, ch 12, 62.54 et 62.55).

[135]       Compte tenu de ces principes généraux, il est maintenant possible d’examiner les arguments que M. Agnaou a soulevés à l’égard de ces questions.

[136]       J’ai déjà examiné l’un de ces arguments. Comme je l’ai conclu précédemment, le vice‑président n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en accordant du poids au rapport de Hara Associates, lequel était pertinent quant aux questions dont le TDFP était saisi dans la présente affaire.

[137]       Pour ce qui est des autres allégations formulées par M. Agnaou à l’égard de ces questions, contrairement à ce qu’il fait valoir, le vice-président n’a pas appliqué les mauvais principes de droit ou appliqué une norme de preuve plus élevée que celle qui était justifiée. Il a plutôt dûment énoncé les principes de droit applicables dans sa décision, tel qu’il ressort effectivement de l’analyse qui précède. Bref, les principes applicables qu’il a décrits dans la décision sont ceux que j’ai énumérés ci-haut.

[138]       Le vice-président Mooney a par la suite examiné trois questions qui découlaient des allégations de M. Agnaou : premièrement, la question de savoir si M. Agnaou avait réussi à démontrer que les minorités visibles étaient sous‑représentées au groupe et niveau LA‑03, deuxièmement, celle de savoir si M. Agnaou avait réussi à établir que la qualification contestée avait un effet négatif sur les minorités visibles, et troisièmement, celle de savoir si M. Agnaou avait réussi à établir l’existence de discrimination directe. À mon avis, le raisonnement suivi par le vice‑président à l’égard de ces trois questions est inattaquable.

[139]       En ce qui concerne la première question, le vice-président Mooney a conclu que les statistiques présentées en preuve ne permettaient pas d’établir que les minorités visibles étaient sous‑représentées au niveau LA-03 parce qu’il n’existait aucune preuve du nombre de minorités visibles admissibles à une promotion à ce niveau. M. Agnaou soutient que le vice-président aurait dû considérer comme groupe de comparaison approprié le pourcentage de minorités visibles dans l’ensemble du MJ ou dans les groupes et niveaux inférieurs admissibles à une promotion, ou bien le nombre d’employés au Canada en général qui exercent des fonctions de gestion et qui, selon les sondages de Statistique Canada, font partie des minorités visibles. Selon M. Agnaou , l’un ou l’autre de ces groupes aurait permis de constater que les minorités visibles étaient sous‑représentées au groupe et niveau LA-03 au MJ.

[140]       M. Agnaou soutient à cet égard que sa preuve a démontré que sa situation était analogue à celle dont il était question dans l’arrêt Griggs c Duke Power Co, 401 US 424 (1971) [Duke Power], analysé dans l’arrêt O’Malley, où la Cour suprême des États-Unis a statué que le critère d’embauche selon lequel le candidat devait posséder un diplôme d’études secondaires avait eu un effet préjudiciable sur les Noirs parce que, pendant la période pertinente et dans la zone de recrutement pertinente, moins de Noirs que de Blancs avaient terminé leurs études secondaires. M. Agnaou dit qu’il aurait fallu tirer la même conclusion d’effet préjudiciable concernant le critère de l’expérience en gestion des ressources humaines, parce qu’au MJ, le pourcentage de minorités visibles était bien plus grand dans les postes de niveaux LA-00, LA‑01 et LA‑02A, où il n’est pas nécessaire de gérer des ressources humaines, que dans les postes de niveau LA-2B et LA‑3A, où, la plupart du temps, il est nécessaire de gérer des subalternes.

[141]       À mon avis, il ne s’agit pas d’une comparaison pertinente, parce que M. Agnaou n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant à quel moment les personnes faisant partie de minorités visibles avaient été embauchées au MJ à des postes de divers groupes et niveaux, ou quand des postes étaient devenus vacants aux niveaux supérieurs. Ainsi, il n’est pas possible de conclure que toutes les minorités visibles aux niveaux inférieurs étaient admissibles à une promotion aux postes de niveau LA-2B ou LA‑03, mais ne l’obtenait pas. On ne peut pas non plus dire que l’ensemble des minorités visibles occupant des postes de gestion au Canada était généralement admissible à un poste au MJ. Personne ne sait combien de minorités visibles possèdent un diplôme en droit, ce qui est une condition essentielle à l’obtention des postes en cause, ni ne sait combien d’entre elles auraient pu être intéressées par un emploi au gouvernement fédéral. La situation est donc bien plus complexe que celle dans l’affaire Duke Power, où tous les candidats potentiels possédaient ou non la qualification en question.

[142]       En revanche, la situation en l’espèce est semblable à la situation examinée dans la décision Chopra. Dans cette décision, tout comme en l’espèce, la preuve statistique présentée ne permettait pas d’établir qu’il y avait un nombre disproportionné de minorités visibles occupant des postes de gestion de niveau supérieur lorsqu’on effectuait une comparaison avec les groupes de relève appropriés à Santé Canada et dans la fonction publique fédérale. La preuve dans cette affaire était bien plus complexe que celle présentée par M. Agnaou en l’espèce. Dans l’affaire Chopra, le plaignant a présenté une preuve d’un statisticien expert pour démontrer la proportion de personnes qui auraient été susceptibles de poser leur candidature en vue d’obtenir les promotions en question (et le tribunal a quand même rejeté l’idée qu’un tel élément de preuve puisse établir l’existence de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, bien qu’il ait conclu, pour un motif différent, que les droits de M. Chopra avaient été violés). Aucune preuve de ce genre n’a été présentée en l’espèce.

[143]       La preuve dans l’affaire Action Travail était aussi beaucoup plus complexe que celle présentée par M. Agnaou en l’espèce. Dans l’affaire Action Travail, les plaignants ont présenté des données relatives à la proportion de candidats et de personnes embauchées en relation avec le sexe de ces personnes. Les données suivantes ont été produites devant le tribunal : le nombre total de femmes embauchées pour des emplois de col bleu, le nombre total de femmes, qualifiées pour les postes en question qui avaient posé leur candidature,, le nombre total d’hommes, qui avaient posé leur candidature et le nombre d’hommes qui avaient été embauchés au cours d’une période analogue. Il était donc possible de conclure, dans cette affaire, que les femmes et les hommes n’avaient pas été embauchés dans des proportions égales.

[144]       En revanche, dans la présente affaire, les simples statistiques déposées par M. Agnaou n’étaient pas aussi détaillées. En outre, le rapport Hara précisait que l’embauche de minorités visibles aux niveaux inférieurs avait récemment eu lieu. Par conséquent, le fait qu’il y avait une plus grande proportion de minorités visibles dans les niveaux inférieurs ne pouvait pas nécessairement être attribuable au fait qu’elles n’avaient pas pu obtenir de promotions. Par conséquent, le vice‑président n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Agnaou n’avait pas réussi à établir que les minorités visibles étaient sous‑représentées dans les postes de groupe et niveau LA-3A au MJ. On ne peut pas non plus le critiquer pour le critère qu’il a appliqué dans son appréciation de la question, lequel correspond au critère énoncé dans plusieurs précédents (voir par exemple Action Travail, Chopra et Dhaliwal).

[145]       Dans la même veine, la conclusion tirée par le vice-président Mooney en ce qui concerne l’insuffisance de la preuve relative à l’effet préjudiciable allégué du critère de l’expérience en gestion des ressources humaines est irréprochable. Il ne disposait tout simplement d’aucun élément de preuve concernant l’incidence du critère sur les minorités visibles. Par conséquent, il a conclu à juste titre que M. Agnaou n’avait pas réussi à démontrer l’effet discriminatoire de la qualification selon laquelle le candidat devait avoir de l’expérience en gestion des ressources humaines.

[146]       De la même façon, il n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Agnaou n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination directe, étant donné qu’il n’existait aucune preuve que la direction au Bureau régional de Québec du MJ s’était comportée de façon discriminatoire.

[147]       Enfin, contrairement à ce que soutient M. Agnaou, le vice-président Mooney, en évaluant si M. Agnaou avait établi une preuve prima facie de discrimination, n’a pas tenu compte du fait que celui-ci n’avait pas posé sa candidature à des postes du groupe et niveau LA‑2B . Il a plutôt formulé ses commentaires sur ce point dans son analyse visant à statuer si l’employeur avait réussi à établir que l’exigence d’expérience antérieure en gestion des ressources humaines dans la fonction publique était une EPJ.

[148]       Par conséquent, M. Agnaou n’a pas établi que le vice-président Mooney a commis une erreur dans son examen de la plainte de discrimination de M. Agnaou.

VI.             L’application par le vice-président Mooney de la LEFP ou la LCDP était-elle déraisonnable?

[149]       Enfin, M. Agnaou formule plusieurs allégations au sujet de la nature prétendument déraisonnable de la décision. En plus d’alléguer que les motifs étaient insuffisants du fait que plusieurs de ses arguments n’avaient pas été examinés, ce qui, comme je l’ai souligné, doit être considéré dans le cadre de l’appréciation du caractère raisonnable de la décision, M. Agnaou allègue également que les conclusions suivantes n’étaient pas raisonnables :

                     La conclusion qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir;

                     La conclusion qu’il était loisible à la direction de ne pas appliquer la directive du sous‑ministre concernant la nécessité de faire en sorte que l’appartenance à un groupe protégé au titre de la LÉE soit un critère de mérite pour toutes les mesures de dotation au MJ;

                     La conclusion que les gestionnaires chargés de la dotation et le représentant des ressources humaines ayant pris part au concours connaissaient suffisamment les obligations de l’employeur au titre de l’équité en matière d’emploi ainsi que la LÉE et les politiques applicables;

                     La conclusion que les membres du jury de sélection ont dûment tenu compte des questions d’équité en matière d’emploi;

                     La conclusion que l’établissement de la qualification essentielle pour le poste portant qu’une personne doit posséder une expérience récente en matière de gestion des ressources humaines ne constitue pas un abus de pouvoir;

                     La conclusion que M. Agnaou n’a pas établi qu’il y avait sous-représentation des minorités visibles aux échelons supérieurs du MJ; et

                     La conclusion que M. Agnaou n’a pas établi que la sous‑représentation des minorités visibles au MJ était attribuable à de la discrimination.

[150]       La plupart de ces allégations reprennent simplement les arguments que M. Agnaou a soulevés à divers autres moments dans sa plaidoirie pour la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les mêmes motifs que ceux que j’ai exposés précédemment, elles sont sans fondement.

[151]       De plus, la preuve dont disposait le TDFP établissait que les titulaires des deux postes, soit celui de directeur général associé et de directeur de la direction de droit, devaient gérer de nombreux subalternes, qui étaient principalement des avocats. La preuve a aussi établi que l’employeur n’exigeait pas une expérience antérieure particulièrement importante en gestion des ressources humaines – seulement six mois au cours des deux années précédentes – à titre de qualification essentielle. En outre, comme je l’ai souligné, il n’existait aucune preuve que cette exigence ait eu un effet préjudiciable sur les minorités visibles. La preuve a aussi révélé que les personnes occupant un poste du même niveau que M. Agnaou pouvaient obtenir de l’expérience en matière de gestion des ressources humaines en occupant un poste LA-2B, et que M. Agnaou avait choisi de ne pas poser sa candidature à un tel poste, qu’il aurait pu obtenir. Il a plutôt préféré soutenir que ses études universitaires dans le domaine des ressources humaines le mettaient sur un pied d’égalité avec ceux qui avaient effectivement de l’expérience en gestion et que le rejet de cette allégation constituait un abus de pouvoir ou de la discrimination, en contravention de la LCDP. On ne saurait par ailleurs guère affirmer que la conclusion du vice-président est déraisonnable. Comme le défendeur le fait valoir à juste titre, il s’agissait plutôt de la seule issue logique possible compte tenu des faits de l’espèce. Bref, il est loin d’être déraisonnable de conclure qu’un candidat qui n’a pas d’expérience en gestion des ressources humaines ne pourrait pas superviser un groupe d’avocats. Par conséquent, les diverses conclusions de fait ou conclusions mixtes de fait et de droit contestées par M. Agnaou sont toutes raisonnables.

[152]       Finalement, à mon avis, les motifs du vice-président Mooney sont détaillés et tenaient dûment compte de tous les arguments de M. Agnaou. Ils ne sont pas du tout insuffisants.

[153]       Donc, aucun des arguments de M. Agnaou ne peut être retenu. Sa demande de contrôle judiciaire sera ainsi rejetée avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens;

2.                  le procureur général du Canada est désigné à titre de défendeur dans l’intitulé;

3.                  si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent présenter des observations sur la question. Le défendeur peut soumettre des observations d’au plus 10 pages dans les 30 jours suivant le présent jugement; M. Agnaou peut déposer des observations en réponse, d’au plus 10 pages elles aussi, dans les 30 jours suivant la réception des observations du défendeur; et, s’il le souhaite, le défendeur peut déposer une réplique d’au plus cinq pages dans les dix jours suivant la réception des observations déposées en réponse par M. Agnaou relativement aux dépens.

« Mary J.L. Gleason »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1391-12

 

INTITULÉ :

YACINE AGNAOU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

lA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

le 5 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Yacine Agnaou

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Michel Girard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yacine Agnaou

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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